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POINT SUR LA SITUATION EN TURQUIE

CILDEKT
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Liste
NO: 166

4/4/2000

  1. ANDRAS BARSONY ET DANIEL COHN-BENDIT VISITENT LEYLA ZANA
  2. AKIN BIRDAL DE NOUVEAU EN PRISON
  3. LE GOUVERNEMENT TURC MENACÉ
  4. LA TURQUIE CONDAMNÉE PAR DEUX FOIS POUR DES ASSASSINATS COMMIS DANS LE KURDISTAN
  5. LA DEMANDE D’ASILE DE MURAT KARAYILAN REJETÉE. PLUSIEURS RESPONSABLES EUROPÉENS DU PKK CONDAMNÉS À LA PRISON
  6. PROLONGATION DE L’ÉTAT D’URGENCE
  7. NOUVELLE INTERVENTION MILITAIRE TURQUE DANS LE KURDISTAN IRAKIEN
  8. COOPÉRATION MILITAIRE TURCO-AMÉRICAINE
  9. SUSURLUK SUITE : UN AUTRE ACTEUR-CLÉ VICTIME D’UN ACCIDENT !


ANDRAS BARSONY ET DANIEL COHN-BENDIT VISITENT LEYLA ZANA


Andras Barsony, chef de la délégation parlementaire européenne en visite de quatre jours en Turquie, a, le 30 mars 2000, rendu visite à Leyla Zana. À la suite de l’entretien, M. Barsony a déclaré : " Mme Zana, m’a expliqué qu’elle souffrait de quelques problèmes de santé depuis ces six dernières années. Comme vous le savez, le gouvernement turc a déclaré qu’elle pouvait être libérée pour des raisons de santé, mais elle refuse une quelconque libération pour des raisons liées à sa santé. Elle dit qu’elle désire un grand compromis entre les anciens membres du parti de la Démocratie (DEP) et le gouvernement ".

Interrogé sur la date de publication du rapport, M. Barsony a déclaré que dans quelques semaines le rapport commencera à être rédigé et sera complété à l’automne : " Je vais prendre l’opinion du gouvernement turc et nous publierons ensuite le rapport ".

Après un premier rejet le mois dernier et une vive tension, Ankara a également accepté la demande de Daniel Cohn-Bendit, président de la commission mixte Turquie-Parlement européen, de rendre visite à L. Zana. La visite a eu lieu le lundi 3 avril.

Elle a duré 45 minutes dans un bureau de l’administration pénitentiaire. Mme Zana a confirmé qu’elle n’avait pas l’intention de demander sa libération pour " raison de santé " et qu’elle attendait la refonte des lois turques réprimant les délits d’opinion pour que tous les prisonniers d’opinion puissent être libérés en même temps qu’elle. Dans une conférence de presse donnée à l’issue de cette visite et de ses entretiens avec les représentants des ONG turques, Daniel Cohn-Bendit a déclaré qu’il comprenait la logique de Leyla Zana qui lutte pour la démocratisation du pays. Il a comparé son attitude à celle d’un célèbre dissident polonais à qui le ministre de l’Intérieur avait rendu visite dans sa cellule pour lui proposer de le libérer s’il acceptait de quitter le pays pour la France. " La place d’un Polonais libre est en Pologne. Si, en Pologne, la prison est le seul endroit où je peux être libre, alors je resterai en prison plutôt que de m’exiler " lui avait répondu le dissident. " Mme Zana est animée des mêmes fortes convictions et elle demande aux Européens d’aider la Turquie à se démocratiser et elle espère que celle-ci pourra régler pacifiquement ses problèmes " a ajouté D. Cohn, Bendit qui portait à la main une branche d’arbre fleurie que Leyla Zana lui a offerte.

Le Premier ministre turc Bülent Ecevit avait déclaré récemment à une délégation européenne que " Leyla Zana est une personne maléfique, exploitant la situation actuelle pour venir à des fins politiques personnelles et pour fourvoyer l’Europe " et avait ajouté : " le kurde n’est pas une langue mais un dialecte ". Interrogé par le quotidien anglophone Turkish Daily News du 1er avril 2000, Feridun Yazar, l’un des avocats de Leyla Zana et ancien président du parti pro-kurde HEP, dissous, a mis en relief les contradictions de B. Ecevit. M. Yazar a déclaré qu’Esber Yagmurdereli, avocat et défenseur des droits de l’homme, avait déjà bénéficié de cette exception dilatoire, mais avait par la suite été réincarcéré. Il a ajouté qu’Akin Birdal avait également subi le même sort.

AKIN BIRDAL DE NOUVEAU EN PRISON


Akin Birdal, ancien président de l’association turque des droits de l’homme et vice-président de la FIDH, est retourné en prison le 28 mars pour purger le reliquat d’une peine d’un an de prison pour " provocation raciale ". La justice turque a refusé un rapport médical qui lui avait été remis la semaine dernière par un hôpital d’Ankara et certifiant qu’il est " inapte " à retourner en prison en raison des séquelles de l’attentat de 1998 dans lequel il avait été grièvement blessé. Il a été incarcéré à la prison d’Ulucanlar d’Ankara.

Cet emprisonnement a suscité de nombreuses réactions tant en Turquie qu’à l’étranger.

Ainsi, James Foley, porte-parole du département d’Etat a, le 28 mars, qualifié Akin Birdal d’" une voix responsable pour le changement pacifique et la réconciliation en Turquie " et a ajouté que " tous les citoyens de la Turquie devraient être pleinement capables d’exercer leur droit pour la liberté pacifique de l’expression, reconnue par les textes internationaux des droits de l’homme (…) Mettre M. Birdal à nouveau en prison est incompatible avec ce principe… "

Par ailleurs, l’organisation Human Rights Watch a également appelé à la libération immédiate d’A. Birdal et a appelé à la révision de l’article 312 du code pénal sanctionnant la liberté de l’expression.

LE GOUVERNEMENT TURC MENACÉ


Bülent Ecevit, le Premier ministre turc, est préoccupé par la stabilité politique et économique de la Turquie après le revers essuyé le mercredi 29 mars 2000 au Parlement. M. Ecevit n’a pu réunir de majorité qualifiée autour de son projet d’amendement de la Constitution visant à permettre au président Süleyman Demirel de briguer un nouveau mandat. Le vote a surtout mis en lumière des tiraillements internes au sein de la coalition gouvernementale entre le Parti de la Gauche démocratique (DSP) d’Ecevit et le Parti d’action nationaliste (MHP), néo-fasciste.

Les réformes constitutionnelles qui étaient à l’ordre du jour concernaient l’article 69, relatif à la dissolution des partis politiques, article 86, réglementant le traitement et les pensions des députés, et l’article 101 de la Constitution, dispositif concernant la procédure à suivre pour les élections présidentielles. Les amendements étaient calculés de façon à satisfaire les différents partis. Le parti islamiste de la Vertu (FP) encourant une nouvelle interdiction, aurait dû être séduit par les propositions faites dans le cadre de l’article 69, mais ce dernier a trouvé l’offre insuffisante. De même, la carotte, l’augmentation des salaires et des pensions des parlementaires, n’a pas non plus convaincu les parlementaires réticents. La réforme constitutionnelle nécessitait 367 voix pour pouvoir passer au premier tour. À l’issu du vote, 303 voix pour, 202 contre, 11 abstentions, 9 bulletins blancs et 6 bulletins nuls ont été constatés. [Milliyet 30 mars 2000]

Le Premier ministre avait anticipé le vote en déclarant que 403 députés, soit 65 députés ANAP, 125 sur 127 députés du MHP et 136 sur 137 députés du DSP et de nombreux députés du DYP, avaient d’ores et déjà donné leurs accords signés, mais la plupart des analystes avaient averti des possibilités de changements d’opinion lors d’un suffrage secret. Or, plus d’une centaine de ces signataires ont fait défaut. Les uns et les autres se demandent tout naturellement si les différents leaders ont un véritable contrôle sur leur parti. La plupart des quotidiens turcs, en première ligne, Sabah et Milliyet, ont énuméré le lendemain en leurs Unes le scénario catastrophe, de véritable menace politico-économique à laquelle la Turquie devrait faire face si la réforme constitutionnelle n’était pas adoptée. Reste que les analystes annoncent que si les élections présidentielles avaient eu lieu au suffrage universel direct, Suleyman Demirel n’obtiendra même pas 10 % des voix. Le vote du 29 mars prouve également que le Parlement malgré les pressions et/ou les intérêts déployés ne voulait pas non plus de M. Demirel qui est sur la scène politique depuis plus de 35 ans et qui symbolise pour beaucoup l’immobilisme. Alors quid d’une telle démocratie si Ankara arrive à l’imposer malgré tout.

Cité par le quotidien Sabah, le chef du gouvernement précise qu’il n’exclut aucune possibilité, liant le sort du gouvernement à celui du président turc. " Lorsque je serai en Inde, je réfléchirai à tout cela, y compris au maintien du gouvernement (…) Que chacun y pense pendant quatre jours " a-t-il déclaré avant de s’envoler le 30 mars pour une visite en Inde. Un nouveau vote devrait avoir lieu le 5 avril.

LA TURQUIE CONDAMNÉE PAR DEUX FOIS POUR DES ASSASSINATS COMMIS DANS LE KURDISTAN


La Cour européenne des droits de l’homme a condamné la Turquie pour n’avoir pris aucune mesure permettant de prévenir l’assassinat, en 1993, d’un journaliste et d’un médecin kurdes et pour n’avoir pas mené d’enquête sérieuse dans ces deux affaires.

Dans l’un et l’autre cas, les juges estiment qu’Ankara a violé l’article 2 de la Convention européenne des droits de l’homme garantissant le droit à la vie. L’arrêt a été rendu à l’unanimité en ce qui concerne les défaillances de l’enquête et par six voix contre une - celle du juge turc - en ce qui concerne les assassinats eux-mêmes. La Cour estime par six voix contre une que la Turquie a violé l’article 13 de la Convention qui garantit le droit à un recours effectif devant un tribunal.

La première affaire concerne l’assassinat à Urfa de Kemal Kiliç, journaliste du quotidien pro-kurde Özgür Gündem, tué par balles le 18 février 1993 par quatre hommes qui l’attendaient au retour de son travail. Deux mois auparavant, Kemal Kiliç avait demandé en vain au préfet d’Urfa une protection pour lui-même et d’autres collaborateurs du journal en raison des menaces et agressions dont avaient fait l’objet plusieurs d’entre eux.

Le 16 mars dernier, la Cour européenne avait déjà condamné la Turquie pour atteinte à la liberté d’expression à l’encontre d’Özgür Gündem, en prenant acte de multiples censures, condamnations et agressions physiques dont le journal avait été victime durant sa brève existence, entre 1992 et 1994.

La seconde affaire concerne Hasan Kaya, médecin disparu le 21 février 1993 en compagnie d’un ami avocat, Metin Can, président de l’association des droits de l’homme d’Elazig. Les deux hommes avaient été retrouvés tués par balles six jours plus tard. " Hasan Kaya, en tant que médecin soupçonné de complicité avec le PKK, courait à l’époque un risque particulier d’être victime d’une agression illégale " ont considéré les juges.

Dans ces deux arrêts, la Cour européenne des droits de l’homme estime que les autorités turques " n’ont pas pris les mesures auxquelles elles pouvaient avoir raisonnablement recours " pour prévenir ces assassinats. Elle condamne également la Turquie pour n’avoir pas mené d’investigations suffisantes concernant des affaires dans lesquelles des agents de l’Etat étaient soupçonnés d’avoir été impliqués. Les juges regrettent au passage qu’Ankara ait refusé de faire comparaître devant leur juridiction " un témoin important, agent de l’Etat ", manquant ainsi à ses obligations au regard de la Convention européenne des droits de l’homme. Ankara est par ailleurs condamné pour " traitements inhumains et dégradants " en vertu de l’article 3 de la Convention européenne des droits de l’homme dans l’affaire Kaya dont le corps révélait qu’il avait été victime de sévices.

Dans les deux affaires, les héritiers des victimes obtiennent £17 500 au titre du préjudice moral et respectivement £ 20 000 et £ 22 000 pour les frais et dépens, soit des réparations financiers dérisoires dont le gouvernement turc s’accommode fort bien.

LA DEMANDE D’ASILE DE MURAT KARAYILAN REJETÉE. PLUSIEURS RESPONSABLES EUROPÉENS DU PKK CONDAMNÉS À LA PRISON


La demande d’asile déposée le 18 novembre 1999 de Murat Karayilan aux Pays-Bas, l’un des principaux chefs militaires du PKK, a été rejetée en première instance. La Turquie avait demandé en février son extradition, mais l’examen de cette requête devrait prendre environ six mois. M. Karayilan peut faire appel de cette décision. Dans un entretien accordé à l’agence néerlandaise ANP début mars, M. Karayilan avait déclaré : " Je suis là pour présenter notre nouvelle stratégie pacifique à l’ensemble de nos membres (…) Le PKK est prêt à tout pour la paix (…) Nous voulons la paix mais si notre leader est pendu nous ressentirons cela comme la mort de tous les Kurdes. Ce sera alors le début d’une nouvelle guerre (…) Nous demandons très peu, juste la reconnaissance légale de l’identité kurde ", regrettant qu’ " aucun signe positif ne soit venu d’Ankara ".

De plus, le coordinateur présumé du PKK en Allemagne, a été arrêté le 30 mars au poste frontière d’Elten. le 29 mars, le Parquet fédéral avait annoncé le renvoi devant le tribunal de deux dirigeants présumés du PKK, pour " appartenance à une organisation criminelle ", " faux en écriture en bande organisée " et " violation de la loi sur les armes ".

Par ailleurs, la 14e chambre du Tribunal correctionnel de Paris a condamné Irfan Balsak, considéré comme un des responsables du PKK, à 4 ans de prison et 10 ans d’interdiction du territoire français. Quatre autres personnes ont été condamnées dans le même cadre à des peines de prison variant de 3 ans ferme à 18 mois avec sursis et à des interdictions du territoire.

PROLONGATION DE L’ÉTAT D’URGENCE


Le Parlement turc a décidé le 28 mars 2000 de reconduire pour une durée de quatre mois l’état d’urgence dans cinq provinces kurdes. L’Etat d’urgence a été prolongé à Tunceli, Diyarbakir, Hakkari, Sirnak et Van. Ces cinq provinces sont placées depuis 1987 sous la responsabilité du bureau du gouverneur de l’état d’urgence à Diyarbakir. Elles étaient depuis 1979 soumises à l’état de siège.

En novembre 1999 le Parlement qui ne sert que de chambre d’enregistrement des décisions prises par le Conseil de sécurité nationale, a levé ce régime dans la province kurde de Siirt.

NOUVELLE INTERVENTION MILITAIRE TURQUE DANS LE KURDISTAN IRAKIEN


Entre 5000 et 7000 soldats turcs appuyés par des hélicoptères de combat ont franchi le 1er avril 2000 la frontière nord irakienne pour attaquer des camps du PKK. Selon les autorités militaires de Tunceli, l’armée turque a pénétré à une dizaine de kilomètres à l’intérieur de l’Irak. Les soldats étaient couverts par des hélicoptères Cobra de fabrication américaine.

Parallèlement à cette opération, environ 10 000 soldats turcs ont commencé à se déployer dans les montagnes aux alentours des villes de Tunceli et de Bingöl pour leur traditionnelle offensive du printemps en l’absence des combattants du PKK qui se sont retirés de la Turquie. L’offensive turque actuelle est surtout une démonstration de force destinée à impressionner les populations locales.

COOPÉRATION MILITAIRE TURCO-AMÉRICAINE


La Turquie participera au programme américain de développement de l’avion de chasse JSF (Joint Strike Fighter), confirme le secrétaire américain à la Défense William Cohen. Le programme d’un coût global de 200 milliards de dollars, vise à concevoir un chasseur ultramoderne et ses dérivés. Plus de 3000 exemplaires pourraient être construits.

Plusieurs autres pays, dont la Grande-Bretagne à hauteur de 10 % ainsi que les Pays-Bas et la Norvège sont déjà associés au projet. Lockheed Martin et Boeing sont en concurrence pour la conception et la construction du jet.

SUSURLUK SUITE : UN AUTRE ACTEUR-CLÉ VICTIME D’UN ACCIDENT !


Ibrahim Sahin, ancien directeur adjoint du bureau des opérations spéciales et inculpé dans l’affaire de Susurluk, affaire mettant en lumière les liens entre la mafia et l’Etat, a eu un accident de la route le 29 mars 2000 sur la route de Gemlik. Conduisant un jeep dernier modèle, ses proches ont trouvé " trouble " que les roues du véhicule, double épaisseur, puisse sans raison apparente éclater et qu’une direction assistée puisse subitement virer à droite. Ibrahim Sahin a été conduit aux urgences et bénéficie de soins intensifs. De nombreux journalistes dépêchés sur les lieux ont relaté que toutes les têtes d’affiches mises en cause dans l’affaire de Susurluk ont fait leur apparition à l’hôpital avec une horde de gardes de corps, mais que les journalistes et même les visiteurs des autres patients y ont été interdits d’accès.