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POINT SUR LA SITUATION EN TURQUIE

CILDEKT
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Liste
NO: 186

1/12/2000

  1. LE CHEF DES SERVICES DE RENSEIGNEMENT TURCS : " TOUT LE MONDE S’EST SERVI D’ÖCALAN, MAINTENANT C’EST À NOUS DE L’UTILISER
  2. 4e CONGRÈS DU HADEP : NOUVEAU PRÉSIDENT ET DE NOUVELLES INSTRUCTIONS JUDICIAIRES
  3. VISITE MOUVEMENTÉE DE CLAUDIA ROTH À DIYARBAKIR
  4. 42ÈME JOUR DE GRÈVE DE LA FAIM DANS LES PRISONS TURQUES
  5. ARMEMENT : BOEING REMPORTE UN CONTRAT DE $ 1,5 MILLIARD EN TURQUIE
  6. LU DANS LA PRESSE TURQUE : LE MILITARISME DES MÉDIA TURCS


LE CHEF DES SERVICES DE RENSEIGNEMENT TURCS : " TOUT LE MONDE S’EST SERVI D’ÖCALAN, MAINTENANT C’EST À NOUS DE L’UTILISER


Senkal Atasagün, chef des services secrets turcs (MIT), au cours d’une conférence de presse exceptionnelle, donnée en accord avec le Premier Ministre, s'est prononcé, le 28 novembre, pour des émissions de télévision en kurde comme moyen de contrer la " propagande des indépendantistes kurdes ". L'autorisation d'émissions en kurde est l'objet d'un vif débat en Turquie depuis la publication le 8 novembre d'un document de la Commission européenne énumérant les réformes politiques et économiques que la Turquie doit mener si elle veut adhérer à l'UE. Plusieurs articles concernent les Kurdes sans les nommer directement et l'un d'entre eux appelle à la levée des interdictions pesant sur l'utilisation de la langue maternelle. Mais le Parti de l'action nationaliste (MHP, ultra nationaliste) est opposé à des émissions en kurde, y voyant un stimulant pour les aspirations indépendantistes. Le Premier ministre Bülent Ecevit a récemment souligné que le gouvernement devait s'occuper rapidement de cette question, et son adjoint chargé des Affaires européennes Mesut Yilmaz, du parti de la Mère patrie (ANAP), a plaidé pour des émissions en kurde. De plus, après la capture d’Abdullah Öcalan, le MIT avait réalisé un rapport pour la réunion du Conseil national de sécurité (MGK) le 25 février 1999, en détaillant ce qu’il faut entreprendre dans la région kurde. Le rapport, qui comprend également les mesures culturelles, avait créé à l’époque des remous au sein du MGK, mais pour beaucoup, les récentes déclarations du MIT vont dans le même sens.

Dans un rare entretien avec la presse turque, Senkal Atasagün a souligné que : "Medya-TV, qui suit la ligne du Parti des Travailleurs du Kurdistan (PKK) est largement regardée dans le Sud-est…Ils déforment la réalité. Ne serait-ce pas mieux de les mettre en compétition ?". La télévision satéllitaire Medya-TV, proche du PKK, peut être reçue dans toute la Turquie.

Toujours dans le même sens, Mikdat Alpay, le numéro deux du MIT, qui assistait à la conférence, a, quant à lui, rappelé ses années de service au tribunal d’Urfa en 1965 en soulignant qu’à l’époque ils avaient besoin d’un interprète en arabe ou en kurde pour comprendre la population de la région et que " cette situation n’a pas changé aujourd’hui. Si vous voulez gagner le peuple, vous devrez pouvoir être compris par elle. Mais comment ? Avec le langage des signes ? Si vous voulez les gagner, vous devez les atteindre. Leur langue maternelle est le kurde. Comment allez-vous vous mettre à leur expliquer les faits en turc ? Nous devrions pouvoir utiliser le kurde pour le plus grand intérêt de la République de Turquie dans le même sens que nous utilisons Öcalan. Alors, nous devrions pas considérer cela comme si nous avions été contraints, mais comme si nous l’avions voulu. Regardez. Une troupe de théâtre jouant en kurde et s’engageant dans le nationalisme kurde est une chose, l’utilisation de langue kurde par l’Etat pour être compris de ses citoyens est tout à fait autre chose. La République de Turquie est incapable de gagner le cœur de leurs mères. Selon certaines études, 60 % des mères de la région ne savent pas parler le turc. Nous n’avons jamais mis sur pied un système pour les gagner. Cet Etat ne sait pas s’adresser aux mères. Si nous avions réussi à les gagner, le problème n’aurait jamais perduré jusqu’à nos jours. "

Par ailleurs, M. Atasagün a affirmé que la position de la puissante armée turque sur cette question était "100 % conforme à la nôtre" et que l'opposition à des émissions en kurde venait "principalement des hommes politiques". " Les forces de sécurité turques ont fourni un effort particulier concerté. Mais le temps presse. Cet homme (Öcalan) est ici depuis déjà deux ans maintenant, mais la plupart des choses qui auraient dû être réalisées ne l’ont pas été… Nous devrions abandonner l’habitude de regarder l’étranger et les facteurs externes lorsqu’il faut partager les responsabilités de nos erreurs. Nous devrions être plus introspectives … "

Interrogé sur la question de savoir si les différentes composantes de l’Etat avaient auparavant pris connaissance des points de vue du MIT, M. Atasagün a déclaré : " Ayant été interrogé, nous leur avons donné notre opinion, la même que celle que nous vous expliquons. Nous sommes également opposés à l’exécution d’Öcalan… Nous le sommes pour l’intérêt de la Turquie. Ce n’est pas que nous avons peur des conséquences de son exécution, des affrontements ou du chaos. Simplement parce qu’Öcalan est plus utile pour nous. Tout le monde s’est servi d’Öcalan. Pourquoi ne le ferons-nous pas à notre tour dans l’intérêt de la Turquie. D’autre part, selon le chef du MIT, le PKK qui a annoncé en septembre 1999 l'arrêt des combats et son retrait de Turquie "continue d'être une menace aussi longtemps qu'il disposera de 4.500 membres armés à l'étranger et 500 en Turquie".

À la suite des déclarations des services de renseignements, le Premier ministre turc Bülent Ecevit a déclaré que " ceux qui sont à la commande du MIT agissent en pleine connaissance des causes. C’est pourquoi, les déclarations d’Atasagün ne devraient pas être une surprise et que ses observations devraient être bénéfiques ". Le MHP a vivement critiqué ces déclarations par l’intermédiaire du ministre de la Défense, Sabahattin Çakmakoglu en indiquant : " je ne crois pas que cela lie le gouvernement ".

Les média ont évidemment accordé une très large place aux déclarations du chef du MIT faites au lendemain du Congrès du HADEP et dans le climat de la forte émotion populaire suscitée par la mort d’Ahmet Kaya, condamné à l’exil pour avoir voulu chanter en kurde. Pour certains éditorialistes, S. Atasagün est un Andropov turc qui ne se voile pas les réalités du pays pour des besoins idéologiques.

Réagissant à tout cela, l’éditorialiste Mehmet Ali Birand écrit, le 29 octobre, dans ses colonnes du Turkish Daily News ceci : " Si telle est la situation, alors qui s’oppose à tout cela ?… Vu de l’extérieur, le parti de la Gauche démocratique (DSP) et le parti de la Mère Patrie (ANAP), partenaires de la coalition, semblent avoir une réaction positive, alors que le parti de l’Action nationaliste (MHP) est, comme l’armée, contre … Maintenant, le MIT donne un contre argument et annonce qu’il partage la même opinion que l’armée. Et, grâce à la déclaration du Premier ministre Bülent Ecevit, il a été déterminé que cette déclaration a été faite à partir des instructions données par le Premier ministre. Reste à savoir si les militaires partagent cette opinion. Le directeur du MIT rencontre le chef d’état-major toutes les semaines et partage son avis avec lui. Il est bien trop expérimenté pour ne pas parler devant la presse d’une question susceptible d’être chaudement contestée par l’Etat-major… Ecevit tente d’affaiblir la résistance du MHP et de l’armée…Faute d’avoir une décision intergouvernementale, le gouvernement utilise les institutions de l’Etat. Et ceci est la démocratie à la Turca…Ce n’est pas grave. Laissons faire les pas sur certaines questions–que ce soit d’une façon ou d’une autre. "

4e CONGRÈS DU HADEP : NOUVEAU PRÉSIDENT ET DE NOUVELLES INSTRUCTIONS JUDICIAIRES


Le parti de la démocratie du peuple (HADEP) a élu le 26 novembre son nouveau président, Murat Bozlak, lors d’un congrès tenu sous forte pression policière et judiciaire. Murat Bozlak avait déjà présidé le parti avant M.Demir, qui faisait partie des 6 candidats qui ont retiré leur candidature pour permettre son élection. M. Bozlak avait dû quitter ses fonctions après une condamnation à la prison pour " propagande séparatiste ", en février dernier. " Nous suivrons une politique de dialogue et de concorde qui rassemble l’ensemble de la Turquie ", a déclaré M. Bozlak à une assistance surexcitée, dont une seule petite partie avait pu trouver place dans la salle de sports de 3 000 places. Plus de 50 000 personnes avaient fait le déplacement d’Ankara à bord de 1 300 autocars spécialement affrétés pour ce congrès, le quatrième depuis la création du parti en 1994, sous la surveillance de quelque 2 000 policiers.

À la suite de ce quatrième congrès Le HADEP, qui est d’ores et déjà sous le coup d’une menace d’interdiction pour " liens organiques " avec le PKK, a vu s’ouvrir une autre instruction par la Cour de sûreté de l’Etat d’Ankara. Beaucoup de diplomates et de représentants de partis européens, dont Mlle Feleknas Uca, députée européenne allemande d’origine kurde, s’étaient déplacées pour le congrès. Cette dernière a tenté d’intervenir à la tribune en langue kurde, mais en a été empêchée. Le commissaire du gouvernement assistant d’office au congrès. L’ancien Premier ministre italien, Massimo d’Alema a envoyé un message qui fut très applaudi. Les congressistes ont marqué une minute de silence à la mémoire d’Ahmet Kaya " parti au pays des étoiles et des fleurs ".

Les responsables du HADEP avaient dénoncé une vague d’arrestations dans leurs rangs, à la veille de leur congrès. Le président de la branche provinciale d’Adana, avait été interpellé le 23 novembre avec huit de ses collaborateurs. Fatih Sanli et les principaux responsables du parti ont été relâchés dans la soirée du 24, mais quatre membres restent en prison et seront jugés par la Cour de Sûreté de l’Etat pour " aide et propagande au profit d’une organisation illégale ". Le secrétaire provincial du HADEP, Ahmet Yildiz, a indiqué que les interpellations avaient débuté dans la province le 19 novembre, à 48 heures du recours devant la Cour Européenne des droits de l’homme d’Abdullah Öcalan. M. Yildiz a également dénoncé des pressions policières dans les provinces voisines de Hakkari, Van, Siirt, où les compagnies de transport ont été obligées de refuser leurs services, ou les bus loués n’ont pu circuler.

VISITE MOUVEMENTÉE DE CLAUDIA ROTH À DIYARBAKIR


Notre vice-présidente, Mme Claudia Roth, chef de la délégation parlementaire allemande, en visite d’une semaine en Turquie pour enquêter sur la situation des droits de l’homme en Turquie, a eu " une dispute plutôt violente " avec la police turque à Diyarbakir. Une équipe de policiers s’appliquait à suivre pas à pas la délégation de la commission des droits de l’homme du Parlement allemand, filmant en permanence et prenant des notes lors de ses entretiens le 23 novembre.

Les cinq parlementaires de la délégation se sont indignés devant ce qu’ils ont perçu comme " un contrôle sur nous et nos interlocuteurs " a ajouté Mme Roth. Tout en disant comprendre la nécessité de mesures de sécurité lors des visites de parlementaires étrangers dans la région kurde, Mme Roth a estimé que la police avait dépassé les bornes. L’Ambassade d’Allemagne à Ankara a dû intervenir auprès du gouvernement turc pour aplanir le terrain et les policiers turcs se sont prudemment tenus à distance.

Au cours de sa visite à Diyarbakir, Mme Roth a rencontré des représentants des autorités locales, dont Feridun Çelik, maire de Diyarbakir. Faisant écho à la déclaration du vice Premier ministre turc, Mesut Yilmaz, elle a déclaré : " Le chemin de l’Europe passe par Diyarbakir…C’est pourquoi je considère le maire de Diyarbakir aussi important qu’un ambassadeur ".

À son retour, au cours d’une conférence de presse donnée le 27 novembre, Mme Roth a indiqué : " Il n’y a pas de développement en Turquie en ce qui concerne les droits de l’homme. Mais nous soutiendrons la candidature de la Turquie à l’UE, une fois que des réformes nécessaires seront entreprises…Les Kurdes devraient bénéficier des droits accordés aux minorités et leur identité culturelle devrait être préservée ".

La visite et les déclarations de Mme Roth ont soulevé de vives critiques en Turquie, y compris de la part du ministre des affaires étrangères, Ismail Cem, qui a indiqué que les déclarations de Mme Roth étaient " perturbatrices et absurdes ". La presse s’est déchaînée contre celle " Allemande insolente ". Le directeur du quotidien Sabah a appelé le Gouvernement à " faire taire cette femme allemande qui prétend nous donner des leçons ".

42ÈME JOUR DE GRÈVE DE LA FAIM DANS LES PRISONS TURQUES


Selon l’Association turque des droits de l’homme (IHD), plus de 800 détenus sont en grève de la faim dans 218 prisons turques depuis un mois, pour dénoncer un projet de réforme tendant à étendre la détention en isolement dans les établissements pénitentiaires. Le mouvement en est à son 42e jour et 139 détenus observent une grève de la faim totale alors que les autres se nourrissent de petites quantités de sucre et d’eau.

Les autorités turques ont entamé la construction de prison avec des cellules pour 3 détenus, pour remplacer les dortoirs surpeuplés pouvant accueillir jusqu’à 60 détenus, dans le but de contrôler les prisons, où les mutineries avec prise d’otages, souvent réprimées dans le sang, et les affrontements mortels entre gangs mafieux sont fréquents.

Les prisonniers demandent également l’adoption d’une loi d’amnistie, attendue depuis plus de 18 mois, qui pourrait vider les prisons turques d’une bonne partie de sa population, représentant aujourd’hui quelque 70 000 personnes.

Amnesty International s’est inquiétée du danger de mort pour les prisonniers en grève de la faim et demande au gouvernement " d’assurer aux prisonniers, y compris ceux condamnés pour délits politiques, un traitement conforme aux normes internationales ". Le ministre turc de la Justice, Hikmet Sami Türk, n’a pas exclu une intervention de force des médecins pour mettre fin au mouvement. L’IHD a toutefois rappelé que l’Union turque des médecins (TTB) s’était engagée dans une déclaration écrite à ne pas traiter les grévistes de la faim non consentants. Il y a quatre ans, six prisonniers, refusant jusqu’au bout de se nourrir, ont perdu la vie après une grève de la faim.

ARMEMENT : BOEING REMPORTE UN CONTRAT DE $ 1,5 MILLIARD EN TURQUIE


Le Premier ministre turc Bülent Ecevit a annoncé le 27 novembre que la Turquie allait finalement négocier avec la firme américaine Boeing un contrat de 1,5 milliard de dollars pour au moins six avions de contrôle (AEW&C) tendant à renforcer la capacité de surveillance radar du pays. La première livraison est prévue pour 2003. Le Premier ministre a également précisé que la Turquie ouvrirait des négociations avec la firme américaine Raytheon Corp., si un accord n’était pas obtenu avec Boeing.

LU DANS LA PRESSE TURQUE : LE MILITARISME DES MÉDIA TURCS


À l’occasion de la parution de son nouveau livre " Medyamorfoz ", le journaliste et son universitaire turc Ragip Duran a accordé une interview au quotidien Yeni Gündem du 27 novembre où il donne son point de vue critique, sur le monde des média turcs. Extraits :

" Question : Dans votre livre, vous avez particulièrement mis l’accent sur le militarisme des media turcs. Que peut faire une Turquie, candidate à l’Union européenne civile, avec des média militaristes ?

R.D. : " L’origine du militarisme des médias turcs réside dans le fait qu’ils sont liés politiquement et idéologiquement à l’état-major (des armées). Le militarisme des média turcs ne se remarque pas seulement dans ses publications mais également dans ses services internes. Le gros titre de n’importe quel journal, ou encore la nouvelle en une colonne en page sept, sont directement dictés par les lèvres de celui qui à la tête du journal. En d’autres termes, les journaux sont dirigés exactement comme des casernes. Je peux même dire que les média sont plus militaristes que le ministère de la Défense. Si la Turquie envisage une telle adhésion (à l’Europe), elle se doit d’organiser une démilitarisation dans toute la société y compris dans les média.

Question : Les relations des organes de presse avec Ankara en Turquie influencent les politiques d’édition. Le concept de " groupe de média " a laissé sa place au " groupe d’intérêt ". Est-ce qu’il y a d’autres pays où cela se passe aussi ouvertement ?

R.D. : Ce n’est pas propre à la Turquie. Les représentants des partis politiques ont également le droit de donner leur opinion. Mais la différence est qu’en Turquie, les média ne sont pas affiliés au gouvernement mais à l’Etat. Par exemple, pendant la coalition Refahyol [ndlr : coalition gouvernementale entre le parti de la Juste Voie (DYP) de Mme Tansu Çiller et le parti de la Prospérité (RP- islamiste-dissous) de M. Necmettin Erbakan], adepte d’un culte de la laïcité atatürkiste, ils ont réussi à installer les fondements idéologiques du coup d’Etat post-moderne du 28 février (1997) avec l’aide de l’Armée turque. Il y a encore une autre particularité en Turquie, c’est que les média indépendants sont entièrement de partis pris pour l’Etat. Si vous masquiez les noms des cinq plus importants quotidiens et que vous cachiez les noms de leurs journalistes, vous ne pourriez pas deviner quel l’article appartient à quel journal. Car, ils disent tous exactement la même chose. Tous essayent d’injecter abondement les orientations politico-idéologiques de l’Etat et de faire sa propagande idéologique. Il y a une effroyable pauvreté en cela. Tout le monde se nourrit des mêmes sources. Et cette source est l’idéologie officielle. Mais, l’idéologie officielle turque n’est ni très riche, ni variée et non plus libérale démocrate. Cette situation, quant à la structure de la société, tend à dévisser toutes les personnes. Cela ne peut pas se produire en Occident. Bien évidemment, en Occident chaque journal a des préférences idéologiques, mais elles sont toutes différentes les unes des autres. "