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POINT SUR LA SITUATION EN TURQUIE

CILDEKT
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Liste
NO: 185

24/11/2000

  1. MORT EN EXIL, AHMET KAYA A ÉTÉ ENTERRÉ À PARIS
  2. VISITE DE CLAUDIA ROTH À LEYLA ZANA
  3. L’UNION EUROPÉENNE DEMANDE À LA TURQUIE PLUS DE MESURES CONCRÈTES EN MATIÈRE DE DÉMOCRATIE
  4. LA COUR DE CASSATION TURQUE CONSIDÈRE QU’UN REPORTAGE EN KURDE N’EST PAS UN CRIME
  5. LE PARLEMENT TURC RECONDUIT L’ÉTAT D’URGENCE DANS QUATRE PROVINCES KURDES
  6. DÉBAT DANS LA COALITION GOUVERNEMENTALE : LA LANGUE KURDE EST-ELLE UN DROIT OU UNE TRAHISON ?
  7. L’ÉTAT-MAJOR TURC AUTORISE À TITRE EXCEPTIONNEL LES JOURNALISTES À SE RENDRE AU KURDISTAN IRAKIEN
  8. LU DANS LA PRESSE TURQUE : NE PENDEZ PAS ÖCALAN


MORT EN EXIL, AHMET KAYA A ÉTÉ ENTERRÉ À PARIS


L’idole des banlieues populaires de Turquie, le chanteur kurde Ahmet Kaya, décédé le 16 novembre à Paris d’une crise cardiaque à l’âge de 43 ans a été enterré le 19 novembre au cimetière parisien du Père-Lachaise, loin de sa terre natale et de son peuple qu’il chérissait tant.

Craignant des provocations des bandes de l’extrême droite et des tracasseries de la police turque sa famille a décidé de ne pas rapatrier sa dépouille mortelle. " Ahmet n’était pas fâché contre la Turquie. Il s’opposait à un système qui le menaçait de 13 ans de prison pour ses opinions et ses chansons et qui l’a contraint à l’exil. Il n’avait pas volé, il n’avait tué personne : il était l’un des plus gros contribuables d’impôts du pays. Son seul crime était de revendiquer l’égalité des droits entre Turcs et Kurdes, le respect de l’identité kurde, le respect de la dignité humaine et de la liberté d’expression. Il en est mort. Par respect pour ses idées et pour sa conception de la dignité, j’ai décidé de l’enterrer à Paris. Il y reposera jusqu’à ce que la Turquie devienne une démocratie digne de ce nom et jusqu’au jour où les chaînes de télévision publiques de Turquie diffusent de la musique kurde " a déclaré Mme Kaya au cours d’une conférence de presse donnée le 18 novembre à l’Institut kurde.

Les funérailles ont lieu le 19 novembre. La cérémonie a commencé à 11h00 à l’Institut kurde de Paris, dont il était un membre d’honneur, où une chapelle ardente avait été dressée. Des milliers de Kurdes ainsi que de nombreux Turcs, Arméniens, Français, sont venus s’incliner devant sa dépouille et signer le registre de condoléances. Partant de l’Institut kurde, le cortège funèbre est arrivé au cimetière du Père Lachaise vers 15h 00 se frayant difficilement le chemin au travers d’une foule d’environ 15 000 admirateurs et amis accourus de tous les coins d’Europe. Après des interventions des personnalités kurdes, turques et françaises, et de son épouse, conformément à tradition kurde, deux chanteurs, Sivan Perwer et Ferhat Tunç, ont chanté deux élégies kurdes. Puis Ahmet Kaya a été enterré en compagnie de ses propres chansons, tristes et poignantes, sur la mort sur l’exil, sur la liberté.

Son corps repose à quelques pas de son ami, Yilmaz Güney, le grand cinéaste kurde, auteur de Yol, lui aussi mort en exil.

La chaîne de télévision kurde par satellite, Medya TV a diffusé en direct les obsèques de Kaya. Pendant cette diffusion les rues des villes et villages kurdes étaient désertes. La plupart des magasins fermés. Dans nombre de villes du Kurdistan iranien et irakien, il y a eu également des réunions de commémorations conférant ainsi à Ahmet Kaya le statut d’un symbole national du combat pour la liberté et l’identité kurdes.

Quant aux médias turcs, malgré l’immense popularité de l’artiste dissident disparu, ils ont, conformément aux consignes reçues des autorités policières et militaires, assuré un service minimum : diffusion des informations pratiques et des extraits d’interviews des proches sans programmes spéciaux ni diffusion de ses chansons.

Enfin, en bravant la censure turque déguisée, des amis de l’artiste disparu viennent de créer en turc, un site internet (www.amhetkaya.com). De son côté le site de l’Institut kurde de Paris (www.institutkurde.org) diffuse en français et en anglais des informations détaillées sur Ahmet Kaya.

VISITE DE CLAUDIA ROTH À LEYLA ZANA


Invitée, le 21 novembre, à une conférence organisée par l’Initiative contre les délits d’opinion, en Turquie, Mme Claudia Roth, députée allemande et notre vice-présidente, a pu rendre visite à Leyla Zana à la prison d’Ulucanlar à Ankara, mais n’a pu s’entretenir avec les trois autres anciens députés kurdes emprisonnés dans la même prison. Mme Roth avait essuyé à un refus de la part des autorités turques l’année dernière.

Mme Roth s’est également entretenue avec Hikmet Sami Türk, ministre turc de la Justice, Mesut Yilmaz, vice-Premier ministre, chargé des relations avec l’Union européenne, et Mehmet Akgül, président de la commission parlementaire des droits de l’homme. Claudia Roth et la délégation allemande qui l’accompagne, devraient se rendre ensuite à Diyarbakir, Mardin et Batman. Mme Roth a mis l’accent au cours de ses entretiens sur les progrès à faire en matière de démocratie et de respect des droits de l’homme en Turquie. Le quotidien turc, Hurriyet daté du 22 novembre, sous le titre de " Insolente Allemande ", déclare qu’ils n’ont de leçon à recevoir de personne.

L’UNION EUROPÉENNE DEMANDE À LA TURQUIE PLUS DE MESURES CONCRÈTES EN MATIÈRE DE DÉMOCRATIE


Le rapport de Philippe Morillon sur la demande d’adhésion de la Turquie, adopté à une très large majorité, le 14 novembre, par la Commission des affaires étrangères, estime que la Turquie ne remplit pas actuellement tous les critères politiques de Copenhague et réitère sa proposition de mise en place de forums de discussions réunissant des personnalités politiques de l’Union européenne et de la Turquie mais aussi des représentants de la société civile.

Le rapport encourage le gouvernement turc " à intensifier ses efforts de démocratisation, notamment ses efforts en matière de séparation de pouvoirs " (surtout en ce qui concerne l’impact de l’armée dans la vie politique) et à mettre en œuvre les conventions des Nations-Unies relatives aux droits politiques, sociaux et culturels signés récemment."

En outre, la Commission des affaires étrangères demande que des " mesures concrètes en faveur de la protection des droits des minorités " y soient ajoutées. Dans l’attente d’une réforme rendant le code pénal compatible avec le principe de la liberté d’expression, il demande une amnistie pour les délits de presse. De même, le moratoire sur la peine de mort doit être maintenu dans l’attente d’une abolition rapide.

La Commission des affaires étrangères rappelle son attachement à la reconnaissance des droits élémentaires des identités qui compose la mosaïque turque et, rappelant le passé tragique de la minorité arménienne, demande un soutien du gouvernement et de l’Assemblée nationale à cette dernière. Elle demande également qu’ " une solution pacifique, respectant l’intégrité territoriale de la Turquie et s’assortissant des indispensables réformes politiques, économiques et sociale " soit apportée au conflit kurde.

Mais le point qui a le plus crispé la Turquie est la question chypriote. La commission a demandé à ce que " le gouvernement turc [participe], sans condition préalable, aux pourparlers entre les communautés chypriotes, grecques et turques afin de parvenir à un règlement négocié, global, juste et durable qui soit conforme aux résolutions du Conseil de sécurité et aux recommandations de l’Assemblée générale des Nations-Unies. " La commission demande à la Turquie " de retirer ses troupes d’occupation de la partie nord de Chypre ". Du point de vue d’Ankara, Chypre est en effet le principal nœud du problème. Les autorités turques ont toujours dit qu’elles n’accepteraient jamais que leur adhésion à l’Europe soit liée d’une façon ou d’une autre à la résolution de la question chypriote. Et pour cause : elles prônent le statu quo dans l’île.

LA COUR DE CASSATION TURQUE CONSIDÈRE QU’UN REPORTAGE EN KURDE N’EST PAS UN CRIME


La 10ème chambre de la Cour de cassation turque a, le 16 novembre, statué que la diffusion " partielle " des dialogues en kurde au cours d’un reportage à la télévision, ne constitue pas une violation de la loi turque. En l’espèce, le RTUK, équivalent turc du Conseil supérieur de l’audiovisuel (CSA), saisi par la préfecture et la Direction de la sécurité nationale de Diyarbakir, reprochait à CAN-TV, une chaîne locale à Diyarbakir, d’avoir laissé glisser des propos en kurde dans un programme en turc. La Cour de cassation, a justifié sa " décision clémente " par le fait que " le programme en question n’avait contenu qu’une part infime d’une autre langue que la langue officielle, le turc ".

LE PARLEMENT TURC RECONDUIT L’ÉTAT D’URGENCE DANS QUATRE PROVINCES KURDES


Le Parlement turc a, le 21 novembre, décidé de reconduire l’état d’urgence en vigueur dans 4 provinces, dont la levée est l’une des mesures réclamées par l’Union européenne pour une adhésion à terme de la Turquie.

Les provinces concernées sont Tunceli, Diyarbakir, Hakkari et Sirnak. La mesure s’applique pour quatre mois à partir du 30 novembre. Le régime d’exception, l’état d’urgence, est prorogé pour la 41ème fois.

La décision est intervenue le jour même où la Cour européenen des droits de l’Homme examinait une plainte contre la Turquie déposée par le chef du PKK Abdullah Ocalan, condamné à mort en Turquie en juin 1999 pour trahison et séparatisme. Ce dernier a mis fin officiellement en septembre 1999 à sa lutte armée pour obtenir la création d’un Etat kurde indépendant à la demande d’Ocalan, mais l’armée turque s’est dit déterminée à pourchasser jusqu’au bout les combattants à moins qu’ils ne se rendent.

La levée de l’état d’urgence fait partie des mesures politiques réclamées à "moyen terme" à la Turquie par le "partenariat d’adhésion" mis au point par la Commission européenne. Les 4 provinces sont placées depuis 1987 sous la responsabilité du bureau du gouverneur de l’état d’urgence à Diyarbakir, chargé de coordonner la lutte contre le PKK.

DÉBAT DANS LA COALITION GOUVERNEMENTALE : LA LANGUE KURDE EST-ELLE UN DROIT OU UNE TRAHISON ?


Dans la longue liste des mesures à adopter énumérées par l’Union européenne ( Partenariat d’adhésion 8 novembre 2000), un sujet–l’enseignement et la diffusion de la langue kurde – continue à susciter un débat très animé en Turquie, particulièrement entre deux partenaires de la coalition gouvernementale, le parti de l’action nationaliste (MHP- ultra nationaliste) de Devlet Bahçeli et le parti de la Mère patrie (ANAP) de Mesut Yilmaz.

Le parti ultra nationaliste (MHP), l’armée et certains hommes politiques, montrent une résistance farouche contre les réformes en matière des droits de l’homme et la langue kurde, soutenant que la diffusion de la langue kurde porterait atteinte à l’intégrité territoriale de la Turquie. Du côté du parti ANAP, le point de vue est totalement différent. Ils considèrent tout au contraire que la reconnaissance des droits culturels des Kurdes va plutôt renforcer le pays. L’ANAP n’est pas totalement étrangère à cette idée, le Président Turgut Özal avait soutenu en 1990 la même proposition. Ainsi, l’ANAP propose d’émettre des programmes en langue kurde sur la chaîne nationale turque (TRT). Certains députés du parti de la Gauche démocratique (DSP) du Premier ministre Bülent Ecevit semblent également adhérer à cette idée.

Cependant selon Devlet Bahçeli, il est impossible pour la Turquie de considérer favorablement les droits " culturels et ethniques qui ne pourront servir qu’à exciter les flammes du conflit ethnique et la discrimination ". D’autres ministres de son parti ont affiché la même réaction contre la proposition : Enis Öksüz, ministre des transports, Sabahattin Çakmakoglu, ministre de la défense, Suayip Üsenmez, ministre d’Etat et Abdulhaluk Çay, ministre d’Etat chargé des républiques turques. Ce dernier a montré la plus forte opposition en déclarant : " Le fait de demander la télévision en kurde en Turquie n’est rien d’autre que la trahison ". M. Çakmakoglu, candidat du MHP aux élections présidentielles a, quant à lui, déclaré : " la diffusion d’une langue étrangère par le satellite est une chose, la diffusion légale et légitime au nom de l’Etat est une autre… Dans l’unité, il devrait y avoir union de toutes nos valeurs. Dans l’unité, il devrait y avoir l’unité de la langue et de la culture ". À suivre…

L’ÉTAT-MAJOR TURC AUTORISE À TITRE EXCEPTIONNEL LES JOURNALISTES À SE RENDRE AU KURDISTAN IRAKIEN


Des agences de presse prestigieuses telles que Reuters, BBC, AP, ont été autorisées par l’état-major turc à se rendre au Kurdistan irakien selon le quotidien turc Milliyet du 19 novembre. Les responsables turkmènes ont justifié cette autorisation exceptionnelle en déclarant : " l’autorisation a été fournie pour afficher l’existence des Turkmènes au nord de l’Irak outre les Kurdes de la région ". Le second congrès turkmène a débuté à Erbil le 15 novembre. Pour le premier congrès, les journalistes s’étaient vus opposés un refus de la part de l’armée turque.

LU DANS LA PRESSE TURQUE : NE PENDEZ PAS ÖCALAN


L’examen du recours d’Abdullah Öcalan s’est ouvert, le 21 novembre, près de la Cour européenne des droits de l’homme. Plus de 21 000 Kurdes et Turcs ont manifesté à Strasbourg dans des cortèges séparés. Les partisans d’Öcalan ont réuni, selon la police, 18 500 manifestants venus avec femmes et enfants des quatre coins d’Allemagne [ndlr : 100 000 selon les organisateurs]. Le cortège adverse, moins dense, a mobilisé environ 2 800 personnes la police.

L’article de Mehmet Ali Birand, journaliste au quotidien turc anglophone Turkish Daily News, daté du 22 novembre, illustre bien les points de vue et attentes des différents protagonistes de l’affaire Öcalan. Voici de larges extraits de cet article intitulé " Nous connaissons déjà le verdict " :

" L’affaire Abdullah Öcalan à la Cour européenne des droits de l’homme créé un " précédent ". Pour la première fois, toutes les parties attendent le même verdict.

Le parti des travailleurs du Kurdistan (PKK), la Turquie, et la Cour attendent tous la même chose… Tout le monde s’attend et désire que le procès dure aussi longtemps que possible. Tout le monde agit sous différents motifs mais avec le même but à l’esprit.

Si le verdict tombe comme prévu, cela se passera comme suit :

" La Turquie n’a pas jugé Öcalan en conformité avec les dispositions de la Convention européenne des droits de l’homme… " Ce qui va suivre la sentence est encore plus important…

Statuer que la Turquie ne s’est pas conformée aux dispositions de la Convention européenne dans le procès Öcalan, cela reviendrait à dire que la Cour européenne va se contenter de mettre l’accent sur le fait que l’exécution d’un homme n’ayant pas joui d’un procès équitable est une violation de la Convention. …Le reste est du ressort de la Turquie. Soit Öcalan va jouir d’un nouveau procès, soit il va rester en prison à vie.

La Turquie ne veut pas l’exécuter.

La Turquie veut que la Cour européenne statue que le procès Öcalan soit nul et non avenu et demande la suspension de l’exécution.

La plupart des dirigeants croient en la nécessité de ne pas pendre Öcalan ; Seulement, ils ne l’expriment pas ouvertement.

Vous pouvez facilement inclure dans ce lot, les hauts dignitaires de l’armée turque, les services de renseignements turcs (MIT) et le ministère de l’Intérieur.

Vous serez certainement surpris d’apprendre qu’une bonne part des membres du parti de l’Action nationaliste (MHP- ultra nationaliste) partagent la même opinion.

Ils savent que l’exécution d’Öcalan causera le chaos en Turquie et perturbera durement la paix qui a été si difficile à atteindre. Personne ne veut mettre de bâton dans les roues et retourner vers un nouvel état de guerre. Ceux qui appartiennent à la minorité ne sont pas capables de se faire entendre.

Le seul problème dans la structure politique et sécuritaire de la Turquie est la possibilité d’octroyer une suspension de la peine de mort pour Öcalan. Nul n’a le courage de se lever et de dire, " ne pas le pendre c’est de l’intérêt national ". Certains craignent de perdre un certain électorat et pensent à la réaction des familles de soldats blessés et tombés au combat.

C’est pour cette raison que la Turquie souhaite que le procès traîne en longueur…

Le PKK adhère à la même idée mais pour des raisons entièrement différentes. L’organisation sait que si Öcalan venait à être exécuté, ils tomberont dans un effroyable désordre. Öcalan a un profil symbolique. Son exécution enfouira ce mysticisme et ouvrira le chemin à une grande lutte intestine du pouvoir. De plus, et malgré tout, Öcalan a une certaine influence dans l’Union européenne. Tout périra s’il était exécuté.

Par ailleurs, au sein du PKK certaines personnes souhaitent la mise à l’écart permanente d’Öcalan…Et ils croient que cela fournira une bonne raison au PKK de continuer la lutte (ndlr : armée).

À l’exception d’une petite minorité, la majorité du PKK désire l’annulation du verdict d’exécution par la Cour européenne.

À l’exception de ceux qui ont une intention pernicieuse, les différents gouvernements de la région (comprenant la Syrie, l’Iran, et l’Irak), veulent tous voir sauvée la tête d’Öcalan. Ils ont tous la même raison. Ils savent qu’avec l’exécution d’Öcalan, le PKK va se raviver et un retour à un état de conflit les perturbera tous. Leurs relations avec la Turquie vont à nouveau devenir tendues…

La Cour européenne connaît la nature symbolique de cette affaire et les répercussions que son verdict est susceptible de créer. Elle sait qu’en statuant : " la Turquie a jugé équitablement ", Ankara sera contraint de le pendre, même s’il ne le désire pas…

C’est pour toutes ces raisons que l’on peut d’ores et déjà deviner le verdict. "