Publications

Haut

POINT SUR LA SITUATION EN TURQUIE

CILDEKT
 -
Liste
NO: 99

4/6/1998

  1. LA RECONNAISSANCE PAR L'ASSEMBLÉE NATIONALE FRANÇAISE DU GÉNOCIDE ARMÉNIEN SUSCITE UNE VIVE TENSION AVEC ANKARA
  2. BILAN DU MOIS D'AVRIL DES VIOLATIONS DES DROITS DE L'HOMME EN TURQUIE
  3. ESBER YAGMURDERELI EN PRISON, AKIN BIRDAL DEVANT LES TRIBUNAUX
  4. DOUBLE CONDAMNATION DE LA TURQUIE PAR LA COUR EUROPÉENNE DES DROITS DE L'HOMME
  5. PROJET D'UN TEXTE RELATIF AU PEUPLE KURDE AU CONSEIL DE L'EUROPE
  6. L'EDUCATION AU KURDISTAN
  7. CONDAMNATIONS (SUITE)


LA RECONNAISSANCE PAR L'ASSEMBLÉE NATIONALE FRANÇAISE DU GÉNOCIDE ARMÉNIEN SUSCITE UNE VIVE TENSION AVEC ANKARA


L'Assemblée nationale a adopté vendredi 29 mai 1998, en première lecture et à l'unanimité des présents, une proposition de loi socialiste disposant dans son article que "la France reconnaît publiquement le génocide arménien de 1915". Ausitôt, la Turquie a fait part de sa "déception" et les médias turcs ont déclenché une virulente campagne de presse contre la France.

"La décision prise aujourd'hui par les députés français n'a aucune autre signification qu'une falsification des faits historiques", a affirmé le président turc Suleyman Demirel. Le vice-Premier ministre Bulent Ecevit a souligné de son côté:"la France nous semblait être le plus proche allié de la Turquie au sein de l'Union européenne. Nous constatons que nous avons été trompés. C'est extrêmement dur". M. Ecevit qualifie la proposition de "déformation historique", alors que le rapporteur du texte, le socialiste René Bousquet rappelle que "le total des morts oscille entre 1 500 000 selon les publications arméniennes et 800 000, chiffre reconnu en 1919 par le ministre de l'Intérieur turc et accepté par Mustafa Kemal".

Dans une lettre adressée à son homologue français, Lionel Jospin, le Premier ministre turc, Mesut Yilmaz écrit que "le peuple turc ne peut accepter l'utilisation du terme "génocide" pour décrire les tristes événements qui se sont produits durant la Grande Guerre et il se sent injustement accusé d'un crime qu'il n'a pas commis, à une époque marquée par de grandes souffrances des deux côtés".

La Turquie reconnaît la réalité de massacres mais rejette toute motivation "génocidaire". En marge d'une réunion de l'OTAN à Luxembourg, le ministre français des affaires étrangères, Hubert Védrine et son homologue turc, Ismail Cem s'étaient rencontrés jeudi 30 mai 1998 pour débattre de cette proposition de loi. Ismail Cem avait fait savoir que les bonnes relations politiques et commerciales franco-turques pourraient se détériorer si celle-ci était adoptée. Les pressions sont toujours d'actualité puisque le Sénat devrait examiner ce texte à l'automne. La Turquie envisage d'ores et déjà d'exclure les entreprises françaises de ses prochains appels d'offres dans le secteur de la défense. La France, interressée par des contrats faramineux de vente d'armes- qui souhaite notamment vendre des hélicoptères et des chars à la Turquie- a d'ores et déjà eu des avertissements du ministre de la Défense turc, Ismet Sezgin qui déclarait au quotidien Sabah que son pays allait "rééxaminer les relations de l'industrie de la défense" avec la France.

BILAN DU MOIS D'AVRIL DES VIOLATIONS DES DROITS DE L'HOMME EN TURQUIE


Le bilan du mois d'avril des violations des droits de l'homme rendu public le mardi 26 mai se présente comme suit:
Meurtres non élucidés:12
Condamnations extrajudiciaires, morts à la suite de tortures subies ou morts en garde à vue:9
Actions à l'encontre de civils:2 morts
28 blessés
Disparitions:4
Personnes torturées:70
Personnes placées en garde à vue:5 579
Nombre de personnes arrêtées:117
Nombre d'associations, de syndicats, d'organes de presse fermés: 8
Nombre de publications saisies ou interdites: 22
Détenus pour délits d'opinion: 133


ESBER YAGMURDERELI EN PRISON, AKIN BIRDAL DEVANT LES TRIBUNAUX


À l'approche du sommet de Luxembourg, alors que la Turquie nourissait encore l'idée de devenir candidat à part entière à l'Union européenne, les autorités turques avaient crû pouvoir apaiser les Européens en promettant d'améliorer la situation des droits de l'homme. Et c'est dans ce cadre qu'en novembre dernier Ankara a libéré pour "raison de santé" Esber Yagmurdereli, avocat turc, condamné à 22 ans de prison pour "propagande séparatiste" Mesure sans précédent sur laquelle une Turquie exclue de l'Union européenne revient maintenant sans complexe.

Lundi 1er juin, Esber Yagmurdereli a été reconduit à la prison après qu'il a refusé de fournir un rapport médical qui aurait pu lui conférer une éventuelle grâce. Proclamant son innocence, Yagmurdereli a écarté toute libération établie exclusivement sur des raisons de santé. "La liberté d'expression ne devrait pas être un crime" a-t-il déclaré aux journalistes.

Par ailleurs la justice turque continue de poursuivre Akin Birdal qui vient d'échapper miraculeusement à un attentat et qui a subi le 3 juin une nouvelle opération chirurgicale. Entre autres, elle lui reproche un discours prononcé au cours d'une conférence sur la question kurde-"la Paix en Turquie; Conférence internationale pour un dialogue sur la question kurde"- organisée par l'Association italienne des droits de l'homme à Rome les 18 et 19 avril 1997. Mardi 2 juin 1998, le procureur d'Ankara a accusé A. Birdal et Refik Karakoç, président du Parti de la Démocratie et de la Paix (DBP), de "soutien aux organisations armées illégales". Ils risquent entre 4 ans et 6 mois et 7 ans et 6 mois de prison en vertu de l'article 169 du code penal. Pendant ce temps, le président de l'IHD doit faire face à un autre procès intenté contre son Association des droits de l'homme devant le Tribunal de Grande Instance d'Ankara. Mardi 3 juin, le gouverneur d'Ankara invoquant l'inconstitutionnalité de l'article 5 des statuts de l'Association devant le TGI a demandé son interdiction.

De son côté, le procureur de la Cour de Surêté de l'Etat d'Ankara a accusé l'ex-Premier ministre Necmettin Erbakan, président du parti de la Prospérité (RP-dissous) d'"incitation à la haine", crime sanctionné de 4 ans et cinq mois de prison. À partir de cassettes vidéo saisies, il est reproché à M. Erbakan d'avoir déclaré en 1993 dans son discours de la Mecque "Mon Dieu, nous nous présentons devant toi comme les soldats de ton armée de djihad". De plus, M. Erbakan est poursuivi dans une autre affaire, toujours pour "incitation à la haine", devant la Cour de Surêté de l'Etat de Diyarbakir pour son discours prononcé à Bingöl: "Si vous faites dire aux enfants à l'école; je suis turc, juste et travailleur, d'autres estimerons avoir le droit de dire; Et moi je suis Kurde, plus juste et travailleur". Pour la justice turque le fait même de se dire kurde est un crime.

DOUBLE CONDAMNATION DE LA TURQUIE PAR LA COUR EUROPÉENNE DES DROITS DE L'HOMME


La Cour européenne des droits de l'homme a, lundi 25 mai 1998, condamné la Turquie dans deux affaires distinctes.

Statuant sur l'interdiction du Parti Socialiste, la Cour a jugé que la Turquie avait violé les dispositions relatives à la liberté d'association garantie par la Convention européenne des droits de l'homme- dont elle est signataire- en interdisant ce dernier, fondé en 1988 et dissous par la Cour constitutionnelle turque pour avoir "fait la distinction entre les nations turque et kurde au détriment de l'intégrité territoriale de la Turquie".

La Cour a considéré que rien ne justifiait l'interdiction d'un groupe qui ne faisait pas usage de la violence même si ses arguments politiques irritaient les autorités. "La dissolution du Parti Socialiste (SP) a été disproportionnelle par rapport au but poursuivi et par conséquent inutile dans une société démocratique" a-t-elle jugé. À titre de dommages et interêts, un montant de 50 000 francs a été accordé au président de SP, Ilhan Kirit et à Dogu Perinçek, ancien président du SP. La Cour qui s'était prononcée sur une affaire similaire en janvier 1998 concernant l'interdiction du Parti Communiste Unifié de Turquie, a souligné qu'elle ne pouvait ordonner l'annulation des dites interdictions prononcées à l'encontre des partis.

Statuant sur le cas d'Uzeyir Kurt, jeune Kurde de la région de Bismil porté disparu depuis son arrestation en novembre 1995, intervenue au cours des affrontements opposant les forces de sécurité turques et le Parti des Travailleurs du Kurdistan (PKK), la Cour a jugé que la Turquie avait violé l'article 5 de la Convention et a accordé la somme de $40 000 à Koceri Kurt, la mère de la victime à titre de dommages.

PROJET D'UN TEXTE RELATIF AU PEUPLE KURDE AU CONSEIL DE L'EUROPE


L'Assemblée générale du Conseil de l'Europe, dont la Turquie est membre, se prononcera sur un rapport relatif à la question kurde les 22 et 26 juin 1998. Le texte qui a été élaboré par la Commission des migrations, des réfugiés et de la démographie, a d'ores et déjà été présenté lors de la réunion de la commission le 29 mai 1998 à Paris. "Le rapport est destiné à éclaircir les raisons de l'exode forcé au Sud-Est de la Turquie et au nord de l'Irak, tout particulièrement exercé contre le peuple kurde, et par conséquent de déterminer à partir de ces éléments les besoins de première nécéssité de la population civile".

Ledit rapport souligne "l'exode de masse forcé du peuple kurde des villages kurdes et l'incendie des maisons", la "présomption d'une politique d'éclatement du peuple kurde" et demande à la Turquie "de se conformer aux principes du Conseil de l'Europe". Il releve qu'"il est nécessaire d'abandonner les armes à l'encontre du peuple kurde" et "de signer la décision-cadre relative à la protection des minorités nationales", appelle à la "levée du système des protecteurs de villages" et demande que soit allouées "des indemnités pour préjudice matériel" au profit des personnes qui ont vu leurs "biens détruits par les forces de sécurité turque au Sud-Est.

L'EDUCATION AU KURDISTAN


Dans une interview accordée au quotidien Turkish Daily News, le ministre d'Etat en charge du Projet du Sud-Est (GAP), Mehmet Salih Yildirim a apporté ses observations sur la situation actuelle dans les provinces kurdes:

"Il existe beaucoup de problèmes au niveau de l'éducation. Le taux d'illetrisme dans le région est de 60% et au Sud-Est d'Anatolie il atteint les 65%. 61% des femmes sont incapables de lire et écrire et la moitié d'entre elles ne peuvent parler le turc! Maintenant c'est à vous d'en jugerNous devons être réaliste. 32% des écoles de la région sont fermées. 45% des instituteurs nommés, y refusent leurs fonctions". Interrogé sur la question de la langue kurde il a rétorqué qu'il ne pensait pas que "l'éducation en kurde soit quelque chose de réellement indispensable".

Si on prenait en considération Batman, une ville kurde de la région, sur 223 écoles fermées, seules 23 ont pu ouvrir au cours de l'année. Autour de Batman, 163 écoles primaires des zones rurales, dont 31 à la suite des déplacements de population, restent fermées. Sur environ 4000 élèves issus de ces villages, la moitié, soit 2 559 n'ont pu avoir accés à l'éducation.

CONDAMNATIONS (SUITE)


La 8ème chambre criminelle de la Cour d'Appel a confirmé, vendredi 29 mai 1998, la sentence condamnant le journaliste et écrivain turc Haluk Gerger. Si la condamnation devient effective il purgera 20 mois de prison et restera donc derrière les barreaux jusqu'en fevrier 2000. La Cour de Surêté de l'Etat l'avait condamné précédemment pour un article dans le quotidien turc Evrensel intitulé "la région d'état d'urgence (OHAL) et l'opération Providing for Comfort (OPC)".

Par ailleurs, un adolescent de 18 ans a également été condamné à une peine de 10 mois de prison avec sursis pour avoir critiqué la police sur Internet. Il était reproché au jeune homme d'avoir pris à partie en décembre des policiers qui avaient malmené un groupe d'aveugles en train de manifester à Ankara. Il a été dénoncé à la police par "un autre" internaute.