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POINT SUR LA SITUATION EN TURQUIE

CILDEKT
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Liste
NO: 92

1/4/1998

  1. NOUVELLES ARRESTATIONS AU SEIN DU PARTI PRO-KURDE HADEP
  2. LA TURQUIE, PREMIER DE LA LISTE DES PAYS AYANT EMPRISONNÉ SES JOURNALISTES
  3. M.YILMAZ RENTRE DANS LE RANG ET LE CONSEIL NATIONAL DE SÉCURITÉ LANCE UNE NOUVELLE CROISADE CONTRE "LA RÉACTION RELIGIEUSE"
  4. LA LIGUE ARABE ADOPTE UNE RÉSOLUTION CONTRE LA TURQUIE
  5. RECONDUCTION DE L'ÉTAT D'URGENCE DANS LES 6 PROVINCES KURDES
  6. UN AUTRE CHEF DU PKK FAIT DÉFECTION
  7. LU DANS LA PRESSE TURQUE: UNE JUSTICE CORROMPUE


NOUVELLES ARRESTATIONS AU SEIN DU PARTI PRO-KURDE HADEP


Ahmet Turk un ancien député du Parti de la Démocratie (DEP), et Abdullah Varli, ont été arrêtés mercredi 25 mars par la police anti-terroriste dans le cadre d'une procédure judiciaire engagée contre les sept dirigeants du parti de la Démocratie du Peuple (HADEP), dont son président Murat Bozlak, inculpés sous l'accusation d'être la branche politique du Parti des Travailleurs du Kurdistan (PKK). Après une garde à vue de 48 heures, Ahmet Turk et M. Varli ont été libérés le vendredi 27 mars.

Lundi 30 mars, la police a procédé à de nouvelles interpellations à Ankara et trois autres dirigeants du HADEP, Sirri Sakik et Sedat Yurttas, deux anciens députés du parti de la Démocratie (DEP) et Feridun Yazar, l'ancien président du HEP (prédécesseur du DEP) l'un des avocats de Leyla Zana et du parti, ont été arrêtés par la police anti-terroriste, puis relâchés après leur garde-à-vue.

Le parti de la Démocratie du Peuple (HADEP) a succédé au Parti de la Démocratie (DEP), dissous en 1994 par la cour constitutionnelle.

LA TURQUIE, PREMIER DE LA LISTE DES PAYS AYANT EMPRISONNÉ SES JOURNALISTES


Le Comité de Protection des journalistes (CPJ) a rendu vendredi 27 mars public son rapport de l'année 1997. Comme en 1996, la Turquie reste le premier pays à violer les droits et libertés des journalistes et cela malgré 37 libérations au cours de l'année écoulée.

En 1997, le nombre de journalistes emprisonnés dans le monde était de 129, contre 185 en 1996. Les libérations intervenues en Turquie ont largement contribué à cette baisse, d'ailleurs, le CPJ considère que ces relaxations ont été la plus grande évolution de l'année. Toutefois la Turquie reste le premier de la liste des pays cités dans ledit rapport avec ses 29 journalistes emprisonnés. Avec 20 journalistes tués, elle figure à la septième place dans un autre "palmarès", celui des journalistes assassinés dans le monde.

Alors que la commission de justice du parlement turc examinait mardi 31 mars un projet de loi amendant le code pénal turc pour empêcher l'emprisonnement de l'avocat Esber Yagmurdereli, la Cour de Sûreté de l'État d'Istanbul a ouvert une autre instruction à l'égard de Haluk Gerger, Yalçin Kuçuk et Kemal Burkay, accusés "de propagande séparatiste pour les propos qu'ils ont tenus au cours d'une émission de MED-TV le 19 novembre 1995". La première audience du procès aura lieu le 7 mai 1998.

M.YILMAZ RENTRE DANS LE RANG ET LE CONSEIL NATIONAL DE SÉCURITÉ LANCE UNE NOUVELLE CROISADE CONTRE "LA RÉACTION RELIGIEUSE"


Les velléités d'autonomie du Premier ministre turc n'ont duré que quelques jours. Il a suffi aux généraux turcs une réunion à l'état-major et un communiqué musclé pour que M. Yilmaz rentre dans le rang et renonce à ses velléités de demander à l'armée de "s'occuper de ses affaires" et de laisser le gouvernement traiter le problème des activités islamistes. Finalement M. Yilmaz a dû déclarer publiquement que "le gouvernement de coalition estime qu'il n'y a pas de divergences entre le cabinet et les militaires" dans la lutte contre l'extrémisme religieux.

Cédant à la pression, le Premier ministre a annoncé lundi 23 mars une série de mesures, dont un projet de nouvelle législation pour contrôler les activités des institutions soupçonnées de soutenir les islamistes et une surveillance plus étroite des émissions de radios et télévisions privées. Selon le projet, un organisme gouvernemental, le Département des affaires religieuses détiendra le pouvoir exclusif d'autoriser la construction des nouvelles mosquées; les peines de contravention aux lois sur les tenues dans la fonction publique devraient être alourdies et la loi sur les manifestations serait modifiée.

Jeudi 26 mars, le général Ismail Hakki Karadayi, chef d'état-major des armées a rencontré le Premier ministre turc, après s'être entretenu avec les quatre plus hauts commandants militaires du pays, pour "faire le point sur la situation". A l'issue de cette visite, M. Yilmaz a affirmé que la tension étant désormais dissipée et que civils et militaires sont sur la même longueur d'ondes.

Après ces préliminaires, la réunion du vendredi 27 mars, tant attendue que redoutée, du tout puissant Conseil national de sécurité (MGK) s'est déroulée "normalement". Le MGK a annoncé que "dans la lutte contre les mouvements religieux réactionnaires qui visent à abattre le régime laïc, les lois existantes doivent être appliquées sans concession et de nouvelles lois doivent être rapidement adoptées par le parlement". L'armée insiste sur une purge de tous les hauts responsables d'obédience islamiste infiltrés au sein de l'État, principalement au ministère de la Justice. D'ores et déjà, cinq sous-préfets ont été déférés en justice pour activités fondamentalistes et deux préfets et 73 sous-préfets feraient l'objet d'une enquête conduite par une commission spéciale créée au sein du ministère de l'Intérieur. Selon l'armée, "37 gouverneurs de province sur 80 et 200 sous-préfets (en fonction actuellement) sont des partisans notoires de la charria (loi coranique)". Mardi 31 mars, trois maires turcs ont été destitués par le ministère de l'Intérieur pour activités fondamentalistes et déférés devant la justice, dans le cadre de cette opération d'épuration. Le maire islamiste d'Istanbul, Recep Tayyip Erdogan, poursuivi pour "provocation explicite du peuple à la haine par discrimination religieuse, raciale ou régionale", passible de cinq ans de prison, comparaissait le même jour devant la Cour de sûreté de l'État de Diyarbakir. Lors d'un discours en décembre dernier, il avait déclaré "les mosquées sont nos casernes, les minarets nos baïonnettes, les coupoles nos casques et les croyants nos soldats".

Au cours de la réunion, un rapport a également été présenté sur les activités de Fethullah Gulen, l'influent chef d'une secte religieuse dont l'armée considère que le but à terme est d'aider à l'instauration d'un régime islamiste.

Les partisans du Refah islamiste, dissous, à qui aucun acte de violence n'est reproché, dénoncent "la persécution" de leur sympathisants et "une croisade aux allures de chasse aux sorcières".

Par ailleurs, le gouvernement turc a soumis au Parlement un projet de loi prévoyant l'instauration d'un système majoritaire à deux tours pour les élections municipales, ce qui devrait défavoriser fortement les candidats islamistes, qui avaient réussi à s'emparer de nombreuses mairies avec des suffrages ne dépassant pas les 25% aux dernières municipales en mars 1994.

Le parti islamiste turc de la Vertu (Fazilet), crée en décembre à la suite de la dissolution pour activités contre le régime laïc par la Cour constitutionnelle, a critiqué les mesures annoncées par le gouvernement, les qualifiant "d'incompatibles avec un État moderne". Quant à Tansu Ciller, elle s'est contentée de ce commentaire lapidaire: "Le caporal Yilmaz est rentré dans le rang au premier coup de sifflet des généraux".

LA LIGUE ARABE ADOPTE UNE RÉSOLUTION CONTRE LA TURQUIE


Au cours de la réunion des ministres de la Ligue Arabe au Caire, une résolution demandant à la Turquie de revoir sa coopération avec Israël a été adoptée le vendredi 27 mars 1998. La Ligue a également appelé à ce que ses membres réexaminent leurs contrats avec les compagnies qui prennent part à la construction des barrages turcs sur le Tigre et l'Euphrate et a déploré que la Turquie continue cette construction sans concertation la Syrie ou l'Irak.

RECONDUCTION DE L'ÉTAT D'URGENCE DANS LES 6 PROVINCES KURDES


Le Parlement turc a décidé, mardi 24 mars, de prolonger pour quatre mois et à partir du 30 mars, l'état d'urgence dans les régions kurdes, décrété en juillet 1987 pour remplacer la loi martiale en vigueur en 1979. Ainsi Diyarbakir, Hakkari, Siirt, Sirnak, Tunceli et Van resteront sous un régime d'exception où un super-préfet détient des pouvoirs extraordinaires. En octobre 1997, l'état d'urgence avait été levé dans les provinces de Batman, Bingol et Bitlis.

UN AUTRE CHEF DU PKK FAIT DÉFECTION


Cemil Bayik, considéré depuis 1978 comme le n°2 du PKK après Ocalan et chef d'état-major des forces du PKK a, à son tour, fait défection fin mars pour se réfugier auprès de M. Barzani, leader kurde irakien à l'en croire les informations de la presse turque. Contrairement à la défection du "général Semo" (Semdin Sakkik) celle du C. Bayik n'a pas encore été confirmée par le PKK. On observe cependant que cette information n'a pas reçu de démenti convaincant sous la forme de reportage dans la presse du PKK ou d'interview su MED-TV.

Les graves revers militaires subis par le PKK dans le Kurdistan irakien en automne dernier continuent d'agiter les rangs de cette organisation qui traverse actuellement la plus grave crise de son histoire avec un Ocalan accusant d'incurie et d'incompétence ses lieutenants et certains de ces derniers lui retournant le compliment.

LU DANS LA PRESSE TURQUE: UNE JUSTICE CORROMPUE


Dans son article publié le 15 mars 1998 par l'hebdomadaire anglophone Turkish Probe, Dogu Ergil, universitaire turc, a passé en revue les différents événements qui ont marqué la Turquie ces derniers temps. Il déplore la situation scandaleuse de la justice en Turquie qui se proclame haut et fort un État de droit. Extraits:

"Il y a beaucoup de facteurs qui contribuent à la cohésion d'une société, mais la plus importante de toutes est la justice. Sans la justice aucun régime ne peut résoudre son problème de légitimité, nul citoyens n'aura foi en l'administration.

Ce qui est dangereux dans cette entreprise de criminalisation est que les criminels peuvent trouver refuge en avançant l'excuse de la sécurité nationale. Ne croyez pas que ce soit la sécurité nationale qui soit défendue, mais la sécurité des dirigeants publics et la sécurité des parasites qu'ils protègent.

Les récentes informations qui ont été accessibles (ou divulgués) aux médias , révèlent que nous sommes simplement mal informés et trompés par nos gouvernants. Il y a quelques mois, le journal télévisé allemand exhibait une seringue symbolisant le vaste trafic de drogue sur le sol turc, . Le programme accusait notre gouvernement de prendre part à un haut niveau au trafic lucratif de la drogue.

Aujourd'hui nous avons compris que l'argent sale obtenu de la drogue a même corrompu des magistrats. Trois juges et un procureur de la Cour de Sûreté d'Istanbul ont été destitués de leurs fonctions pour avoir acquitté des barons de la drogue contre une importante somme d'argent. La fâcheuse affaire s'est révélée il y a trois ans! ( ) Ces hommes de loi, sans loi, n'ont pas été jugés par une cour de justice, mais ont simplement été destitués de leurs fonctions. La Justice a sévèrement été mise en cause car la protection a été faite au nom de la sécurité publique

Il y a, à ce titre, deux preuves qui démontrent que ce n'est pas la sécurité du public mais celle de ces magistrats qui est en cause. La première est du Juge Koksal Sengun, qui a annoncé publiquement ceci (10 mars 1998- Sabah) : "J'exerçait mes fonctions à la Cour de Sûreté de l'État d'Istanbul en 1993. J'ai été envoyé en mission temporaire à Izmir. Le dossier dont j'étais en charge n'était pas important. Mon travail à Izmir a pris trois jours. À mon retour, mes collègues m'ont annoncé que j'y avais été envoyé pour ne pas prendre part au procès d'un trafiquant de drogue du nom d'Ahmet Ozbey. En effet, Ahmet Ozbey a été traduit en justice et acquitté par la deuxième Cour d'Istanbul, en mon absence".

Cette déclaration ne nécessite pas de commentaire. La seconde preuve est la diffusion d'une conversation téléphonique entre le célèbre "Yesil", homme de main qui a été utilisé par la gendarmerie, la police et les services secrets pendant des années. "Yesil" est son nom de code. Son nom, mentionné dans le rapport de Susurluk qui a été remis au Premier ministre par l'inspecteur en chef du gouvernement, était associé à de nombreux affaires d'assassinats.

La conversation de Yesil avec le trafiquant de drogue a du être enregistré par un des membres des services secretsDans cette conversation, diffusée dans le journal de 19 heures de la chaîne ATV mercredi dernier (11 mars 1998), Yesil demande ouvertement à un baron de la drogue sa part du gâteau "ou autrement". Mais si le trafiquant fait ce qu'il dit, il est assuré qu'il pourrait disposer de la "protection et de l'effacement de son nom de toutes sortes de documents officiels"

Un autre propos intéressant mais éloquent de Yesil est: "Nous sommes au courant de ce que vous faites. Beaucoup d'autres font cela (trafic de drogue). C'est bien! Mais vous devez partager ce que vous avez obtenu; seul vous ne pouvez pas manger tout. Cela vous ferez vomir"

Ces propos d'un homme digne de confiance avec qui des responsables officiels ont collaboré pendant des années pour maintenir la sécurité dans l'"Est", révèle l'étendu de l'infiltration du trafic de drogue au sein de l'administration turque. La Justice est soit spectatrice ou soit aveugle (en fermant les yeux ou laissant ouverte la poche de son manteau).

Pourtant l'aveuglement ne signifie pas que la Justice dort. Non, mais elle fonctionne en faveur des responsables officiels et spécialement des officiers de sécurité publique. Une fois de plus, ce même mercredi (11 mars), le procès des policiers de Manisa accusés d'avoir torturé 16 mineurs (en 1996) suspectés d'adhésion à une organisation secrète subversive, s'est soldé par une déception publique.

Aucun des policiers, pourtant accusés de torture et de constitution de fausses preuves conduisant à la détention des enfants pendant des mois, ne s'est présenté au procès. De surcroît, ils ont continué à exercer leurs fonctions ! () La cour a acquitté les officiers de police ruinant ainsi l'espoir de la nation dans l'avenir mais également leur notion de sécurité face à une administration équitable.

Nous, les gens de la rue, avons besoin d'éclaircissement à propos du silence et de l'immobilisme de notre administration concernant les questions de corruption à grande échelle, l'augmentation de la criminalisation et la faillite de la justice, alors qu'en même temps ils sont si déterminés à lutter contre le port du foulard à l'école.

Ils croient peut-être qu'arracher le foulard de la tête du peuple est suffisant pour réinstaller la justice dans le pays et conduire à la porte la corruption. J'espère que cela sera le cas- au moins nous serions fières d'une nouvelle invention sociologique".