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POINT SUR LA SITUATION EN TURQUIE

CILDEKT
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Liste
NO: 47

14/11/1996

  1. "UNE TURQUIE INDÉFENDABLE"
  2. UN APPEL PRESSANT DES FAMILLES DES PRISONNIERS
  3. LA TORTURE ET SES COMPLICES INVOLONTAIRES EN TURQUIE
  4. LE MAIRE DE KAYSERI POURSUIVI POUR BLASPHÈME ENVERS ATATURK
  5. DÉMISSION DU MINISTRE DE L'INTÉRIEUR AGAR REMPLACÉE PAR UNE FONDÉE DE POUVOIR DE LA FAMILLE ÇILLER
  6. COMMENTAIRE DE LA SEMAINE:


"UNE TURQUIE INDÉFENDABLE"


C'est en prononçant ces mots que l'avocat de la Turquie, Bakir Caglar, a démissionné de son poste à la Commission européenne des droits de l'homme. B. Caglar, qui était professeur du Droit constitutionnel en Turquie, a servi pendant quatre ans comme avocat de son pays à cet organe du Conseil de l'Europe. Confirmant la déclaration récente du Président du Conseil de l'Europe que "la Turquie est actuellement une bonne cliente de la Commission et de la Cour européennes des droits de l'Europe", B. Caglar a déclaré: "Je pense que défendre la Turquie est impossible dans ces conditions, c'est pourquoi j'ai démissionné". Il a, par ailleurs, affirmé que la Commission européenne des droits de l'homme examine à l'heure actuelle 112 cas, dont 61 concernent la guerre du Kurdistan, déposés contre la Turquie pour violation des droits de l'homme et destruction de villages.

UN APPEL PRESSANT DES FAMILLES DES PRISONNIERS


Les familles des prisonniers politiques en Turquie s'organisent. Une association regroupant les proches des prisonniers a été créée; ayant pour but de faire connaître le sort de leurs chers embastillés dans les geôles turques. Dans une lettre adressée à la Fédération internationale des droits de l'homme, l'Association de Solidarité avec les Familles des Prisonniers (TUAD) lance un appel pressant: "Nous les mères, les soeurs, les frères et les proches des prisonniers affirmons que les prisons, plus de dix milles de nos enfants y sont incarcérés, ont été transformées en des abattoirs de la mort. Au cours de l'année écoulée trente-huit de nos enfants ont été assassinés, sur instruction du Conseil de Sécurité Nationale (CSN), par des forces de sécurité de l'État qui leur ont broyé la cervelle et le corps à coups de barres de fer. Des centaines d'autres ont été grièvement blessés et rendus handicapés à vie. Des centaines d'autres, affectés par des maladies résultant des mauvaises conditions de vie, sont abandonnés à la mort (..) A cause de tout cela, le droit à la vie n'est plus assuré pour nos plus de dix mille enfants. Nous appelons les organisations démocratiques humanitaires à agir. Nous les appelons à faire respecter les conventions internationales de droits de l'homme, les règles universelles du Droit et à exercer les missions qui leur sont conférées par les conventions et les pactes internationaux pour assurer et protéger l'intégrité physique et le droit à la vie de nos enfants".

Selon les chiffres fournis par le ministère de la Justice, en septembre de l'année dernière, il y a plus de dix mille prisonniers politiques, pour la plupart kurdes, répartis comme suit: de gauche: 8445 prisonniers dont 2667 condamnés, et 5768 détenus en attente de jugement; de droite: 344 prisonniers, dont 21 condamnés. Le nombre de personnes détenues et jugées par les Cours de Sûreté de l'État s'élève à 5655, dont 5384 de gauche et 271 de droite. Le nombre de prisons en Turquie: 47, dont 9 de haute sécurité, et se repartissent comme suit:

Diyarbakir: de gauche 46 condamnés et 1011 en attente de jugement; de droite: 5 détenus (il y aurait plus de détenus de droite en 1996).

Istanbul: de gauche 745 prisonniers, dont 54 condamnés.

Metris (Istanbul): 23 prisonniers de droite, dont 2 condamnés.

Mardin: 320 prisonniers de gauche.

Buca (Izmir): 493 prisonniers de gauche, dont 13 condamnés; 4 détenus de droite.

Konya: 424 prisonniers de gauche, dont 4 condamnés; 2 détenus de droite.

Bursa: 306 détenus et condamnés de gauche.

Mus: 277 prisonniers de gauche, dont 4 condamnés; 4 détenus de droite.

Batman: 230 prisonniers de gauche, dont 6 condamnés; 7 détenus de droite.

Nombre de prisonniers dans les autres prisons: 236 prisonniers de gauche, dont 6 condamnés; 7 prisonniers de droite, dont 2 condamnés.

Le nombre de personnes accusées et jugées pour des raisons politiques en 1991 s'élève à 1000 prisonniers. Ce nombre passe à 8500 en 1995.

De ce qui précède on remarque que les prisons situées dans les villes kurdes totalisent à elles seules plus de la moitié des prisonniers politiques incarcérés aujourd'hui en Turquie.



LA TORTURE ET SES COMPLICES INVOLONTAIRES EN TURQUIE


La torture reste systématique et largement pratiquée dans les prisons turques. Cette pratique reflète, par ailleurs, une méthode de diriger le pays: la gestion de la société par la force. Punir des "criminels" afin d'arracher des informations importantes pour la sécurité de l'État: la torture devient donc légitime. C'est ce qui ressort d'une étude publiée par l'organisation humanitaire américaine Physicians for Human Rights intitulée "Torture en Turquie et ses involontaires complices". Cette étude, basée sur deux années de recherches et de missions d'étude sur place, comprend des entretiens avec les personnes victimes de la torture et des organisations locales ainsi qu'avec les médecins détachés du ministère de la Santé dans les prisons, affirme que: "dans les quinze dernières années, de nombreuses organisations internationales et turques de droits de l'homme ont fourni des rapports et documents prouvant la pratique de la torture en Turquie. Mais, malgré le fait que la Constitution turque interdise la torture (article 17), la police et les forces de sécurité recourent systématiquement et d'une façon routinière à la torture durant la période de la garde-à-vue. Celle-ci est rendue possible par d'autres lois, celles qui limitent les droits à des procès équitables et la liberté d'expression, ainsi que par l'échec du gouvernement de poursuivre et de punir les responsables. De plus la coercition gouvernementale à l'encontre des médecins a permis aux autorités turques de nier que la torture est systématiquement pratiquée en Turquie". A cet égard, le sondage réalisé auprès des médecins turcs en charge de la santé des prisonniers est révélateur: 96% des médecins sondés répondent que "la torture est un problème en Turquie" tandis que 60% affirment que "presque toute personne arrêtée est torturée". La région la plus affectée par ce fléau est le Sud-Est kurde. Dans les dix provinces kurdes sous le régime des lois d'urgence, les citoyens kurdes victimes de la torture évitent même tout contact avec les établissements sanitaires étatiques, de peur des représailles.

La présence des policiers dans les bureaux où les médecins examinent les prisonniers torturés, empêche ceux-ci d'exercer leur fonction dûment. L'organisation humanitaire note que "dans certains cas ils trouvent des traces physiques, mais ne mentionnent pas qu'elles sont dues à la pratique de la torture. Dans d'autres cas, ils sont empêchés de rapporter par des menaces directes de représailles". En outre, "le Droit turc (article 169 du Code pénal turc et article 7/2 de la loi anti-terreur) empêche les médecins de fournir des soins médicaux à des militants suspects, bien que les médecins soient tenus par les normes internationales de l'éthique médicale de fournir des soins à toute personne en besoin, sans distinction de race, de religion, d'origine ethnique et d'affiliation politique". L'organisation humanitaire conclut que les pressions exercées par les autorités turques sur les médecins, les empêchant ainsi de rapporter la pratique de la torture dans les prisons, font de ceux-ci "des complices involontaires".

LE MAIRE DE KAYSERI POURSUIVI POUR BLASPHÈME ENVERS ATATURK


Alors que du "petit père des peuples" au Führer, au Duce et Grand Timonier tous les grands dictateurs du siècle ont vu leur statues de sauveur suprême déboulonnées, Ataturk, "le père des Turcs", continue tranquillement de jouir d'un culte officiel en Turquie. Ses statues et bustes s'érigent sur les places publiques et les villes du pays et ses portraits sont obligatoires dans tous les bureaux de l'État et des entreprises publiques. Les critiques sur sa vie et son régime sont punies de peines de prison. Avec le culte du drapeau et le respect de "la vaillante armée issue du sein de la nation turque, fondatrice et protectrice de l'État", le culte officiel rendu à ce demi-dieu sont les principaux éléments de l'indigente idéologie officielle turque. Le fait qu'après avoir obtenu, grâce à son alliance militaire avec les seigneurs kurdes, l'indépendance du pays, il ait décrété l'interdiction de l'identité et de la culture kurdes, qu'il ait déporté plus du tiers de la population kurde du pays, qu'il ait dirigé le pays avec un parti unique et une poigne de fer et qu'il ait persécuté les musulmans en interdisant les confréries et les écoles religieuses, en transformant en casernes nombre de mosquées, ait complètement gommé de l'histoire officielle. Honni au Kurdistan, Ataturk est aussi détesté par les islamistes et les militants turcs de gauche. Mais son culte est obligatoire. Nul ne peut échapper aux principales cérémonies organisées tout au long de l'année par l'État pour célébrer les dates marquantes de la vie et du régime d'Ataturk. 58 ans après sa mort d'une cirrhose de foie (Ataturk était alcoolique invétéré) le 10 novembre, jour anniversaire de sa mort, est encore imposé par l'État comme journée de deuil national. Au cours de cette journée fériée, des gerbes sont déposées à son mausolée de type musolinien à Ankara et au pied de ses statues dans la moindre localité du pays. Les écoliers, les collégiens et lycéens sont rassemblés pour réciter des chants et des poèmes à sa mémoire et pour le pleurer. L'armée organise partout des cortèges et des cérémonies où l'absence d'un maire, d'un député ou du moindre notable est considéré comme crime de lèse-majesté.

C'est dans ce contexte, qui n'a plus aucun équivalent dans aucun pays d'Europe, que le maire islamiste de la grande ville turque d'Anatolie centrale Kayseri (ancienne Césarée) a dû participer aux cérémonies du 10 novembre. Après ces cérémonies le maire, Sükrü Karatepe, un juriste auteur de nombreux ouvrages sur le droit constitutionnel et sur la société civile, s'est confié aux membres de la direction départementale de son parti: "C'est contraint et forcé, le coeur saignant que nous participons aux cérémonies de commémoration d'Ataturk. Les musulmans éprouvent des sentiments de haine vis-à-vis de son régime qui, en réalité, a été une dictature. Nous n'avons toujours pas de démocratie digne de ce nom dans ce pays". Ces quelques propos, jugés blasphématoires par les gardiens attitrés du Temple kémaliste, allant de Bulent Ecevit à D. Baykal et M. Yilmaz, suffisent pour que ce maire élu au suffrage universel d'une grande ville soit déféré devant une Cour de Sûreté de l'État et qu'il risque d'être déchu de son mandat. L'année dernière, lors des cérémonies officielles devant le mausolée d'Ataturk, un citoyen s'en était pris au président Demirel et avait demandé "la fin du régime de l'idolâtrie". Arrêté, il moisit au fond d'une prison turque. Et l'État turc n'est pas prêt de renoncer au culte, aux rites et aux mythes de son fondateur et de son tuteur.



DÉMISSION DU MINISTRE DE L'INTÉRIEUR AGAR REMPLACÉE PAR UNE FONDÉE DE POUVOIR DE LA FAMILLE ÇILLER


L'accident de circulation de Susurluk révélant au grand jour l'étroite imbrication entre les chefs de la police turque et la mafia d'extrême droite (voire le N° 46 de notre bulletin) a finalement conduit le ministre de l'Intérieur Mehmet Agar à présenter, le 8 novembre, sa démission. Officiellement c'est pour "mieux se consacrer à sa fille malade et à sa famille" que cet ancien directeur de la police promu député, puis ministre par Mme. Çiller, démissionne. Celle-ci évoque aussi le refus de M. Agar de signer le décret du Conseil des ministres décidant de la visite du Premier ministre Erbakan en Libye pour justifier cette démission.

Cependant nul n'est dupe. Ni l'intéressé qui déclare avoir "royalement servi le pays" et ajoute: " Grâce à mes services la Turquie est à l'aise comme des Sultans. Je vais me retirer un peu et observer la situation". L'opinion n'est dupe non plus car aucune enquête pénale ni parlementaire n'est ouverte à l'encontre de ce ministre considéré comme le véritable artisan de l'imbrication de la police et de la mafia officiellement "pour lutter contre le terrorisme", en réalité pour une série d'actions criminelles dont nombre de meurtres et de trafic de drogue.

Dès la démission de M. Agar, Mme. Çiller a nommé au poste du ministre de l'Intérieur une certaine Mme. Meral Aksener. Fondée de pouvoir de l'une des multiples sociétés de la famille Çiller, cette jeune femme a été élue députée d'Istanbul en décembre 1995 sur la liste Çiller pour bénéficier de l'immunité parlementaire qui en Turquie ne sert plus qu'à protéger les affairistes douteux des poursuites judiciaires. Depuis son élection, son seul acte public connu est une conférence de presse donnée le 6 septembre dernier où elle a menacé de mort les directeurs de journaux s'en prenant à Mme. Çiller et dévoilant ses affaires douteuses en ces termes: "Nous avertissons les dirigeants de ces média. N'oublions pas que vous suscitez l'indignation des militants épris du Parti de la Juste Voie (le DYP de Mme. Çiller). Nous aurons du mal à retenir nos jeunes fanatiques de Çiller. Nous vous répondrons avec la plus grande fermeté et vous ferons taire, vous et vos semblables. Ceci est notre dernier avertissement". A la suite de vives réactions de la presse à ces menaces, des responsables du DYP avaient reconnu que cette déclaration guerrière de Mme. Aksener avait été rédigée par l'omniprésent époux de Mme. Çiller.

L'accession au poste redoutable du ministre de l'Intérieur d'un tel personnage inquiète beaucoup les journalistes qui avaient ces derniers mois trouvé une certaine marge de liberté pour dénoncer la corruption et réclamer un "État propre". Même le quotidien à grand tirage Hurriyet, qui a servi tous les régimes et qui pendant des années a chanté les louanges de Mme. Çiller, se sent visé. Son directeur, E. Özkök, écrit dans son éditorial du 9 novembre: "Que justifie la nomination au poste de ministre de l'Intérieur d'une politicienne irresponsable au point de faire pleuvoir des menaces de mort sur un patron de presse? Veut-on lui dire: "Tu as maintenant le pouvoir légal en mains; vas-y, met à exécution tes menaces" ? Voient-ils rouge à ce point? Leurs sentiments de vengeance se sont-ils déchaînés à ce point? Êtes-vous si emplis de colère et de rancune contre la presse? Pour avoir révélé l'affaire de la ferme de Kusadasi (de Mme. Çiller) ? Ou pour avoir évoqué l'affaire des fonds secrets? Ou bien pour avoir mis en lumière les scandales ISKI, ILKSAN, Civangate (Ndt. Il s'agit d'affaires de corruption dans lesquelles Mme. Çiller est impliquée). Ou alors pour avoir informé l'opinion publique des liaisons dangereuses révélées au grand jour par l'accident de Susurluk? Que se passe-t-il ? Où donc va la Turquie? Quelle inquiétude conduit-elle le pouvoir à nommer ministre de l'Intérieur une politicienne pitoyable et prête à tout au point de lire des déclarations écrites par Monsieur Ozer (Çiller) ? A l'évidence, c'est pour exécuter "des instructions rédigées ailleurs". A l'évidence derrière l'inquiétude du pouvoir il y a des objectifs noirs, même très noirs. Nous verrons ensemble ou bien seulement certains d'entre nous le verront (..). Notre sécurité est confiée à une personne qui a fait sa carrière sur des menaces de mort (..) La démission de Mehmet Agar ne règle aucun problème. Les deux principaux acteurs des rapports l'incriminant sont Çiller et son mari. Le Parlement doit absolument enquêter sur cette affaire. Cela revêt une importance vitale pour la pérennité de la République turque comme un État de droit et comme une démocratie. Cela concerne notre sécurité collective et notre destin commun (..) Le dossier de Susurluk ne se ferme pas, c'est maintenant que s'ouvre "le dossier des relations dangereuses". Que Dieu nous protège tous"



COMMENTAIRE DE LA SEMAINE:


L'affaire de Susurluk sur l'interpénétration de la mafia et de l'État turc a suscité de nombreux commentaires dans la presse turque. Même les piliers de l'establishment, comme le très nationaliste et conformiste Oktay Eksi, président de l'Union des journalistes de Turquie, ne parviennent pas à dissimuler leur indignation face à cette dérive mafieuse avérée. Extraits de l'éditorial de M. Eksi publié dans le Hurriyet du 8 novembre: "Des meurtres se succèdent. D'abord on a assassiné le commandant à la retraite Cem Ersever qui, comme on le sait, avait rendu des services très utiles dans le Sud-Est (lire Kurdistan turc). Ce meurtre a été suivi de celui d'une femme qui avait une liaison avec lui et l'un de l'un de ses amis qui connaissait bien sa vie. Les auteurs (de ces crimes) n'ont pas été trouvés. Ils n'ont peut-être d'ailleurs pas été recherchés. Puis les assassinats de Behcet Cantürk, Mahmut Sahin, Savas Buldan, Haci Karay, Mehmet Ayyildiz, Medet Serhat, Faik Candan, Yener Kaya, Nesim Malki, Veli Sözdinler, Tarik Ümit, Asker Simitko, Lazim Esmaeli, Mehmet Orhan et Omer Lutfi Topal (Ndt. Il s'agit pour l'essentiel d'hommes d'affaires et d'avocats kurdes se trouvant sur la liste rouge des personnes à éliminer à Istanbul et à Ankara établie par le gouvernement Çiller). Tous ces assassinats ont été organisés par des professionnels et leurs auteurs restent non identifiés. Plus encore: le gang des Soylemez, le gang de Kocaeli, le gang d'Ankara, le gang de Yuksekova, le gang de Van...

Ou bien on n'arrive pas à trouver les auteurs ou on ne juge pas approprié d'arrêter ceux de ces auteurs identifiés. D'ailleurs ceux dont l'arrestation s'avère comme obligatoire disparaissent de la circulation. On apprend que les gardes du corps du vice-Premier ministre (Mme. Çiller) sont les plus proches amis d'un parrain du milieu (du monde souterrain de la mafia) personne n'y prête attention. Trois policiers arrêtés comme auteurs d'un meurtre sont tranquillement remis en liberté. Le directeur de la Sûreté de la plus grande ville de Turquie (Ndt. Istanbul) affirme qu'il a été muté par "la mafia des jeux" sans que personne ne considère une accusation aussi grave comme une dénonciation. C'est le vice-Premier ministre (Mme. Çiller) elle-même qui déclare que l'État est sinistré. Et le leader de l'opposition, en le corroborant et en annonçant- pour la centième fois sans en débattre publiquement- qu'il a "entre les mains des dossiers et des informations" croit accomplir son devoir.

Un tel pays et un tel État ne peuvent exister. Si vous dites qu'ils le peuvent et pensez et qu'on peut gouverner ce pays en l'état, sachez que vous ne faites que vos leurrer".

Tandis que dans le même numéro de Hurriyet, son directeur établit le constat de "la désagrégation de l'académie de police de Çiller" dont les ténors devenus ministres, députés et chefs de bandes rivales de la mafia tirant à hue et à dia, Yalçin Dogan, rédacteur en chef de l'autre grand quotidien populaire Milliyet se penche, dans son éditorial du 8 novembre, sur les agissements du tristement célèbre "Bureau de la guerre spéciale" : "En 1974, alors qu'Ecevit était Premier ministre, le chef d'état-major des armées de l'époque, le général Semih Sancar demande de crédits sur "les fonds secrets pour un besoin urgent". Lorsqu'Ecevit lui demande qui va utiliser ces fonds, le général répond: "le Bureau de la guerre spéciale". Ecevit affirme que jusqu'à ce jour il n'avait même pas entendu parler du nom de Bureau et quand il demande qui finance ce Bureau on lui répond: "l'Amérique". Et à la question où se trouve ce bureau qui n'existe sur aucun document officiel on lui répond "dans le même immeuble que la mission d'aide militaire américaine" (Cf. Ecevit, Karsi Anilar "Contre Mémoires", pp. 36-37). En découvrant avec indignation dans le même véhicule un criminel présumé, un policier et un député, la Turquie trouve à nouveau à son agenda les relations "mafia-classe politique-police" et ce triangle est évoqué comme "un État dans l'État". Or ce qui correspond vraiment à ce concept est le Bureau de la guerre spéciale constaté il y a des années par Ecevit. Le Bureau de la guerre spéciale est une organisation qui "mène avec des méthodes de guérilla à l'intérieur et à l'extérieur du pays des opérations dont la conduite par les forces de sécurité de l'État présenteront des inconvénients". Avec le temps ces affaires sont tombées dans le domaine public. Ceux qui y sont employés sont généralement des "individus qui en raison d'un crime commis sont pris au collet par l'État". L'État leur confie du travail à la pièce. C'est à la suite de ce processus que l'État se retrouve avec les débris de la mafia. Ce processus fonctionne d'une manière accélérée et multiforme. C'est ainsi qu'on en arrive au triangle "mafia-police-classe politique". Mais ces affaires ne sont jamais débattues au conseil des ministres! Jamais débattus au Conseil de Sécurité nationale! Parfois, les Premiers ministres eux-mêmes ne sont pas au courant. Mais en tête de ceux qui sont au fait de ces affaires se trouve incontestablement Mehmet Agar. Agar en sait beaucoup au sujet de nombre de personnes considéré comme "défenseur de l'État" ses arrières sont fort solides. Dans ses relations officielles il a d'abord la confiance de l'armée, de la gendarmerie et de la police. Un accident de la circulation amène à l'ordre du jour sa démission. Mais, malgré cela il a un haut pouvoir de marchandage. L'homme qui en sait long ne se rendra pas aisément. S'il démissionne cela ne sera pas sans obtenir des compensations et sans négocier son successeur pour avoir la haute main sur le ministère de l'Intérieur qui fait un tout inséparable de lui, il a suffisamment de dossiers sur les uns et les autres. Que le fait de les voir (Çiller et lui) s'opposer l'un à l'autre ne vous trompe pas; ils sont en vérité toujours du même bord".