Qui sont les Kurdes ?

mis à jour le Jeudi 10 novembre 2016 à 17h26

par Kendal NEZAN
Président de l'Institut kurde de Paris

D'où viennent-ils ? Les historiens s'accordent généralement pour les considérer comme appartenant au rameau iranien de la grande famille des peuples indo-européens. Aux temps préhistoriques, des royaumes ayant pour nom Mittani, Kassites, Hourites ont régné sur ces territoires montagneux situés entre le plateau iranien et le cours supérieur de l'Euphrate. Au VIIème siècle av. J.C., les Mèdes, qui sont aux Kurdes ce que les Gaulois sont aux Français, fondèrent un empire qui en l'an 612 av. J.C. conquit la puissante Assyrie et étendit sa domination à tout l'Iran ainsi qu'à l'Anatolie centrale. Cette date de 612 est d'ailleurs considérée par des Kurdes nationalistes comme le début de l'ère kurde.

Le règne politique des Mèdes s'achèvera vers le milieu du VIème siècle av. J.C., mais leur religion et leur civilisation domineront l'Iran jusqu'à l'époque d'Alexandre le Grand. A partir de cette date et jusqu'à l'avènement de l'islam, le destin des Kurdes, que les géographes et historiens grecs appellent Carduques (ou Kardoukhoy) restera lié à celui des autres populations des empires qui se succèdent sur la scène iranienne: Séleucides, Parthes et Sassanides.

Après avoir opposé une résistance farouche aux invasions arabo-musulmanes, les Kurdes finirent par se rallier à l'islam, sans pour autant se laisser arabiser. Cette résistance s'étala sur près d'un siècle. Pour des raisons plutôt sociales que religieuses les tribus kurdes résistaient aux tribus arabes. Pour amadouer les Kurdes et les convertir à l'islam, tous les moyens furent utilisés, même la stratégie matrimoniale. Par exemple, la mère du dernier calife omayade, Merwan Hakim, était kurde.

A la faveur de l'affaiblissement du pouvoir des califes, les Kurdes qui jouaient déjà un rôle de premier plan dans le domaine des arts, de l'histoire et de la philosophie, commencent à affirmer dès le milieu du IXème siècle leur propre puissance politique. En 837, un seigneur kurde du nom de Rozeguite fonde sur les bords du lac de Van la ville d'Akhlat et en fait la capitale de sa principauté théoriquement vassale du calife, en fait pratiquement indépendante. Dans la deuxième moitié du Xème siècle le Kurdistan est partagé entre 4 grandes principautés kurdes. Au Nord, les Chaddadites, (951-1174), à l'Est, les Hassanwahides (959-1015) et les Banou Annaz (990-1116) et à l'Ouest les Merwanides (990-1096) de Diyarbékir. L'une de ces dynasties aurait pu, au fil des décennies, imposer sa suprématie aux autres et bâtir un Etat englobant l'ensemble du pays kurde si le cours de l'histoire n'avait pas été bouleversé par les invasions massives des peuplades déferlant des steppes de l'Asie centrale. Après avoir conquis l'Iran et imposé leur joug au calife de Bagdad, les Turcs seldjoukides ont annexé une à une ces principautés kurdes. Vers 1150, le sultan Sandjar, le dernier des grands souverains seldjoukides, créa une province du Kurdistan.

Jusque-là le pays des Kurdes était appelé la Médie par les géographes grecs, le "Djibal", c'est-à-dire la montagne par les Arabes. C'est donc un sultan turc qui, en hommage à la personnalité propre du pays kurde, lui donne le nom du Kurdistan. La province du Kurdistan formée par Sandjar avait pour capitale la ville Bahâr (c'est-à-dire le Printemps), près de l'antique Ecbatane, capitale des Mèdes. Elle comprenait les vilayets de Sindjar et de Chehrizor à l'ouest du massif Zagros, ceux d'Hamadan, Dinaver et Kermanshah à l'est de cette chaîne. Dans l'ensemble cette appellation ne recouvrait alors qu'une partie méridionale du Kurdistan ethnique. Une civilisation autochtone brillante se développait autour de la ville de Dinaver - aujourd'hui ruinée - à 75 km au nord-est de Kermanshah, dont le rayonnement fut partiellement remplacé ensuite par celui de Senneh, 90 km plus au nord.

A peine une douzaine d'années après la disparition du dernier grand seldjoukide, une dynastie kurde, celle des Ayyoubides (1169-1250), fondée par le fameux Saladin émerge et assume le leadership du monde musulman pendant près d'un siècle, jusqu'aux invasions turco-mongoles du XIIIème siècle. La haute figure de Saladin et ses exploits face aux Croisés sont suffisamment connus en Europe. Son empire englobait, outre la quasi-totalité du Kurdistan, toute la Syrie, l'Egypte et le Yémen. C'était un peu comme l'Empire romain germanique prétendant regrouper peuples, royaumes et principautés de l'Europe catholique. C'était le temps des croisades, de l'hégémonie du religieux sur le politique et le national. Saladin n'était donc pas plus patriote kurde que Saint Louis ne fut un nationaliste français.

Emergence du Kurdistan comme entité géographique reconnue, la suprématie d'une dynastie kurde sur le monde musulman, la floraison d'une importante littérature écrite en langue kurde, le XIIème siècle est assurément une période riche en événements de l'histoire kurde. C'est également au cours de ce siècle que l'église nestorienne, ayant son siège métropolitain au Kurdistan, prend un essor extraordinaire. Ses missions essaiment à travers toute l'Asie, jusqu'au Tibet, le Sin Kiang, la Mongolie et le Sumatra. Le plus spectaculaire succès de ces missions a été la conversion du grand khan mongol Gouyouk en 1248. Egalement en 1253, Saint Louis lui envoyait Guillaume de Rubrouck, qui joua un rôle important dans ce que l'on appela la "croisade mongole" sur Bagdad. En 1258, quand le Mongol Houlagou, influencé par ces missions, prend Bagdad, il fait mettre à mort le calife mais veille à ce qu'un palais soit donné au catholicos nestorien. A la fin du XIIIème siècle, l'islam l'emporte chez les Mongols et les Nestoriens sont massacrés. Le siège de leur patriarcat, change de lieu au fil des siècles mais demeure toujours au Kurdistan.

Dans la deuxième moitié du XVème siècle le pays kurde finit par se remettre des effets des invasions turco-mongoles et par prendre forme comme une entité autonome, unie par sa langue, sa culture et sa civilisation mais politiquement morcelée en une série de principautés. Cependant, la conscience d'appartenir à un même pays est vive, au moins parmi les lettrés. Un poète du XVIème siècle, de la principauté du Bohtan, Melayé Djaziri, considéré comme le Ronsard kurde se présente en ces termes:

  Je suis la rose de l'éden de Bohtan
  Je suis le flambeau des nuits du Kurdistan.

Au début du XVIème siècle le pays kurde devient l'enjeu principal des rivalités entre les empires ottoman et perse. Le nouveau chah de Perse qui a imposé le chiisme comme religion d'Etat en Iran cherche à le répandre dans les pays voisins. De leurs côtés, les Ottomans veulent mettre le holà aux visées expansionnistes du chah, assurer leur frontière iranienne pour pouvoir se lancer dans la conquête des pays arabes. Pris en tenailles entre les deux géants, les Kurdes, politiquement morcelés, n'avaient guère de chance de survivre en tant qu'entité indépendante. En 1514, le sultan turc infligea une défaite cuisante au chah de Perse. Craignant que sa victoire reste sans lendemain il cherchait les moyens d'assurer en permanence cette difficile frontière iranienne. C'est là que l'un de ses conseillers les plus écoutés, le savant kurde Idrissi Bitlissi, lui a présenté l'idée de reconnaître aux princes kurdes tous leurs droits et privilèges antérieurs en échange de l'engagement de garder eux mêmes cette frontière et de se battre aux côtés des Ottomans en cas de conflit perso-ottoman. Le sultan turc Selim Ier donna son aval au plan de son conseiller kurde, lequel est allé voir un à un les princes et seigneurs kurdes pour les convaincre que l'intérêt bien compris des Kurdes et des Ottomans était de conclure cette alliance.

Placés devant le choix d'être un jour ou l'autre annexés par la Perse ou d'accepter formellement la suprématie du sultan ottoman en échange d'une très large autonomie, les dirigeants kurdes optèrent pour cette seconde solution et ainsi le Kurdistan ou plus exactement ses innombrables fiefs et principautés entrèrent dans le giron ottoman par la voie de la diplomatie. La mission d'Idrissi Bidlissi a été facilitée par le fait qu'il était un savant connu et respecté et surtout par l'immense prestige de son père, le Cheikh Hussameddin qui était un chef spirituel soufi très influent. Bidlissi est également l'auteur du premier traité de l'Histoire générale de l'Empire ottoman, intitulé Hechte Behechte (Huit Paratis), retraçant le règne des huit sultans ottomans.

Ce statut particulier assura au Kurdistan près de trois siècles de paix. Les Ottomans contrôlaient quelques garnisons stratégiques sur le territoire kurde mais le reste du pays était gouverné par des seigneurs et princes kurdes. Outre une kyrielle de modestes seigneuries héréditaires, le Kurdistan comptait 17 principautés ou hukumets jouissant d'une large autonomie. Certaines d'entre elles comme celles d'Ardelan, de Hisn Keif, de Bohtan et de Rowanduz étaient dotées des attributs de l'indépendance; elles frappaient monnaie et faisaient dire la prière du vendredi à leur nom.

Malgré des ingérences de temps à autre du pouvoir central, ce statut particulier fonctionna sans accroc majeur jusqu'au début du XIXème siècle à la satisfaction des Kurdes et des Ottomans. Ces derniers, protégés par la puissante barrière kurde face à l'Iran pouvaient concentrer leurs forces sur d'autres fronts. Quant aux Kurdes, ils étaient pratiquement indépendants dans la gestion de leurs affaires. Ils vivaient certes en vase clos et leur pays était morcelé entre une série de principautés, mais à la même époque l'Allemagne comptait quelques 350 Etats autonomes et l'Italie était bien plus émiettée que le Kurdistan. Chaque cour kurde était le siège d'une vie littéraire et artistique importante. Et dans l'ensemble, malgré le morcellement politique, cette période constitue en fait l'âge d'or de la création littéraire, musicale, historique et philosophique kurde. En 1596, le prince Chéref Khan achève de terminer sa monumentale "Chérefnameh ou Fastes de la nation kurde". Les écoles théologiques de Djezireh et Zakho sont réputées dans tout le monde musulman, la ville d'Akhlat dotée d'un observatoire est connue pour l'enseignement des sciences naturelles. Des maîtres du soufisme comme Gulsheni et Ismail Çelebi sont vénérés même à Istanbul pour leur enseignement spirituel et leur génie musical. Certains Kurdes ambitieux comme les poètes Nabi, Nefi, écrivent en turc pour gagner la faveur du sultan.

A l'exception de quelques esprits visionnaires tel le grand poète classique kurde du XVIIème siècle Ehmedê Khani, les lettrés et princes kurdes semblent croire que leur statut va durer éternellement et n'éprouvent guère le besoin de le changer. En 1675, plus d'un siècle avant la révolution française qui répand en Occident l'idée de la Nation et de l'Etat-nation, le poète Khani, dans son épopée en vers "Mem-o-Zin", appelle les Kurdes à s'unir et à créer leur propre Etat unifié. Il ne sera guère écouté ni par l'aristocratie ni par la population. En terre d'islam, comme d'ailleurs en pareille époque dans la chrétienté, la conscience religieuse prime généralement la conscience nationale. Chaque prince est préoccupé par les intérêts de sa dynastie, et les dynamiques familiales, claniques ou dynastiques prévalent souvent plus que toute autre considération. Il n'était pas rare de voir des dynasties kurdes régner sur des populations non kurdes. Au XIème siècle, par exemple, le Farsistan, province persane par excellence a été gouvernée par une dynastie kurde; de 1242 à 1378 le Khorassan, province iranienne du Nord-Est a également eu une dynastie kurde, et de 1747 à 1859 ce fut le cas pour le lointain Béloutchistan qui fait partie aujourd'hui du Pakistan. Aussi le fait que telle ou telle proportion du territoire kurde soit gouvernée par des dynasties étrangères ne devait pas sembler inacceptable aux contemporains.

L'idée de l'Etat-nation et du nationalisme est un avatar de la Révolution française. Elle a rapidement trouvé un terrain particulièrement propice dans deux pays morcelés et en partie asservis: l'Allemagne et l'Italie. Ce sont des penseurs allemands comme Goerres, Brentano et Grimm qui posèrent le postulat selon lequel les frontières politiques, géographiques et linguistiques devaient coïncider. Ils rêvaient d'une Allemagne regroupant en un Etat la kyrielle de ses petits Etats autonomes. Le pan-germanisme a par la suite inspiré d'autres mouvements nationalistes comme le pan-slavisme et le pan-turquisme. Ces idées parviendront avec quelque retard, vers 1830, au Kurdistan où le prince de Rewanduz, Mîr Mohammed, se battra de 1830 à 1839 au nom de ses idées pour la création d'un Kurdistan unifié.

En fait, jusque là, tant qu'ils n'avaient pas été menacés dans leurs privilèges, les princes kurdes se contentaient d'administrer leur domaine, tout en rendant hommage au lointain sultan-calife de Constantinople. En règle générale, ils ne se soulèveront et tenteront de créer un Kurdistan unifié que lorsque, au début du XIXème siècle, l'Empire ottoman s'ingérera dans leurs affaires et cherchera à mettre fin à leur autonomie.

Des guerres pour l'unification et l'indépendance du Kurdistan, jalonnent la première partie du XIXème siècle. En 1847, s'effondre la dernière principauté kurde indépendante, celle de Bohtan. Signe des temps, les forces ottomanes, dans leur combat contre les Kurdes, sont conseillées et aidées par les puissances européennes. On remarque, par exemple, la présence dans les rangs ottomans de Helmut von Moltke, alors jeune capitaine et conseiller militaire.

De 1847 à 1881, on observe de nouvelles insurrections, sous la conduite de chefs traditionnels, souvent religieux, pour la création d'un Etat kurde. Elle seront suivies jusqu'à la Première Guerre Mondiale de toute une série de révoltes sporadiques et régionales contre le pouvoir central, toutes durement réprimées.

Les causes de l'échec de ces mouvements sont multiples: émiettement de l'autorité, dispersion féodale, querelles de suprématie entre les princes et féodaux kurdes, ingérence des grandes puissances aux côtés des Ottomans.

Après avoir annexé une à une les principautés kurdes, le pouvoir turc s'employa à intégrer l'aristocratie kurde en distribuant assez généreusement des postes et prébendes et en mettant sur pied des écoles dites tribales destinées à inculquer aux enfants des seigneurs kurdes le principe de fidélité au sultan. Cette tentative d'intégration à la Louis XIV fut en partie couronnée de succès. Mais elle favorisa également l'émergence d'élites kurdes modernistes. Sous leur houlette se dessina, à Constantinople, une phase moderne du mouvement politique tandis que se multiplient associations et sociétés de bienfaisance et patriotiques tentant d'introduire la notion d'organisation et d'implanter un mouvement structuré dans la population kurde.

Il faut préciser que dans cette fin du XIXème siècle l'Empire ottoman étant en proie à de vives convulsions nationalistes, chaque peuple aspirait à créer son propre Etat-nation. Après avoir tenté vainement de maintenir ce conglomérat en vie par l'idéologie de pan-ottomanisme, puis de pan-islamisme, les élites turques elles mêmes étaient devenues pan-turquistes et militaient en faveur de la création d'un empire turc allant des Balkans à l'Asie centrale.

La société kurde aborda la Première Guerre Mondiale divisée, décapitée, sans projet collectif pour son avenir. En 1915, les accords franco-britanniques dits de Sykes-Picot prévoyaient le démembrement de leur pays. Cependant les Kurdes étaient en conflit sur le devenir de leur nation. Les uns, très perméables à l'idéologie "pan-islamiste" du sultan-calife, voyaient le salut du peuple kurde dans un statut d'autonomie culturelle et administrative dans le cadre de l'Empire ottoman. D'autres, se réclamant du principe des nationalités, des idéaux de la Révolution française et du président Wilson des Etats-Unis, combattaient pour l'indépendance totale du Kurdistan.

Le clivage s'est accentué au lendemain de la défaite ottomane face aux Puissances Alliées, en 1918. Les indépendantistes formèrent une délégation dépéchée à la Conférence de Versailles pour présenter "les revendications de la nation kurde".

Leur action contribuera à la prise en compte, par la Communauté Internationale, du fait national kurde. En effet, le Traité International de Sèvres conclu le 10 août 1920 entre les Alliés, dont la France, la Grande-Bretagne et les Etats-Unis et l'Empire Ottoman préconisait dans sa section III (art. 62-64), la création sur une partie du territoire du Kurdistan d'un Etat kurde. Ce traité restera cependant lettre morte, le rapport de forces sur le terrain empêchant son application.

Pour sa part, l'aile traditionnelle du mouvement kurde, dominée notamment par des chefs religieux, bien implantée dans la société kurde cherchait à "éviter le péril chrétien à l'Est et à l'Ouest" et à créer dans les territoires musulmans libérés de l'occupation étrangère "un Etat des Turcs et des Kurdes". L'idée était généreuse et fraternelle. Une alliance est conclue avec le chef nationaliste turc Mustafa Kemal venu au Kurdistan chercher de l'aide auprès des chefs kurdes pour libérer l'Anatolie occupée et "libérer le sultan-calife virtuellement prisonnier des chrétiens". Les premières forces de la guerre d'indépendance de Turquie furent en fait recrutées dans les provinces kurdes.

Jusqu'à sa victoire définitive sur les Grecs en 1922, Mustafa Kemal n'a cessé de promettre la création d'un Etat musulman des Turcs et des Kurdes. Il était ouvertement soutenu par les Soviétiques, et plus discrètement par les Français et les Italiens mécontents des appétits excessifs du colonialisme britannique dans la région. Après la victoire, à la Conférence de paix réunie à Lausanne, les délégués turcs affirmeront parler au nom des nations soeurs kurde et turque. Le 24 juillet 1923, un nouveau traité fut signé dans ce contexte entre le gouvernement kémaliste d'Ankara et les puissances alliées. Il rendait caduc le Traité de Sèvres et sans apporter aucune garantie en ce qui concerne le respect des droits des Kurdes consacrait l'annexion de la majeure partie du Kurdistan au nouvel Etat turc. Auparavant, par l'accord franco -turc du 20 octobre 1921 la France avait annexé à la Syrie placée sous son mandat les provinces kurdes de la Djezireh et de Kurd-Dagh. Le Kurdistan iranien dont une bonne partie était contrôlée par le chef kurde Simko vivait en état de quasi-dissidence par rapport au pouvoir central persan.

Restait encore en suspens le sort de la province kurde de Mossoul très riche en pétrole. Turcs et Britanniques la revendiquaient tandis que sa population au cours d'une consultation organisée par la Société des Nations, s'était prononcée dans une proportion de 7/8 en faveur d'un Etat kurde indépendant. Arguant que l'Etat irakien ne saurait survivre sans les richesses agricoles et pétrolières de cette province, la Grande-Bretagne finit par obtenir le 16 décembre 1925 du Conseil de la S.D.N. l'annexion de ces territoires kurdes à l'Irak placé sous son mandat. Elle promettait néanmoins la mise sur pied d'un gouvernement kurde autonome, promesse jamais tenue ni par les Britanniques, ni par le régime irakien qui a pris la succession de l'administration britannique en 1932.

Ainsi fin 1925, le pays des Kurdes, connu depuis le XIIème siècle sous le nom de "Kurdistan", se trouvait partagé entre 4 Etats: Turquie, Iran, Irak et Syrie. Et pour la première fois de sa longue histoire, il allait être privé même de son autonomie culturelle.

En effet, les conquérants et les empires de jadis s'étaient contentés de certains avantages et privilèges économiques, politiques et militaires. Nul n'avait entrepris d'empêcher la population d'exprimer son identité culturelle, d'entraver la libre pratique de sa vie spirituelle. Nul n'avait conçu le projet de détruire la personnalité kurde, de dépersonnaliser en le coupant de ses racines culturelles millénaires tout un peuple.

Ce projet fut celui des nationalistes turcs qui ont voulu faire de la Turquie, société éminemrnent multiculturelle, multiraciale et multinationale, une nation une et uniforme; il fut repris plus tard par l'Irak et l'Iran. On peut s'étonner avec Nehru "qu'un nationalisme défensif se transforme en un nationalisme agressif, et qu'une lutte pour la liberté devienne une lutte pour dominer les autres. Victime de sa géographie, de l'Histoire et aussi sans doute du manque de clairvoyance de ses propres dirigeants, le peuple kurde a été sans doute la population qui a payé le plus lourd tribut, qui a souffert le plus du remodelage de la carte du Proche-Orient.