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Chroniques de Marc Kravetz France-Culture
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C  O N  F E R É N C E   I N T E R N A T I O N A L E

Démocratisation du Moyen-Orient


Problèmes & Perspectives

19-20 novembre 2005
Organisée par l'Institut kurde de Paris en partenariat avec Ministère de la Culture du Kurdistan
Gouvernement régional du Kurdistan irakien, Erbil - Kurdistan

avec le soutien du Ministère français des Affaires étrangères (DGCID).




Trauma et Transmission

Par Eva Weil (*)



Je vous parlerais brièvement de deux situations vécues dans l’aprés catastrophe de la deuxième guerre mondiale qui font l’objet de mon travail.

Les mécanismes d’élucidation de la transmission s’inscrivent dans le processus de démocratisation dans la mesure où connaitre son passé, et les effets qu’il induit de façon répétitive sur sa personne, c’est détenir un pouvoir sur sa propre vie et donc sur les libertés individuelles et collectives.

Ces deux situations vous évoqueront, sans doute, des événements similaires de l’histoire contemporaine des Kurdes, dans cette région.



En France, la fin des années 70 et le début des années 80 sont considérées comme marquant une date charnière dans l'ouverture des témoignages sur les déportations et l'extermination des Juifs. Un certain nombre de questions réunissent des historiens et des psychanalystes quant aux rapports que l'on peut observer entre mémoire individuelle et mémoire collective dans ce champ.

Si nous prenons l’histoire de la France et spécifiquement celle du régime de Vichy, 30 ans au moins se sont écoulés jusqu'à son apparition dans la sphère des débats publics.

On peut se demander et ces interrogations sont de celles qui reviennent souvent dans le débat entre historiens, si cet effet s’est observé dans d’autres moments et si la prévisible disparition des témoins pouvait à elle seule expliquer ce phénomène.

Faudrait il attendre que les témoins, victimes et bourreaux aient disparu ou soient sur le point de disparaître pour que l’Histoire puisse se construire ?

En modifiant notre champ d’observation et si nous nous intéressons au devenir des déportés juifs survivants de la guerre et leur relation à la transmission de leur histoire à leurs enfants et aux générations suivantes, nous pouvons considérer le groupe numériquement le plus important de ces survivants, estimé à 250 000 personnes, qui émigra vers l’Etat d’ Israël nouvellement créé, a partir de 1947-48. Ils y trouvèrent un état ravagé par la guerre qui eut beaucoup de difficultés à nourrir et à abriter ces émigrants.

Dans cette émigration, aussi bien d’ailleurs que celles qui eurent pour destination, les U.S.A, l’Europe, l’Amérique du Sud ou d’autres encore, ces survivants étaient un groupe hétérogène, malgré la communauté centrale de la déportation et de l’extermination. Persistaient, à l’intérieur du judaîsme, des disparités trés importantes, que ce soit, sur le plan de l’origine sociale et culturelle, en matière d’éducation, d’âge ou d’origine géographique. étaient très importantes. Dans tous ces pays, et en Israel, ces survivants furent trés occupés à apprendre une nouvelle langue, à trouver du travail et élever des enfants que la plupart avaient voulu très rapidement.

Une fois qu’ils avaient du travail et un logement, peu d’entre eux ont recherché dans l’immédiat de l’après guerre, une autre aide que matérielle. En 1949, dans l’American Journal of Psychiatry, un article notait que dans tous les premiers programmes de réhabilitation des survivants juifs d’Europe, l’aspect psychiatrique fut généralement négligé, et qu’ils furent essentiellement organisés en termes de soutien matériel et social.

Mais, les accords de Réparation, signés dans les années 50, par la R.D.A, qui assumait l’obligation de fournir des compensations pour les spoliations subies par la population juive sous le régime nazi, ainsi que des indemnisations pour les « préjudices personnels » comprenant la santé, la perte de liberté ainsi que les préjudices professionnels ou autres, amenèrent des avocats spécialisés dans le traitement de ces modalités de compensation à s’y intéresser. De nombreux médecins experts et psychiatres furent désignés pour évaluer ces « préjudices ». Pour être indemnisés, les survivants se trouvèrent donc contraints de se soumettre à des examens médicaux et psychiatriques afin d’établir un lien entre les handicaps physiques et mentaux dont ils souffraient et les mauvais traitements et les pertes subies pendant la guerre. La psychiatrie n’avait jamais été confrontée auparavant à un problème aussi massif et complexe et à l’image du refus général d’accepter comme possible ce qui était arrivé à l’humain durant cette période, les experts psychiatres n’étaient pas préparés à la clinique du trauma psychique profond chez l’adulte. Il leur semblait difficile de croire que la « névrose traumatique » ne fusse pas un syndrome de courte durée et relativement délimité. Au lieu de cela, ils se trouvèrent débordés par les dimensions « du traumatisme «, et l’ampleur des changements physiques et psychologiques apparus. Ces survivants avaient été arrachés à une existence ordinaire et plongés dans une longue période de terreur et d’impuissance. Tous ceux qui avaient été dans les camps avaient été systématiquement affamés, soumis à des conditions de travail au dela souvent des capacités humaines. Tous les survivants examinés avaient perdu tout ou partie de leur famille et subi des formes extrèmes de dégradation psychologique. Le « syndrome du survivant » fut ainsi nommé, en 1957, par le DR. W.Niederland, psychiatre qui avait lui même quitté Munich avant la guerre et qui travailla avec des centaines de survivants.

Ce syndrome est organisé autour de la dépression anxieuse comme affection prédominante, associée à une peur de persécutions renouvelées, de multiples phobies, d’insomnie, de cauchemars, de changements de personnalité et d’une somatisation généralisée.

Le descriptif médical du survivant décrit par Niederland complète le portrait du rescapé des camps des romans d’Elie Wiesel :

Dans le « JOUR », il écrit : « leur apparence est trompeuse :ils ressemblent aux autres. Ils mangent, ils rient, ils aiment. Ils recherchent l’argent, la célébrité, l’amour, comme les autres. Mais ce n’est pas vrai :ils jouent, parfois même sans le savoir. Quiconque a vu ce qu’ils ont vu ne peut pas être comme les autres, ne peut pas rire, aimer, prier, marchander, souffrir, s’amuser ou oublier. Observez les attentivement quand ils passent à côté d’une innocente cheminée d’usine ou quand ils portent un morceau de pain à leur bouche. Ces gens ont été amputés ; ils n’ont pas perdu leurs jambes ou leurs yeux mais leur volonté et leur goût de vivre. Les choses qu’ils ont vues remonteront tôt ou tard à la surface. Et le monde sera alors effrayé et n’osera plus regarder ces estropiés spirituels dans les yeux. Un ressort s’est cassé en eux sous l’effet du choc ».

Un problème commun chez les survivants de la Shoah, note Hillel Klein, psychanalyste israélien, « est une peur profonde de se mettre à aimer quelqu’un ». Ayant perdu la plupart, sinon tous leurs premiers objets d’amour, ils craignent maintenant qu’aimer quelqu’un signifie le perdre et revivre encore une fois cette douleur. Une telle éventualité constitue une menace de dépression incontrôlable.



La place des enfants nés aprés la déportation

Les survivants entretiennent souvent un rapport particulier à leurs enfants qui représentent les nouvelles versions de pères ou de mères, de proches parents ou de descendants assassinés pendant la guerre. Par conséquent, lorsqu’un enfant de survivant se trouve malade, le parent se retrouve à faire face à la résurgence de toutes ses réactions psychiques, qui avaient pu rester refoulées jusqu’au moment de ce nouveau malheur.

Certains psychiatres ont avancé l’hypothèse que la structure de la dépression dont souffraient beaucoup de survivants était proche d’une vision caractérisée par la destruction de leur univers, la destruction des repères fondamentaux sur lesquels est construit le monde des humains dans notre civilisation, c’est à dire la confiance première en la valeur de l’humain, l’assurance fondamentale. Les survivants se plaignaient de toutes sortes de problèmes physiques : maux de tête, tension musculaire, douleurs articulaires, troubles gastro intestinaux ; Mais nombre de chercheurs estimaient que la conjonction de circonstances qu’ils avaient connues ; famine, typhus sévices et générateurs d’anxiété de tout ordre était si complexe que cause et effet ne pouvaient être distingués. Ce que l’on pouvait constater, toutefois, c’est que, à mesure que les survivants fondaient une famille et élevaient des enfants, leurs problèmes ne se résolvaient pas. Il pouvait même arriver, alors que les enfants de survivants atteignaient l’adolescence et approchaient de l’âge auquel leurs parents avaient été déportés, de nouveaux symptômes apparaissent.

Aux U.S.A., H. Krystal décrit un nombre grandissant d’enfants de survivants souffrant de problèmes de dépression et d’ inhibition de leurs propres fonctions. Transmission d’une pathologie acquise d’une génération à une autre, troubles de la relation parent enfant, les interprétations sont variées. Autant que les modes de cette transmission qui peuvent être le récit ou paradoxalement même une transmission par le silence, d’autant plus que celui ci est redoublé par le silence dans la communauté sociale.

Les survivants ne pourraient pas en faire le récit à leurs propres enfants du fait du sadisme exerçé sur eux qui les abime en tant que personnes et en tant que parents. Dans le même mouvement, les enfants ne peuvent pas poser de questions; ils peuvent ressentir que c'est trop brûlant et brutal. L'indifférence affichée, quand elle est affichée, recouvre probablement l'idée que c'est là un sujet trop pénible pour en parler, que l'on s'identifie à la victime, au bourreau, même partiellement ou que l'on puisse éprouver une certaine culpabilité à entendre que l'autre et non pas soi ait subi cette atteinte à son corps, à son esprit.

Les survivants pourraient également vouloir protéger leurs enfants de la blessure et de la douleur trop fortes entrainées par le récit des traumas subis par leurs parents qui font de ceux ci des violentés, des blessés des humiliés et non plus des figures parentales solides, fiables, respectables.



La rupture du silence dans le collectif



Comment ce silence, dont on peut penser qu'il n'était souvent qu'un prétendu silence a t il été amené à être rompu, en ce qui concerne la Shoah ? On peut imaginer que lorsque des événements de la Shoah sont abordés publiquement, à l'occasion de rappels à la mémoire collective nationale ou internationale : commémoration du Vel d'Hiv, film de Spielberg, émissions de télévision sur la chasse aux nazis,etc… et décrits comme une catastrophe qui ne concerne plus exclusivement les protagonistes directement engagés, victimes et bourreaux, mais aussi tous les autres, facilite des identifications plus ouvertes. Alors, peut être, au moyen de la mise en scène, des mots, des images, par la reconnaissance et l'objectivation du traumatisme se met en place une ouverture au questionnement pour ceux qui ne l'ont pas vécu. Surtout quand ces événements sont largement relayés par les médias qui étayent une certaine "mise au dehors" du trauma vécu par les déportés.

Pour les survivants, la reconnaissance par la société de ce qu'a été leur expérience représente aussi l' authentification ou encore la preuve de la réalité de ce qui s'est passé. Cette reconnaissance pourrait devenir un cadre contenant collectif qui permet le récit. Quant à savoir si ce récit est cathartique, les avis restent partagés du fait que l'histoire collective laisse aussi sa place au déploiement de l'histoire et de la structure individuelles.



G. Perec, en1963, sur R. Antelme ou la vérité de la littérature (2)

"Parler, écrire, est, pour le déporté qui revient, un besoin aussi immédiat et aussi fort que son besoin de calcium, de sucre, de soleil, de viande, de sommeil, de silence. Il n'est pas vrai qu'il peut se taire et oublier. Il faut d'abord qu'il se souvienne. Il faut qu'il explique, qu'il raconte, qu'il domine ce monde dont il fut la victime".



Dans notre expérience du traitement des traumatismes chez les enfants et ceux devenus adultes de la deuxième génération, la résolution éventuelle passe par le traitement à la fois dans le collectif et dans l’individuel. Car le sujet traumatisé, outre son atteinte personnelle, est attaqué de surcroit par le défaut de partage de ses traumatismes dans les espaces transubjectifs. Ceci met en oeuvre la notion de réparation, peu utilisée chez les psychanalystes, mais qui est trés importante, comme nous l’avons vu, dans les mécanismes de rétablissement de l’Histoire. Il faut que le désastre soit reconnu pour ceux qui l’ont subi et pouvoir parler entre soi et aux autres, quelquefois personnalisé dans un autre, pour que puisse se créer un espace à la fois de partage et d’altérité.



(*) Eva Weil. Membre de la Société Psychanalytique de Paris.

Chercheur associé Paris I : Identités, Relations Internationales et Civilisations de l’Europe

37 rue Tournefort

75005



-Antelme R. L'espèce humaine. Ed. Gallimard 1957



-Freud S. Métapsychologie. Ed. Gallimard, 1968

-Freud S. Totem et Tabou Petite bibliothèque Payot, 1965

-Hilberg R. La politique de la mémoire. Arcades Ed. Gallimard 1994

-Kaes R. "Ruptures catastrophiques et travail de la mémoire" in Violence d'état et psychanalyse. Dunod,1989

-Krystal H. “ Integration & Selfeeling” Analytical Press 1988

-Niederland W.G. “The survivor syndrom” J.A.P.A 1981 vol29 no 2