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POINT SUR LA SITUATION EN TURQUIE

CILDEKT
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Liste
NO: 15

23/11/1995

  1. NOUVEAU PROCÈS D'OPINION CONTRE LE DÉPUTÉ HATIP DICLE DÉJÀ CONDAMNÉ À 15 ANS DE PRISON
  2. LES CONDAMNATIONS DU SOCIOLOGUE TURC ISMAIL BESIKÇI POUR DÉLIT D'OPINION ATTEIGNENT DÉSORMAIS 200 (DEUX CENTS) ANS DE PRISON
  3. UN AN DE PRISON POUR L'ÉDITEUR D'UN RECUEIL DE CHANSONS POPULAIRES KURDES
  4. INTERDICTION D'UN ROMAN ET LA SAISIE D'UN
  5. LA COUR CONSTITUTIONNELLE TURQUE ANNULE DEUX DISPOSITIONS DE LA LOI ÉLECTORALE MAIS LE SCRUTIN POURRAIT AVOIR LIEU LE 24 DÉCEMBRE
  6. LE VOTE SUR LA RATIFICATION DE L'UNION DOUANIÈRE AURA LIEU LE 13 DÉCEMBRE 1995
  7. SOUTIEN DE FELIPE GONZALES A L'UNION DOUANIÈRE EN ÉCHANGE DU SOUTIEN TURC AU CANDIDAT ESPAGNOL POUR LE POSTE DE SECRÉTAIRE GÉNÉRAL DE L'OTAN
  8. RÉACTIONS A L'OCTROI DU PRIX SAKHAROV A LEYLA ZANA
  9. MESUT YILMAZ: «;IL N'Y AURA PAS DE DÉMOCRATIE EN TURQUIE SANS LE RÈGLEMENT DU PROBLÈME KURDE»
  10. LE PROCUREUR DEMIRAL A REJOINT LE COLONEL TÜRKES
  11. DÉFECTIONS DU CHP


NOUVEAU PROCÈS D'OPINION CONTRE LE DÉPUTÉ HATIP DICLE DÉJÀ CONDAMNÉ À 15 ANS DE PRISON


La Cour de Sûreté de l'État n° 2 d'Istanbul a intenté, le 20 novembre, un nouveau procès contre le député kurde Hatip Dicle, pour «outrage à la Cour». Elle reproche au député kurde de Diyarbakir, ancien président du Parti de la Démocratie (DEP), un article paru dans le numéro du 9 août 1995 du quotidien Yeni Politika ou il critiquait le fonctionnement et le caractère politique et inquisitorial des cours de Sûreté de l'État, en particulier celle d'Ankara qui venait de le condamner à 15 ans de prison pour délit d'opinion. Pour ce nouveau chef d'inculpation Hatip Dicle est passible de 6 ANS DE PRISON, en vertu de l'article 159/1 du code pénal turc.

LES CONDAMNATIONS DU SOCIOLOGUE TURC ISMAIL BESIKÇI POUR DÉLIT D'OPINION ATTEIGNENT DÉSORMAIS 200 (DEUX CENTS) ANS DE PRISON


Cet universitaire turc, auteur de 31 livres et de nombreux articles pour l'essentiel consacrés aux Kurdes et à la critique de la politique ultranationaliste d'Ankara envers le peuple kurde fait l'objet de 103 procès pour «propagande séparatiste». Selon le quotidien Turkish Daily News du 17 novembre qui se livre au décompte laborieux des peines déjà prononcées, M. Besikçi a, à ce jour, déjà été condamné à un total de 200 ans de prison. Selon ses avocats, sur ce total la cour de Cassation a déjà confirmé 41 ans de prison et une amende globale de 3 milliards 576 millions de livres turques. D'autres procès se poursuivent. Le sociologue turc qui entend défendre «;l'honneur de la science et celui du peuple turc» a déjà passé 14,5 ans dans les prisons turques pour délit d'opinion. 27 de ses 31 livres sont interdits en Turquie. Le 27 septembre dernier l'Union des écrivains norvégiens lui a décerné son Prix de la liberté d'expression. M. Besikçi qui avait auparavant décliné plusieurs distinction occidentales pour dénoncer l'hypocrisie «;des pays qui arment et financent les régimes oppressifs et tyranniques et croient pouvoir se donner bonne conscience avec ce genre de Prix» a, «;par respect pour ses collègues norvégiens qui n'y sont pour rien dans la tragédie des Kurdes», accepté qu'en son nom l'Association des droits de l'homme de Turquie reçoive ce Prix.

UN AN DE PRISON POUR L'ÉDITEUR D'UN RECUEIL DE CHANSONS POPULAIRES KURDES


La Cour de Sûreté de l'État d'Ankara a, le 17 novembre, condamné l'éditeur Mehmet Bayrak à un an de prison ferme et une amende de 100 millions de livres turques pour «;propagande séparatiste» dans un recueil, en turc, de chansons traditionnelles kurdes publié par sa maison d'édition Özge à Ankara.

INTERDICTION D'UN ROMAN ET LA SAISIE D'UN


L'amendement cosmétique de l'article 8 de la loi anti-terreur a certes permis l'élargissement à ce jour de 91 prisonniers d'opinion mais la législation liberticide étant, pour l'essentiel, restée inchangée, les Cours de Sûreté de l'État turques poursuivent leur besogne de routine. Ainsi le 15 novembre la Cour de Sûreté de l'État n° 4 d'Istanbul a saisi et interdit la diffusion d'un roman de l'écrivain turc A. Kadir Konuk intitulé «;Dagdan kopan özgürlük» (La liberté venant des montagnes). Le même jour, la même Cour a décidé la saisie du n° 26 de l'hebdomadaire bilingue turc-kurde Ronahî (Clarté) pour «;propagande séparatiste». Le même jour à l'heure même où une quinzaine d'intellectuels et éditeurs turcs tenaient une conférence de presse au siège stambouliote de l'Association des droits de l'Homme pour dénoncer «;La supercherie de la modification de l'article 8 et l'hypocrisie des Occidentaux qui applaudissent à ces prétendus progrès», le journaliste kurde Recep Marasli, qui a déjà passé 15 ans dans les prisons turques pour délit d'opinion, comparaissait devant la Cour de Sûreté de l'État d'Istanbul dans le cadre de l'un des 30 procès d'opinion qui lui sont intentés.

LA COUR CONSTITUTIONNELLE TURQUE ANNULE DEUX DISPOSITIONS DE LA LOI ÉLECTORALE MAIS LE SCRUTIN POURRAIT AVOIR LIEU LE 24 DÉCEMBRE


Statuant sur le recours en annulation présenté par 90 députés, la Cour a annulé une disposition de la loi électorale récemment adoptée instituant, outre le barrage national de 10% de suffrages, des barrages régionaux élevés (25%) variant d'une province à l'autre. Elle a par ailleurs demandé que les 100 sièges dits de «;députés de Turquie» ne correspondant à aucune base territoriale et répartis entre les «;grands partis» ayant franchi les barrage national et régionaux soient distribués entre les circonscriptions au prorata de la population de celles-ci. Cet arrêt, rendu le 18 novembre, ne donne pas suite aux objections concernant la non actualisation des registres électoraux dans un pays où il a y eu des déplacements massifs de populations. Apparemment mécontente de voir sa ruse de guerre de barrages régionaux visant à éliminer les petits et moyens partis du Parlement soit annulée, Mme. Çiller a engagé d'intenses négociations avec le parti islamiste en vue du vote en commun d'une nouvelle loi instituant sous une autre forme ces barrages au bénéfice des grands partis et au détriment notamment de son partenaire de coalition, le Parti républicain du peuple. Devant la menace de démission de M. Baykal, elle a dû renoncer à ce projet de flirt avec les islamistes contre qui, par ailleurs, notamment en Europe, elle se présente comme «;un rempart». Des observateurs font remarquer que la Turquie, qui a pourtant une certaine habitude de crises et de retournements, n'avait jamais connu une telle confusion politique.

LE VOTE SUR LA RATIFICATION DE L'UNION DOUANIÈRE AURA LIEU LE 13 DÉCEMBRE 1995


C'est ce qu'a décidé le 22 novembre à Bruxelles la Commission des Affaires étrangères du Parlement européen. Celle-ci a par ailleurs décidé de reporter au 11 décembre le vote sur le rapport de son rapporteur spécial Carlos Carnero. Dans ce rapport, l'eurodéputé espagnol estime notamment que la ratification serait, dans les conditions actuelles, «;une grave erreur». Au cours du débat de la Commission l'ancien Premier ministre français Michel Rocard a déclaré qu'il voterait en faveur de la ratification parce que une fois dans l'Union douanière la Turquie qui n'a pas une culture de droits de l'homme, pourrait évoluer grâce à son dialogue avec l'Europe. De son côté le président du Groupe des Libéraux, M. De Vries, en visite à Ankara a demandé «;une amnistie pour tous les prisonniers d'opinion», demande également formulée par le ministre des Affaires étrangères allemand, M. Kinkel, lors de sa rencontre, le 22 novembre à Bonn, avec son homologue turc D. Baykal. Celui-ci a reçu le soutien public de ses collègues allemand, français, britannique, espagnol et italien pour la ratification de l'union douanière. La Turquie continue de mobiliser toute sa diplomatie pour cette ratification. Au moment où son vice-premier ministre était à Bonn, Mme. Çiller se trouvait à Londres pour y rencontrer le Premier ministre britannique ainsi que le leader travailliste Tony Blair.

Selon la presse turque, M. Major aurait promis de soutenir la Turquie à la fois pour l'union douanière et pour l'interdiction de la chaîne de télévision kurde par satellite MED-TV, émettant de Londres, que le gouvernement turc qualifie d'organe de «;propagande du PKK». Le Premier ministre turc a cru pouvoir se prévaloir du soutien de M. Blair aussi, mais le secrétaire de celui-ci a immédiatement démenti et rappelé les exigences du Parti travailliste en matière des droits de l'homme ainsi que sur les problèmes kurde et chypriote..

SOUTIEN DE FELIPE GONZALES A L'UNION DOUANIÈRE EN ÉCHANGE DU SOUTIEN TURC AU CANDIDAT ESPAGNOL POUR LE POSTE DE SECRÉTAIRE GÉNÉRAL DE L'OTAN


Au retour de sa visite à Madrid, le 16 novembre, Mme. Çiller s'est vantée d'avoir obtenu le soutien de M. Gonzales et des socialistes espagnols au Parlement européen à la ratification de l'accord d'union douanière grâce à son engagement d'appuyer la candidature du ministre espagnol des Affaires étrangères pour le poste du secrétaire général de l'OTAN. Elle n'a pas manqué de souligner à cette occasion que si le Parlement européen ratifie cet accord ce serait grâce à elle, et à elle seule et que le peuple turc saura en tenir compte lors de prochaines élections.

RÉACTIONS A L'OCTROI DU PRIX SAKHAROV A LEYLA ZANA


Le Prix Sakharov pour la liberté de pensée du Parlement européen décerné cette année à la députée kurde emprisonnée, Leyla Zana, a été accueilli avec modération par le gouvernement turc. Les médias ont accordé une place réduite à l'événement et à ses réactions; les uns se lamentent que «;malgré plus de 2000 lettres et télégrammes envoyés par des citoyens du Sud-Est» mobilisés pour l'occasion par la police politique turque pour demander au Parlement européen de «;ne pas récompenser une terroriste» les euro-députés aient, une fois de plus été «;injustes avec les Turcs». Les autres affament que ce prix est juste «;un lot de consolation pour les Kurdes résultant d'un marchandage entre les groupes et que désormais la ratification de l'union douanière sera plus facile. Au Parlement européen le débat reste assez vif à ce sujet. La candidature de Mme. Zana avait, le 18 octobre, obtenu le soutien de la majorité absolue des membres de la Commission des Affaires étrangères et la Commission des droits de la femme s'était unanimement exprimée en faveur de sa candidature. Les présidents des quatre groupes politiques au Parlement européen qui avaient soutenu la candidature de Mme. Zana ont, le jour même de l'attribution du Prix, envoyé un message de félicitations à la lauréate dans sa prison, à Ankara. Mme. Pauline Green, présidente du Groupe des socialistes européens qui, tout en soulignant l'importance du «;message» émis à l'attention des autorités d'Ankara a déclaré qu'«;en célébrant le combat de Leyla Zana pour la défense des droits du peuple kurde, nous indiquons clairement la préoccupation des Européens quant au respect des droits de l'Homme et au traitement des minorités en Turquie. Si les autorités turques entendent continuer l'an prochain leurs négociations sur l'union douanière avec les pays de l'Union européenne, il leur faut entreprendre immédiatement de véritables réformes dans de nombreux domaines, notamment dans le respect des droits de l'Homme». Quant à Mme. Claudia Roth, présidente des Verts européens, elle a qualifié ce prix «;comme un signe d'amitié envers tous ceux en Turquie épris de démocratie, des droits de l'Homme et d'une solution pacifique du problème kurde» et d'ajouter: «;Ce prix démontre que les représentants démocratiquement élus en Europe ne considèrent pas tout simplement la Turquie comme un partenaire commercial et comme allié stratégique de l'OTAN mais la voient également à travers ses populations et leurs aspirations à la démocratie et à la paix civile». La candidature de Mme. Zana qui avait également été soutenu par le groupe fédéral de la Gauche unitaire Européenne et Gauche Verte Nordique (GUE/NGL) dont le président, M. Alonso J. Puerta, s'est exprimé dans les termes suivants: «;Cette décision constitue une réponse à la Cour de Cassation turque qui, au défi de l'opinion internationale, a confirmé le 26 octobre la sentence de 15 années de prison prononcée à l'encontre de Mme. Zana». M. Puerta a par ailleurs estimé que le Parlement européen ne devrait pas accorder son avis conforme à l'union douanière. Les autres groupes du Parlement n'ont pas commenté l'événement.

MESUT YILMAZ: «;IL N'Y AURA PAS DE DÉMOCRATIE EN TURQUIE SANS LE RÈGLEMENT DU PROBLÈME KURDE»


A quelques semaines des élections législatives du 24 décembre, des hommes politiques turcs soucieux de s'attirer les bonnes grâces des électeurs kurdes promettent à nouveau «;le règlement prochain» de leurs problèmes. Le parti islamiste Refah promet «;la fin de la guerre entre musulmans». M. Baykal dont le parti avait déjà, avant les élections de 1991, élaboré un «;projet de règlement du problème kurde», resté lettre morte, après la participation de ce parti au pouvoir, promet également de «;régler le problème dans le cadre de la démocratie après les élections». Mme. Çiller ayant un lourd passif dans ce domaine et qui cherche surtout les suffrages de l'électorat nationaliste turc se contente de vagues promesses «;de développement et de reconstruction de la région». Dans ce contexte, le chef conservateur du Parti de la Mère-Patrie (ANAP) pense avoir plus de chances de séduire les électeurs kurdes. Après avoir rendu une «;visite surprise» à l'écrivain Yachar Kemal, Kurde et défenseur des droits du peuple kurde, il a déclaré que «;le règlement du problème kurde est devenu pour lui un devoir d'honneur» et qu'il va «;y consacrer les 5 prochaines années de sa vie quoi qu'il en coûte à sa carrière politique». Il a par ailleurs offert 5 places éligibles sur sa liste à Cem Boyner et ses amis réformistes du Parti de la Nouvelle Démocratie (YDH) dont l'élan rénovateur a été vite étouffé et marginalisé par les grands médias contrôlés par Mme. Çiller.

LE PROCUREUR DEMIRAL A REJOINT LE COLONEL TÜRKES


Avoir pris sa retraite, l'ancien procureur général de la Cour de Sûreté de l'État d'Ankara qui a fait jeter en prison des centaines d'intellectuels et hommes politiques kurdes et turcs pour délit d'opinion et qui n' a cessé de demander la pendaison des députés kurdes du Parti de la Démocratie (DEP), a officiellement rejoint les rangs du Parti de l'Action Nationaliste (MHP) du colonel Türkes. Au cours d'une cérémonie organisée le 16 novembre au siège de ce parti M. Demiral a expliqué son choix par «;la volonté ferme et claire de ce parti de rassembler la Grande Nation Turque et n'accorder aucun droit de vie aux traîtres à la patrie». Le mot d'ordre de ce parti «;aime la Turquie ou quitte-la» me convient tout à fait a-t-il ajouté avant de conclure : «;Les militants de ce parti appellent leur chef Türkes «;Basbug» (équivalent turc du Führer); moi je pourrait l'appeler le Leader et prolongeant la maxime d'Ataturk «;Quel bonheur de se dire Turc» je dirai «;quel bonheur d'être au MHP».

DÉFECTIONS DU CHP


A l'approche des élections législatives, le Parti Républicain du Peuple (CHP) de M. Baykal qui risque de ne pas franchir la barre de 10% des suffrages et, de ce fait, de ne plus être représenté au Parlement, subit de nombreuses défections. Au cours des derniers jours trois députés de ce parti dont Salih Sümer, ancien ministre et Kamer Genç, vice-président du groupe parlementaire du CHP et vice-président de l'Assemblée Nationale turque, ont rejoint le Parti de la Juste Voie de Mme. Çiller. Deux autres députés - Mumtaz Soysal, ancien ministre des Affaires étrangères et Tahir Köse, ancien ministre - accusant le CHP de manquer de principes et d'avoir servi de faire valoir à Mme. Çiller, ont démissionné de ce parti pour rejoindre les rangs du Parti de la Gauche démocratique (DSP) de Bulent Ecevit. Ayant des personnalités souvent conflictuelles, M. Soysal et B. Ecevit ont cependant en commun un engagement militant pour la réhabilitation de Saddam Hussein et de son régime «;au nom de la lutte contre l'impérialisme et des intérêts supérieurs de la Nation turque». Par ailleurs, deux autres poids lourds du CHP, l'ancien vice-permier ministre Ismet Inönü et l'ancien ministre de la culture Ismail Cem, ont déclaré qu'ils ne seraient pas candidats aux prochaines élections.