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POINT SUR LA SITUATION EN TURQUIE

CILDEKT
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Liste
NO: 167

12/4/2000

  1. LE PARLEMENT TURC CLOT DÉFINITIVEMENT l’ÈRE DEMIREL
  2. LES LIVRES DE L’ECRIVAIN KURDE MEHMET UZUN SAISIS ET INTERDITS PAR LES AUTORITÉS TURQUES
  3. EN VISITE À ANKARA, LE PRÉSIDENT ALLEMAND S’ENQUIERT DU SORT DE LEYLA ZANA ET D’AKIN BIRDAL ET AFFIRME QUE L’ALLEMAGNE NE VENDRA PAS DE CHARS À LA TURQUIE
  4. LA COUR EUROPÉENNE DES DROITS DE L’HOMME ACCORDE UNE INDEMNITÉ DE $ 3000 À UNE JEUNE FILLE TORTURÉE EN TURQUIE
  5. APPEL À LA DÉMINAGE DU KURDISTAN
  6. LANCEMENT OFFICIEL DE LA PHASE PRÉ-ACCESION À L’UE POUR LA TURQUIE
  7. LA CLASSE POLITIQUE DÉFEND LA POLICE TURQUE


LE PARLEMENT TURC CLOT DÉFINITIVEMENT l’ÈRE DEMIREL


Le Parlement a, le 5 avril 2000, rejeté au second tour l’amendement constitutionnel qui aurait prorogé le mandat du président Demirel de cinq ans. À l’issue du vote, 303 bulletins " pour ", 177 " contre ", 26 " blancs ", 23 " nuls " et 6 " abstentions " ont été enregistrés pour les dispositions concernant l’article 101 de la Constitution relatif au mandat du président turc et cela malgré les menaces ouvertes, proférées par Le Premier ministre Bülent Ecevit et son vice-Premier ministre Devlet Bahçeli, respectivement leaders du parti de la Gauche Démocratique (DSP) et du parti de l’Action nationaliste (MHP-ultra-nationaliste), les deux principaux partis de la coalition gouvernementale tripartite. Le rejet s’est donc exprimé d’une manière très nette. M. Demirel devrait donc quitter ses fonctions, comme prévue, le 16 mai prochain.

Les analystes ont noté que le Parlement n’avait pas apprécié les pressions exercées contre lui et que les leaders avaient fait l’erreur de proférer des menaces ouvertes le 3 avril à l’encontre des 324 députés qui avaient signé une motion de soutien pour l’extension du mandat présidentiel. Les observateurs notent que les différents partis gouvernementaux sortent très affaiblis de cet échec humiliant pour M. Demirel et M. Ecevit.

Les candidats à la présidence devraient déclarer leur candidature avant le 25 avril, mais jusqu’à présent aucun nom annoncé ne semble pouvoir recueillir les 376 voix nécessaires pour passer aux deux premiers tours et ni même les 267 voix nécessaires à l’issue des deux derniers tours. Les trois partis de la coalition avaient décidé de se réunir le 11 avril pour se concerter à ce sujet, mais l’état de santé chancelant du Premier ministre n’a pas encore permis cette conversation.

Erkut Yücaoglu, président du TUSIAD, l’équivalent turc du MEDEF, a demandé à ce que le futur président ne soit pas un ex-général mais un civil : " Il est indéniable qu’il y a des bureaucrates estimables dans l’armée. Cependant il serait préférable dans les conditions actuelles que l’on ait un président civil ". M. Ecevit n’etant pas diplômé de l’université, il ne pourra pas se présenter conformément à la Constitution turque. Les différents partis n’accepteront pas non plus que le DSP soit à la tête du gouvernement et de la présidence da la République. M. Bahçeli ne semble pas également vouloir briguer ce mandat, mais nombreux sont les députés ultra-nationalistes qui déclarent que ce siège devrait revenir tout naturellement au MHP " qui a fait d’énormes concessions " lors de la constitution du gouvernement et de la nomination du président de l’Assemblée nationale confiée au parti de la Mère Patrie (ANAP) de Mesut Yilmaz qui lui semble avoir l’ambition de se présenter comme candidat. Cependant, il semble difficile pour ce dernier de recueillir les voix suffisantes. Le Parlement, élu tout juste il y a un an, risque une dissolution en cas de rejet des candidats à l’issue du quatrième et dernier tour. Dans ces conditions les tractations vont battre leur plein jusqu’au dernier moment.

LES LIVRES DE L’ECRIVAIN KURDE MEHMET UZUN SAISIS ET INTERDITS PAR LES AUTORITÉS TURQUES


Par décision datée du 4 février 2000 de la Cour de sûreté de l’Etat de Diyarbakir N°4, les livres en turc et en kurde de Mehmet Uzun, écrivain kurde, ont été saisis et interdits par les autorités turques depuis le 21 mars 2000. De nombreux écrivains et intellectuels de part dans le monde continuent de protester contre cette décision qui porte clairement atteinte à la liberté de l’expression.

Un appel a été lancé par l’Union des écrivains suédois, l’Institut kurde de Paris et des intellectuels, pour protester contre cette saisine : " Nous appelons l’Union européenne à présenter au gouvernement turc un ultimatum pour qu’il se conforme aux conditions qui garantissent à tous les groupes ethniques du pays, la liberté de l’expression, la liberté de la presse, la liberté de l’information, et les droits de l’homme (…) " .

EN VISITE À ANKARA, LE PRÉSIDENT ALLEMAND S’ENQUIERT DU SORT DE LEYLA ZANA ET D’AKIN BIRDAL ET AFFIRME QUE L’ALLEMAGNE NE VENDRA PAS DE CHARS À LA TURQUIE


Johannes Rau, le président allemand, s’est rendu le 6 avril 2000 en Turquie dans le cadre d’une visite officielle. Après avoir rencontré son homologue turc Suleyman Demirel au lendemain de sa cuisante défaite au Parlement turc, il s’est entretenu avec le Premier ministre Bülent Ecevit le 7 avril. Lors de l’entretien, M. Ecevit a critiqué la politique allemande vis-à-vis des organisations islamistes turques sur son sol et le Président Rau a exprimé sa déception pour l’incarcération d’Akin Birdal, vice-président de la Fédération Internationale des droits de l’homme (FIDH) et la situation des députés kurdes emprisonnés en Turquie. Les leaders des principaux partis politiques n’ont pas assisté au dîner offert par le président turc en l’honneur de son homologue allemand.

Le président Rau s’est entretenu le même jour avec les représentants des différentes organisations de défense des droits de l’homme en Turquie : Yavuz Önen, président de la fondation turque des droits de l’homme, Hüsnü Öndül, président de l’association turque des droits de l’homme (IHD), Yilmaz Ensaroglu, président de MAZLUM-DER, Ali Ersin Gür, président de l’association des juristes modernes, Nevzat Helvaci, président du conseil turc des droits de l’homme, et Yusuf Alatas, un des avocats du parti kurde de la démocratie du peuple (HADEP) et également avocat des députés kurdes du parti de la démocratie (DEP-dissous). M. Rau a déclaré qu’il avait " noté les développements positifs enregistrés en matière des droits de l’homme, mais il reste beaucoup de choses à faire ". Il a souligné qu’il y avait une déficience au niveau de l’éducation de la police et des juristes et de l’application des lois.

Le président allemand a aussi clairement indiqué que son pays ne vendrait pas de chars à l’armée turque.

Les milieux proches de l’armée turque voient d’un très mauvais œil les visites des représentants occidentaux aux défenseurs des droits de l’homme. Ainsi, Emin Çölasan, journaliste proche de l’armée, écrivait le 7 avril au quotidien Hurriyet " Le président allemand est venu aussi et nous avons assisté une nouvelle fois au même scénario. Hier matin, il s’est entretenu avec les représentants " des droits de l’homme ". Il avait ajouté à la liste l’avocat du HADEP ! Soit nous n’arrivons pas à expliquer quelque chose à ces hommes venus d’Europe soit ils ne veulent rien comprendre. Le pays a perdu 40 000 personnes à cause de la terreur du PKK. Comment est-ce que l’Europe peut-elle donner autant de caution à ces gens qui soutiennent la terreur ? Hier, la Turquie a été de nouveau espionnée derrière des portes closes. Vous pouvez voir que ce genre de réunion terminée, aucune déclaration n’est faite (…) La Turquie est dénoncée (…) et nos média, nos hommes politiques et notre opinion publique ne disent mot ! (…) Personne ne proteste (…) Jamais la Turquie n’a été à ce point humiliée. N’y a-t-il pas quelques députés patriotes pour dénoncer cette situation inacceptable ? ".

LA COUR EUROPÉENNE DES DROITS DE L’HOMME ACCORDE UNE INDEMNITÉ DE $ 3000 À UNE JEUNE FILLE TORTURÉE EN TURQUIE


La Turquie a été condamnée le 11 avril 2000 par la Cour européenne des droits de l’Homme pour des tortures infligées lors d’une garde-à-vue à une jeune femme, soupçonnée d’avoir des liens avec le parti des travailleurs du Kurdistan (PKK). La Cour a jugé que les preuves soumises par Mme Sevtap Veznedaroglu, " ne permettent pas d’établir si ses blessures ont été ou non infligées par des policiers, si elle a été torturée dans la mesure où elle le dit ". Mais les juges ont estimé à " l’unanimité " que l’article de la Convention européenne des droits de l’homme, interdisant la torture, a été violé, " en raison, de l’absence d’enquête de la part des autorités " sur les allégations formulées par Mme Veznedaroglu.

Le 4 juillet 1994, la jeune femme avait été interrogée par la police, avant de signer, sous la contrainte selon elle, une déclaration dans laquelle elle reconnaissait ses liens avec le PKK. Jugée le 15 juillet, elle avait été acquittée faute de preuve. Mais la jeune femme s’était plainte d’avoir été torturée durant sa garde-à-vue. Deux médecins différents l’avaient examinée constant des bleus au bras et au tibia. " Le procureur disposait dans son dossier des rapports médicaux (…) Or rien n’a été fait pour obtenir plus de renseignements auprès d’elle ni pour questionner les policiers qui l’avaient interrogée pendant sa garde-à-vue ", a critiqué la Cour. La Turquie a été condamnée à 2000 dollars pour dommage moral et 1000 dollars pour frais et dépends à la plaignante.

APPEL À LA DÉMINAGE DU KURDISTAN


Dr Serdar Necmioglu, professeur à la Faculté de médecine de l’Université de Dicle de Diyarbakir, a appelé le gouvernement turc à entreprendre un déminage dans le Kurdistan en soulignant les dangers encourus par la population de la région. Selon les registres de l’Université, entre octobre 1998 et janvier 1999, les mines ont causé 25 morts et 36 blessés, majoritairement des soldats, des protecteurs de village ou encore des civils. Entre octobre 1999 et janvier 2000, 8 personnes ont perdu la vie et 14 autres ont été blessées par l’explosion des mines dans les régions de Kulp, Diyarbakir, Lice, Hani, Hazro, Dicle et Silvan. Entre janvier 2000 et avril 2000, dans 21 incidents dus aux mines dans la seule province de Diyarbakir, 6 civils ont été tués et 13 autres blessés. Dans la région de Mardin, 5 explosions ont fait un mort et 6 blessés, tous civils. Dr. Necmioglu prend note de la baisse des incidents par rapport à la période de 1992 et 1995 où le nombre d’explosions était au plus haut, mais il ne manque pas de noter également la carence des autorités en dénonçant les velléités des pouvoirs publics alors que la population demande régulièrement son aide dans ce domaine.

LANCEMENT OFFICIEL DE LA PHASE PRÉ-ACCESION À L’UE POUR LA TURQUIE


Le Conseil d’association UE-Turquie s’est tenu le 11 avril à Luxembourg pour le lancement officiel de la phase de pré-accesion d’Ankara. Jaima Gama, le ministre portugais des affaires étrangères qui présidait la réunion à Luxembourg, a déclaré que " c’est un grand pas en avant, dans le sens des décisions du Sommet d’Helsinki de l’UE ". Concrètement, les Européens et les Turcs ont décidé de créer 8 sous-comités chargés de préparer les négociations d’adhésion d’Ankara avec l’UE. En outre, des négociations vont être ouvertes pour libéraliser les services et l’accès aux marchés publics. Seuls trois pays de l’UE étaient représentés par des ministres à ce conseil d’association : la Grèce, le Portugal et le Luxembourg. " L’important pour nous c’est que le ministre grec des Affaires étrangères Yorgos Papandreou, ait été présent, il vaut à lui seul, dans ce cas, l’ensemble des 14 autres ministres ", a déclaré Jaime Gama.

Les négociations proprement dites avec 12 pays ont déjà commencé, mais pas celles avec la Turquie, en raison de questions épineuses pour les Européens comme la peine de mort, toujours légale à Ankara, et la politique des droits de l’homme, sans compter le problème chypriote. " La peine de mort existe, mais n’a pas été appliquée depuis 16 ans, il y a un projet de loi pour son abolition ", mais la condamnation à la peine capitale en juin d’Abdullah Öcalan, a compliqué la situation pour l’opinion publique.

LA CLASSE POLITIQUE DÉFEND LA POLICE TURQUE


À l’occasion du 150e anniversaire de la police turque le 10 avril 2000, des cérémonies ont été organisées en Turquie. À cette occasion, le président turc Süleyman Demirel a déclaré que la Turquie était " en matière de sécurité parmi les pays les plus sûrs au monde " et que " cet état de fait nous le devons à notre organisation de sûreté et de la police ". Il a appelé à ce qu’on ne permette pas que la police puisse être souillée alors que nombreux sont les cas où cette même police fait objet d’accusations de viols et autres sévices en Turquie. Quant à Yildirim Akbulut, président de l’Assemblée nationale turque, il a rappelé que le pouvoir de sanction de l’Etat était confié à l’armée et à la police turques " s’il n’y avait pas cette sanction l’Etat n’existerait plus ".

Le quotidien turc Hurriyet du 11 avril 2000 a consacré une demi-page à l’événement et titré " nous sommes le pays le plus sûr " en mettant en image une petite fille de 11 ans, en treillis, munie d’un fusil M-16. Le journal précise fièrement les propos de la petite fille " Que ma vie soit également sacrifiée pour ce pays ! ". Le gouverneur de la région de Kayseri, Nihat Canpolat qui a été en fonction précédemment dans la région de Hakkari a, quant à lui, donné sa version des droits de l’homme en déclarant " La police turque respecte jusqu’au bout les droits de l’homme. Il y aura évidemment de temps en temps des violations. Mais vous en conviendrez que les droits de l’homme ne sont des droits accordés qu’à des hommes. Cela nous fait du mal de voir que notre police est parfois sans pouvoir face à des accusations comme le non-respect des droits de l’homme alors qu’elle est confrontée à des ennemis de l’Etat et d’Atatürk, privés de toute humanité, des personnes qui tentent d’ébranler la paix et l’unité sociale ".