Un film sur les clandestins de Calais «C'est révoltant»

mis à jour le Vendredi 6 mars 2009 à 11h50

5 mars 2009 | Le Nouvel Observateur - 2313 | Pascal Mérigeau

Plongée dans l'enfer de Calais, «Welcome» frappe fort et fait événement partout où il est montré. Entretien avec le réalisateur, Philippe Lioret

Le Nouvel Observateur .- Comment en êtes- vous arrivé à «Welcome» ?


Philippe Lioret. - C'est parti d'une conversation avec le romancier Olivier Adam qui, à la suite d'un atelier d'écriture à Calais, avait écrit un texte en vue d'un scénario pour Jean- Pierre Améris. Le film ne s'est pas fait, j'ai essayé en vain de racheter les droits du scénario, qui a finalement donné naissance à un téléfilm. Je suis parti sur un autre projet, mais le thème m'obsédait. Avec Emmanuel Courcol, le scénariste, nous sommes allés passer quelques jours à Calais, en plein hiver, et c'est là que nous avons eu l'idée de ce garçon qui, ne parvenant pas à passer, se met en tête de traverser la Manche à la nage.


N. O. - Qu'avez-vous vu à Calais ?


Ph. Lioret. - Des gens qui vivent dans des conditions effroyables. Qui sont persécutés par les CRS. J'ai rencontré aussi des bénévoles qui soignent, nourrissent, habillent, en prenant des risques insensés. Ils encourent des peines de cinq années de prison pour aide à personne en situation irrégulière, au nom d'un article de loi oublié de tous qui date de 1945. Une boulangère qui vend une baguette à un migrant peut être inquiétée. Le 25 mars, Jean- Claude Lenoir, de l'association Salam, sera jugé à Boulogne-sur-Mer.


N. O. - Pourquoi pas un documentaire ?.


Ph Lioret. - Je me suis demandé s'il était honnête d'imaginer une fiction à partir d'une réalité aussi violente. Avais-je le droit de puiser dans un tel terreau le sujet d'un film commercial ? N'était-ce pas profiter de ces gens ? Ce sont les bénévoles qui m'ont convaincu. A leurs yeux, il fallait que cette réalité soit montrée autrement qu'à travers des reportages télé que plus personne ne regarde. Quand nous avons découvert que plusieurs migrants avaient réellement tenté de traverser à la nage les 30 kilomètres, nous nous sommes sentis autorisés à raconter cette histoire. Mais si nous avions le thème et le personnage, nous n'avions pas la dramaturgie. D'où l'idée que ce garçon doit s'entraîner, qu'il se rend dans une piscine, qu'il rencontre un maître-nageur. Nous avons écrit avec l'obsession de rester à hauteur d'homme, en nous appliquant à ce que l'histoire soit toujours juste. Surtout pas quelque chose de plus grand que la vie. Tout est vrai dans le film, même ce qui semble insensé.


N. O. - Avez-vous eu du mal pour trouver le financement ?


Ph. Lioret. - Le sujet faisait peur, mais le scénario l'a emporté auprès de plusieurs intervenants, chacun apportant un petit montant. Parce qu'il y a beaucoup de figurants et de nombreuses scènes de nuit, ce qui exigeait des équipes importantes, ce n'est pas un film bon marché (9 millions d'euros).


N. O. - Comment avez-vous déniché Firat Ayverdi, le garçon de 17 ans qui joue Bilal ?.


Ph Lioret. - Nous sommes allés en Suède, en Turquie, à Londres, dans toutes les communautés kurdes d'Europe, et nous l'avons rencontré à Paris, à l'Institut kurde. Il vit en région parisienne. Il était vierge de tout, sans aucune technique, c'était parfait. Souvent, les jeunes qui veulent faire du cinéma se fabriquent des trucs, lui, non, rien du tout.


N. O. - Avez-vous redouté que le personnage du maître-nageur, interprété par un acteur connu (Vincent Lindon), n'éloigne le film de la réalité ?


Ph. Lioret. - Le film est l'histoire d'un indifférent. La dramaturgie s'est nourrie des récits des bénévoles. Un type dont la femme passe cinq soirs par semaine à s'occuper de ces clandestins pendant des années finit forcément par péter les plombs. La difficulté était de lier l'affectif à la situation sans devenir balourd. J'ai mis le nez dans le quotidien de ces gens et j'y ai trouvé une dramaturgie et des personnages. Il n'y avait pas de nécessité d'actionner des ficelles, nous avons même dû calmer le jeu. Ainsi les arrestations et les mises en examen sont-elles beaucoup plus brutales que ne le montre le film. A la vérité, j'ai fait «Welcome» pour des raisons de cinéma, mais le film me fait devenir citoyen. Je n'ai pas une âme d'abbé Pierre, mais tout cela sent si mauvais, c'est si révoltant que je ne peux plus me tenir. Le film déclenche quelque chose de fort, avant la sortie nous aurons fait 75 projections dans toute la France et il aura été vu par au moins 30 000 spectateurs. Je retourne souvent à Calais. Une fois que vous vous êtes approché de cette réalité, vous êtes pris. Le film a révélé quelque chose en moi, que j'ai découvert en le faisant et en le montrant. Maintenant, je vais devoir aller au charbon, je ne vais pas m'arrêter là.

«Welcome», par Philippe Lioret, en salles le 11 mars. Lire également, p. 94, la Tendance de Jérôme Garcin.