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POINT SUR LA SITUATION EN TURQUIE

CILDEKT
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Liste
NO: 95

29/4/1998

  1. UNE NOUVELLE CONDAMNATION DE LA TURQUIE PAR LA COUR EUROPÉENNE DES DROITS DE L'HOMME
  2. LE PROCÈS DE HADEP: 500 PERSONNES PLACEES EN GARDE-À-VUE
  3. LE RAPPORT DU CONSEIL DE L'EUROPE RELATIF AU DEPLACEMENT DE POPULATION ACCABLE LA TURQUIE
  4. LA TURQUIE À NOUVEAU SUR LA SELLETTE DANS LE RAPPORT ANNUEL DE REPORTERS SANS FRONTIÈRES
  5. VASTE CAMPAGNE DE DESINFORMATION TURQUE SUR LA BASE DES "AVEUX" DE SAKIK


UNE NOUVELLE CONDAMNATION DE LA TURQUIE PAR LA COUR EUROPÉENNE DES DROITS DE L'HOMME


La Turquie a été condamnée vendredi 24 avril par la Cour européenne des droits de l'homme pour la destruction des maisons kurdes au cours des opérations anti-guerilla au Kurdistan. La Cour a jugé que les soldats s'étaient rendus coupable de "traitement inhumain" violant ainsi la Convention européenne des droits de l'homme. Les deux plaignants, Keje Selcuk et Ismet Asker, ont vu leurs maisons et leur moulin partir en feu et privés de tout, ont été obligés de quitter leur village d'Islamkoy (Diyarbakir) sans aucune assistance.

Ankara est également coupable d'avoir violé les principes de la Convention européenne relatifs au droit à une vie privée et familiale et à la libre disposition des biens personnels.

Ce n'est pas la première fois que la Turquie est condamnée pour de tels actes. Pour se défendre, Ankara a soutenu que toutes les procédures juridiques au niveau national n'étaient pas épuisées mais la Cour constatant que la lettre des plaignants au gouverneur du district était resté lettre morte, a souverainement décidé qu'une plainte devant les Tribunaux nationaux n'aurait "rimé à rien". Selon la Cour, les autorités turques n'ont pas apporté de preuve effective- les officiers chargés de l'opération et les témoins dans le village n'ont pas été interrogés.

La Cour a accordé à Keje Selcuk et Ismet Asker $46 080 et $53 800 respectivement et le remboursement des frais engagés.

LE PROCÈS DE HADEP: 500 PERSONNES PLACEES EN GARDE-À-VUE


Le procès des responsables du Parti de la Démocratie du Peuple (HADEP), accusés d'avoir violé le paragraphe 1 de l'article 168 du code pénal turc a débuté mardi 27 avril devant la Cour de sureté d'Etat d'Ankara. Le président de HADEP, Murat Bozlak, secrétaire-général Hamit Geylani, président adjoint Mehmet Satan, secrétaire-général adjoint Zeynettin Unay, Ali Riza Yurtsever, Ishak Tepe et Melik Aygul étaient présents dans la salle d'audience, ils répondent du chef d'accusation d'"organisation de bande armée contre la sécurité de l'Etat" et risque une peine de 22 ans et 6 mois de prison.

D'importantes mesures de sécurité avaient été prises par la police tout autour du tribunal avant l'audience. Environ 500 personnes, réunies pour soutenir les responsables du HADEP ont été placées en garde à vue et seraient libérées prochainement et 10 véhicules de HADEP ont été interdits d'accès à la ville.

De nombreux observateurs étaient également présents à la Cour. Parmi eux, Mark Muller, vice-président de l'Union des Associations des Barreaux Britaniques, Gill Higgins, responsable des Avocats Sans Frontières, des responsables des ambassades britaniques, américaine, allemande, française et espagnole, Yucel Sayman de l'Association du Barreau d'Istanbul, Fikret Baskaya, Yildirim Kaya, vice-président du Parti de la Liberté et de la Solidarité (ODP) et anciens députés du Parti de la Démocratie (DEP-dissous) Sedat Yurttas et Sirri Sakik.

Yusuf Alatas, un des avocats d'HADEP, a demandé la libération de ses clients mais cela a été rejeté par la cour, qui a ajourné les auditions jusqu'au 28 mai pour attendre l'issue de l'"affaire du drapeau", le dépôt du témoignage de Semdin Sakik et pour recueillir d'autres preuves et témoignages contre HADEP.

LE RAPPORT DU CONSEIL DE L'EUROPE RELATIF AU DEPLACEMENT DE POPULATION ACCABLE LA TURQUIE


Un rapport élaboré par l'Assemblée du Conseil de l'Europe relatif au déplacement de population accusant la Turquie de "brûler des villages et de déplacer la population" a soulevé des protestations dans les rangs des députés turcs.

Le rapport, condamnant la Turquie, affirme que "la Turquie devrait arrêter d'user les armes contre la population civile kurde" et ferait mieux d'améliorer la situation économique de la région. Présenté par la députée socialiste Ruth Gaby Vermot-Mangold siégeant à la Commission des "Migrations et des migrants", le rapport appelle la Turquie à signer la Convention européenne sur la protection des langues minoritaires et propose que la Turquie paye une compensation aux personnes déplacées, investisse d'avantage dans la région, mette fin aux opérations extra-frontalières dans le nord de l'Irak et laisse les organisations non gouvernementales visiter la région.

Par ailleurs, le rapport condamne le Parti des Travailleurs du Kurdistan (PKK) pour ses actions violentes et note également que ce dernier est responsable du départ de quelques villageois.

Les propositions de ce rapport seront débatues une nouvelle fois à la réunion de la commission des migrations les 14 et 15 mai à Genève.

LA TURQUIE À NOUVEAU SUR LA SELLETTE DANS LE RAPPORT ANNUEL DE REPORTERS SANS FRONTIÈRES


A la veille de la Journée internationale de la liberté de la presse le 3 mai 1998, Reporters sans frontières a publié son rapport annuel faisant le point sur les violations de la liberté de la presse dans 140 pays. En 1997, 26 journalistes ont été tués dans l'exercice de leurs fonctions et au 14 avril 1998, 102 journalistes étaient emprisonnés pour leurs activités professionnelles.

La Turquie est un des pays qui enregistre le plus de violations des libertés à l'égard des journalistes. Selon le rapport, en 1997, près d'une vingtaine de journalistes ont été torturés en détention et au moins 255 ont été interpellés ou incarcérés. Le procès des onze policiers accusés du meurtre de Metin Goktepe, journaliste d'extrême gauche battu à mort, est largement retracé avec ses rebondissements dans le rapport.

De même, l'édition de 1998 dénonce la pratique de torture quasi systématique en Turquie et souligne que "les collaborateurs d'organes de presse prokurdes ou d'extrême gauche sont très souvent torturés dans les locaux des sections en charge de la lutte antiterroriste. En 1997, au moins 16 journalistes ont subi ce sort".

Toujours selon le rapport, 91 journalistes sont détenus en Turquie "sans qu'il soit possible d'affirmer qu'ils le sont pour leurs opinions ou pour avoir exercé leur profession". 62 journalistes y ont fait l'objet d'agressions et 73 autres ont été menacés ou harcelés en 1997 (estimation minimale). De plus, d'autres moyens de pressions sont utilisés contre les journalistes, tels que des pressions juridiques, administratives ou économiques; des procès ont été organisés contre des journalistes appartenant à au moins 44 médias turcs entre le 1er janvier et le 31 décembre 1997. 89 médias ont été suspendus pour des périodes variables ou fermés ou encore supendus pour une durée indéfinie et au moins 33 quotidiens ou périodiques ont été saisis.

VASTE CAMPAGNE DE DESINFORMATION TURQUE SUR LA BASE DES "AVEUX" DE SAKIK


Le police turque fait ces jours-ci un usage démesuré des "aveux" attribués à Semdin Sakik pour tenter de régler ses comptes avec tous ceux, journalistes, hommes politiques, hommes d'affaires, qu'elle considère comme "ennemis" de l'Etat et pour relancer sa campagne de désinformation à l'étranger. Ainsi, selon le quotidien populaire turc Sabah du mardi 28 avril, Semdin Sakik, ancien commandant du PKK capturé par les troupes turques dans le nord de l'Irak le 13 avril et interrogé depuis par les services de sécurité turcs, aurait déclaré que le PKK était responsable de l'assassinat de l'ancien Premier ministre suédois Olof Palme en 1986.

Ankara tente depuis des années de convaincre l'Occident que le PKK est une organisation terroriste sans scrupules. Ces déclarations qui n'ont pas été publiées officiellement et impossibles à vérifier de manière indépendante vont dans le sens de la stratégie turque de désinformation. Selon des sources diplomatiques "vraie ou fausse, cette information va donner de quoi réfléchir aux Occidentaux qui appellent la Turquie à ouvrir un dialogue politique avec le PKK". Mesut Yilmaz, Premier ministre turc, a déclaré que "on ne sait pas ce qu'il a dit et même s'il l'a dit, on ne sait pas sous quelles contraintes il étaitPour tout le monde, l'important sera ce qu'il dira au tribunal quand il passera en jugement". Par ailleurs, Lars Nylen, chef de la police nationale suédoise a déclaré qu'"il ya plusieurs années, la commission d'enquête Palme a mené des investigations approfondies à propos d'allégations similaires venant de Turquie, mais elles n'ont mené à rien".

Présentées comme des extraits des interrogatoires de Sakik, d'autres nouvelles sensationnalistes visent à incriminer des militants des droits de l'Homme et certains hommes politiques d'être à la solde du PKK. Akin Birdal, président de l'Association des droits de l'Homme en Turquie, qui serait accusé par Sakik d'être "davantage un combattant du PKK" que lui-même, a affirmé qu'il considérait le PKK comme une "organisation de guérilla armée" et a ajouté que "c'est un stratagème très primaire" que d'accuser des opposants sur la base de "prétendus aveux sans doutes arrachés sous la torture". Il s'agit d'un complot ourdi par les services de police pour salir la réputation des démocrates turcs et kurdes a-t-il conclu.

L'Allemagne, la Syrie, l'Iran, l'Arménie et la Grèce, plusieurs hommes d'affaires turcs et des journalistes renommés seraient également cités par Sakik comme étant des sympathisants du PKK. A ce titre, Cengiz Candar et Mehmet Ali Birand, deux éminents chroniqueurs, ont été suspendus par leur journal Sabah à la suite de ces campagnes de désinformation médiatique orchestrée par la police politique (MIT).

Ilnur Cevik, directeur du quotidien Turkish Daily News, présente la situation en ces termes dans son éditorial du 27 avril:

"Nous sentons que ces affirmations devraient être regardées avec beaucoup de réserves. Il est facile de calomnier les gens mais il n'est pas facile d'effacer les dommages. Ce genre d'affirmations porte l'ombre sur d'importantes révélations que Semdin a pu faire à propos du PKK car cela ébranle la crédibilité de ses confessions. Certains observateurs indépendants en Occident sentent déjà que les autorités utilisent Semdin pour ruiner la crédibilité de certaines personnalités éminentes en TurquieNous ne devons pas jouer avec la dignité et l'honneur des gens en s'appuyant sur les déclarations d'un terroriste qui s'auto-confesse. Si ce genre de choses sont révélées à la presse, nous croyons que les autorités devraient faire très attention à ce qui est disponible dans les journaux".