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POINT SUR LA SITUATION EN TURQUIE

CILDEKT
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Liste
NO: 91

26/5/1998

  1. SEPT DIRIGEANTS DU PARTI DÉMOCRATIQUE DU PEUPLE (HADEP) SONT PASSIBLES DE 22 ANS DE PRISON
  2. ULTIME AVERTISSEMENT DE L'ARMÉE TURQUE AU GOUVERNEMENT DE MESUT YILMAZ
  3. VERDICT AU PROCÈS GOKTEPE: "HOMICIDE INVOLONTAIRE"
  4. UN CONTRAT DE 52 MILLIONS DE DOLLARS ENTRE LA TURQUIE ET L'ITALIE POUR L'ACHAT DE CINQ HÉLICOPTÈRES
  5. LE PARTI DE LA MASSE DÉMOCRATIQUE (DKP) DEVANT LA COUR CONSTITUTIONNELLE
  6. LE PLUS CÉLÈBRE DES CHEFS MILITAIRES DU PKK SE RÉFUGIE AUPRÈS DE M. BARZANI
  7. ARRESTATIONS AU COURS DES CÉLÉBRATIONS DE NEWROZ EN TURQUIE


SEPT DIRIGEANTS DU PARTI DÉMOCRATIQUE DU PEUPLE (HADEP) SONT PASSIBLES DE 22 ANS DE PRISON


Sept dirigeants de HADEP, poursuivis devant la Cour de Sûreté de l'État d'Ankara, risquent 22 ans et 6 mois de prison chacun, selon l'article 168-1 du code pénal turc. Les autorités les accusent de "constituer la branche politique du Parti des Travailleurs du Kurdistan (PKK)". L'acte d'accusation souligne que "malgré la Constitution, les accusés ont régulièrement déclaré qu'ils formaient une race et un peuple distincts avec une langue, une culture et une patrie propres". Outre Murat Bozlak, président du HADEP, Mehmet Satan, vice-président et Hamit Geylani, secrétaire-général, figurent inculpés parmi les dirigeants du HADEP, Ishak Tepe, Mehmet Zeynettin Unay, Melik Aygul et Ali Riza Yurtsever. Ils sont placés en détention depuis le 12 février.

La première procédure concernant HADEP a été entreprise à la suite du congres du parti en juin 1996 à Ankara. Le drapeau turc avait alors été descendu et remplacé par la bannière du PKK par un jeune militant. Murat Bozlak et Hikmet Fidan, président de la section à Istanbul, avait été condamnés par la Cour de Sûreté d'État d'Ankara à 6 ans de prison pour avoir "apporté assistance aux membres d'une organisation illégale de terreur séparatiste". Quant à Faysal Akcan, la personne qui avait hissé la bannière, il a été condamné de 22 ans et 6 mois de prison.

ULTIME AVERTISSEMENT DE L'ARMÉE TURQUE AU GOUVERNEMENT DE MESUT YILMAZ


Mardi 17 mars 1998, le président turc Suleyman Demirel avait été convoqué par les généraux pour un briefing ayant à son ordre du jour la lutte contre le fondamentalisme, les activités de grands conglomérats économiques d'obédience islamiste ainsi que les activités d'autres groupes islamistes dans le pays. Irrité par le rôle pésant joué par les militaires sur la scène politique turque, le Premier ministre Mesut Yilmaz avait appelé l'armée à "s'occuper de ses affaires" et à laisser au gouvernement le soin de lutter contre le fondamentalisme, considéré depuis un an par les généraux comme le danger numéro un pour le pays. L'animosité entre les responsables militaires et le Premier ministre a pour origine le refus de l'état major des armées de mettre un terme au Groupe de Travail de l'Ouest (BÇG) et le fait que le Secrétariat général du Conseil national de sécurité donne des briefings et des directives aux recteurs d'universités sans aviser le Premier ministre, affichant ainsi l'indépendance de l'état-major à l'égard de ce dernier. En juillet dernier M. Yilmaz avait demandé à l'armée de mettre en sourdine les activités de ce Groupe de Travail de l'Ouest surveillant pour le compte de l'armée les activités islamistes, car cette question est de la compétence du gouvernement. L'armée n'a pas tenu compte de cette demande.

Vendredi 13 mars le Premier ministre Mesut Yilmaz avait réagi en ces termes: "Il n'y a pas de raison à la déconcertation. Tous les citoyens sont sensibles à la question de la lutte contre le fondamentalisme. Les mêmes sensibilités se retrouvent au sein du gouvernement. Mais personne ne doit user du moyen de lutte contre le fondamentalisme pour s'approprier le pouvoir. Le but du gouvernement est de venir au bout de cela par la démocratie à l'instar de la lutte contre le terrorisme. Nous ne mettrons pas de côté les moyens démocratiques pour lutter contre celaNous trouverons des solutions dans le cadre de l'Etat de droit démocratique au problème de la terreur tout autant qu'au fondamentalismeCelui qui soutiendra des option hors de l'Etat de droit, pour lutter contre le terrorisme ou le fondamentalisme, ne sera qu'une troisième menace pour la République au même titre que les deux précédentes On ne peut lutter par des moyens arbitraires. J'invite tout le monde à lutter dans le cadre de l'Etat de droit". Mesut Yilmaz a également rappelé que "tout le monde devait tenir son rang et devait agir dans le cadre de ses fonctions".

A l'issue d'une réunion des cinq plus hauts commandants des armées, l'état-major a visé directement M. Yilmaz en déclarant dans un communiqué du 20 mars 1998 que "personne ne peut, pour ses intérêts personnels et ses ambitions politiques, faire des déclarations visant à affaiblir la détermination des forces armées à lutter contre le séparatisme et le fondamentalisme, qui constituent un danger pour la sécurité du paysLa lutte contre le fondamentalisme et le séparatisme ()est une mission donnée à l'armée par la constitution".

Ce communiqué a été interprété comme un ultime avertissement au gouvernement d'autant plus que la plus part des quotidiens l'ont comparé au mémorandum de 1971, par lequel les militaires avaient obtenu la démission du gouvernement et réalisé un coup d'État. Comprenant le message, Mesut Yilmaz a fait machine arrière en déclarant samedi 21 mars que "les militaires se sont réunis pour exprimer leur malaise. Je ne contesterai pas cela Ma tâche n'est pas de créer de nouvelles tensions".

La prochaine réunion du Conseil national de sécurité (MGK), fixée au 27 mars, s'annonce rude et risqué pour M. Yilmaz. Minoritaire au Parlement, il est également fragilisé par une querelle avec Deniz Baykal, chef du parti républicain du peuple (CHP), qui apportait son soutien crucial au gouvernement qui demande maintenant des élections législatives anticipées et se solidarise avec l'armée.

VERDICT AU PROCÈS GOKTEPE: "HOMICIDE INVOLONTAIRE"


La cour d'assises d'Afyon a condamné, jeudi 19 mars, à sept ans et demi de prison pour homicide involontaire cinq des onze policiers accusés d'avoir battu à mort Metin Göktepe, journaliste au quotidien Evrensel. Les six autres policiers ont été acquittés.

Battu à mort le 8 janvier 1996 par des policiers alors qu'il couvrait les obsèques de deux détenus tués lors de la répression d'une mutinerie dans une prison d'Istanbul, le procès Göktepe s'était ouvert sous la pression de l'opinion publique et des médias en octobre 1996 à Aydin puis déplacé à Afyon pour des raisons de "sécurité". Après nombreux rebondissements, le verdict était très attendu par l'opinion publique, d'autant plus que Mesut Yilmaz avait déclaré solennellement que le déroulement et le verdict du procès seraient un test pour la Turquie en matière de droits de l'homme.

Reporter sans frontières, dans un communiqué du 19 mars, souligne le caractère "inique et inacceptable" du verdict et déplore que "des fonctionnaires de la police ou de l'armée bénéficient d'une certaine clémence devant la loi par rapport aux citoyens ordinaires". L'organisation appelle à ce que les hauts fonctionnaires de la police mis en cause dans ce meurtre soient également traduits devant la justice. La famille a d'ores et déjà annoncé qu'elle fera appel de la décision.

UN CONTRAT DE 52 MILLIONS DE DOLLARS ENTRE LA TURQUIE ET L'ITALIE POUR L'ACHAT DE CINQ HÉLICOPTÈRES


Après le contrat de $430 millions avec le groupe franco-allemand Eurocopter pour la vente et la co-production en Turquie de 30 hélicoptères Cougar en février 1997, la vente en mars 1998 de missiles anti-chars français pour $441 millions et un contrat de $50 millions pour des dragueurs de mines français en septembre 1997, un contrat de $52 millions vient d'être signé vendredi 20 mars avec la firme italienne Agusta pour la vente de cinq hélicoptères AB-412. Selon les autorités, ces appareils seront utilisés dans le cadre de la lutte contre le crime organisé, la contrebande et l'émigration illégale vers les pays européens.

LE PARTI DE LA MASSE DÉMOCRATIQUE (DKP) DEVANT LA COUR CONSTITUTIONNELLE


Alors que la Cour de cassation rejette, mardi 24 mars, la requête formée par le Parti de la Prospérité (RP), dissous par décision de la Cour constitutionnelle turque, le Parti de la Masse Démocratique (DKP) se défend des accusations portées à son encontre. Le procureur de la Cour de cassation accuse le DKP "de porter atteinte à l'intégrité de la nation en protégeant, développant et diffusant des cultures et langues autres que la langue et la culture turque". Le président du DKP, Serafettin Elci, qui témoignait devant la cour, a déclaré que "désigner le peuple de l'Esst comme une masse sous le contrôle de PKK est une malheureuse évaluation. Le procureur contribue à la propagande du PKK par ses déclarations".

LE PLUS CÉLÈBRE DES CHEFS MILITAIRES DU PKK SE RÉFUGIE AUPRÈS DE M. BARZANI


Semdin Sakik, l'un des principaux chefs militaires du PKK, en conflit avec Abdullah Ocalan depuis quelques temps, vient de faire défection et de se réfugier auprès de Massoud Barzani, leader du Parti Démocratique du Kurdistan irakien (PDK). Cette nouvelle a fait sensation tant dans les médias turcs que dans les milieux kurdes où Sakik bénéficie d'une certaine aura pour avoir dirigé à l'intérieur même de la Turquie pendant plus de dix ans l'ensemble des maquis de la vaste zone de Diyarbakir-Bingöl-Mus. L'armée turque avait à plusieurs reprises annoncé "la chute prochaine de ce chef terroriste" sans jamais y parvenir, contribuant ainsi à forger la réputation d'invincibilité de "ce général du PKK".

Dirigeant d'intérieur, Sakik était entré en conflit avec le chef du PKK, basé depuis plus de 18 ans en Syrie, dont il critique les tactiques militaires et politiques et "la direction par télécommande" responsable selon lui des revers subis par le PKK. Dans une récente interview à MED-TV, il avait préconisé l'extension de la guerre à l'ensemble de la Turquie pour obliger celle-ci à une solution négociée à la question kurde. Cantonner la guerre au Kurdistan ne fait que favoriser la destruction et le dépeuplement de notre pays avait-il ajouté.

Rappelé à Damas pour "consultation" par Ocalan, menacé de mort puis affecté dans une base du PKK à la frontière du Kurdistan irakien, Sakik a finalement choisi de se réfugier avec une partie de ses hommes auprès de M. Barzani. Avant lui, environ 300 autres guérilleros du PKK s'étaient réfugiés auprès de Barzani et sollicité sa protection en se disant "en désaccord avec la direction du PKK qui en collaboration avec la Syrie et l'Iran nous envoie combattre d'autres Kurdes". Dans des interviews à la télévision kurde irakienne Gulan, ils disent ne pas comprendre la direction de leur parti "qui ne fait rien contre les régimes syrien et iranien qui oppriment les Kurdes et qui mobilise ses militants contre la seule région du monde où il y a un pouvoir kurde".

De son côté le PKK a confirmé la détention de Sakik d'abord par une interview à MED-TV de son porte-parole en Europe, Kani Yilmaz, fraichement libéré des prisons allemandes, puis par un communiqué officiel de sa branche militaire (ARGK) paru dans le quotidien pro-PKK Özgür Politika du 25 mars. Le communiqué reproche à Sakik "son haut degré d'égoïsme et d'individualisme et sa revendication combattante d'autonomie de décision" et affirme qu'après l'échec de sa ligne, il rejoint "le camp de l'impérialisme, du colonialisme et de la trahison".

Le gouvernement turc a indiqué qu'il avait dépêché une mission auprès de Barzani pour demander l'extradition de Sakik. Le PDK irakien n'a encore fait aucun commentaire sur cette affaire.

Le PKK a jusqu'ici connu de nombreuses défections et dissidences, dont celles notamment de l'épouse d'Ocalan, Kesire, du président de son éphémère "Assemblée nationale", Selim Çürükkaya, de son ex-représentant en Europe, l'avocat Hüseyin Yildirim. Cependant, c'est la première fois que l'un de ses hauts responsables militaires fait défection et, camouflet suprême, rejoint un Barzani que le chef du PKK avait, en octobre dernier promis de "liquider définitivement du Kurdistan, lui et son parti tribal".

ARRESTATIONS AU COURS DES CÉLÉBRATIONS DE NEWROZ EN TURQUIE


Comme chaque année au 21 mars, la fête de Newroz a été célébrée par le peuple kurde. A cette occasion, les autorités turques avaient prévu d'organiser des festivités officielles, obligeant parfois le peuple y à prendre part, notamment à Siirt où le Premier ministre turc Mesut Yilmaz avait décidé de se rendre pour le Newroz. Les autorités ont procédé à des arrestations à Istanbul et fait des descentes de police dans les locaux de HADEP et de l'Association des droits de l'homme quelques jours avant la fête et des gouverneurs de certaines régions du Kurdistan n'ont pas permis des cérémonies de célébrations alternatives et d'autres comme à Urfa, Konya, Agri ont interdit de grandes festivités populaires.

Des délégations étrangères venues d'Angleterre, d'Allemagne, de France, d'Italie, des Pays Bas et des pays scandinaves se sont rendues à Diyarbakir et dans la région pour observer le déroulement de la fête.

Trois Italiens qui faisaient parti d'un groupe et de pacifistes européens, Dino Frisullo de l'association "Sans frontières" et deux étudiants, Giulia Chiarini et Marcello Musto, arrêtés lors d'une intervention de la police turque contre des milliers de personnes réunies pour fêter le nouvel an, ont été interrogés par la police avant de comparaitre devant un juge d'instruction qui a décidé lundi 23 mars de libérer deux Italiens et de garder en détention Dino Frisollo. Les Italiens sont accusés d'"instigation à la violence". L'intervention de la police turque à Diyarbakir a fait une trentaine de blessés et entraîné l'arrestation de 200 autres personnes. Par ailleurs, les autorités turques ont procédé à de nombreuses autres arrestations dans d'autres villes, comme à Van, Adana et Mersin.

Les observateurs ont considéré que les festivités s'étaient déroulées dans un calme relatif puisqu'au cours des célébrations précédentes, 12 personnes avaient été tuées en 1991. En 1992, considérée comme l'année la plus sanglante de Newroz, il y avait eu 102 morts à Diyarbakir, Sirnak, Van et Hakkari et en 1993 il n'y a pas eu de célébrations.