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POINT SUR LA SITUATION EN TURQUIE

CILDEKT
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Liste
NO: 100

10/6/1998

  1. LE PRIX EUROPÉEN DES DROITS DE L'HOMME DÉCERNÉ À LA FONDATION TURQUE DES DROITS DE L'HOMME
  2. LA QUESTION KURDE À L'ORDRE DU JOUR AU PARLEMENT TURC
  3. REPRÉSAILLES COMMERCIALES TURQUES CONTRE LA FRANCE
  4. LIBERTÉ DE PENSÉE AU TRIBUNAL
  5. DEUX NOUVELLES CONDAMNATIONS DE LA TURQUIE À LA COUR EUROPÉENNE DES DROITS DE L'HOMME
  6. ÉLECTIONS ANTICIPÉES PRÉVUES POUR AVRIL 1999
  7. LA PUBLICATION D'UN LIVRE QUALIFIANT LA TURQUIE DE "NARCO-ETAT" ATTISE LA COLÈRE D'ANKARA


LE PRIX EUROPÉEN DES DROITS DE L'HOMME DÉCERNÉ À LA FONDATION TURQUE DES DROITS DE L'HOMME


Le septième prix européen des droits de l'homme, attribué tous les trois ans par le Conseil de l'Europe, a conjointement récompensé, jeudi 4 juin 1998, la Fondation turque des droits de l'homme (IHV), Clara Lubich, fondatrice du Focolare Movement en Italie et le Comité pour l'Administration de la Justice (CAJ) de l'Irlande du Nord suite à une proposition de l'Assemblée parlementaire de l'Organisation.

Institué en 1980, ce prix honorifique vise a "consacrer les mérites d'une personne, d'un groupe de personnes, d'une institution ou d'une organisation non gouvernementale qui ont uvré pour la promotion ou la défense des droits de l'homme conformément aux principes de liberté individuelle, de liberté politique et de prééminence du droit". Parmi les précédents primés se trouvent, la Commission internationale de Juristes (CIJ) en 1980, la Section médicale d'Amnesty International en 1983, MM. Raul Alfonsin et Christian Broda en 1986, M. Lech Walesa et l'International Helsinki Federation of Human Rights en 1989, M. Felix Ermacora et Médecins sans Frontières en 1992 et enfin, MM. Sergei Kovalyov et Raoul Wallenberg en 1995.

Le Comité des Ministres du Conseil de l'Europe a commenté son choix en ces termes: "la Fondation turque des droits de l'hommea joué un rôle exceptionnel dans la défense des droits de l'homme en Turquie au cours des sept dernières années. Sa raison d'être et sa fonction sont d'appliquer, sur le terrain, les valeurs universelles reconnues par les conventions internationales et de contribuer à la lutte pour l'élimination de la torture et des autres violations des droits de l'homme".

La remise du Prix de 1998 est prévue le 2 septembre 1998 au Conseil de l'Europe lors d'un colloque organisé pour commémorer le 50ème anniversaire de la Déclaration universelle des Droits de l'Homme.

LA QUESTION KURDE À L'ORDRE DU JOUR AU PARLEMENT TURC


Un "rapport de migration", préparé par la Commission parlementaire turque de migration, après six mois de travail sera finalement débattu au Parlement turc. Le rapport brise certains tabous et montre différentes perspectives du problème kurde.

Le débat a d'une part montré combien les parlementaires s'intéressaient au sujet; seuls 20 députés sur 550 ont assisté aux discussions. Et pourtant le rapport contenait des allégations ambitieuses sur la question de savoir "qui" avait évacué les 3 428 villages de la région kurde. Le député d'Erzurum, Zeki Erturgay, du parti de la Juste Voie (DYP) a souligné à ce sujet que "35% des migrations de la région sont dues à des raisons économiques; 60% à l'oppression de l'organisation séparatiste; et les 5% restant à l'application de l'administration provinciale", accusant le rapport de calomnier contre l'État. Huseyin Yildiz, membre du parti islamiste de la Vertu (FP), député de Mardin, a répliqué que de nombreux meurtres non élucidés se sont produits dans la région et que les conditions défavorables ont joué à l'avantage des bandes, incitant ainsi des incidents comme celui de l'attentat contre Akin Birdal. M. Yildiz a ajouté qu'une migration forcée a été organisée par l'État sans qu'aucune option n'ait été présentée au peuple. Les députés du DYP et de la Mère Patrie (ANAP-au pouvoir) chahutant dans les rangs en criant "Quelle migration? Quel village a été évacué?", le vice-président du Parlement, Kamer Genç, président la session est alors intervenu en disant "Si vous voulez voir des villages évacués, venez avec moi à Tunceli et voyez la migration et l'embargo de denrées alimentaires dans la région".

Le rapport établit en effet que de nombreux villages ont été évacués après des actions arbitraires des forces de sécurité turques. Pour la première fois depuis l'histoire de la République turque, un rapport parlementaire contient des propositions radicales telles que la reconnaissance de l'identité kurde et l'autorisation des institutions d'enseignement privé pour le kurde. Le rapport demande également la levée de l'état d'urgence, des forces spéciales et du système de protecteurs de village. Selon le rapport toujours, 401 328 personnes (chiffre en dessous de la réalité) ont quitté 3 428 lieux d'habitations, parmi lesquels 905 villages et 2 523 hameaux.

Après le rapport de Susurluk susceptible d'être évoqué par les familles des victimes à l'appui des requêtes à la Cour Européenne des droits de l'homme, ce dernier rapport pourrait également servir de preuves substantielles contre la Turquie.

REPRÉSAILLES COMMERCIALES TURQUES CONTRE LA FRANCE


Offensée et furieuse à la suite de la décision de l'Assemblée française reconnaissant le génocide arménien perpétré par l'empire ottoman en 1915, la Turquie intensifie ses efforts pour empêcher le Sénat français de donner force de loi au texte législatif. "Il y a certains milieux occidentaux qui n'ont pas oublié le traité de Sèvresl'empire ottoman a donné naissance à 26 États à l'exception d'Arméniens et des Kurdes et il n'y aura jamais d'États arménien et kurde en AnatolieLa Turquie reconnaît ses ennemis () Si tous ses ennemis s'efforcent de s'unir contre la Turquie, elle a la capacité de faire face" a déclaré le président turc Suleyman Demirel sur un ton volontiers martial. Mercredi 3 juin 1998, dans une lettre adressée à son homologue français Jacques Chirac, M. Demirel lui a demandé d'user de son influence pour empêcher l'adoption définitive du texte.

De son côté, le ministre de la Défense turc, Ismet Sezgin, a souligné vendredi 5 juin que les compagnies françaises pourraient être écartées d'importants projets de l'armée turque et ajouté que'"en choisissant les pays auxquels la Turquie achètera des matériels militaires, nous prenons en considération, entre autres, la défense ou non de nos thèses par ces pays sur le plan international".

Premières représailles turques dans le secteur commercial civil, la municipalité d'Izmir (Smyrne, troisième ville du pays) a écarté, jeudi 4 juin 1998, trois sociétés françaises de son appel d'offres pour la construction d'une ligne de métro, un contrat de $275 millions (1,5 milliard de francs). En outre, Izmir a décidé de ne pas autoriser les entreprises françaises Cegelec et Sofretu à participer à la Foire commerciale qui s'y tient chaque été. "Nous n'accepterons pas d'offres de sociétés françaises aussi longtemps que la position de la France n'aura pas changé Ils ont une mauvaise interprétation des faits historiques" a expliqué Haluk Narbay, porte-parole de la ville d'Izmir. La direction générale des chemins de fer turcs (TCDD) renouvelle également un appel d'offres pour 60 locomotives représentant 1,2 à 2,4 milliards de francs, remporté pourtant par GEC-Alsthom, franco-britannique fin 1997 dans un précédent appel d'offres, annulé début avril pour "non-conformité technique".

Pour ce qui est du secteur militaire, un contrat de 2,7 milliards de francs entre Aérospatiale et la Turquie pour la fabrication de 10 000 missiles antichars de courte portée Eryx a été reporté à la veille de la signature. Le groupe franco-allemand Eurocopter négocie actuellement un contrat de 15 milliards de francs pour la production en partenariat local de 145 hélicoptères de combat Tigre et Giat Industries pour la production en partenariat d'un millier de chars Leclerc pour 25 milliards de francs.

L'État-major turc menace sérieusement la France de l'inscrire sur la "liste rouge", liste classant les pays écartés des contrats turcs sous prétexte qu'ils ne "défendent [pas les] thèses" de la Turquie, comme le réclame officiellement Ismet Sezgin.

LIBERTÉ DE PENSÉE AU TRIBUNAL


Les intellectuels qui s'étaient associés au livre collectif intitulé "Liberté de Pensée-2", contenant entre autres les discours pour lesquels ont été condamnés l'avocat Esber Yagmurdereli et le syndicaliste Mahmut Konuk , se sont rassemblés pour demander la liberté de pensée sans aucune condition et discrimination. Le procureur de la République de la Cour de Sûreté de l'État d'Ankara (DGM) qui a déclaré qu'"écrire est plus dangereux que fournir de la nourriture et des vêtements" aux militants du Parti des Travailleurs du Kurdistan (PKK), accuse les prévenus d'"avoir aidé un groupe armé illégal, le PKK, en diffusant de la propagande en toute connaissance des caractéristiques du dit livre" et requiert 7 ans et 6 mois de prison sur la base de l'article 169 du code pénal. Tous les intellectuels et leurs avocats- excepté Haluk Gerger, condamné à 20 mois de prison pour avoir rendu public son opinion- étaient présents à l'audience du jeudi 4 juin 1998 où ils se sont défendus pour la première fois- L'audience du 12 mai ayant été boycottée par les protagonistes en guise de protestation contre l'attentat visant Akin Birdal, président de l'Association turque des droits de l'homme.

Can Dundar, M. Tali Öngören, Temel Demirer et Varlik Özmenek, tous journalistes et écrivains, ont souligné à l'appui de leur défense qu'ils gagnaient leurs vies en exprimant leurs opinions. Dundar a ajouté qu'il ne pensait pas que les opinions pouvaient être éradiquées par prohibition. "Une opinion ne peut être qualifiée de bénéfique ou de nuisible. Elle peut être cohérente ou incohérente, mais révélée seulement par la discussion. Comme cela a été précisé dans l'acte d'accusation, nous n'avons pas apporté notre soutien à la violence. En effet, la conception qui interdit la pensée, alimente le soutien de la violence" a-t-il ajouté. Quand à Varlik Özmenek, tout en rappelant les rapports fabriqués de la presse au sujet de l'attentat contre Akin Birdal, a critiqué l'acte d'accusation en soulignant: " Nous pourrions devenir des cibles-comme l'a été Akin Birdal à la suite des déclarations inexistantes- à cause de cette accusation qui nous reproche d'avoir aidé l'organisation illégale". M. Öngören a pour sa part signalé ses 45 ans d'expérience de journaliste et a ajouté "je connais très bien la valeur du pouvoir penser et d'exprimer son opinion. C'est pourquoi j'affirme que toutes les opinions doivent pouvoir être exprimées".

L'audience a été repoussée à une date ultérieure pour réunir des pièces nécessaires au jugement.

DEUX NOUVELLES CONDAMNATIONS DE LA TURQUIE À LA COUR EUROPÉENNE DES DROITS DE L'HOMME


Deux semaines après une double condamnation de la Turquie pour des atteintes aux droits de l'homme, deux autres nouveaux verdicts dans deux affaires distinctes, ont été prononcés, mardi 9 juin 1998, à l'encontre d'Ankara par la Cour européenne des droits de l'homme.

Statuant sur la première affaire, la Cour a jugé que la Turquie avait violé le droit à la liberté d'expression ainsi que le droit à un procès indépendant et impartial d'Ibrahim Incal, un des dirigeants du Parti du Travail du Peuple (HEP) à Izmir, condamné à six mois et vingt jours d'emprisonnement et à une amende, pour avoir fait imprimer des tracts politiques critiquant la gestion de la mairie en juillet 1992.

Dans la seconde affaire, la Cour a statué qu'Ankara n'avait pas mené d'investigations suffisantes concernant la plainte déposée par Salih Tekin, journaliste au quotidien kurde Özgür Gündem, arrêté en février 1993 pour "menaces présumées à des gardes des villages", il avait été torturé à la gendarmerie de Derinsu, puis de Derik, avant d'être libéré.

La Cour a décidé d'allouer à Ibrahim Incal, une indemnité de 30 000 francs et une somme de 15 000 francs pour frais et dépens à titre de dommage moral et à Salih Tekin une indemnité de £ 25 000 pour dommage moral et £ 15 000 pour frais et dépens.

ÉLECTIONS ANTICIPÉES PRÉVUES POUR AVRIL 1999


"Je démissionnerai à la fin de cette année afin de permettre la tenue en avril 1999 d'élections législatives anticipées" a déclaré, mercredi 3 juin, le Premier ministre turc Mesut Yilmaz au cours d'une conférence de presse.

Cette déclaration de M. Yilmaz est le dernier épisode d'un feuilleton qui occupe la classe politique depuis près de deux mois. La coalition gouvernementale comptant à l'Assemblée 224 députés sur 550 a besoin du soutien des 56 députés du Parti Républicain du Peuple (CHP) de M. Deniz Baykal qui réclame inlassablement des législatives anticipées. Ainsi, en l'espace d'un mois, les députés du CHP ont voté deux motions de l'opposition demandant l'ouverture de deux enquêtes parlementaires à l'encontre de M. Yilmaz.

À l'issue d'une rencontre le 23 avril 1998 entre Mesut Yilmaz et M. Baykal, ce dernier avait annoncé qu'ils s'étaient mis d'accord pour organiser des législatives en mars 1999 mais le Premier ministre qui doit encore aujourd'hui convaincre ses partenaires de la coalition, avait alors remis en cause cet accord quelques jours plus tard.

LA PUBLICATION D'UN LIVRE QUALIFIANT LA TURQUIE DE "NARCO-ETAT" ATTISE LA COLÈRE D'ANKARA


Les autorités turques ont vivement critiqué le livre "La mafia turque", publié en mai 1998 par Frank Bovenkerk et Yucel Yesilgöz, deux criminologues de l'Université d'Utrecht (Pays-Bas). L'ambassade de Turquie à La Haye a jugé "raciste" l'ouvrage qui soutient que la mafia turque est "constituée d'un ensemble de réseaux de criminels qui opèrent ouvertement et sous les auspices du gouvernement et de différents mouvements politiques". Les responsables turcs ont accusé l'étude de vouloir dénigrer la Turquie.