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Bulletin N° 263 | Février 2007

 

MASSOUD BARZANI DÉFEND LE DROIT NATUREL DES KURDES Á L’INDÉPENDANCE

Le Président du Kurdistan irakien, Massoud Barzani a, le 26 février, appelé la Turquie à des pourparlers directs pour mettre fin aux tensions qui résultent de l'utilisation du Kurdistan irakien comme base arrière par les combattants kurdes de Turquie dans un entretien télévisé à la chaîne NTV. « Le dialogue est le meilleur moyen de résoudre les problèmes et les malentendus », avait-il déclaré. Il a également insisté sur le fait que l'indépendance constituait « un droit naturel » des Kurdes de la région et rappelé que les Kurdes irakiens veulent intégrer Kirkouk à leur région autonome. Cette ville pétrolière est « le cœur du Kurdistan », a-t-il ajouté. Massoud Barzani a indiqué à la télévision turque que les pays de la région devraient accepter que les Kurdes aient le droit à l'indépendance. Ce rappel des droits des Kurdes à l’autodétermination a suscité de vives critiques de la part des dirigeants politiques turcs. Le ministre turc des affaires étrangères, Abdullah Gul, a le lendemain accusé Massoud Barzani, d'être « irrationnel ». « Une direction irrationnelle et des rêves maximalistes au Moyen Orient ont toujours plongé les peuples dans des conflits », a déclaré M. Gul à des journalistes dans un avion le ramenant d'une visite en Afghanistan. Il a estimé que les remarques de M. Barzani étaient « irresponsables dans un contexte, particulièrement en Irak, où la situation est critique et où la Turquie poursuit une politique constructive ». De son côté le Premier ministre Recep Tayyip Erdogan avait déclaré le 26 février à l’agence de presse turque semi-officielle Anadolu, en réaction aux propos de M. Barzani, que « Kirkouk constitue un Irak en miniature et n'est la propriété d'aucun groupe ethnique en bien propre ».

L’attachement des Kurdes pour Kirkouk est loin d’être lié à la seule richesse de son sous sol puisque l’exploration dans d’autres régions du Kurdistan attire de plus en plus les investisseurs. D’autant plus que le gouvernement irakien, a approuvé le 26 février le projet de loi sur les hydrocarbures. Par ce texte une sécurité juridique est offerte aux Kurdes, puisque d'importants gisements ont été découverts au Kurdistan et les experts s'attendent à de nouvelles découvertes alors que leurs réserves prouvées ne représentent que 2,9% de celles de l'Irak. Surtout, les grandes compagnies pétrolières devraient être plus encouragées à investir dans la région kurde, plutôt épargnée par les violences. « Les Kurdes ont largement atteint les objectifs qu'ils s'étaient fixé », a estimé le 27 février Alex Munton, un analyste qui a suivi de près les négociations pour le compte du cabinet de consultants spécialisé en énergie Wood Mackenzie.

Le gouvernement de la région du Kurdistan a dû faire quelques concessions puisqu’il ne gérera pas directement les revenus pétroliers des gisements sur son territoire, dont l'exploitation a commencé. En échange toutefois, il pourra superviser l'exploitation. « Les contrats initiaux seront sous la responsabilité du gouvernement du Kurdistan, puis après un certain temps, transférés à la commission fédérale », a déclaré le porte-parole du gouvernement kurde, Khalid Saleh. Concrètement, ces dispositions permettent aux Kurdes de conserver l'avance acquise auprès d'investisseurs étrangers, et de poursuivre la prospection dans la seule région irakienne où règne une relative stabilité. DNO, une compagnie norvégienne, a déjà conclu un accord avec les autorités kurdes avant même le renversement de Saddam Hussein, et annoncé la découverte d'un gisement à Tawke, à proximité de Kirkouk. Les puits de Tawke pourraient rapidement fournir jusqu'à 50.000 barils de brut par jour à la firme. En acceptant un compromis sur les revenus, le Kurdistan, a confirmé les contrats déjà signés car la loi crée une sécurité juridique, selon les observateurs. Et même s'il partage la manne, il bénéficiera de retombées locales directes en emplois et impôts notamment. Lors d'une allocution diffusée par la télévision publique Al-Iraqia, le Premier ministre Nouri al-Maliki, s'est félicité, en espérant qu'elle aurait « des répercussions positives sur la consolidation des rapports entre toutes les composantes du peuple irakien ». Ce texte, bientôt présenté au Parlement, est le fruit d'un compromis difficile sur un sujet brûlant: les réserves d'or noir, les troisièmes plus importantes du monde, sont concentrées dans le sud chiite et le Kurdistan. Une fois adoptée, la loi devrait permettre une répartition équitable entre les 18 provinces d'Irak. Elle prévoit aussi la supervision du secteur par un organisme fédéral et une entreprise nationale indépendante. Les revenus du pétrole seront versés sur un compte fédéral puis redistribués aux provinces au prorata de leur population, soit 18 à 20% pour les Kurdes. La loi favorisera ainsi l' « unification » du pays, se sont félicitées à l'unisson les autorités irakiennes et américaines.

Le projet de loi devra être examiné par les 275 membres du Parlement. Le gouvernement avait promis de promulguer une nouvelle loi avant la fin de l'année 2006, mais en raison des objections des partis kurdes, aucun accord n'avait pu être entériné. « Cette loi garantira aux Irakiens, pas seulement aujourd'hui mais également pour les futures générations, un contrôle total sur cette richesse naturelle », a souligné le ministre irakien du Pétrole Hussain al-Shahristani.

La Maison Blanche avait souvent été accusée, avant l'intervention en Irak par les troupes américano-britanniques, de chercher à faire main basse sur l'or noir irakien pour les compagnies américaines. Mais, quatre ans après, les majors américains et britanniques du secteur hésitent à s'aventurer en Irak tandis que des entreprises d'Etat, russes et chinoises, tentent de réactiver des contrats signés dans les années 1990 avec l'ex-dictateur Saddam Hussein.

L'Irak possède les troisièmes réserves mondiales prouvées de pétrole, mais est toujours obligé d'importer des produits raffinés et sa production de brut n’a pas encore retrouvé son niveau d'avant 2003 en raison d'infrastructures défaillantes et d'attentats. Elle est actuellement d'environ deux millions de barils par jour et pour l'essentiel sous contrôle de la compagnie nationale irakienne.

PASSE D’ARME ENTRE LE CHEF D’ÉTAT-MAJOR ET LE GOUVERNEMENT TURCS SUR L’OPPORTUNITÉ DE DIALOGUER AVEC LES RESPONSABLES KURDES D’IRAK

Ankara montre une impatience croissante devant la réticence des responsables américains et irakiens à agir contre le parti des travailleurs du Kurdistan (PKK). Le Conseil national de sécurité turc (MGK) s'est, le 23 février, prononcé pour le renforcement des efforts diplomatiques en vue de résoudre le problème posé par le parti des travailleurs du Kurdistan (PKK). Lors d’un point de presse à Washington après des discussions avec des officiels américains, le chef des forces armées turques, le général Yasar Buyukanit, a, le 17 février, accusé les deux principaux partis du Kurdistan irakien de soutenir le PKK et de lui fournir des explosifs. Le général Buyukanit a fait part de son scepticisme au sujet des récentes déclarations du Premier ministre turc, Recep Tayyip Erdogan, se disant disposé à améliorer les relations avec les partis kurdes irakiens « si cela doit contribuer à l'instauration de la paix dans la région ». « Je ne peux pas interférer si des contacts politiques doivent avoir lieu. Mais de quoi dois-je discuter avec ceux qui soutiennent le PKK ? », a-t-il tranché. En revanche, le ministre turc des Affaires étrangères, Abdullah Gül, a rétorqué que le gouvernement rechercherait le dialogue avec tous les groupes irakiens afin de s'assurer que les problèmes sont résolus par des moyens politiques. « Les soldats parlent avec des armes (...) mais avant que l'on en arrive là, les hommes politiques et les diplomates ont du travail à accomplir », a-t-il déclaré à la presse avant de prendre un avion pour l'Arabie saoudite. « Cette question ne devrait pas se transformer en polémique », a ajouté le chef de la diplomatie turque, soulignant que les points de vue du gouvernement et des militaires faisaient partie des mêmes efforts pour résoudre le problème. Pour sa part, le président du Kurdistan irakien, Massoud Barzani a appelé la Turquie à des pourparlers directs pour mettre fin aux tensions. Il a rappelé que la question du PKK est une question politique qui n’a pas de solution militaire. La Turquie a, depuis 1984, effectué une trentaine d’incursions militaires dans la région sans résultats durables. Le PKK est présent sur l’ensemble du territoire de la Turquie, jusqu’à Istanbul, a-t-il rappelé, appelant Ankara à engager un processus politique incluant une amnistie générale. Il a également indiqué que les Kurdes irakiens ne combattraient pas d’autres Kurdes, mais ne permettraient pas l’utilisation de leur territoire pour des actions militaires contre des États voisins. Il a invité Ankara à ne pas chercher des prétextes pour s’immiscer dans les affaires de l’Irak.

De son côté, les Etats-Unis ont déconseillé à la Turquie d'intervenir militairement contre le PKK en territoire kurde irakien, car ils craignent qu'une telle opération ne déstabilise une région d'Irak restée relativement calme. Selon le chef de l'armée turque, quelque 3.500 membres du PKK seraient actuellement stationnés en Irak et 1.500 en Turquie. La secrétaire d'Etat américaine, Condoleezza Rice, a, le 6 février, demandé à son homologue turc de ne pas recourir à la violence contre les combattants du PKK qui trouvent refuge en Irak. « Nous avons dit clairement, évidemment, que nous ne voulions pas voir un recours à davantage de violence » en Irak, a déclaré le porte-parole du département d'Etat, Sean McCormack, relatant une rencontre entre Mme Rice et Abdullah Gül, vice-Premier ministre et ministre turc des Affaires étrangères. En août, Washington a nommé un ancien commandant de l'Otan, le général de réserve Joseph Ralston, comme envoyé spécial américain chargé de coordonner la lutte contre le PKK.

PLAN IRAKO-AMÉRICAIN DE SÉCURISATION Á BAGDAD : 17 000 PERSONNES TUÉES EN 2006 DANS LES VIOLENCES CONFESSIONNELLES

Les services du Premier ministre, Nouri al-Maliki, ont, le 28 février, annoncé dans un communiqué avoir lancé des invitations pour le 10 mars pour une conférence internationale, en ajoutant que le but « de cette conférence est de faire avancer le processus politique, de soutenir les efforts du gouvernement d'union nationale en faveur de la sécurité et la stabilité ». La conférence, devra aussi, précise-t-on de même source, favoriser une « réconciliation nationale ». Parmi les invités figurent les cinq membres permanents du Conseil de sécurité, les six voisins de l'Irak, la Ligue arabe et l'Organisation de la Conférence islamique. Les Etats-Unis et la Syrie ont annoncé qu'ils participeraient, tandis que l'Iran a laissé entendre que sa présence était possible. La France a indiqué qu'elle examinait l'invitation du gouvernement irakien. Selon la secrétaire d'Etat américaine, Condoleezza Rice, une première rencontre doit se tenir en mars au niveau de hauts responsables, suivie d'une deuxième réunion, au niveau ministériel, sans doute en avril « avec les mêmes invités plus le G8 ».

Entre-temps à Washington, le directeur du renseignement national américain, Michael McConnell, a déclaré que la situation politique et sécuritaire en Irak évoluait « dans la mauvaise direction ». Il a aussi estimé que le terme de « guerre civile » décrivait bien « les éléments essentiels du conflit irakien ». « A moins que les efforts visant à inverser cette situation aient réellement des effets dans les 12 à 18 mois (...), nous considérons que la situation de sécurité va continuer à se détériorer », a-t-il précisé devant la commission des Forces armées du Sénat.

Le général américain David Petraeus a, le 10 février, pris le commandement des 140.000 soldats américains et alliés déployés en Irak, avec pour mission d'appliquer une nouvelle stratégie sécuritaire que beaucoup à Bagdad ont qualifié de plan de la dernière chance. « Il est temps pour tous les Irakiens de rejeter la violence, le crime et la corruption et de relever la tête contre ceux qui emploient de telles méthodes », a déclaré le général Petraeus. Il connaît bien l'Irak, où il a passé deux ans et demi après l'intervention américaine de mars 2003. Il a notamment commandé la prestigieuse 101ème division aéroportée, dont le commandement se trouvait à Mossoul et était à ce titre responsable de la région nord. Il a aussi supervisé la remise sur pied des forces irakiennes, jusqu'en septembre 2005. Rentré aux Etats-Unis, il a réécrit le manuel de contre-insurrection de l'armée de Terre.

Son arrivée coïncide avec le début de la mise en place du plan de sécurité pour Bagdad, où près de 17.000 personnes ont été tuées en 2006 dans des violences confessionnelles selon l'ONU. Ce plan, souvent qualifié de « plan de la dernière chance » par les Irakiens, prévoit le déploiement dans la capitale de 35.000 GI's et 50.000 soldats et policiers irakiens. La prise de fonction du général Petraeus intervient après une semaine particulièrement sanglante aussi bien pour les Irakiens que pour les troupes américaines. Le 3 février, Bagdad a été frappée par l'un des attentats les plus meurtriers depuis 2003, lorsqu'un camion piégé a tué 130 personnes sur un marché. Le kamikaze conduisait un camion transportant des denrées alimentaires quand il a fait sauter ses explosifs en fin d'après-midi, détruisant magasins et étals qui étaient installés sur le marché en plein air de Sadriyah, selon la police. Cet attentat sanglant s’inscrit dans une série de violences dirigées contre des cibles principalement chiites à Bagdad. Le marché Sadriyah se trouve dans une rue comptant magasins et vendeurs qui proposent fruits, légumes et autres vivres. Le secteur est largement habité par des Kurdes chiites. Il est situé à seulement 500 mètres environ d'un lieu de pèlerinage sunnite.

Au Kurdistan, un double attentat à la voiture piégée a, le 17 février, fait au moins dix morts et 60 blessés à Rahim Aoua sur un marché bondé de Kirkouk, sous juridiction irakienne. Plusieurs véhicules et boutiques ont été détruits par le feu. Le 15 février, trois gardes du ministre des Affaires étrangères irakien, Hoshyar Zebari, ont été tués dans une embuscade alors qu'ils rentraient chez eux, dans le Kurdistan irakien. Cinq personnes, tous des gardes, voyageaient dans une seule voiture, tombée dans une embuscade au sud de la ville de Kirkouk, trois ont été tuées et deux blessées. Huit bombes avaient, le 3 février, sauté en l'espace de deux heures à Kirkouk. Le premier attentat à la voiture piégée, une attaque-suicide qui visait les bureaux du Parti démocratique du Kurdistan (PDK) de Massoud Barzani, avait fait deux morts et 30 blessés, selon le colonel de police Dichtoun Mohammed. Treize autres personnes avaient été blessées dans plusieurs des déflagrations qui ont suivi. Ces attaques n'ont pas été revendiquées mais certains craignent qu'elles soient le fait des terroristes ayant fui vers le nord pour éviter l'imminent coup de filet à Bagdad. Rizgar Ali, chef du conseil provincial de Kirkouk, a accusé les insurgés de tenter de déstabiliser la ville.

Par ailleurs, le Premier ministre britannique, Tony Blair, a, le 21 février, annoncé que la Grande-Bretagne va réduire ses troupes dans le sud de l'Irak de 7.100 à 5.500 soldats mais y maintiendra des forces en état de combattre. M. Blair n'a pas donné de calendrier précis concernant ce retrait de 1.600 soldats sinon qu'il devrait avoir lieu « dans les prochains mois ». Tony Blair a en revanche précisé que l'armée britannique resterait présente en Irak jusqu'en 2008. De son côté, le Danemark va aussi retirer en août ses troupes terrestres déployées dans le sud de l'Irak et les remplacer par une unité d'hélicoptères, a annoncé le Premier ministre Anders Fogh Rasmussen. Le Danemark compte à l'heure actuelle environ 460 hommes en Irak, dont un bataillon de 430 soldats déployé à Bassorah (sud), sous commandement britannique.

En revanche, les Etats-Unis sont en train de renforcer leur contingent en Irak après l'annonce en janvier dernier par le président américain George W. Bush de l'envoi de 21.500 soldats américains supplémentaires pour rétablir la sécurité à Bagdad et dans la province d'Anbar. Les Etats-Unis comptent plus de 140.000 soldats en Irak. Un plan irako-américain de sécurisation de Bagdad a été lancé le 14 février. Des commerces, fermés en raison de l'insécurité, avaient rouvert et des habitants chassés de leur quartier par les violences entre chiites et sunnites, étaient rentrés chez eux. Conscients de l'échec d'autres opérations de sécurité menées l'an dernier, les dirigeants militaires américains, ont souligné que les activistes étaient susceptibles d'adapter leur tactique et d'observer la situation quelque temps. Plus de 110.000 soldats irakiens et américains participent à l'opération « Imposing law », qui vise à réduire les affrontements qui font des centaines de morts chaque semaine et divisent la capitale selon des critères confessionnels en chassant de chez eux des dizaines de milliers d'habitants.

Les frontières iraniennes et syriennes ont été fermées pendant l'opération de sécurité menée à Bagdad. Le gouvernement irakien affirme que la moitié des extrémistes sunnites responsables des attentats en Irak arrivent en provenance de Syrie. « Nous avons la confirmation que 50% de ces takfiris et de ces assassins qui se prétendent djihadistes arabes arrivent en traversant la frontière syrienne », a déclaré le 4 février le porte-parole du gouvernement, Ali al-Dabbagh, à la chaîne de télévision Al Arabiya, en allusion aux sunnites radicaux autorisant le meurtre de musulmans qu'ils jugent infidèles. « La Syrie ferme les yeux. Comme nous l'avons déjà dit et comme nous le répétons aujourd'hui, nous traversons des jours douloureux et sanglants en Irak en raison du manque de sérieux de la Syrie dans le contrôle de sa frontière », a poursuivi le porte-parole du gouvernement irakien. La Syrie affirme pour sa part faire tout son possible pour contrôler sa longue frontière désertique avec l'Irak. « Le régime syrien dispose de puissants (services de) renseignement et aucun oiseau ne peut survoler le plateau du Golan mais dès qu'il s'agit de (...) l'Irak, ils disent qu'ils n'ont pas l'équipement nécessaire ou qu'il leur manque ci ou ça », a insisté Dabbagh. Le secrétaire général de l'Organisation de la conférence islamique (OCI), Ekmeleddin Ihsanoglu, a, le 12 février, estimé pour sa part que le retrait des troupes américaines d'Irak serait la pire des solutions au vu de la situation « catastrophique » actuelle. Dans une interview accordée à Reuters à l'occasion d'une visite en Indonésie, le responsable de la plus grande organisation musulmane du monde souligne par ailleurs que l'OCI, qui compte 57 membres, a entrepris de lutter contre les idées des « mouvements radicaux, fanatiques et extrémistes » qui « présentent l'islam d'une façon très déformée ».

DAMAS : LE BAAS SYRIEN PRÉVOIT POUR 2007 UN RÉFÉRENDUM POUR ASSURER Á BACHAR AL-ASSAD UN NOUVEAU MANDAT

Le président de l'Organisation nationale des droits de l'Homme en Syrie (ONDHS), Me Ammar al-Qorabi, a, le 17 février, annoncé la libération à Damas du numéro deux du parti de l'Union démocratique kurde (Yekiti-interdit en Syrie) deux mois après son arrestation à Alep. Muheddine Cheikh Aali, avait été arrêté le 20 décembre par les services de sécurité, alors qu'il se trouvait dans un café à Alep en compagnie d'un ami. « Il avait été transféré dans un centre de détention des services de sécurité à Damas, où il a été libéré », a précisé l'avocat. Ce responsable kurde « est un modéré et son arrestation n'était pas justifiée, d'autant qu'il n'a fait l'objet d'aucune accusation », a ajouté Me Qorabi, souhaitant que cette libération soit « un premier pas vers celle de tous les détenus politiques ».

Par ailleurs, la haute Cour de sûreté de l'Etat avait, le 4 février, condamné douze jeunes Kurdes, dont trois mineurs, accusés d' « appartenir à une organisation secrète », à des peines de prison de deux ans et demi à sept ans et demi, selon ONDHS. Ils ont été arrêtés fin 2005, après avoir lancé des cocktails Molotov à Alep, selon le directeur de l'ONDHS, Ammar Qorabi. Parmi eux, figurent trois mineurs, condamnés chacun à deux ans et demi de prison. L'ONDHS demande aux autorités syriennes de supprimer la Haute Cour de sûreté de l'Etat, qui est un tribunal d'exception. En vertu de l'état d'urgence en vigueur en Syrie depuis 1963, les autorités peuvent arrêter des suspects sans mandat de la justice. Environ 2 millions de Kurdes vivent en Syrie, sur une population totale de 18 millions. Il existe en Syrie onze partis kurdes, tous interdits. Leurs responsables se défendent d'avoir des visées sécessionnistes et assurent vouloir la reconnaissance de leur langue et de leurs droits culturels. Par ailleurs, près de 300.000 Kurdes réclament en outre la nationalité syrienne, qui leur a été retirée unilatéralement après un recensement en 1962.

Par ailleurs, le président syrien Bachar al-Assad a, le 17 février, entamé une visite de deux jours en Iran, pour des entretiens notamment avec son allié et homologue iranien Mahmoud Ahmadinejad. Il s'agit de la deuxième visite du président syrien en Iran depuis l'accession au pouvoir, en août 2005, de l'ultraconservateur Ahmadinejad. Accompagné de son vice-président Farouk al-Chareh et du ministre des Affaires étrangères Walid Mouallem, M. Assad a rencontré l'ancien président iranien M. Rafsandjani et s'est également entretenu avec le guide suprême, l'ayatollah Ali Khamenei. Mohammad Saïd Bkhaitane, un haut responsable du parti Baas au pouvoir, a déclaré début février qu’un référendum sur un nouveau mandat de Bachar al-Assad à la tête de la Syrie se tiendra courant 2007. « Le référendum pour un nouveau mandat du président Bachar al-Assad constituera une occasion nationale et patriotique qui permettra au peuple d'exprimer son appui à la politique» de M. Assad, a déclaré M. Bkhaitane, sans avancer de date. Bachar al-Assad « dirige le pays et gère les crises avec sagesse. Il défend avec courage la dignité et les droits » de la Syrie, a encore avancé M. Bkhaitane dans un discours à Damas. «Les prochains mois verront d'autres échéances importantes et démocratiques au cours desquelles le peuple exprimera directement ses choix», a-t-il poursuivi, faisant référence aux élections législatives et municipales prévues également cette année en Syrie. Le 11 juillet 2000, Bachar al-Assad est devenu président de la République syrienne avec plus de 97% des voix à l'issue d'un plébiscite organisé un mois après le décès de son père Hafez al-Assad le 10 juin 2000.

Depuis mai 2004, la Syrie est sous le coup de sanctions économiques américaines qui lui interdisent notamment l'importation de produits américains autres que la nourriture et les médicaments. Selon le Premier ministre syrien, Naji Otri, son pays aurait remplacé le dollar par l'euro dans près de la moitié de ses réserves en devises, dans une démarche préventive contre d'éventuelles sanctions américaines. Le montant des réserves de change de la Syrie n'est pas répertorié dans la liste des quelque 170 pays que l'agence Bloomberg suit de semaine en semaine, car elles sont tenues secrètes. En revanche, la Syrie a annoncé le 1er février avoir adopté une série de lois pour promouvoir les investissements étrangers. Un décret promulgué le 27 janvier autorise notamment les investisseurs à « rapatrier les bénéfices sur les capitaux introduits dans le pays via les banques syriennes ». Il prévoit également « une exonération des taxes douanières sur les moyens de production, y compris les moyens de transport » et la création d'un « organisme de l'investissement en Syrie », selon les textes de lois publiés par les médias officiels. La Syrie estime à 37 milliards de dollars ses besoins en investissements sur les cinq prochaines années.

PARIS : LA CHAMBRE D’INSTRUCTION DE LA COUR D’APPEL REMET EN LIBERTÉ LES KURDES ARRÊTÉS POUR « ACTIVITÉS TERRORISTES » EN FRANCE ET EN Belgique

A la suite de l’arrestation lors d’un coup de filet les 5 et 6 février dans la région parisienne et en Bretagne de quatorze Kurdes et d’un Australien d'origine kurde, régulièrement installés en France, la justice française a, le 27 février, décidé de remettre en liberté quatre Kurdes, mis en examen pour des « activités terroristes » présumées et incarcérés le 9 février. La chambre de l'instruction a maintenue Canan Kurtyilmaz, considérée comme la déléguée européenne du PKK en Europe, sous contrôle judiciaire, contrairement à ce qui avait été demandé par le parquet général qui demandait son incarcération. Mme Kurtyilmaz, âgée de 33 ans, a été arrêtée en Belgique où elle était en déplacement le 5 février, transférée en France le 16 février et mise en examen deux jours plus tard. Le magistrat Thierry Fragnoli, l'un des trois juges d'instruction en charge de l'affaire, l'a mise en examen pour « association de malfaiteurs en relation avec une entreprise terroriste et financement du terrorisme », selon les sources proches du dossier. L'instruction menée par les juges Thierry Fragnoli, Philippe Coirre et Jean-Louis Bruguière avait été initiée en juillet 2006 après l'interpellation à Paris de deux Kurdes qui tentaient de changer 200.000 euros en dollars.

Le 23 février, huit Kurdes avaient déjà été remis en liberté. Parmi eux figurent Riza Altun, Attila Balikci, et Nedim Seven, respectivement considérés comme l’ancien représentant du PKK en Europe, son secrétaire et le trésorier du mouvement. Ils ont été placés sous contrôle judiciaire avec interdiction de quitter la région parisienne, selon leurs avocats. Les avocats ont dénoncé « une volonté de la police de créer de toutes pièces » un dossier « vide » en jugeant « incompréhensible que brutalement ce qui a été toléré pendant des années soit aujourd'hui criminalisé ». Mes Antoine Comte, Jean-Louis Malterre et Sylvie Boitel, ont déclaré que « ce qui a frappé la Cour, c'est que nous avons démontré que les autorités françaises entretenaient des relations suivies entre 2000 et 2006 avec nos clients, tolérant ainsi leurs collectes (d'argent), et qu'on ne voyait pas comment elles auraient pu fermer les yeux sur les infractions dont on les accuse », ont déclaré. Me William Bourdon, a déclaré pour sa part que « la Cour tire à nouveau toutes les conséquences de l'incohérence de l'attitude des différents services chargés de la lutte contre le terrorisme: d'un côté la DST (contre-espionnage) qui n'ignorait rien de leurs activités depuis des années et de l'autre la DNAT (Division nationale antiterroriste chargée de cette affaire, ndlr) qui subitement les criminalise ». Plusieurs des personnes poursuivies ont expliqué avoir eu « des relations suivies » avec la DST depuis 2000. La DST a confirmé l'existence de contacts avec des Kurdes du PKK mais uniquement, dit-elle, pour prévenir toute action illégale. « Ces mises en examen s'inscrivent dans un mouvement de criminalisation et donc de disqualification de peuples qui luttent contre l'oppression et pour la reconnaissance de droits fondamentaux », avait déclaré auparavant à l'AFP Me William Bourdon.

Par ailleurs, M. Balikci avait affirmé avoir rencontré en 2003 M. Devedjian, alors ministre délégué aux libertés locales auprès de Nicolas Sarkozy, « au nom de la communauté kurde en France ». « Je n'en garde pas le souvenir mais ce n'est pas impossible », a déclaré Patrick Devedjian, conseiller politique de Nicolas Sarkozy. « J'ai souvent reçu des délégations kurdes mais je n'ai jamais reçu de délégation du PKK en tant que telle », a-t-il ajouté. M. Devedjian a indiqué qu'il s'était rendu le 12 février, à la demande des Kurdes, au Centre culturel perquisitionné la semaine précédente et voisin du QG de campagne de M. Sarkozy. « Ils m'ont dit que c'était à cause de Nicolas Sarkozy (qu'il y a eu ce coup de filet, ndlr). Je leur ai dit que non, que c'était sur commission rogatoire d'un juge d'instruction et que la police est tenue de l'exécuter », a déclaré M. Devedjian.

Lors d'une conférence de presse tenue le 12 février au Centre culturel kurde Ahmet Kaya, des représentants du MRAP, de la CIMADE, du Mouvement de la Paix, des Verts, du Parti Communiste et de José Bové avaient appelé à la « libération immédiate » des personnes placées en détention. « Ce n'est pas la première fois que, sous couvert d'accusations de terrorisme, des Kurdes sont arrêtés alors que leurs dossiers sont entièrement vides », avaient déclaré ces représentants réunis en collectif de soutien. Renée Le Mignot, vice-présidente du Mouvement contre le racisme et pour l'amitié entre les peuples (Mrap), a indiqué que dix des Kurdes arrêtés ont « un statut de réfugié politique depuis plus de dix ans ». Selon Patrick Farbiaz, des Verts, il s'agirait pour la France « d'apaiser la Turquie en lui donnant des gages après la loi sanctionnant la négation du génocide arménien ». Un millier de Kurdes avait manifesté le 6 février à Paris pour dénoncer le coup de filet policier. « Nous ne sommes pas des terroristes », avaient scandé les manifestants. Le centre culturel kurde avait baissé ses rideaux, tout comme plusieurs commerces kurdes du quartier.

La police turque s'était félicitée du coup de filet de la France, appelant les autres pays d'Europe à faire de même. Les journaux turcs avaient évoqué la plus grosse « rafle » contre le PKK en France et en Belgique. Selon des sources policières, une « collecte plus ou moins forcée » permet de recueillir en une année cinq millions d'euros auprès des Kurdes vivant en Europe, dont environ le quart en provenance de France.

DES PHOTOS-SOUVENIRS AVEC LE MEURTRIER DU JOURNALISTE ARMÉNIEN FONT SCANDALE EN TURQUIE

Une vidéo où l’on voit des policiers posant devant le drapeau turc avec le meurtrier présumé du journaliste arménien Hrant Dink embarrasse les autorités turques. Les images laissent penser très clairement que le suspect a été traité en héros. Sur des images et photos publiées par les médias le 2 février, on voit le jeune suspect, visiblement fatigué et incrédule, déployant un drapeau turc flanqué de deux policiers décontractés devant un calendrier sur lequel figure la citation suivante du fondateur de la Turquie, Mustafa Kemal Atatürk: « La terre de la mère-patrie est sacrée. Elle ne peut être abandonnée à son sort». La scène se passe à Samsun, ville portuaire du nord du pays, où Ogün Samast, a avoué avoir tué le journaliste. Le procureur de Samsun Ahmet Gökçinar a indiqué qu'une enquête visant la police et la gendarmerie, corps d'armée qui dépend du ministère de l'Intérieur, avait été ouverte sur cet incident. «Il ne manquait plus que de donner un baiser sur le front de l'assassin», martelait le 6 février le quotidien Radikal tandis que pour le journal Vatan, «ces images sont encore plus graves que le meurtre lui-même».

Le Premier ministre turc Recep Erdogan est intervenu, déclarant qu'il était tout à fait inapproprié de laisser croire que des personnes au service de l'Etat pouvaient agir contre lui. Reste que cette affaire met dans l'embarras les forces de sécurité turques. Les policiers impliqués dans cet incident ont été démis de leurs fonctions et une enquête est en cours. Ahmet Ilhan Güler, le chef des services de renseignements de la police d'Istanbul, mis en cause dans un rapport des inspecteurs du ministère de l'Intérieur, a, le 5 février, été limogé. Il est notamment accusé de négligence en ce qui concerne des renseignements obtenus un an avant le crime sur un suspect-clé, Yasin Hayal, soupçonné d'avoir poussé Ogün Samast âgé de 17 ans à assassiner Hrant Dink. Le policier n'aurait pas poussé jusqu'au bout les recherches pour retrouver Y. Hayal et d'empêcher ainsi le meurtre. Le gouverneur et le chef de police de Trabzon, accusés eux aussi de négligence, ont été limogés le mois dernier. Quatre policiers et quatre gendarmes de Samsun où a été arrêté le tueur présumé le lendemain des faits, ont aussi été démis de leurs fonctions.

Hrant Dink a été abattu devant le siège de son journal le 19 janvier dernier. Ses obsèques ont été l'occasion pour 100.000 manifestants de dénoncer l'extrémisme nationaliste dont se réclame le jeune assassin présumé. Le journaliste était détesté par les milieux nationalistes notamment pour avoir reconnu l'existence du génocide arménien que la Turquie rejette.

Face aux critiques de la communauté internationale et pour corriger une image du pays de plus en plus détériorée, le chef de la diplomatie turque, Abdullah Gul, a, le 24 février, rencontré 23 élus originaires de Turquie dans divers Parlements d'Europe, leur demandant leur aide afin de combattre ce qu'il a estimé être les préjugés anti-turcs en Europe. Ces élus, membres du Parlement de l'Union européenne siégeant à Strasbourg, mais également d'assemblées régionales ou nationales en Allemagne, Autriche, Belgique, Danemark et Suède, étaient invités à Ankara pour discuter des aspirations turques à l'adhésion européenne. « Il y a un manque de compréhension de la Turquie en Europe », a indiqué Abdullah Gul. « Nous avons besoin de votre soutien pour (...) surmonter les préjugés contre nous ». « Vous connaissez bien la structure sociale européenne (...) vous êtes un atout pour nous », a-t-il ajouté devant la presse, avant que la réunion se poursuive à huis-clos. Auparavant, une polémique avait surgie concernant l’invitation adressée à deux élus kurdes d’Allemagne, Giyasettin Sayan et Helin Baba. Les autorités turques les avaient dans un premier temps exclus de l’invitation pour avoir adopté des positions pro-kurdes et affiché leurs origines kurdes.

TÉHÉRAN: L’IRAN CÉLÉBRE LE 28Ème ANNIVERSAIRE DE SA RÉVOLUTION ISLAMIQUE AU MILIEU DES TENSIONS EXTÉRIEURES ET INTERNES

Le président iranien Mahmoud Ahmadinejad a marqué le lancement des célébrations de l'anniversaire de la révolution islamique en assurant le 1er février que l'Iran ne serait pas affecté par les sanctions de l'ONU à cause de son programme nucléaire. Le Conseil de sécurité de l'ONU a imposé fin décembre des sanctions sur les programmes nucléaire et balistique iraniens à cause du refus de Téhéran de suspendre ses activités d'enrichissement d'uranium. Les Etats-Unis ont également engagé des pressions sur leurs alliés pour qu'ils restreignent leurs relations commerciales avec l'Iran. Les célébrations de la révolution de 1979, prévues sur dix jours et connues sous le nom de « décade de Fajr » (aube), ont démarré le 1er février à précisément 09H33 locale, l'heure à laquelle l'avion en provenance de Paris et transportant l'ayatollah Rouhollah Khomeyni se posa à Téhéran. Les sirènes des usines, les sonneries des écoles, les sifflets des trains et les trompes des navires iraniens ont retenti à ce moment à travers le pays. De l'aéroport, le fondateur de la République islamique se rendit directement au grand cimetière de la capitale, Beheshte Zahra. Un mausolée, rituellement couvert de fleurs chaque année, marque l'endroit où il s'adressa à la foule pour annoncer qu'il allait installer un nouveau gouvernement. Le clou des célébrations est intervenu le 11 février, jour officiel de la révolution, avec un discours du président Ahmadinejad sur la place Azadi (liberté). Le président iranien Mahmoud Ahmadinejad a confirmé la poursuite du programme nucléaire de son pays devant des centaines de milliers d'Iraniens rassemblés dans les rues de Téhéran. Le président iranien a également souligné que l'état d'avancement de la technologie nucléaire de son pays serait progressivement rendu public d'ici le 9 avril, date qui marque le premier anniversaire de l'annonce par Téhéran qu'il avait réussi pour la première fois à enrichir de l'uranium.

Par ailleurs, le ministre turc des Affaires étrangères Abdullah Gül a fait état d'une embellie dans les relations turco-iraniennes et a estimé « révolues » les accusations turques selon lesquelles l'Iran souhaiterait exporter son régime islamique vers la Turquie musulmane, mais laïque. « Les jours où nos relations avec l'Iran étaient tenaillées par l'exportation de régime sont loin derrière nous », a souligné le ministre dans un entretien avec le mensuel de son parti de la Justice et du Développement (AKP), le Bulletin de la Turquie, publié le 5 février. « Notre opinion de l'Iran est très différente aujourd'hui », a affirmé M. Gül qui s'est félicité d'un développement « constant » du volume des échanges commerciaux entre les deux pays. Sur le plan bilatéral, Ankara et Téhéran sont parvenus ces dernières années à un accord concernant les questions sécuritaires. Les deux pays se joignent dans la lutte contre les combattants kurdes et craignent que la situation des Kurdes d'Irak ne crée des émules au sein de leurs propres populations kurdes.

Le commandant des Gardiens de la révolution, l'armée idéologique du régime islamique d'Iran, a, le 28 février, menacé d'attaquer les combattants kurdes iraniens en Irak si le gouvernement irakien ne les expulse pas des zones frontalières. « Si le gouvernement irakien n'expulse pas les rebelles armés iraniens liés aux étrangers de la zone, les Gardiens de la révolution se réservent le droit de les pourchasser au-delà des frontières » de l'Iran, a averti le général Yahya Rahim Safavi, cité par l'agence iranienne Mehr. « Les Etats-Unis et les sionistes dépensent des millions de dollars pour créer des chaînes de télévision, acheter des armes et des munitions pour ces groupes contre-révolutionnaires afin de créer l'insécurité en Iran », a-t-il accusé. Le général Rahim Safavi a appelé « les populations kurde et azérie des zones frontalières à coopérer avec les forces armées pour détruire ces rebelles anti-islamiques ». Depuis le 23 février, de violents affrontements opposent l'armée et les Gardiens de la révolution aux combattants kurdes du Parti pour une vie libre au Kurdistan (PEJAK), un parti proche du Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK), qui ont fait plus d'une quarantaine de morts dans le nord-ouest de l'Iran, non loin de la frontière avec la Turquie et l'Irak. « Plus de trente rebelles ont été tués », selon le général Yahya Rahim Safavi, commandant des Gardiens de la révolution, cité par l'agence Irna. Quatorze militaires iraniens sont morts le 23 février dans le crash de leur hélicoptère lors des opérations menées contre le PEJAK. Les Gardiens de la révolution ont affirmé avoir tué 17 combattants kurdes lors de cette opération, à une vingtaine de km de la frontière turque. La province d'Azerbaidjan-ouest, qui a des frontières avec la Turquie et l'Irak, abrite une forte minorité de Kurdes.

Les autorités de Téhéran accusent Washington et Londres d'aider les « rebelles » dans les provinces frontalières où il y a de fortes minorités ethniques et religieuses, notamment au Khouzistan, à forte population arabe, et au Sistan-Balouchistan. Onze personnes ont été tuées dans un attentat à la bombe le 14 février en Iran contre un autobus des Gardiens de la révolution, dans la province de Sistan-Balouchistan, théâtre ces derniers mois de plusieurs attaques armées et rapts. Le groupe sunnite extrémiste Joundallah (soldats de Dieu) a revendiqué la responsabilité de l'attentat. La télévision iranienne en langue arabe Al-Alam a montré les images du bus entièrement détruit. La bombe placée dans une voiture a explosé au passage d'un bus transportant les employés de la base Mir-Mohseni des forces terrestres des Gardiens de la révolution. Selon un témoin, des assaillants en moto ont d'abord arrêté le bus en tirant à la mitraillette contre le véhicule avant de faire exploser la bombe à distance. C'est la première fois, qu'une opération d'une telle ampleur est menée en pleine ville contre des militaires iraniens par un groupe armé. Réputée pour être un lieu de contrebande de stupéfiants, la province de Sistan-Baloutchistan, située en bordure du Pakistan et de l'Afghanistan, compte une importante minorité baloutche sunnite, alors que la majorité des 70 millions d'Iraniens sont des musulmans chiites. Le groupe Joundallah s'est manifesté en décembre 2005 en enlevant neuf soldats près de la frontière avec le Pakistan, avant de libérer huit d'entre eux, tuant le neuvième. En mars 2006, le groupe a tué 22 personnes qui circulaient en voiture sur une route non loin de la frontière avec le Pakistan. En mai de la même année, le groupe avait tué douze passagers de quatre voitures dans la province de Kerman, voisine avec le Sistan-Balouchistan. Enfin, à la veille des élections locales du 15 décembre, une voiture piégée avait explosé à Zahedan tuant une personne.

LE KURDISTAN IRAKIEN ATTIRE DE PLUS EN PLUS LES RÉFUGIÉS IRAKIENS

Selon le Haut-Commissariat aux réfugiés de l'ONU (HCR), si jusqu'à 3.000 Irakiens fuient chaque jour leur pays, 85.000 Arabes irakiens ont choisi le Kurdistan autonome, presque entièrement épargné par la violence, les voitures piégés et attentats suicides, les assassinats entre chiites et sunnites, les enlèvements et menaces de mort, qui font le quotidien de Bagdad mais aussi du centre du pays et du sud. Les trois provinces composant le Kurdistan connaissent de plus un véritable boom économique, et de nombreux emplois dans le bâtiment sont occupés par les Irakiens venus du Sud. L'afflux de réfugiés fait cependant peser son poids sur les services sociaux du Kurdistan. Le gouverneur de Souleimaniyeh, Dana Ahmad Majid, incite les Irakiens à venir au Kurdistan plutôt que de quitter le pays, mais il déplore que le soutien apporté par le gouvernement central à ces déplacés soit si faible et réclame plus de médicaments, de fuel et d'électricité pour leur venir en aide. Quelque 30.000 déplacés vivent dans la province de Souleimaniyeh, selon Anita Raman, du Haut-Commissariat aux réfugiés de l'ONU. Le HCR fournit une aide d'urgence aux plus vulnérables, y compris des lampes à pétrole et du kérosène, des vivres et des couvertures. Selon le gouverneur, la province voit arriver dix nouvelles familles chaque jour, sans compter les quelque 25.000 Arabes venus tout bonnement chercher du travail dans la région. Les autorités kurdes surveillent la frontière et imposent des mesures de sécurité pour éviter toute infiltration de terroristes. Si les familles peuvent entrer sans autorisation, les hommes seuls doivent avoir un Kurde qui les parraine et un permis de travail pour passer. Les déplacés doivent également s'adapter à la barrière de la langue. S'il s'écrit avec l'alphabet arabe, le kurde est une langue indo-européenne. Depuis son autonomie de facto en 1991, si l'arabe reste la langue officielle, le kurde l'a quasiment remplacé et les nouvelles générations kurdes ne pratiquent pas l’arabe.

Les Etats-Unis ont, le 14 février, annoncé qu'ils allaient accueillir 7.000 nouveaux réfugiés irakiens d'ici à octobre, soit 10 fois plus que la totalité des réfugiés accueillis depuis 2003. Très critiqué pour son désintérêt apparent face à la détresse des millions de personnes qui ont dû fuir leur foyer en Irak, Washington a également annoncé une aide d'urgence de 68 millions de dollars pour les Irakiens déplacés à l'intérieur du pays. Selon les chiffres du Haut commissariat des Nations unies pour les réfugiés (HCR), plus de deux millions d'Irakiens sont réfugiés à l'étranger, essentiellement en Syrie et en Jordanie, auxquels s'ajoutent 1,8 million de déplacés à l'intérieur du pays. Quelque 50.000 Irakiens continuent à fuir leur foyer chaque mois, soit l'exode le plus important dans la région depuis celui des Palestiniens lors de la création de l'Etat d'Israël en 1948, alors que la population irakienne est estimée à 26 millions d'habitants, toujours selon le HCR. Or, les Etats-Unis n'ont accordé le statut de réfugiés qu'à 466 Irakiens depuis 2003, dont 202 seulement l'an dernier, selon les chiffres du département d'Etat.

Le revirement de l'administration américaine a été annoncé après une rencontre à Washington de la secrétaire d'Etat américaine, Condoleezza Rice, avec le Haut commissaire des Nations unies pour les réfugiés, Antonio Guterres. Au cours d'une conférence de presse conjointe avec des responsables du département d'Etat, M. Guterres a également annoncé la tenue en avril à Genève d'une conférence de donateurs pour les réfugiés et déplacés irakiens. Mme Rice s'est engagée à participer à hauteur de 18 millions de dollars aux fonds que le Haut commissariat de l'ONU pour les réfugiés (HCR) entend consacrer à ce programme, a indiqué pour sa part la secrétaire d'Etat adjointe chargée de la démocratie et des affaires globales, Paula Dobriansky. La donation américaine devrait couvrir environ 30% de l'appel lancé le mois dernier par le HCR pour rassembler 60 millions de dollars. Ces fonds sont destinés à aider quelque 200.000 des deux millions d'Irakiens ayant trouvé refuge dans les pays voisins, notamment en Jordanie et en Syrie, ainsi qu'à 250.000 des 1,8 million d'Irakiens déplacés dans leur pays par les violences.

Déjà, selon le HCR, les Irakiens représentent plus de 5% de la population syrienne (18 millions d'habitants). En accueillant 700.000 Irakiens, la Jordanie a augmenté la sienne de 12% et Amman a pris des mesures pour endiguer le flux. Tout comme l'Egypte, qui a reçu 130.000 Irakiens. Selon Human Rights Watch, Amman refuse l'entrée aux Irakiens mâles âgés de 17 à 35 ans. La Syrie, elle, n'a pas fermé ses frontières aux Irakiens fuyant la guerre. Dans certains quartiers de Damas, on n'entend plus que l'accent irakien... Á al-Sayda Zeinab, en banlieue, la mosquée chiite compte plus d'Irakiens que de pèlerins iraniens. Parmi les réfugiés, il y a environ 300.000 chiites. Dans les secteurs à forte implantation de réfugiés, les écoles comptent désormais parfois jusqu'à 50 enfants par classe. Les écoles du pays auraient accueilli jusqu'à 28.000 petits Irakiens. Selon le bureau du HCR à Damas, quelque 40.000 nouveaux réfugiés arrivent d'Irak chaque mois. Ils peuvent rester six mois sur un visa, puis doivent quitter le territoire avant de revenir pour six nouveaux mois. La méthode la plus simple étant le voyage organisé pour 20 dollars au Liban voisin.

Selon un rapport de Minority Rights Group (MRG) publié le 24 février, les minorités ethniques et religieuses d'Irak, qui représentent 10% de la population du pays, sont victimes d'une violence « sans précédent » qui pourrait les faire disparaître du territoire. « Les minorités ethniques et religieuses d'Irak font face à des niveaux de violence sans précédent et, dans certains cas, risquent de complètement disparaître de leur patrie ancestrale», a prévenu l'organisation de défense des droits de l'Homme. Ces minorités (Chrétiens arméniens et chaldo-assyriens, Baha'is, Faïli, Juifs, Mandéens, Palestiniens, Shabaks, Turkmènes et Yezidis) installées pour certaines depuis plus de 2 000 ans en Irak, sont visées par des attaques, des enlèvements et des menaces de toutes parts. Ce rapport, intitulé « assimilation, exode, éradication: les communautés minoritaires d'Irak depuis 2003 », a constaté que la fuite de cette catégorie de la population irakienne est « énorme » et représenterait un tiers du 1,8 million de réfugiés irakiens qui cherchent actuellement une terre d'accueil. « Malgré le fait que de nombreux Chrétiens d'Irak fuient car ils sont accusés de s'associer avec les troupes britanniques et américaines, quelques Irakiens seulement ont obtenu refuge aux États-Unis et en Grande-Bretagne », a déploré Mark Lattimer, directeur du MRG, cité dans le communiqué. Au vu de ses constatations, l'organisation a lancé un appel à la communauté internationale, en particulier aux deux pays qui dirigent l'intervention en Irak depuis 2003, pour « partager le fardeau des réfugiés et ne pas le laisser peser de manière disproportionnée sur les États voisins » de l'Irak. « Le MRG en appelle à la communauté internationale et au gouvernement irakien pour qu'ils reconnaissent la particulière vulnérabilité des minorités du pays. Cela doit être le point de départ fondamental pour que les groupes minoritaires d'Irak survivent aux agressions actuelles», a lancé Preti Taneja, auteur du rapport.

Selon un récent rapport réalisé par la Mandaean Society of America et publié le 12 février, plus de 60.000 au début des années 1990, les mandéens ne sont aujourd'hui qu'entre 5.000 et 7.000 en Irak. Ces adeptes d'une religion minoritaire reconnaissant Jean-Baptiste pour prophète comptent parmi les victimes de la guerre qui ensanglante le pays depuis près de quatre ans. Avec les meurtres, les viols, les conversions forcées et les confiscations de propriétés par des extrémistes islamistes, nombre de mandéens ont fui le pays. Pour les spécialistes de la culture mandéenne, leur disparition représenterait une grande perte, la fin d'un mouvement religieux remontant à l'époque de l'Empire romain. Les mandéens, gnostiques du Moyen-Orient, définissent leur religion dans la lignée de Jean-Baptiste et le reconnaissent pour prophète. Ils prônent le baptême pour se rapprocher d'un « monde de lumière », meilleur à leurs yeux que celui régnant sur Terre.

LU DANS LA PRESSE TURQUE

LU DANS LA PRESSE TURQUE : « LES FORCES SPÉCIALES TURQUES ORCHESTRAIENT UN ATTENTAT CONTRE LE GOUVERNEUR DE KIRKOUK »



Dans une interview accordée au quotidien turc Radikal, Henri Barkey, professeur au département des relations internationales de l’Université de Lehigh (USA) et l’un des principaux conseillers du Département d’Etat américain pendant la présidence de Bill Clinton, analyse les relations américano-turques et la politique kurde d’Ankara. Voici de larges extraits de cet entretien réalisé par la journaliste turque Nese Duzel, publié le 5 février dans les colonnes de Radikal :

« La première fois que nous avons entendu parler de vous c’était en 2004 à cause d’une réunion (soi-disant) au Département d’État américain. La presse turque avait écrit à l’époque que les participants avaient assuré que le gouvernement de l’AKP (Parti de la Justice et du Développement- au pouvoir en Turquie) avait consenti à laisser Kirkouk aux Kurdes. Vous avez déclaré plus tard que vous n’aviez pas pris part à une telle réunion, de même que d’autres intervenants qui y avaient été cités. N’avez-vous jamais assisté à une réunion où ce genre de propos ont été tenus ? 

Je n’ai jamais participé à une telle réunion au Département d’État américain. De plus, je me trouvais à Istanbul à l’époque. Mais tout le monde a cru à l’existence de cette rencontre.

A votre avis, pourquoi est-ce que l’information sur la tenue d’une réunion inexistante, mettant toutefois dans l’embarras le gouvernement turc, a été publiée par la presse turque ?

Dire qu’une telle réunion a eu lieu a effectivement mis dans l’embarras le gouvernement en Turquie. Cette information a été lancée par Hakan Yavuz, enseignant à l’université d’Utah. Mais elle a été démentie par le Département d’État. Hakan Yavuz a malgré tout soutenu à Fikret Bila (ndlr : journaliste au quotidien Miliyet) que la réunion avait bien eu lieu et qu’il y avait été présent. Hakan Yavuz était un ami proche. Pour qu’un ami puisse faire une telle chose, il faut qu’il soit atteint psychologiquement ou alors qu’il soit obligé d’agir de la sorte (…)

Quel poste occupiez-vous au Département d’État à l’époque ?

Je n’avais aucun poste au Département à l’époque. J’ai travaillé directement avec la Secrétaire d’État dans le département de la planification politique sur les questions relatives à la Turquie, la Grèce, Chypre, l’Irak et dans le service des renseignements. J’y ai travaillé pendant le mandat de Bill Clinton et j’ai quitté en 2000. Je parle de renseignements…car le Secrétariat d’État a son propre service chargée des renseignements. Cette organisation recueille les rapports élaborés par les différents services de l’État, y compris la CIA, et effectue une analyse des informations. Une de mes missions était de procéder à une nouvelle organisation de ces rapports.

(…) La Turquie parle à nouveau de Kirkouk au moment où vous vous trouvez à Istanbul (…) Kirkouk est une région riche en ressources pétrolières, c’est pourquoi elle attire des convoitises. Que va devenir Kirkouk, à votre avis ?

La position turque est que « Kirkouk reste en dehors de l’État fédéré kurde et que le pétrole soit contrôlé par l’État central irakien ». Et la population parle d’une opération militaire à Kirkouk. Comme si aller à Kirkouk était un jeu d’enfant. Or, la ville est à 450 kms de la Turquie. Ce n’est pas une plaisanterie. En fait que va-t-il se passer à Kirkouk ? C’est une ville irakienne, mais que va devenir l’Irak ? Si l’Irak ne se divise pas, Kirkouk intégrera la région kurde et les revenus pétroliers reviendront au gouvernement central. La découverte des nouvelles sources énergétiques, comme le pétrole, appartiendront en revanche au Nord de l’Irak (Kurdistan)

Kirkouk peut –elle être prise par les Kurdes ?

Il y a prendre et prendre. Peuvent-ils la prendre de façon coercitive ? Ils le peuvent mais cela aggravera la situation. Les Kurdes vont tâcher de prendre Kirkouk par des moyens démocratiques en faisant appel au référendum. Ils augmentent la population de la ville (ndlr : Kirkouk a connu une succession de changements démographiques. En 1957, date du dernier recensement irakien avec répartition ethnique, Kirkouk comptait 178.000 Kurdes, 48.000 Turcomans, 43.000 Arabes et 10.000 chrétiens assyro-chaldéens. Puis, en 23 ans de règne, Saddam Hussein a organisé l'arabisation de la ville et la déportation massive des Kurdes dans des camps de réfugiés dans les provinces voisines de Suleimaniyeh, Erbil et Duhok. Depuis 2003, ces déportés reviennent dans la ville). Ils essayent de faire revenir dans la ville tous les Kurdes expulsés par Saddam. Bien sûr, il n’y a pas que les Kurdes contraints de partir à l’époque qui reviennent aujourd’hui, un certains nombres d’autres Kurdes viennent dans la ville.

Si Kirkouk revient aux Kurdes, quelles seront les conséquences ?

Nous avons face à nous trois Irak possibles. La première c’est un Irak resté uni. La seconde, un Irak divisé. Et la troisième un Irak où perdure le chaos d’aujourd’hui. Un Irak conciliant les Kurdes et les Turcomans dans un Kirkouk faisant partie de la province kurde va dans l’intérêt de la Turquie. Une entité kurde sous protection de la Turquie baissera non seulement la tension en Turquie, mais constituera également une zone tampon laïque et lui apportera d’importants revenus économiques. De surcroît, le Nord de l’Irak (Kurdistan) a besoin de la Turquie (…)

Car les Kurdes sont laïcs, regardent vers l’Occident et veulent lier des relations avec l’Europe. Ils ne vont pas s’ouvrir à l’Europe avec l’Iran, la Syrie, l’Arabie Saoudite où encore avec le Sunnistan et le Chiistan de l’Irak. Seule la Turquie peut fournir une telle opportunité. Les Kurdes ont mené une politique favorisant le développement de liens économiques avec la Turquie et donc offert autant que possible des marchés aux hommes d’affaires d’origine turque. Les entrepreneurs d’origine kurde ont même exprimé leur mécontentement à cause de cela. Votre président se refuse à adresser une invitation à (Jalal) Talabani à cause de son origine kurde, mais (Jalal) Talabani, Président de l’Irak, est une chance pour la Turquie (…)

(Jalal) Talabani constitue une force dans le Nord de l’Irak (Kurdistan). Même si depuis longtemps déjà les Kurdes se sont psychologiquement détachés de l’Irak, Talabani les rattachent à Bagdad. Talabani sauvegarde en quelque sorte l’unité de l’Irak tant souhaitée par la Turquie. Or, on continue en Turquie à qualifier Talabani et Barzani de chefs de tribus. On agit comme si les Turcomans constituaient un peuple malgré leur fort morcellement alors qu’on le refuse aux Kurdes... Les Turcs du Nord de Chypre seraient un peuple mais pas les 4 millions de Kurdes irakiens…Les Kurdes m’interpellent souvent sur ce point car ces termes les offensent beaucoup. Pourtant, Turgut Ozal (ndlr : ancien Président turc) les avait pris en considération (…) en les accueillant à Cankaya (ndlr : La résidence des Présidents turcs), leur octroyant un passeport diplomatique turc. C’était vers la fin de l’année 1992 et à l’époque la tension avait considérablement diminué en Turquie contraignant même le PKK à annoncer un cessez-le-feu.

Les Kurdes peuvent-ils admettre que Kirkouk ne leur appartienne pas ?

Non. Ils se sont pleinement attachés à l’idée.

Le Président Bush a annoncé un nouveau plan pour l’Irak avec l’envoi de 20 000 soldats supplémentaires. Quelles seront les conséquences de ce nouveau plan ?

A mon avis, les chances de réussite de ce plan sont de 25%. C’est un plan qui concerne Bagdad et sa périphérie car 80% des opérations terroristes se produisent à Bagdad et dans ses environs peuplés d’une forte communauté chiite. Il faut prendre le contrôle de Bagdad, sinon, on ne pourra pas contrôler le reste de l’Irak. Un pays dont la capitale est dans un chaos continuel ne peut pas rester uni. L’Irak est aujourd’hui à la veille d’une guerre civile (…)

Les États-Unis ont renversé l’État irakien mais n’ont pas réussi à construire un nouvel État à la place à cause des erreurs commises. Avec ce plan, Bush a transféré la responsabilité au gouvernement irakien en disant « Construisez donc l’État, si vous échouez je pourrais me retirer. Je vous envoie pour la dernière fois 20 000 soldats ». Reste que les Américains ne retireront pas leurs troupes entièrement. Selon moi, 50 000 des 130 à 140 000 soldats seront positionnés aux frontières comme force de dissuasion. Car, si les Américains retiraient leur soldat du jour au lendemain le sang coulerait à flot. Tous les pays voisins s’immisceraient dans les affaires de l’Irak et feraient des incursions en Irak.

L’Irak est devenu un endroit abscons, théâtre d’événements invraisemblables. Rappelez-vous quand des soldats américains y ont arrêté des militaires turcs en passant un sac de toile sur leurs têtes. Que s’est-il passé derrière cet incident qui a considérablement détérioré les relations américano-turques ?

Les soldats américains avaient été informés de l’organisation d’un attentat orchestré par des éléments des forces spéciales turques contre le gouverneur de Kirkouk. Ils ont donc procédé à leurs arrestations (…)

Je pense que ce plan a été fomenté par le commandement des forces spéciales turques stationnées en Irak. Ni Ankara, ni l’État-major turc n’avaient eu connaissance de cette affaire. L’État-major est une institution sérieuse, il ne prendra jamais ce risque (…) Ce serait risquer sérieusement les relations avec les États-Unis. Or, l’État-major turc entretient de bonnes relations avec les États-Unis malgré le refus du 1er mars (ndlr : 1er mars 2003 date du refus par le Parlement turc du passage des troupes américaines sur son territoire pendant la guerre en Irak). La mise à la retraite de deux généraux des forces spéciales n’était autre qu’un message de l’État-major turc pour les Etats-Unis : « Regardez, nous les avons liquidés ». Les Américains l’ont remarqué, et il n’y avait aucune raison de traiter les officiers turcs comme des membres d’al-Qaida (…)

Ce n’est ni Bush ni l’État-major américain qui a décidé ce traitement. Ce fut la réaction des soldats américains sur place. Ils appliquent la même méthode à toutes les personnes arrêtées. On saura la vérité une fois que quelques officiers seront à la retraite (…)

Quelle politique compte mener jouer États-Unis concernant la question du PKK ?

La politique américaine après la guerre en Irak a été non seulement d’apporter son aide à la Turquie mais également d’empêcher autant que faire se peut l’entrée des troupes turques au Nord de l’Irak (Kurdistan). Les États-Unis avaient souhaité que (les Kurdes irakiens) trouvent une solution au problème du PKK, mais ceux-ci n’ont pas réussi ou plus exactement n’ont pas voulu apporter une solution. La politique du PKK américaine a donc foncé droit au mur, mais la nomination des coordinateurs a été opportune (…)

Aujourd’hui, il est possible d’envisager un feu vert (des Américains) pour une incursion turque au Nord de l’Irak (Kurdistan) contre le PKK. L’État-major turc prétend qu’il voit les (combattants du) PKK positionnés tout juste derrière la frontière. La Turquie pourra envisager de lancer une opération non pas avec des fantassins mais par des bombardements sol-sol ou encore aériens, me dit-on. Il faudrait en revanche l’aval des Américains et de (Massoud) Barzani et de (Jalal) Talabani avant toute opération de ce genre. Ils condamneront bien sûr l’incursion une fois l’opération réalisée. Dans quelques jours, le ministre des Affaires étrangères, (Abdullah) Gul va se rendre à Washington, il sera suivi de (Yasar) Buyukanit, le chef d’État-major turc (…) La question du PKK et de Kirkouk sera abordée. Si j’étais à la place d’Abdullah Gul ces sujets n’auront pas été mes priorités. J’aurais plutôt demandé : « Que peut-on faire pour maintenir l’unité de l’Irak ? » (…)

Que se passera-t-il si les Turcs interviennent au Nord de l’Irak (Kurdistan) ?

Il y aura un problème énorme aussi bien avec les Américains qu’avec les Kurdes. Si la Turquie se lance dans une telle opération malgré l’opposition des Américains et des Kurdes dans le but de résoudre le problème de Kirkouk ou d’empêcher l’autonomie ou l’indépendance des Kurdes, cela entraînera la rupture des relations avec l’Europe. Mais une opération contre le PKK avec le déploiement de quelques fantassins héliportés serait acceptée par tout le monde (…) En 1999, la Turquie est intervenue au Nord de l’Irak (Kurdistan) avec 35 000 soldats et près de 200 blindés (…) Elle ne peut pas lancer une telle opération aujourd’hui. Une opération sans l’aval des Kurdes produira des contestations et ce serait la plus grande erreur de la Turquie. La facture sera lourde pour elle. Aussi, ni l’État-major et ni le gouvernement souhaitent-ils une telle chose, à mon sens. Hormis la presse, personne ne souhaite sérieusement envoyer des soldats au Nord de l’Irak (Kurdistan) (…) Car cela entraînera la guerre contre le Kurdes. (De plus), les Américains peuvent être malencontreusement la cible des unités turques. Les combattants du PKK peuvent se faire passer pour des peshmergas (combattants kurdes du Kurdistan irakien) et piéger les soldats turcs. Tout peut se passer. Pourtant, parallèlement à une pression militaire transfrontalière contre le PKK, la Turquie peut permettre le retour en Turquie des membres du PKK sans annoncer d’amnistie. Il faut qu’elle réussisse leur intégration dans la société (…) Je pense que de nombreux membres du PKK se rendraient, mais la Turquie a besoin sur ce point de l’aide des Kurdes d’Irak (...) Car ce n’est pas la Turquie qui peut faire passer un tel message au PKK mais les Kurdes d’Irak peuvent remplir cette mission. Je ne parle pas ici des cadres du PKK qui constituent un autre problème. Ces derniers s’ils veulent rentrer en Turquie, vont être condamnés et emprisonnés … Les Kurdes d’Irak jouissent d’un statut particulier jamais atteint jusque-là. Pensez-vous qu’ils sacrifieraient leur avenir pour le PKK ? C’est à la lumière de cela qu’ils demandent un dialogue avec la Turquie. Mais la Turquie n’évoquent pas ces sujets et se tient loin. Il y a un an de cela, le chef des services des renseignements généraux (MIT), Emre Taner, est allé discuter avec (Massoud) Barzani (…). Emre Taner a eu une approche révolutionnaire mais il n’y a pas eu de suite car il n’y avait pas de climat favorable pour cela en Turquie

(…)

Vous ne voyez que les Kurdes quand vous parlez de l’Irak ici. Or, il n’y a pas que les Kurdes qui ne veulent pas de la Turquie en Irak. Les chiites irakiens n’en veulent pas non plus. Il y a quelque temps, les groupes sunnites irakiens les plus anti-chiites se sont retrouvés dans une réunion organisée à Istanbul. Les chiites ont eu une telle réaction contre cela qu’ils ont déclaré : « Organisons nous aussi une conférence en Irak regroupant les Kurdes de Turquie ».

Les États-Unis peuvent-ils soutenir un processus hors du système démocratique en Turquie ?

Il est impossible à partir de maintenant qu’il puisse avoir un tel soutien américain. Si la Turquie sort du système démocratique les relations détérioreront (…) Les USA retireraient tout leur soutien pour l’adhésion de la Turquie dans l’Union européenne (UE), l’économie turque serait durement touchée et il y aurait une forte pression politique sur la Turquie. »

« LES LIAISONS ÉTROITES ENTRE LES SERVICES SECRTS TURCS (MIT) ET LA MAFIA SE MANIFESTENT SUR LES ÉCRANS DE TÉLÉVISION »



Le quotidien turc Milliyet publie le 8 février à la Une les déclarations fracassantes de Nuri Gundes, un ancien chef des renseignements généraux turcs (MIT). Interpellant sur l’une des principales chaînes d’informations turques, Alaattin Cakici, l’un des plus redoutables parrains turcs avec plus de quarante exécutions à son actif, emprisonné aujourd’hui en Turquie, Nuri Gundes lui déclare son amitié, « Je t’embrasse sur les joues Alaattin ». « Des bises d’un ancien chef du MIT pour Cakici ! Les liaisons étroites entre le MIT et la mafia se manifestent également sur les écrans » sous-titre le journal sous la plume de Can Dundar, journaliste turc qui a également effectué l’interview télévisée sur la chaîne NTV. Voici de larges extraits de cet entretien qui met une nouvelle fois en lumière la collaboration des services secrets turcs avec des parrains de la mafia liés aux Loups gris, l’organisation d’extrême droite turque, toujours prompte à s’occuper des basses besognes de l’Etat :

« L’ancien chef des services extérieurs des renseignements généraux turcs (MIT), Nuri Gundes, était l’invité de mon émission du mardi soir (ndlr : 6 février 2007) « Pourquoi ? » portant sur « l’État profond » diffusée sur la chaîne NTV.

C’était la première participation (de Nuri Gundes) à une émission de débat et il y a fait d’importantes révélations. Pour mieux prendre conscience de la mesure de ces déclarations, rappelons que Gundes, qui a passé 23 années au sein du MIT, a dirigé pendant la période du 12 septembre (ndlr : 12 septembre 1980 date du coup d’État militaire en Turquie dirigé par le général Kenan Evren) l’opération contre l’ASALA (ndlr : L’Armée Secrète Arménienne de Libération de l’Arménie). Il est également accusé, dans le premier rapport du MIT rédigé par Mehmet Eymur (ndlr : chef du bureau de contre-terreur du MIT), d’avoir pris part dans quelques affaires illégales avec Dundar Kilic et Sukru Balci (ndlr : respectivement trafiquant de drogue et d’armes assassiné en 1999 et ancien chef de la sécurité d’Istanbul épinglé dans de grandes affaires de corruption). Nuri Gundes a été promu conseiller aux renseignements auprès du Premier ministre durant le mandat de Tansu Ciller.

C’est par l’opération contre l’ASALA qu’il a lancé la conversation. Comme vous le savez, alors que l’ASALA avait pris pour cible des diplomates turcs, le MIT avait de son côté planifié à l’étranger des embuscades contre des leaders de l’ASALA, plastiqué à la même période le mémorial arménien à Marseille avec, dit-on, l’aide de la bande d’Abdullah Catli (ndlr : mafieux turc lié à l’extrême droite, mort au cours du scandale de Susurluk, accident de voiture en 1996 mettant en lumière les liens entre les mafias et les institutions d’Etat).

Gundes a raconté l’opération qui avait coûté au total 17 millions de livres turques de l’époque en ces termes :

« A Marseille, un mémorial arménien avait été construit et inauguré par le Premier ministre…Nous nous y sommes rendus comme des personnes ayant l’expérience de la guerre là où ne pouvaient atteindre la police et les militaires de l’Etat. Je ne m’y suis pas rendu personnellement mais mon équipe si. Doit-on parler dans ce cadre d’un Etat profond ? Si mes concitoyens guidés par un sentiment nationaliste y ont effectué une opération, doit-on la qualifier de procédé de l’Etat profond ? »

« Quelle est la « motivation » de ses personnes guidées pour cette opération, est-ce par des « sentiments nationaux »  ?

« Ils sont soit nationalistes, soit nourris par la haine et la rancune ou encore motivés par l’argent. La motivation liée à la haine et à la rancune est relative pouvant se dissiper avec le temps (...) Il faut s’appliquer pour que la Turquie ne soit pas classée parmi les Etats terroristes »

Nous avons alors rappelé à Gundes que les critiques se portaient sur cette opération de l’Etat qui instrumentalise des hommes non seulement recherchés par Interpol pour leur implication dans des tueries mais à qui l’on a procuré des passeports et fourni des armes. Il a indiqué que ces derniers “n’étaient pas ses éléments, mais y avaient pris part guidés par leur conscience turquiste“. Et a ajouté : « s’il y avait le feu, que l’un apporte quatre seaux d’eau, et que l’autre dise je vais y ajouter quatre autres seaux, on devrait lui dire non ? Doit-on lui dire “Tu as fais telle ou telle chose en Turquie, ne jette pas de l’eau, laisse brûler ?“ Ce n’est pas raisonnable. Qui peut-on y envoyer ? (…) L’Etat a pris la décision de mener cette opération de façon hiérarchique (…) Si vous considérez cela comme la lutte de l’Etat profond, soit. Mais je ne l’entends pas comme cela ».

Gundes a raconté que certaines personnes issues des rangs du MHP (parti de l’Action nationaliste-extrême droite) et des Foyers Ulkucu (mouvements fascistes turcs) avaient apporté leur aide à l’Etat. Ils avaient par la suite utilisé ces pouvoirs, obtenus grâce à l’Etat, à des fins personnelles pour constituer des mafias se livrant aux trafics de chèques et de traites. C’est pourquoi Gundes était opposé au système de protectorat de village instauré dans le Sud-Est (Kurdistan) (…)

Nous lui avons rappelé que les assassins de Hrant Dink (ndlr : journaliste arménien assassiné par les nationalistes turcs en janvier 2007) avaient pris pour exemple Abdullah Catli. « Parlons d’Abdullah… » a-t-il lancé en poursuivant (plutôt) sur Cakici : « On m’a interpellé sur Alaatin Cakici dans une revue, j’ai déclaré que  je n’avais pas beaucoup travaillé avec des gens qui auraient mis l’État dans l’embarras ». Il m’a alors écrit une lettre de sa prison. S’il m’écoute aujourd’hui, je voudrais l’embrasser sur les joues s’il a rendu des services à l’ État …Je n’ai pas tenu ses propos avec une arrière pensée. Si je me trouvais moi aussi mêlé à ce genre d’affaires et si je portais préjudice à l’État ou encore, si l’État était susceptible d’être sujet à ces critiques à cause de moi, alors je n’aurais rien dit face aux propos tenus sur mon compte ».

Nous avons appris un peu plus tard que Cakici écrivait dans cette lettre : « je ne t’appellerai plus mon grand frère »

Au cours de l’émission, nous lui avons fait la lecture d’une phrase de Fikri Saglar, membre de la commission d’enquête parlementaire sur l’affaire Susurluk extraite du rapport du même nom élaboré par Kutlu Savas : « l’Etat n’a pas pu mettre un terme aux activités de Behçet Canturk (ndlr : homme d’affaire kurde impliqué dans le trafic de stupéfiant assassiné en 1994). Au lieu de faire allégeance à l’Etat, Canturk a mis sur pied une nouvelle organisation. La Direction de la sécurité turque a alors décrété sa mort et la décision a été exécutée. »

Sur ce sujet Gundes a répliqué que : « La personne qui a mis la main sur Behçet Canturk c’est moi. Nous l’avons arrêté à Erzurum et l’avons emmené devant Sadettin Tantan (ndlr : chef du comité d’inspection à la direction de la sûreté d’Istanbul, devenu en 1999 ministre de l’intérieur) pour procéder à son interrogatoire. Il avait certaines fréquentions mais qu’a-t-il fait cet homme ? avec quel produit stupéfiant… a-t-il empoisonné mes enfants turcs ? On ne pense jamais à cela. Mais je n’ai jamais accepté d’éliminer quelqu’un à l’intérieur du pays. L’État dispose de lois, détient la puissance publique, il peut donc procéder à l’arrestation (de malfaiteurs) et les pendre puisqu’à l’époque la peine de mort par pendaison était légale. Mais disons que Behçet Canturk a été exécuté, la bande de Baader-Meinhof a été exécutée en prison, personne n’a émis la moindre critique en Allemagne. La presse allemande n’a même pas écrit un seul article sur le sujet. Comme j’ai déjà souligné, l’État se doit parfois de se protéger»

Pour finir je l’ai interpellé sur l’attentat exécuté contre Hrant Dink … Il a trouvé étrange que ce dernier n’ait pas été mis sous protection malgré les menaces. L’a-t-on privé de toute protection pour l’éliminer ?

« Je me sens incapable de dire cela…Une telle déclaration reviendrait à trahir et je ne puis faire cela. C’est comme si on avait dit « il n’a qu’à mourir », mais je n’arrive pas à m’en persuader… » conclut l’ancien chef des services des renseignements turcs.

LU DANS LA PRESSE TURQUE : L’HISTOIRE DU PREMIER D’UNE SERIE DE COUPS D’ÉTAT MILITAIRES EN TURQUIE



Professeur à l’Université de Sabanci, Halil Berktay, analyse dans une interview accordée au quotidien turc Radikal le modus operandi des élections présidentielles en Turquie, rythmées par les coups d’État militaires successifs. Il revient sur l’époque du système du parti unique et le difficile passage au système multipartite. Voici de larges extraits de cet entretien publié le 12 février :

« Nous avons trouvé honteux la façon dont Saddam Hussein a été pendu. Mais (le journaliste et historien) Murat Bardakçi a décrit le sort ignoble réservé à Menderes (ndlr : Après la victoire du parti Démocrate (DP) lors des premières élections multipartites de la République turque, Adnan Menderes devient Premier ministre turc de 1950 à 1960, destitué par un coup d’État militaire le 27 mai 1960, il est pendu en septembre 1960 avec des membres de son cabinet). Avant de procéder à son exécution, on lui a fait passer un examen de la prostate. Pourquoi n’a-t-on jamais entendu parler de cette humiliation jusqu’ici ? », interroge Nese Duzel.

« Nous connaissons généralement les mauvais traitements subis par les membres du parti Démocrate (DP) et par Menderes en particulier sur l’île de Yassiada, après le coup d’État du 27 mai. Pendant longtemps, les historiens en Turquie n’ont pas développé un dialogue et procédé à des recherches sur les événements importants de l’histoire turque du 20ème siècle. Il se peut aussi qu’ils n’aient pas pu aboutir à un consensus scientifique sur cette question »

(…)

« Avec l’arrivée au pouvoir du parti démocrate on peut parler du premier pouvoir populiste en Turquie. L’élite politique fondatrice de la république, c’est-à-dire les cadres de la bureaucratie ou les officiers professionnels, avait le monopole du pouvoir depuis la révolution jeune turque de 1908 et le coup d’État de Babiali de 1913 (ndlr : orchestré par le Parti Union et Progrès) jusqu’en 1950. Face à ces privilégiés, les hommes politiques du DP étaient des éphèbes, réussissant le tour de force de soustraire le pouvoir monopolisé jusqu’alors par l’élite politique et d’accéder au pouvoir avec un parti dominant aussi bien la présidence de la République que le gouvernement (…). Et c’était des civils (…) sans l’uniforme militaire, c’est pourquoi l’armée s’opposait à eux. Ils n’étaient pas conformes à l’idéologie selon laquelle l’armée est le véritable dépositaire et le gardien réel de la République. Ils portaient préjudice à cette légende. Probablement, le traitement appliqué aux familles de ces hommes politiques après le coup d’État du 27 mai n’est pas étranger à cela. De plus, les dispositions de 1958, adoptées après les élections de 1957 pour favoriser la stabilité économique, de même que la dévaluation opérée, ont non seulement paupérisé considérablement les salariés disposant d’un revenu stable mais ont également appauvri les officiers. L’appauvrissement des officiers militaires est une des raisons communément citées du coup d’État. Par ailleurs, la formidable hausse des salaires des forces armées n’a eu lieu qu’après le 27 mai, puisque jusque là les officiers cadres professionnels ne disposaient pas d’un salaire aussi important par rapport aux autres fonctionnaires (…)

Il ne faut pas oublier que ce coup d’État ne s’est pas cantonné à ce traitement aux seuls hommes politiques du DP et à leurs familles. L’idéologie élitiste a également lancé la « théorie de la queue », théorie qui se résume ainsi : « Les responsables du DP avaient été emprisonnés mais la queue était dehors ». Les 4,5 millions de personnes qui avaient voté pour le DP étaient considérées comme la « queue » et la tête était en prison, comme un serpent dont la tête emprisonnée était sur le point d’être écrasée, mais la queue restait dehors (…)

Jusqu’en 1945-46, la Turquie n’était pas multipartite. Comparée à de nombreux pays du tiers monde, elle avait adopté des réformes 20, 30 ou 40 ans avant eux. Les pays du tiers monde, ont pour la grande majorité d’entre eux, acquis leur indépendance après 1945 ou même 1950 dans le cadre du mouvement de la décolonisation. En Turquie, l’État-nation et la république moderne ont été créées au cours de deux vagues de modernité, de la « révolution jeune turque » à la « révolution kémaliste » de 1908 à 1923. Quant à savoir pourquoi cette révolution s’est conclue par un parti unique (…), les conditions d’alors liées à un faible développement (économique), ont conduit au monopole du pouvoir par la bureaucratie militaire investie par la mission de modernisation du pays. La proclamation de la République et du gouvernement du parti unique a été suivie par des développements sociaux et économiques. Cependant, la Turquie portait en elle les avantages sociologiques et économiques d’un empire ottoman jamais colonisé. Finalement, les Unionistes et les Kémalistes ont eu gain de cause avec la création d’une « bourgeoisie nationale ». Cette nouvelle classe, longtemps à l’ombre de l’élite bureaucratique militaire fondatrice de la République, ne s’est pas confinée aux seuls domaines économiques et s’est agitée pour confirmer sa maturité politique et se lancer sur la scène des affaires publiques »

(…)

« Nous sommes sortis du système de parti unique en 1946, pourquoi est-ce que de nombreux intellectuels en Turquie qualifient cela comme « contre révolutionnaire ? » interpelle Mme Duzel

« C’est effectivement une des plus grandes erreurs d’appréciation historique, fruit d’une drôle de combinaison entre le marxisme et le kémalisme en Turquie. Les élections et la période de 1946 à 1950 ont été considérées par la gauche (turque) -avec quelques variations en son sein –comme « contre-révolutionnaires ». Et cette théorie a perduré jusqu’à nos jours (…) Certains mouvements de gauche fascisés se prévalent de cette théorie. En qualifiant la période du système multipartite de « contre-révolutionnaire » et en la condamnant intégralement, ils prouvent qu’ils n’accordent aucune valeur à la démocratie et aux avancés démocratiques. Cette idée de contre-révolution pour la période de 1946 à 1950 se combine avec un récit historique qui remonte au 19ème siècle.

Selon cette spéculation, au cours du 19ème siècle, les forces dirigeantes de la Turquie, notamment par le traité de commerce de Baltalimani conclu entre les dirigeants du Tanzimat (ndlr : 1839 à 1876) et les Anglais, ont livré la Turquie au capitalisme et à l’impérialisme. D’une certaine façon, ils ont vendu le pays (…) Partant de là, les réformes modernisatrices du 19ème siècle, le développement de la Turquie, la réalisation de la fondation d’un État moderne, sont écartés du champ de vision. On a plutôt tendance à voir le renversement de la Turquie dans l’entreprise impérialiste (…) Puis, il y a la révolution kémaliste sous la conduite de Mustafa Kemal qui réussira à faire sortir la Turquie de ce gouffre, briser l’emprise impérialiste et à fonder une République hors du système capitaliste mondial, autonome, autarcique et étatique (…) Cette période est la seule période éclairée de la Turquie, mais le régime du parti unique qui suit la révolution kémaliste éprouve des difficultés à évoluer vers le multipartisme après 1945. La classe dominante réactionnaire composée de la bourgeoisie compradore et des seigneurs exploitants agricoles, remporte la victoire en bernant un peuple crédule qui leur accorde leurs voix. Ces derniers tentent de détruire les acquis de la révolution kémaliste et incitent la Turquie à faire partie du système mondial impérialiste sous domination américaine »

A la question « Qu’est-ce qu’a pu faire changer le gouvernement dirigé par le DP en Turquie ? », Halil Berktay répond : « La mécanisation dans l’agriculture, la conjoncture favorable créée par la guerre au Corée allant de paire avec l’augmentation des prix agricoles (…) L’attrait et l’intérêt en Turquie pour la politique grâce à l’existence des deux partis politiques et d’un système électoral qui fonctionne (…) entraînant l’éducation politique (…) Mais (cet embelli) n’a pas duré car la multiplication (de la représentation) politique a décliné avec le populisme (…) Et ce populisme s’est livré à des procédés terribles. Les événements des 6-7 septembre 1955 ne sont que le produit du nationalisme populiste (ndlr : Les 6 et 7 septembre 1955, une foule haineuse attaque à Istanbul les maisons et les magasins des Chrétiens en « représailles » d'un pseudo attentat contre la maison natale d'Atatürk à Salonique) (…) Le DP, arrivé au pouvoir avec un vaste soutien populaire, a de plus en plus agi anti-démocratiquement et l’opposition démocratique s’est glissée vers le parti Républicain du peuple (CHP- kémaliste) (…) Le DP fut pris de panique et a n’a pas voulu lâcher le pouvoir. Il a opéré un changement du mode de scrutin aux élections de 1957. Au cours de ces élections, le nombre de voix pour le CHP a explosé et il a obtenu autant de voix que le DP. Mais à cause d’un mode de scrutin injuste, le DP a pu obtenir plus de sièges au Parlement que durant la dernière législature. Le parti semblait pencher vers une évolution fascisante appuyée sur une majorité parlementaire. »

(…)

« Si le coup d’État militaire du 27 mai n’avait pas été fomenté, les élections auraient-elles eu lieu ? Le peuple était-il en faveur d’un tel coup ?» interroge pour conclure Mme Duzel

« Il n’y avait eu aucun coup d’État jusque-là. Les événements de Babiali de 1908 et 1913 étaient déjà très anciens. Une majorité de gens portait leur espoir sur le CHP et sur Ismet Inonu. Toutefois dans certains milieux, composés d’élites, d’intellectuels, de gauchistes, de kémalistes ou de marxistes, ce désir d’intervention militaire existait. Toute indiscrétion révélant le mécontentement des militaires y était accueillie avec jubilation » relève Halil Berktay.

AINSI QUE...

LE PRÉSIDENT IRAKIEN JALAL TALABANI HOSPITALISÉ POUR « UN ÉTAT DE FATIGUE GÉNÉRAL »



Le président irakien Jalal Talabani a été hospitalisé le 25 février dans un hôpital de la capitale jordanienne où il se remet d'un état de fatigue général. Le roi Abdullah II de Jordanie lui a rendu visite dès le lendemain. Jalal Talabani est apparu pour la dernière fois en public le 24 février à Souleimaniyeh, où il a rencontré l'ambassadeur américain en Irak Zalmay Khalilzad et Massoud Barzani, président du Kurdistan irakien. Le bureau du président a précisé dans un communiqué depuis Bagdad que les premiers résultats des tests « indiquaient que son état était normal et stable et que tous ses organes vitaux étaient en bon état ». « Les examens démontrent que Son Excellence a souffert d'une fatigue extrême au cours des derniers jours et était déshydraté », selon le communiqué.

Devenu président en avril 2005, Jalal Talabani est le premier président kurde de l'histoire moderne de l'Irak et a été réélu pour un mandat de quatre ans en avril 2006. Jalal Talabani s'est construit une réputation d'homme de paix pour avoir tenté de réduire les divisions entre les différentes communautés du pays. Depuis le début de son mandat, il s'est voulu apaisant avec les Etats voisins, dont la Syrie et l'Iran. Mais il a aussi jugé que tout départ prématuré des GI's serait « catastrophique ».

DES RESPONSABLES POLITIQUES KURDES CONDAMNÉS PAR LA JUSTICE TURQUE POUR AVOIR REDIGÉ DES TRACTS EN KURDE



Deux responsables du principal parti pro-kurde de Turquie ont, le 26 février, été condamnés à 18 mois de prison pour la distribution de tracts à l'occasion de la Journée de la Femme le 8 mars 2006. Le président du Parti pour une société démocratique (DTP, non-représenté au parlement), Ahmet Turk, et son adjoint Aysel Tugluk, ont été jugés coupables d'avoir « fait l'éloge de criminels » car le tract mentionnait Abdullah Öcalan. Les deux responsables politiques ont également été jugés coupables d'avoir violé la loi sur les partis politiques car le tract était rédigé en langue kurde. Bien que la Turquie ait ces derniers temps assoupli les restrictions visant l'usage du kurde, la loi prévoit que seul le turc peut être utilisé par les partis politiques dans leurs écrits ou dans leurs fonctions.

Des dizaines de membres du DTP sont actuellement poursuivis par la justice turque pour « soutien au PKK ». A Diyarbakir, le chef local du DTP, Hilmi Aydogdu, a été arrêté pour « incitation à la violence » et immédiatement incarcéré le 23 février pour ses déclarations rapportées par la presse turque et dans lesquelles il déclarait que toute intervention à Kirkouk par l’armée turque serait considérée comme une attaque contre Diyarbakir. De plus, Ibrahim Sunkur, le chef provincial du DTP à Van a été arrêté et écroué le 22 février. Des livres écrits par Abdullah Öcalan ainsi que des photos, bannières et documents ont été saisis au cours d'une perquisition opérée quelques jours avant. Un membre de l'organisation de jeunesse du parti a également été arrêté.

Par ailleurs, le Conseil de l'Europe estime que la Turquie a rempli « à ce stade » toutes ses obligations à l'égard du chef du PKK, Abdullah Öcalan, notamment en ce qui concerne sa demande d'un nouveau procès. Dans une résolution adoptée le 15 février, le Comité des ministres, exécutif du Conseil de l'Europe, a estimé qu'Ankara avait rempli ses obligations et décidé de clore le dossier ouvert après un arrêt rendu en mai 2005 par la Cour européenne des droits de l'homme (CEDH). « Nous avons estimé qu'Öcalan avait eu la possibilité de demander la réouverture de son procès. La Turquie a rejeté cette demande, comme l'auraient fait de nombreux pays européens, en jugeant qu'il y avait de sérieuses raisons de penser que la justice aurait tranché dans le même sens », selon un délégué du Comité des ministres. « Nous n'avons rien trouvé à redire à cette décision » ni aux autres mesures adoptées par Ankara pour se conformer à l'arrêt de mai 2005, a ajouté le délégué. Le Comité des ministres, dont l'une des missions est de surveiller l'application des arrêts de la Cour européenne, réserve en revanche son opinion sur les quatre nouvelles requêtes déposées par le chef du PKK en attendant que les juges strasbourgeois tranchent. L'une d'entre elles, s'appuyant sur l'arrêt de 2005, réclame un nouveau procès, les trois autres concernent principalement les conditions de détention en isolement dans l'île-prison d'Imrali.

D’autre part, la justice danoise a demandé une nouvelle enquête sur la chaîne de télévision kurde Roj-TV basée au Danemark, accusée par la Turquie d'être la porte-parole du PKK « Nous avons demandé à la police de Copenhague de mener une nouvelle enquête sur cette chaine, car cette affaire n'est pas suffisamment éclaircie », a déclaré le 14 février la procureure Hanne Schmidt. La procureure s'est refusée à fournir plus de détails sur les conclusions de l'enquête menée depuis 2005 par la police de Copenhague sur Roj-TV et que le bureau du procureur du royaume a jugé « insuffisantes » pour clore le dossier. Ankara, avec le soutien de Washington, a demandé à plusieurs reprises au gouvernement danois de fermer cette chaine. Basée au Danemark, d'où elle émet depuis 2004 vers 78 pays, Roj-TV a toujours rejeté ces accusations. L'enquête policière devra établir si Roj-TV a enfreint la loi danoise, en incitant à la haine et en soutenant ouvertement une « organisation terroriste », comme l'estime Ankara. Il appartiendra alors en dernier recours aux tribunaux de se prononcer sur un éventuel retrait de sa licence de diffusion en cas d'infraction à la législation danoise.

L’ANCIEN VICE-PRÉSIDENT IRAKIEN, TAHA YASSINE RAMADAN, CONDAMNÉ Á MORT



Le Haut tribunal pénal irakien a, le 12 février, condamné à mort en appel l'ancien vice-président irakien Taha Yassine Ramadan, précédemment condamné en novembre 2006 à la réclusion à perpétuité pour l'exécution de 148 villageois chiites à Doujaïl au nord de Bagdad.

Par ailleurs, de 200 à 250 cadavres de détenus kurdes ont été découverts le 1er février dans un charnier à l'ouest de la localité de Salmane, dans une province limitrophe de l'Arabie Saoudite. Des informations recueillies auprès d'habitants ont permis la découverte du charnier, mis au jour par une commission d'enquête à moins d'un kilomètre d'un camp de détention de l'ancien régime de Saddam Hussein, a précisé Amine Mohammed Amine, responsable de la province désertique de Mouthanna. Le charnier s'étend sur 200 m2. Il renferme les restes d'hommes, de femmes et d'enfants, probablement des Kurdes, en raison de leur habit traditionnel.

La commission d'enquête -- formée d'un juge et d'un représentant du conseil provincial de Samawa, capitale de la province de Mouthanna, du sous-préfet et du chef de la municipalité de Salmane -- a commencé à retirer les restes et à les enterrer selon les rites religieux musulmans, a précisé M. Amine, lui-même membre de la commission. Plus de 180.000 Kurdes ont été tuées lors des campagnes militaires Anfal, au Kurdistan, en 1987 et 1988, au cours desquelles des milliers de villages ont été détruits et des centaines de milliers de personnes ont été transférées.