Publications

Haut

POINT SUR LA SITUATION EN TURQUIE

CILDEKT
 -
Liste
NO: 86

13/2/1998

  1. L'ARRESTATION DE 7 DIRIGEANTS DU HADEP
  2. LE PRÉSIDENT TURC EN VISITE À PARIS
  3. LA TURQUIE SE PRÉPARE À L'INSTAURATION D'UNE ZONE TAMPON AU KURDISTAN IRAKIEN
  4. L'INSTITUT DE LA PRESSE INTERNATIONALE DÉNONCE LES VIOLATIONS DE LA LIBERTÉ DE PRESSE EN TURQUIE
  5. PAS D'AIDE POUR LA TURQUIE ET LA GRÈCE DANS LE BUDGET AMÉRICAIN DE L'ANNÉE 1999
  6. LE RAPPORT ANNUEL DU DÉPARTEMENT D'ÉTAT AMÉRICAIN CRITIQUE À NOUVEAU LA SITUATION ACCABLANTE DES DROITS DE L'HOMME EN TURQUIE


L'ARRESTATION DE 7 DIRIGEANTS DU HADEP


La police turque a, le 12 février, arrêté les principaux dirigeants du parti légal pro-kurde HADEP. Ces arrestations ont été décidées par le procureur en chef de la Cour de Sûreté de l'État d'Ankara qui accuse le HADEP de "propagande séparatiste" dans un calendrier 1998 édité et diffusé par ce parti. Les personnes arrêtées sont: Murat Bozlak, président du HADEP; Mehmet Satan, vice-président du HADEP; Hamit Geylami, secrétaire général; Zeynettin Unay, secrétaire général-adjoint, ainsi que deux membres du comité exécutif du HADEP, Ali Riza Yurtsever et Melik Aygul. Ces arrestations visent à faire taire les rares hommes politiques kurdes encore en liberté en cette période de crise du Golfe.



LE PRÉSIDENT TURC EN VISITE À PARIS


Le président turc Süleyman Demirel effectuera du 18 au 20 février une visite officielle en France à l'invitation du président français Jacques Chirac. A cette occasion Mme. Mitterrand, présidente de notre comité et de France-Libertés, a écrit une longue lettre d'information à tous les députés et sénateurs français sur le sort du peuple kurde et la situation des droits de l'homme en Turquie. Nous publierons dans le prochain numéro de notre bulletin, le contenu de cette lettre.



LA TURQUIE SE PRÉPARE À L'INSTAURATION D'UNE ZONE TAMPON AU KURDISTAN IRAKIEN


Alors que la crise du Golf semble évoluer vers une nouvelle confrontation militaire entre l'Irak et les États-Unis et que la Turquie refuse à Washington l'utilisation de son territoire en cas de conflit, l'armée turque prend des dispositions pour l'instauration d'une zone tampon d'une profondeur de 15 km dans le nord de l'Irak, "en vue d'empêcher un nouvel afflux de réfugiés kurdes irakiens vers la Turquie". Monsieur Sükrü Gürel, porte-parole du gouvernement turc a déclaré que "toutes les mesures nécessaires contre les effets néfastes sur la Turquie d'une intervention militaire" américaine contre l'Irak seront prises, sans toute fois préciser celles-ci. Cependant le quotidien Sabah du mardi 10 février affirme que la Turquie a déjà dépêché 30 000 soldats au Kurdistan d'Irak, appuyés par des avions F-16 et F-104 et des hélicoptères Cobra et Sikorsky, survolant dès à présent le territoire irakien. L'envoyé spécial du quotidien, Murat Yigit, rapporte que certains réfugiés kurdes sont d'ores et déjà en route vers la Turquie, malgré les conditions météologiques difficiles en cette saison.

Ankara soutient que ces préparatifs sont lancés "pour organiser une aide humanitaire en prévision de réfugiés kurdes irakiens", et les membres de la coalition gouvernementale turque s'opposent à l'utilisation de la force contre l'Irak. La Turquie s'inquiète surtout de la situation d'après-guerre. Le vice-Premier ministre turc Bülent Ecevit connu de longue date pour ses sympathies pour Saddam Hussein a déclaré dimanche 8 février, qu'il soupçonnait les États-Unis d'avoir un plan visant une partition de l'Irak et la création d'un État kurde. "Je ne crois pas qu'une superpuissance comme les États-Unis n'aient pas un plan pour l'après-guerre. Les États-Unis veulent diviser l'Irak pour la création d'un Etat-satellite du Kurdistan sous leur contrôleS'ils affirment qu'ils n'ont pas un tel plan, qu'ils nous expliquent alors ce qu'ils envisagent pour l'après-guerre" a affirmé M. Ecevit qui demande à Washington de "ne pas humilier" Saddam Hussein et de "respecter son honneur". Connaissant la fragilité de la coalition gouvernementale turque et le pro-saddamisme militant de M. Ecevit, Washington n'a pas jugé bon d'inclure Ankara dans les périples dans la région de Mme. Albright et du secrétaire à la défense, W. Cohen. Une délégation dirigée par un secrétaire d'État adjoint, M. Grossman, accompagné du chef d'état-major adjoint a fait le déplacement d'Ankara pour y rencontrer les hauts dirigeants militaires et civils turcs pour leur exposer la position américaine. Les Américains auraient offert de soutenir la Turquie dans ses négociations avec les institutions financières internationales et l'Europe, d'assouplir leur politique de vente d'armes et de tolérer les incursions militaires turques au Kurdistan irakien en échange du soutien d'Ankara dans l'épreuve de force contre Saddam Hussein. Invoquant leurs intérêts nationaux, les Turcs auraient refusé ce soutien.

Le ministre turc des Affaires étrangères, Ismail Cem, proche de M. Ecevit et de ses thèses pro-irakiennes s'est rendu à Bagdad pour une mission de "médiation" apparemment non sollicitée. Tout comme la mission similaire de M. Ecevit en 1990, celle de M. Cem n'a eu pour effet que d'indisposer encore davantage Washington. Le 9 février, l'ambassadeur américain à Ankara, Marc Parris a reçu les journalistes turcs pour démentir publiquement les allégations du vice-Premier ministre turc sur les supposés plans américains de partition de l'Irak et de création d'un État kurde. Le 12 février l'ambassadeur britannique à Ankara, M. David Logan, a dû également démentir les déclarations de M. Ecevit. Dans ce climat passionnel certains journaux turcs évoquent le vieux projet turc d'annexion du Kurdistan irakien, l'ex wilayet ottoman de Mossoul.

D'autres s'en prennent au "pacifisme douteux" et au pro-saddamisme du vice-Premier ministre turc. Dans une lettre ouverte adressée à Bülent Ecevit, l'éditorialiste libéral Hasan Cemal, écrit dans le quotidien Sabah du 10 février:

" Toute personne raisonnable est opposée à la guerre. Sachant à quel point celle-ci peut être destructrice toute autre solution lui est préférée. Mais doit-on aller jusqu'à sauver l'honneur des dictateurs pour cela? Non. Tout au contraire car Monsieur Ecevit, dans cette région le nom de Saddam rime avec la guerre et non la paix. C'est lui qui a attaqué l'Iran ! C'est lui qui a occupé le Koweït ! C'est lui qui a sacrifié depuis des années son peuple sur les champs de bataille !Et c'est également lui qui a gazé les kurdes d'Irak, femmes et enfants, à Halabja ! Saddam est un dictateur sanglant, M. Ecevit.

Le mot démocratie ne fait pas partie du vocabulaire de Saddam. L'expression "droits de l'homme" ne fait pas partie du vocabulaire de Saddam. Or, le parti politique dont vous êtes le leader porte le nom de la Gauche DémocratiqueRevient-il au leader du parti de la gauche démocratique de défendre l'honneur terni d'un dictateur sanglant?En Irak, le plus grand obstacle à la paix c'est Saddam. Tous les pays cherchent leurs intérêts personnels qui ne sont pas forcément concomitants. Cela dit, Monsieur Ecevit;

Pour critiquer ou s'opposer aux États-Unis, il n'est pas nécessaire d'aller dans le même sens que Saddam ou de sauver son honneur. Car, Saddam dans cette région est le nom de la guerre.

C'est désolant de croire que la paix se doit de plaider pour l'honneur d'un dictateur sanglant".



L'INSTITUT DE LA PRESSE INTERNATIONALE DÉNONCE LES VIOLATIONS DE LA LIBERTÉ DE PRESSE EN TURQUIE


Le rapport "Liberté de presse dans le monde en 1997" de l'Institut de la Presse Internationale, place la Turquie parmi les pays qui violent le plus massivement la liberté de presse. Le rapport concernant 150 pays rendu public le 5 février 1998, consacre plus de deux pages à la Turquie. Il établit que le gouvernement turc n'a pas encore honoré les promesses faites en faveur de la liberté de presse et que plus de 70 journalistes restent emprisonnés en Turquie. Toujours selon le rapport, après l'avènement du Premier ministre Mesut Yilmaz au pouvoir en juillet 97, quelques espoirs ont existé pour la libération des journalistes, mais seuls les éditeurs ont bénéficié de la loi d'amnistie, laissant de côté de nombreux femmes et hommes de presse. Le rapport souligne également que le meurtre du journaliste Metin Göktepe n'a pas encore été élucidé.



PAS D'AIDE POUR LA TURQUIE ET LA GRÈCE DANS LE BUDGET AMÉRICAIN DE L'ANNÉE 1999


Le nouveau budget fédéral des États-Unis pour l'année fiscale 1999 n'inclue aucune aide militaire étrangère (FMF) pour la Turquie et la Grèce. Le fonds de soutien économique d'un montant de $22 millions accordé à la Turquie a été également éliminé. Ankara recevra un montant symbolique de $1,5 millions pour l'année 1999 dans le cadre du programme d'entraînement et d'éducation militaire international (IMET). La suppression de l'aide militaire dont les montants étaient au cours des dernières années, devenus de plus en plus symboliques n'affectera pas outre mesure la coopération militaire turco-américaine. L'armée turque vient d'indiquer qu'elle avait engagé des négociations avec la firme Boeing pour l'achat d'avions F15. Dans le cadre d'un accord avec la firme Lockheed la Turquie co-produit des bombardiers F16, mono-réacteur. La Grèce ayant décidé de se doter des F15, l'armée turque ne veut pas être en reste. Elle veut acquérirF15 dernier cri, bi-réacteur dont le prix à l'unité est estimé à $60 millions.



LE RAPPORT ANNUEL DU DÉPARTEMENT D'ÉTAT AMÉRICAIN CRITIQUE À NOUVEAU LA SITUATION ACCABLANTE DES DROITS DE L'HOMME EN TURQUIE


Le Département d'État américain a rendu, vendredi 30 janvier, public son rapport annuel sur la situation dans divers pays du monde.

Ce rapport officiel présenté au Sénat, consacre une large place à la situation des droits de l'homme en Turquie. Entre autres abus, il énumère des cas de torture de prisonniers, "les assassinats mystérieux", évoque le sort Kurde et la détention de douzaines de journalistes. Selon le Département d'État, les efforts en matière des droits de l'homme, entrepris par le Premier ministre Mesut Yilmaz depuis le mois de juillet, date de sa prise de pouvoir, ne sont pas suffisants.

Voici des extraits de la section de ce rapport consacré à la Turquie:

"Dans les six provinces en état d'urgence, le gouverneur de la région autorise les forces de sécurité à opérer des perquisitions sans aucun mandat, aussi bien chez l'habitant que dans les locaux des partis politiques, de commerçants, d'associations, ou de toutes autres organisations. Selon l'Association du Barreau, autoriser les forces de sécurité dans ces provinces, à procéder à des recherches, arrestations ou saisies sans mandatest contraire à la Constitution. Au total, six provinces conservent un statut de "province adjacente", autorisant la Gendarmerie (Jandarma) à endosser la responsabilité de la sécurité, à la fois dans les municipalités comme dans les régions rurales, concédant ainsi des pouvoirs extraordinaires au gouverneur de la province les forces gouvernementales aussi bien que les terroristes du PKK ont commis entre eux mais également à l'égard des civils, des violations des droits de l'homme. Selon le gouvernement, de 1984 jusqu'en novembre 1997, 26 532 membres du PKK, 5 185 membres des forces de sécurité et 5 209 civils sont morts dans le conflit.

Dans le but d'affaiblir le soutien logistique du PKK, le gouvernement a rationné nourriture et autres besoins de première nécessité dans la province de Tunceli, le village de Tepe, autour de Lice (province de Diyarbakir) et dans la province de Bingöl, créant de sévères et importantes disettes parmi la populationSelon des responsables des organisations locales des droits de l'homme, Tepe a été bloquée par des militaires pendant deux mois en représailles au meurtre d'un gardien de village par le PKK.

En novembre, la Cour européenne des droits de l'homme a condamné la Turquie à trois reprises pour avoir violé l'article 8 (droit au logement). Dans ces trois affaires les forces de sécurité avaient brûlé les maisons des plaignants en 1993. La Cour a mis l'accent sur le fait que le procureur n'avait pas mené d'investigations significatives concernant ces dossiers

En raison des déplacements de population et d'un conflit s'acheminant vers les montagnes, les forces de sécurité ont évacué et détruit moins de villages que dans les années précédentesJournalistes et responsables des organisations des droits de l'homme se sont vus interdire l'accès au village de Lice où nombreux villageois ont été placés en détention par la police pour avoir refusé de devenir gardien de village.

Le nombre exact de personnes déplacées des villages du Sud-Est depuis 1984 reste inconnu. De nombreuses estimations s'accordent sur un chiffre de 2600 à 3000 villages et hameaux vidés de leurs habitants.

Les programmes gouvernementaux d'aide aux villageois évacués apparaissent insuffisants. Les responsables locaux et provinciaux réalisent néanmoins des efforts pour leur fournir des besoins de première nécessité. Restent nombreux, les migrants vivant dans des endroits surpeuplés, aux conditions de vie insalubres avec très peu de perspectives de travail.

Selon le gouvernement, 7 608 personnes sont retournées dans 61 villages du Sud-Est cette année.

Le gouvernement organise, arme et finance une force de défense civile dans la région, connue sous le nom de gardiens de villageSi les villageois sont d'accord pour servir, le PKK prend pour cible leur village. Si les villageois refusent de participer, les forces de sécurité peuvent réagir contre eux et leur village. Les gardiens de village ont la réputation d'être les moins bien entraînés et disciplinés parmi les forces de sécurité du Gouvernement. Ils sont fréquemment accusés de corruption, de crimes de droit commun et de violations des droits de l'homme. Outre ces derniers, la Gendarmerie (Jandarma) et les "équipes spéciales" de la police sont considérées comme étant les plus responsables des abus perpétrés.

Le gouverneur régional de l'état d'urgence a le pouvoir de censurer les journaux, d'interdire les grèves ou les lockouts et d'imposer des exiles internesSeul un recours judiciaire limité peut être formulé contre les décisions administratives du gouverneur.

D'après les chiffres gouvernementaux, 3 223 écoles primaires restent fermées dans les 22 provinces d'Est et du Sud-Est, pour des raisons de sécurité ou par manque d'enseignants.

L'armée de terre turque a mené à l'aide d'un soutien aérien plusieurs opérations dans le nord de l'Irak contre le PKK au cours de cette année. D'après les rapports de la presse, le gouvernement y a envoyé en mai entre 25 000 et 50 000 soldats et en septembre entre 8 000 et 15 000 soldats. En novembre, l'armée turque a combattu le PKK et l'Union Patriotique du Kurdistan (UPK) au côté du Parti Démocratique du Kurdistan (PDK)Les forces turques avaient strictement limité l'accès à la presse durant ces opérations".