Publications

Haut

POINT SUR LA SITUATION EN TURQUIE

CILDEKT
 -
Liste
NO: 183

30/10/2000

  1. 101 REPRÉSENTANTS AMÉRICAINS DEMANDENT LA LIBÉRATION DES DÉPUTÉS KURDES ET LA LEVÉE DES INTERDICTIONS SUR LA LANGUE ET LA CULTURE KURDES
  2. TROIS VILLAGEOIS KURDES TUÉS PAR LES SOLDATS TURCS À HAKKARI : LES CORPS RESTENT INTROUVABLES, LE SEUL RESCAPÉ EST ARRÊTÉ
  3. LA COUR DE SÛRETÉ DE L’ETAT DE DIYARBAKIR ACCUSE UNE MAIRE HADEP D’AVOIR PRONONCÉ LE MOT " KURDISTAN " DANS UNE INTERVIEW
  4. UNE DÉPUTÉE TROP CRITIQUE SUR LA TORTURE EN TURQUIE, ÉCARTÉE DE SES FONCTIONS À LA COMMISSION PARLEMENTAIRE DES DROITS DE L’HOMME
  5. AKIN BIRDAL À NOUVEAU POURSUIVI POUR " DÉLIT D’OPINION "
  6. MÊME LE RECENSEMENT DE POPULATION TURQUE EST TRUQUÉE
  7. LU DANS LA PRESSE TURQUE : " LE SILENCE PROFOND SUR LE FRONT TURC "


101 REPRÉSENTANTS AMÉRICAINS DEMANDENT LA LIBÉRATION DES DÉPUTÉS KURDES ET LA LEVÉE DES INTERDICTIONS SUR LA LANGUE ET LA CULTURE KURDES


101 membres du Congrès américain ont, le 20 octobre, soutenu la résolution 461 de la Chambre des représentants appelant à la libération immédiate et inconditionnelle de Leyla Zana, Orhan Dogan, Hatip Dicle et de Selim Sadak, quatre députés kurdes du Parlement turc emprisonnés et ont également demandé la levée des interdictions sur la langue et la culture kurdes.

En 1999, 153 membres du Congrès américain avaient signé une lettre adressée au président Clinton, lui demandant d’œuvrer pour la libération des députés kurdes. Les autorités turques n’avaient pas cédé à la demande, mais avaient offert à Leyla Zana la possibilité de la libérer si elle faisait une demande pour raison de santé. L. Zana avait refusé de se prêter à ce genre de manœuvre et avait préféré rester solidaire de ses collègues. Les quatre députés kurdes se trouvent depuis mars 1994 incarcérés à la prison Ulucanlar d’Ankara.

TROIS VILLAGEOIS KURDES TUÉS PAR LES SOLDATS TURCS À HAKKARI : LES CORPS RESTENT INTROUVABLES, LE SEUL RESCAPÉ EST ARRÊTÉ


Trois villageois kurdes, autorisés par la gendarmerie de Hakkari à aller cueillir des noix de leurs villages vidés par la force il y a déjà quelques années, ont, le 22 octobre, été tués par les soldats turcs venus de la province voisine de Sirnak. [ndlr : Selon les statistiques officielles, plus de 3400 villages kurdes ont été évacués par les militaires turcs]. Une des victimes blessées, seul rescapé de l’opération, est arrêtée et les corps des trois autres ne sont toujours pas rendus à leurs familles. Aussi, Macit Piruzbeyoglu, député de la Mère patrie (ANAP) de Hakkari, est-il intervenu auprès du ministère de l’intérieur afin que les victimes aient au moins une sépulture décente. Mais, les corps restent introuvables jusqu’à présent et les familles accusent les soldats de les avoir dissimulés.

Mehmet Kurt, Cevher Orhan, Salih Orhan et Kemal Tekin, domiciliés au village de Marunis (Yoncali en turc), dans la province de Hakkari, avaient été déplacés en 1993 à Xacort dans la province de Van par les militaires turcs. Après avoir obtenu l’autorisation de la gendarmerie centrale de Hakkari, les quatre villageois étaient venus le 19 octobre dans leur village pour la récolte annuelle des noix. Des soldats en poste dans la région ont alors ouvert le feu en pleine journée sur les villageois. Bilan de l’opération, M. Kurt, C. Orhan, S. Orhan, sont morts sur le coup alors que K. Tekin, blessé et réfugié auprès des protecteurs de villages de la tribu de Beytushebat Pirusi, a été remis aux escadrons de Sirnak. M. Piruzbeyoglu a dénoncé le fait que Kemal Tekin ait été contraint par les soldats de Sirnak d’affirmer que le massacre avait été perpétré par le parti des travailleurs du Kurdistan (PKK).

Les organisations de défense des droits de l’homme ont vivement critiqué la tuerie et Sabahattin Savagci, responsable du parti de la démocratie du peuple à Hakkari (HADEP) a déclaré ceci : " Nous pensons que des initiatives comme le pont artistique Istanbul-Hakkari [ndlr : initiative culturelle des artistes kurdes originaires d’Hakkari et d’ailleurs ayant pour but de faire connaître la région et de la rendre plus dynamique et pacifique], contribue à la réalisation de la démocratie et de la paix. Tout juste après cette initiative marquée par la paix, un tel massacre démontre qu’il y a encore des forces puissantes contre la paix en activité en Turquie. Ce genre de démarche provocatrice ne réussira pas à ébranler notre foi en la paix. Nous n’avons par ailleurs aucune nouvelle de la victime sortie blessée de l’opération. Pourquoi est-ce qu’il reste tout ce temps placé en garde-à-vue alors que le délai légal est depuis longtemps dépassé ? Je ne crois pas qu’il puisse sortir aisément et tout à fait indemne de là-bas ".

LA COUR DE SÛRETÉ DE L’ETAT DE DIYARBAKIR ACCUSE UNE MAIRE HADEP D’AVOIR PRONONCÉ LE MOT " KURDISTAN " DANS UNE INTERVIEW


Le procès de Mme Cihan Sincar, maire HADEP de la ville de Kiziltepe, accusée de porter atteinte à l’intégrité territoriale de la Turquie sur le fondement de l’article 8 de la loi anti-terreur turque, s’est ouvert le 24 octobre devant la Cour de sûreté de l’Etat (DGM) de Diyarbakir. Il lui était reproché entre autres d’avoir prononcé le mot " Kurdistan " au cours d’une interview accordée le 12 avril au quotidien suédois Dagens Nyheter mais aussi d’avoir déclaré que des paysans kurdes avaient dû fuir après la destruction de leurs villages par les militaires.

L’intérêt du procès était double, car non seulement il s’agit une nouvelle fois d’une représentante élue directement par le peuple poursuivie pour ses propos mais également par le fait que Per Jonsson, journaliste suédois du quotidien en question, soit cité comme témoin à décharge. Ce dernier a déclaré qu’il ne se souvenait pas vraiment si Mme Sincar avait employé le mot " Kurdistan " dans une interview de deux heures et demi, réalisée à l’aide d’un interprète, mais que pour les lecteurs suédois, il était naturel d’appeler Kurdistan cette région de la Turquie aussi bien que le nord de la Suède la Laponie et l’ouest de la Turquie la Thrace. Le président de la Cour a demandé ensuite : " Est-ce que Cihan Sincar a déclaré que l’Etat turc a détruit 3 000 villages kurdes ? ". Ce à quoi, le journaliste a rétorqué qu’il était le seul responsable de ce propos et que seuls les mots mis entre guillemets pouvaient être attribués à Mme Sincar. Le verdict est prévu pour le 21 novembre.

UNE DÉPUTÉE TROP CRITIQUE SUR LA TORTURE EN TURQUIE, ÉCARTÉE DE SES FONCTIONS À LA COMMISSION PARLEMENTAIRE DES DROITS DE L’HOMME


Mme Sema Piskinsüt, députée du parti de la Gauche démocratique (DSP) du Premier ministre Bülent Ecevit, et présidente de la Commission parlementaire des droits de l’homme, a été écartée de ses fonctions. La députée s’était faite remarquer pour ses critiques de la torture dans les commissariats et gendarmeries turcs et surtout pour avoir saisi et apporté au sein même du Parlement un falaka, instrument de torture très réputé chez les policiers turcs servant à suspendre un individu pour le fouetter. Les organisations de défense des droits de l’homme et la presse turque n’ont pas manqué de dénoncer l’éviction de Mme Piskinsüt de ladite commission, puisqu’elle n’y figure même plus comme simple membre.

Voici la réaction de l’éditorialiste Fatih Altayli le 26 octobre dans le quotidien Hürriyet : " Ils ont encore trouvé le président de la commission en mettant une annonce dans la presse. Les qualités requises sont cela : Il doit être sourd pour ne pas entendre les victimes de la torture. Il doit avoir du savoir-vivre pour prévenir à l’avance les commissariats qui seront visités. Il doit être stupide pour croire que malgré l’annonce de sa visite un policier surpris de pratiquer le falaka ne fait en fait que carder le coton. Il doit résister aux chocs électriques pour ne pas être électrocuté lorsqu’il serrera la main des victimes. Il doit être retraité de la police, pour soumettre d’abord les rapports non pas au Parlement ou à la presse mais à son " chef " Tantan [ndlr : ministre de l’Intérieur]. De cette façon, la Turquie sera débarrassée de la honte de torture. Nous franchirons une étape de plus pour nous conformer à l’UE. Sema (Mme Piskinsüt) va partir et les accusations de tortures vont s’arrêter. Pour ce qui concerne les incidents provoqués par le mauvais œil après les interrogatoires ou les placements en détention, une nouvelle commission parlementaire pour la protection contre le mauvais œil sera créée. Ils mettront probablement un député étiqueté Fazilet (islamiste) à sa tête ".

AKIN BIRDAL À NOUVEAU POURSUIVI POUR " DÉLIT D’OPINION "


La Cour de sûreté de l’Etat d’Istanbul a, le 23 octobre, ouvert une instruction contre Akin Birdal, vice-président de la Fédération internationale des droits de l’homme (FIDH) et ancien président de l’Association turque des droits de l’homme (IHD), pour " incitation à la haine " sur le fondement de l’article 312 du code pénal turc. Le parquet d’Istanbul reproche à M. Birdal les propos qu’il a tenus au cours d’un débat, le 21 octobre, à Bremerhaven (Allemagne) ayant pour thème " Les droits de l’homme en Europe-la Turquie est-elle un nouveau partenaire de l’UE ? ".

Les propos incriminés sont les suivants : " Le président Sezer n’a pas voulu ouvrir le débat sur la question arménienne en déclarant qu’il faut laisser cela " aux historiens et à l’histoire ". Personne n’ignore ce qui a été fait contre les Arméniens. La Turquie devra demander pardon pour le génocide contre les Arméniens et contre les autres minorités, accompli au cours de l’histoire turque. Ismail Cem [ndlr : ministre turc des affaires étrangères], est juif, il devrait annoncer cela ". Akin Birdal encourt une peine d’un à trois ans de prison.

MÊME LE RECENSEMENT DE POPULATION TURQUE EST TRUQUÉE


La fraude et le trucage affectent tous les domaines de la vie politique et économique turque. Il y a quelques semaines, un plier de l’establishment, Kamuran Inan, ancien ministre et actuel président de la Commission des Affaires étrangères du Parlement, avait dénoncé les statistiques officielles turques. Voilà que la fraude touche un domaine a priori fondamental, celui du recensement de la population turque. En effet, le quotidien turc Hürriyet dénonce le 28 octobre en sa Une les supercheries du recensement du 22 octobre en titrant " Le choc : La population turque est de 71,9 millions, 5 millions de personnes ont été inscrites en plus ". Le quotidien qualifie le recensement d’ " escroquerie historique " et annonce que Tunca Toskay, ministre d’Etat chargé de l’affaire, a convoqué les spécialistes et démographes en leur demandant de revoir leur copie.

Ertugrul Özkök, rédacteur en chef du quotidien continue ainsi " La population turque était de 56 473 000 en 1990, sept ans après le chiffre était de 62 865 000. Ce qui veut dire que la population turque avait augmenté de 6 millions en sept ans (…) Aujourd’hui en trois ans, il y a une augmentation de 9 millions de personnes. Ceci est impossible ". Le quotidien annonce clairement une fraude organisée – les subventions étatiques sont accordées selon la population municipale ; 35 millions par habitants–et souligne que les résultats définitifs ne seront publiés qu’après vérification. Le Premier ministre Bülent Ecevit a été saisi de l’affaire.

LU DANS LA PRESSE TURQUE : " LE SILENCE PROFOND SUR LE FRONT TURC "


Can Dündar, journaliste au quotidien turc Sabah, dénonce dans son article du 25 octobre intitulé " le silence profond ", le mutisme et l’absence de débat des autorités turques sur la question européenne en rapport direct avec les institutions et les droits et libertés en Turquie. Dans un pays où le réel pouvoir appartient à " l’Etat profond ", le journaliste sousentend que c’est encore de là qu’il faut attendre la réponse. Voici de larges extraits de son éditorial :

" Il ne reste plus que deux semaines pour l’une des phases les plus délicats du chemin pour l’adhésion de la Turquie à l’UE. Dans deux semaines, l’Union européenne va publier le " protocole d’association " relatif à l’adhésion totale de la Turquie et énumérera " Tout ce que vous devez accomplir pour être membre ".

Ce document est très important ; Car, de la question kurde, à la peine de mort, de la torture en passant par le Conseil national de sécurité (MGK), toutes les conditions de l’Union modelant l’avenir de la Turquie y sont inscrites. Les articles importants de ce document sensible ont été ébruités vers la presse la semaine dernière. En d’autres termes " l’Europe a montré- avant la fin du jeu- ses cartes en main ". Peut-être a-t-elle voulu tâter le pouls et " sentir l’odeur de la réaction ".

Qu’a donc été la réaction de la Turquie ?

Seulement un silence…Un silence profond…

Les détails du document ont été analysés par l’un des meilleurs spécialistes de l’Europe, Ahmet Sever, dans sa nouvelle émission intitulée " Kriter " (critère) sur la chaîne CNN-Türk.

Parmi les détails, trois articles portent un intérêt particulier :

La première concerne la peine de mort :

On a l’impression qu’ici l’équilibre de la coalition et la " sensibilité sur Apo " ont été prises en considération. L’Europe, ne dit pas " abolir tout de suite la peine de mort " mais " sous condition de ne pas l’appliquer, la peine de mort peut être abolie à moyen terme ". Il fait gagner du temps au gouvernement.

Le second article important concerne " l’enseignement et la diffusion du kurde " :

Là encore le vocabulaire a été choisi avec attention. Le mot " kurde " ou " la langue kurde " ne sont même pas mentionnés. La question est traitée non pas sous l’angle d’ " une question de la minorité " mais de " la liberté d’expression " et souligne le " droit de tous de s’exprimer, d’avoir un enseignement et des médias en langue maternelle ".

Le troisième article : " la situation du MGK ".

Un des sujets qui préoccupaient le plus l’Europe était celui-là. Le protocole d’association propose là encore une formule préparée avec une grande attention : " la situation et la qualification du MGK devraient être la même que dans les autres pays de l’UE ". Nul n’ignore que les organes similaires dans les pays européens ont une " fonction consultative ".

De ces trois articles, nous pouvons conclure qu’à la suite des vives tractations de plusieurs mois entre la Commission européenne, le ministère turc des affaires étrangères et la présidence de l’UE, des positions satisfaisantes par l’Europe ont été atteintes sur les points sensibles énumérés par la Turquie. L’équation, aujourd’hui formulée, constitue " la frontière la plus basse jusqu’où peut descendre " l’UE. Autrement dit, l’Europe annonce : " c’est ce que je peux vous offrir au maximum ".

Et la Turquie… ?

La Turquie a-t-elle précisé " la frontière la plus haute qu’elle peut atteindre " dans les normes ?

Je crois que dans deux semaines ce débat sur les " frontières " va être concrètement à l’ordre du jour. Car le rapport, après sa publication, sera en discussion soit en décembre dans le cadre du sommet européen ou encore au niveau des ministres. S’il est adopté, la balle est dans le camp de la Turquie. La Turquie, en prenant en considération les conditions du document, aura alors à établir son programme national, et devra fixer les dates des modifications à entreprendre dans son agenda (…) Plus clairement, dans deux semaines, il sera trop tard pour qu’elle puisse dire : " je n’accepte pas ces conditions ". Et si elle s’exprimait ainsi, cela se traduirait par : " je ne veux pas être membre ".

C’est pourquoi, il est grand temps pour la Turquie de discuter sur la peine de mort, sur le rôle du MGK et sur l’enseignement du kurde, ou alors de retrousser ses manches pour se conformer aux nouveaux critères.

La Turquie ne fait ni l’un et ni l’autre.

Sur le front turc, il n’y a pour le moment qu’un silence ; " un silence profond… "