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POINT SUR LA SITUATION EN TURQUIE

CILDEKT
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Liste
NO: 168

27/4/2000

  1. PROCÈS DES MAIRES DU HADEP : SEPT ANS DE PRISON REQUIS
  2. ÉLECTIONS PRÉSIDENTIELLES : LE JUGE AHMET NEJDET SEZER, CANDIDAT OFFICIEL DES CINQ PARTIS POLITIQUES TURCS DU PARLEMENT, RECALÉ AU PREMIER TOUR
  3. MANIFESTATION DE 6500 ARMÉNIENS À PARIS POUR COMMÉMORER LE GÉNOCIDE DE 1915
  4. WASHINGTON : UNE CONFÉRENCE INTERNATIONALE SUR LES KURDES MALGRÉ LES PRESSIONS TURQUES
  5. BILAN DES VIOLATIONS DES DROITS DE L’HOMME (IHD) À ISTANBUL EN MARS 2000
  6. ANKARA DÉFEND LES OUÏGOURS DE CHINE


PROCÈS DES MAIRES DU HADEP : SEPT ANS DE PRISON REQUIS


La Cour de sûreté de l’Etat de Diyarbakir a poursuivi le 24 avril le procès de 22 membres du parti de la démocratie du peuple (HADEP) accusés de " connexion avec le PKK ". Parmi les accusés figurent Feridun Çelik, Selim Özalp, Feyzullah Karaaslan, réciproquement maires HADEP de Diyarbakir, Siirt et de Bingöl qui avaient été arrêtés manu militari le 19 février, déchus de leurs fonctions puis, face au tollé général et à la pression internationale, libérés et réintégrés le 28 février 2000.

Les trois maires, qui étaient absents de l’audience, risquent jusqu’à sept ans de prison ferme sur le fondement de l’article 169 du code pénal turc. L’accusation est essentiellement fondée sur les présumés contacts entre les maires et un commandant du PKK, Murat Karayilan, qui s’est réfugié aux Pays-Bas. La justice turque va jusqu’à leur reprocher l’embauche des membres de familles de combattants du PKK dans les services municipaux.

Sept ans de prison ont été également requis contre 11 autres personnes, alors que 8 autres inculpés risquent jusqu’à 15 ans d’emprisonnement pour appartenance au PKK. La cour s’est refusée à lever l’interdiction de voyager prononcée contre les maires et a fixé au 20 juin la prochaine audience du procès.

ÉLECTIONS PRÉSIDENTIELLES : LE JUGE AHMET NEJDET SEZER, CANDIDAT OFFICIEL DES CINQ PARTIS POLITIQUES TURCS DU PARLEMENT, RECALÉ AU PREMIER TOUR


Après des manœuvres politico-médiatiques de plusieurs semaines et le refus de prolonger le mandat de Süleyman Demirel, les leaders des cinq partis politiques représentés au Parlement ont pour la première fois atteint un consensus. Le Premier ministre Bülent Ecevit, du parti de la Gauche démocratique (DSP), le vice-premier ministre Devlet Bahçeli, du parti de l’Action nationaliste (MHP), Mesut Yilmaz, chef du parti de la Mère patrie (ANAP) partenaire de la coalition, Recai Kutan, leader du parti islamiste de la Vertu (FP) et Tansu Çiller, du parti de la Juste Voie (DYP), sont convenus le 25 avril de proposer Ahmet Necdet Sezer, président de la Cour constitutionnelle turque pour la candidature à la présidence turque. Depuis le non sans appel du Parlement à la prolongation du mandat de M. Demirel, une dizaine de noms - candidats déclarés, supposé ou proposés - circulait sur la scène politique turque. Aucun d’entre eux ne pouvait recueillir les 367 voix nécessaires pour être élu aux deux premiers tours et seule la menace d’une dissolution au quatrième tour pouvait raisonnablement conduire le Parlement à choisir le futur président turc. De plus, le spectre du coup d’état de 1980 rôdait dans les esprits puisque l’armée avait justifié son intervention à l’époque par l’incapacité du Parlement à pouvoir à élire un président.

Ahmet Nejdet Sezer étant un candidat hors Parlement, 110 signatures de députés - un cinquième des sièges - étaient requises pour la régularité de la candidature alors que l’on était au dernier jour de la date de clôture de dépôt de candidatures. C’est le soutien du parti islamiste qui a le plus surpris les observateurs puisque son prédécesseur, le parti de la Prospérité (RP), avait été dissous avec l’accord de M. Sezer. a déclaré le leader du FP, M. Kutan.

Le président de la cour constitutionnelle s’était fait remarquer par son allocution, le 26 avril 1999, à la cérémonie du 38e anniversaire de l’institution suprême, cérémonie à laquelle les principaux dignitaires dont le président Demirel, le président du Parlement Yildirim Akbulut , le président de la Cour de cassation, Sami Selçuk, Mesut Yilmaz, Recai Kutan mais aussi Luzius Wildhaber, président de la Cour européenne des droits de l’homme, avaient pris part. Il avait alors formulé de vives critiques contre la Constitution turque et plus particulièrement contre l’article 104 relatif aux pouvoirs accordés au président turc arguant que ceux-ci excédaient les limites de la démocratie parlementaire. " Selon la Constitution, le président n’est pas seulement une partie du corps exécutif, mais détient des pouvoirs spéciaux et une position supérieure à celle de l’Etat…Les pouvoirs accordés par l’article 104, excédent de loin les limites de la démocratie parlementaire … " avait-il affirmé. Il avait également critiqué l’intouchable conseil de sécurité nationale (MGK), véritable pouvoir suprême du pays, en soulignant que les lois issues du MGK en vertu de l’article 15, temporaire alors, n’ont pas été soumises à un examen constitutionnel. Il avait ajouté que de nombreuses lois du MGK promulguées au cours des périodes d’état d’urgence, de la loi martiale ou encore d’état de guerre sont contraires à la Constitution en la forme et au fond et qu’elles ne pouvaient pas être utilisées contre quiconque devant un tribunal.

La presse turque a largement salué le 26 avril la nomination de M. Sezer à la candidature. Les quotidiens turcs Sabah et Milliyet ont tous deux salué en leur Une " L’accord historique ". Hurriyet a titré " Voici la démocratie " en publiant la photo mettant en scène la signature des cinq leaders politiques. Cependant la démocratie s’est très vite révélée . Tout juste après l’officialisation de la candidature de M. Sezer, les leaders du parti MHP et d’ANAP ont demandé aux candidats de leur parti de se retirer de la compétition. Le refus de certains, au nom de la démocratie, du multipartisme et conformément à la Constitution, a rapidement échauffé les esprits surtout de la majorité nationaliste voire ultra nationaliste du Parlement. Ainsi, lorsque Sadi Somuncuoglu, ministre d’Etat affilié au MHP, s’est rendu au Parlement pour déposer sa candidature, des députés de son parti l’ont pris à partie lui et ses gardes du corps. Dans un premier temps, Sevkat Çetin et Ahmet Çakar, deux hauts responsables du MHP, sont montés dans sa voiture pour l’en dissuader. Cemal Erginurt, député MHP d’Ordu, qui avait déjà organisé une descente armée au bureau de Tunca Toskay [ndlr : ministre d’Etat, proposé à la candidature par le MHP avant l’accord] a ensuite directement et brutalement menacé M. Somuncuoglu. "Je vous tuerai crétins! Je suis député. Vous vous prenez pour qui ? Démissionne de MHP! Tu as trahi les nationalistes turcs. Tu as même trahi Turkes [ndlr : chef historique et fondateur du MHP, aujourd’hui décédé] Dans les jours difficiles du MHP tu l’as quitté et es devenu député d’ANAP" a-t-il vociféré devant les caméras de télévision. Sevkat Çetin, chef adjoint du parti, présent sur les lieux, à l’origine pour calmer les passions, a simplement rétorqué aux journalistes : . Interrogé un peu plus tard sur la sanction que le parti pourra prononcer à l’encontre du député-agresseur, M. Çetin a répliqué : "Pourquoi le sanctionner ? C’est un de nos plus éminents amis députés. Il a réagi à la provocation et a opposé sa réaction ‘Ülkücü’ [ndlr : sobriquet des Loups gris turcs]. Le ton était tout autre le 27 avril dans les médias turcs. Le quotidien Sabah a mis en sa Une les propos de Cemal Erginurt . Fatih Altayli, l’éditorialiste au quotidien Hürriyet écrivait le même jour à propos des cinq leaders:

Le premier tour des élections s’est tenu le 27 avril dans ce climat très tendu et il a déjoué une fois de plus les pronostics de la classe politico-médiatique turque. Le très officiel candidat, Ahmet Nejdet Sezer, n’a recueilli que 281 voix sur les 530 députés présents [Le Parlement turc comprend 550 députés]. Nevzat Yalçintas du FP arrive en seconde position avec 61 voix, suivi de Sadi Samuncuoglu avec 58, puis Yildirim Akbulut avec 56 voix. L’ancien chef d’état-major, Dogan Gures, récolte 35 voix, Rasim Zaimoglu 7, Agah Oktay Güner 5, Oguz Aygun 4 et Mail Büyükerman 3 voix. Nombre de députés semblent avoir boudé un candidat désigné hors Parlement qui leur est tout simplement imposé. Le second tour des élections aura lieu le 1er mai, le troisième le 5 mai et le quatrième et dernier tour s’il y a lieu est prévu pour le 9 mai.

MANIFESTATION DE 6500 ARMÉNIENS À PARIS POUR COMMÉMORER LE GÉNOCIDE DE 1915


Quelques 6500 d’Arméniens, selon la préfecture de police, ont manifesté à Paris pour commémorer le génocide d’Arméniens par la Turquie en 1915 et obtenir la reconnaissance par la France de ce génocide. L’Assemblée nationale a adopté en mai 1998 une proposition de loi reconnaissant le génocide arménien, à l’instar de plusieurs pays européens, mais le Sénat bloque le texte sous la pression du président Jacques Chirac, qui se présente volontiers comme .

" Pour raison d’Etat, la France n’a pas voulu reconnaître le génocide arménien. Mais comment se fait-il que les Turcs ont fait leurs achats ailleurs qu’en France ? (…) C’est aussi mon côté français qui discute, ce n’est pas seulement l’Arménien qui parle (…) Le Français que je suis voudrait que la France se conduise normalement dans un cas pareil " a déclaré le très populaire chanteur Charles Aznavour sur France Info. Le consortium franco-allemand Eurocopter ayant été écarté le 6 mars du marché turc d’hélicoptères d’un montant de 4,5 milliards de dollars, Jacques Chirac avait adressé une lettre de protestation aux autorités turques et son conseiller s’était indigné en ces termes : " Monsieur Chirac a usé des efforts personnels et fait tout ce qui est en son pouvoir pour que le texte sur le génocide arménien ne passe pas au Sénat français … Et voilà comment le gouvernement turc le remercie ".

Des manifestations ont également eu lieu à Moscou, Téhéran, Bruxelles, Erevan, et Athènes.

WASHINGTON : UNE CONFÉRENCE INTERNATIONALE SUR LES KURDES MALGRÉ LES PRESSIONS TURQUES


Le Center for Global Peace de l’American University de Washington en coopération avec la nouvelle chair Mustafa Barzani Global Kurdish Studies a organisé les 17 et 18 avril 2000 une conférence internationale sur le thème .

Des universitaires américains et européens, kurdes, turcs, arabes et iraniens ont été conviés à cette réunion d’information et de réflexion sur la question kurde, ses implications pour la paix et la stabilité au Proche-Orient et sur les moyens de la résoudre.

Organisée dans un esprit académique pluraliste et inclusif, cette conférence ne devait pas en principe provoquer des remous politico-diplomatiques. Cependant, une semaine avant la réunion les média turcs ont lancé une campagne orchestrée d’intimidation et de dénigrement, accusant Washington d’encourager le séparatisme kurde. Les critiques turques étaient focalisées sur deux fronts :

1)?La participation à la conférence d’un haut diplomate américain, Francis J. Ricciardone, coordinateur américain pour l’Irak à une table ronde présidée par Richard W. Murphy, ancien secrétaire d’Etat adjoint et où devait également s’exprimer le président de l’Institut kurde de Paris, Kendal Nezan, que le gouvernement turc considère comme

2)?Présentation de Nechirvan Barzani, hôte du dîner officiel de la conférence, comme . Ankara ne veut pas entendre parler d’un même régional et encore moins de ou d’un kurde, alors qu’il déploie tant d’efforts pour faire reconnaître la minuscule.

Malgré toutes les pressions médiatiques et diplomatiques, l’administration et l’université américaine n’ont pas cédé, les dirigeants kurdes irakiens non plus. les Turcs en sont à vouloir censurer la liberté d’expression à Washington, on peut imaginer ce qu’ils font chez eux.

BILAN DES VIOLATIONS DES DROITS DE L’HOMME (IHD) À ISTANBUL EN MARS 2000


La branche d’Istanbul de l’IHD a rendu public son bilan des violations des droits de l’homme. Voici de larges extraits :

- Nombre de placements en garde-à-vue - 1796 Femmes - ???595 Hommes - 1098 Enfants - 103

- Les prisons Nombre d’assassinats en prison - 1

-Tortures et sévices Nombre de cas rapportés à l’association - 38 Nombre de femmes torturées - ?16 Nombre d’hommes torturés - ?22

-Droit à la vie Nombre de blessés par balle tirée par la police 3 Nombre de meurtres non élucidés - 2

-Atteinte au droit de la presse Nombre de revues perquisitionnées ou attaquées 4 Personnels de la presse placés en garde-à-vue - 34

-Atteinte à la liberté d’opinion et d’association Télévisions et radios fermées par décision du RTUK 7 Nombre de jours d’écran noir - ?22 Nombre de livres saisis - ?1 Nombre de revues et journaux saisis - 20 Nombre de journalistes et écrivains arrêtés - 2 Nombre de syndicats et d’associations fermés - 4 Condamnations pour délit d’opinion - 5 ans 9 mois

ANKARA DÉFEND LES OUÏGOURS DE CHINE


La Turquie a plaidé le 19 avril la cause des Ouïgours, minorité ethnique apparentée aux Turcs vivant au Xinjiang (nord-ouest de la Chine), tout en condamnant leur rébellion séparatiste lors de la visite du président chinois Jiang Zemin à Ankara.

" Nous leur avons dit que les Ouïgours devaient être des citoyens loyaux de la Chine et devaient vivre dans la paix et l’harmonie …Nous avons aussi exprimé notre soutien en faveur de l’intégrité territoriale de la Chine et assuré que nous n’avions aucune intention de nous intégrer dans ses affaires intérieures …Nous avons des liens raciaux, linguistiques et religieux avec les Ouïgours et nous voulons qu’ils soient un pont d’amitié entre la Turquie et la Chine " a indiqué un diplomate turc qui a participé à la rencontre entre les délégations turque et chinoise présidée par Süleyman Demirel et M. Jiang Zemin, en visite de trois jours en Turquie.

Les Ouïgours constituent la principale ethnie musulmane vivant dans la région " autonome " du Xinjiang, que les Turcs appellent Turkestan oriental, où vivent 8,7 millions d’entre eux. La police turque avait arrêté en octobre 10 membres d’un groupe nommé l’organisation de libération du Turkestan oriental, en liaison avec une série d’attaques contre des ressortissants chinois en Turquie.

Les autorités turques reconnaissent l’indépendance de Chypre du Nord où vivent quelques dizaines de milliers de turcs. Le président Süleyman Demirel lors de son voyage au Kosovo avait appelé au respect des droits de minorités turques établies au Kosovo. Il plaide aussi régulièrement pour les droits de la minorité turque de Bulgarie etc…tout en continuant cependant à ignorer les droits des 18 millions de Kurdes de Turquie.