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POINT SUR LA SITUATION EN TURQUIE

CILDEKT
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Liste
NO: 80

5/12/1997

  1. LEYLA ZANA REFUSE SA LIBERATION POUR RAISON DE SANTE
  2. LETTRE DE MME MITTERRAND AUX RESPONSABLES POLITIQUES DES QUINZE
  3. TROISIEME CONDAMNATION EN UNE SEMAINE DE LA TURQUIE PAR LA COUR EUROPEENNE DES DROITS DE L'HOMME
  4. LE RAPPORT 1997 DE L'AMNESTY INTERNATIONAL ACCABLE UNE NOUVELLE FOIS LA TURQUIE
  5. CONDAMNATION A MORT DES 33 ISLAMISTES ACTIVISTES, RECONNUS COUPABLES DE LA MORT DE 37 INTELLECTUELS
  6. LE CONSEIL NATIONAL DE SECURITE DEMANDE LA FERMETURE DES RADIOS ET TELEVISION PROCHES DE LA MOUVANCE ISLAMISTE
  7. LE PRESIDENT DE LA COUR CONSTITUTIONNELLE TURQUE PREND A PARTIE WASHINGTON
  8. INTERDICTION ET SAISIE D'UN LIVRE DU DR. EKINCI POUR UN PROBLEME PACIFIQUE DU PROBLEME KURDE
  9. HUMOUR: UN "PRIX DE LA DEMOCRATIE ET DE LA LAÏCITE" DECERNE A L'ARMEE TURQUE!
  10. TEMOIGNAGE: "A VOUS DE DENOMMER CE REGIME !"


LEYLA ZANA REFUSE SA LIBERATION POUR RAISON DE SANTE


Le Premier ministre turc Mesut Yilmaz a demandé à Oltan Sungurlu, ministre turc de la Justice et le parquet d'Ankara afin qu'une formule soit trouvée pour que Leyla Zana, figure de proue de la contestation démocratique kurde, soit libérée avant le sommet européen des 12 et 13 décembre de Luxembourg. La sentence de 15 ans, à laquelle elle a été condamnée, s'achevant légalement en 2005, les responsables turcs veulent appliquer l'article 399 du code de la procédure pénale (CUMUK) au cas de Mme Zana, comme cela a été fait pour l'avocat Esber Yagmurdereli. Invoquant la santé de l'ex députée kurde, qui souffre notamment d'une ostéoporose et subit un traitement médical régulier dans un hôpital à Ankara, les autorités veulent ainsi différer l'exécution de sa peine pour des raisons de santé. Consciente de la manipulation politique turque, Mme Zana a adressé une lettre à Mesut Yilmaz qu'elle n'accepte pas de mesure individuelle, qu'elle ne demande pas de compassion mais justice. "A mes yeux, la libération du peuple kurde a plus de valeur que ma vie" écrit-elle Par ailleurs, elle a écrit au Président Clinton, une lettre où elle affirme notamment "vivre sous l'oppression et la violence perpétuelles des différentes autorités". Elle appelle les Etats-Unis à uvrer pour mettre fin "à la souffrance et l'angoisse des peuples kurdes et turcs".



LETTRE DE MME MITTERRAND AUX RESPONSABLES POLITIQUES DES QUINZE


Dans une lettre, datée du 26 novembre 1997, adressée aux Premiers ministres et ministres des affaires étrangères des quinze pays membres de l'Union Européenne, notre présidente Mme Danielle Mitterrand exprime son désarroi quant à la situation tragique dans laquelle s'engouffre les populations turques et kurdes, à l'heure où la Turquie essaie de forcer les portes de L'UE. Voici de larges extraits de sa lettre:

"Je pense que l'entrée dans l'Union douanière n'a apporté aucun crédit à vos espérances de négociations pacifiques et de démocratisation du régime militaire que vous entretenez". Regrettant les violations des droits de l'homme perpétrées par la Turquie elle a souligné qu'"En mars 1994on déplorait la destruction de 847 villages kurdes par l'armée et l'assassinat d'environ 1800 intellectuels et démocrates pacifistes par des escadrons de la mort des forces paramilitaires turques parmi euxpoète et dramaturge Musa Anter, le député Mehmet Sincarfauchés pour avoir voulu défendre pacifiquement la dignité et l'identité de leur peuple. 4 ans après (selon les données officielles-ndlr) on en est à 3 185 villages kurdes évacués et détruits et à environ 3 millions de déplacés kurdes dans les conditions de misères indescriptible dans les bidonvilles."

"Les derniers témoins autochtones de cette immense tragédie humaine, les députés kurdes, dont mon amie Leyla Zana, députée de Diyarbakir, lauréate du Prix Sakharov du Parlement Européen, ont été arrêtés, condamnés à 15 ans de prison". Rappelant l'allégeance de la classe politique turque à l'armée, elle a ajoute: "C'est l'ex-premier ministre Erbakan que dénonce la mainmise totale de l'armée sur la vie politique dans son pays".

"Toute la soumission du parlement et du Gouvernement ne vous inquiète-t-elle pas au moment où vous seriez sur le point d'en faire vos alter ego?"

"Vous ne pouvez ignorez que pour financer sa très coûteuse entreprise de massacres, la Turquie devient de plus en plus un narco Etatil est établi que 80% d'héroïne consommée en Europe vient de la Turquie" poursuit-elle, avant d'interpeller les ministres en ces termes "Ne croyez-vous pas qu'il serait plus honorable pour nos démocraties d'exiger des Turcs de remplir d'abord une série de critères sur le respect des droits de l'homme, l'instauration de la paix civile et d'une démocratie véritable, la reconnaissance d'un statut équitable pour ses 15 à 20 millions de leurs citoyens kurdes avant tout examen de leur candidature?"

Mme Mitterrand a conclut sa missive sur ces lignes "C'est à votre conscience d'homme et d'homme d'Etat responsable du devenir de l'Europe et de ses valeurs que je fais appelVous aurais-je un peu troublé au moment de signer pour ou contre? Je le souhaite de tout cur et en mon âme européenne".



TROISIEME CONDAMNATION EN UNE SEMAINE DE LA TURQUIE PAR LA COUR EUROPEENNE DES DROITS DE L'HOMME


Dans un arrêt rendu le vendredi 28 novembre 1997, la Cour Européenne des droits de l'homme a condamné à la somme de 27 795 livres sterling la Turquie, "pour avoir brûlé des villages du Sud-Est et pour avoir porté préjudice au droit à une vie familiale normale". Le 25 juin 1993, à la suite d'une opération militaire turque, les habitants du village de Riz (district de Genç à Bingöl) ont été contraints de quitter leurs maisons et leur village a été brûlé et évacué par l'armée turque. Condamnée à l'exode, Azize Mentese, Mahile Turhalli et Sulhiye Turhalli ont saisi la Commission européenne des droits de l'homme, qui a reconnu le bien fondé de leur requête. Compétente en dernier ressort, la Cour Européenne des droits de l'homme a procède à la seconde condamnation de la Turquie dans une affaire de destruction de village. Fondé sur la violation des articles 13 et 8 de la Convention européenne des droits de l'homme, l'arrêt rejette les allégations de la Turquie, selon lesquelles la saisine de la Commission ne peut intervenir que six mois après le jugement national. La Cour a souverainement jugé qu'en ces lieux, où l'Etat procède à la destruction de villages sans aucun dédommagement et instruction préalable, le droit n'est pas appliqué et qu'il serait vain de chercher une quelconque justice dans ces conditions.

Ces condamnations commencent à couter chère à la Turquie. Ces cinq dernières années, 1486 affaires concernant 1648 personnes ont été portées en justice pour arrestations et détentions illégales en Turquie. Sous ce même chef d'accusation, la Cour Européenne des droits de l'homme a été saisie par 300 affaires distinctes, qui ont été communiquées au gouvernement turc. Au total, l'Etat turc a été condamné à plus d'1,5 millions de francs d'amende , à la suite du dénouement de cinq affaires similaires, sans compter les récentes condamnations de la Turquie concernant les députés kurdes emprisonnés en Turquie.



LE RAPPORT 1997 DE L'AMNESTY INTERNATIONAL ACCABLE UNE NOUVELLE FOIS LA TURQUIE


Le rapport 1997 d'Amnesty International, sur les violations des droits de l'homme dans 150 pays a été rendu public le 30 novembre 1997. L'organisation internationale consacre une large part à la Turquie en dénonçant la mort de 25 personnes et la disparition de 32 autres au cours des gardes à vue. L'Amnesty révèle que 14 personnes ont été condamnées à la peine capitale après un jugement arbitraire et chiffre à plus de 2500 les victimes de la guerre entre le PKK et la Turquie. Les enquêteurs critiquent longuement les réstrictions considérables à la liberté d'opinion et les rebondissements scandaleux de l'affaire Göktepe. Les investigations révèlent que les enfants sont sujets à la torture et qu'à Manisa 16 lycéens ont subi des sévices à la suite des gardes à vue. Le rapport donne l'exemple de l'affaire Mahir Göktas, âgé de 14 ans, électrocuté par ses orteils au commissariat de Manisa et dont le dossier d'instruction des policiers incriminés est toujours en cours. Par ailleurs, la destruction des villages kurdes par l'Etat, de même que les différents massacres orchestrés par les forces de l'ordre dans les prisons, sont également soulignés.



CONDAMNATION A MORT DES 33 ISLAMISTES ACTIVISTES, RECONNUS COUPABLES DE LA MORT DE 37 INTELLECTUELS


33 islamistes accusés des meurtres de 37 personnes brûlées vives, dans l'incendie de hôtel Madimak à Sivas le 2 juillet 1993 ont été condamnées vendredi 28 novembre 1997, à la peine de mort, par la Cour de Sûreté de l'Etat d'Ankara. La Cour par son jugement a assez largement suivi le réquisitoire du procureur, qui avait réclamé la peine de mort pour 38 des 98 accusés, pour "tentative de changer par la force l'ordre constitutionnel de l'Etat". Le feu avait été allumé par une foule, menée par des intégristes, en réaction aux propos de l'écrivain satirique, Aziz Nesin. Le massacre de Sivas est le plus grave crime fondamendaliste commis en Turquie à l'époque moderne.



LE CONSEIL NATIONAL DE SECURITE DEMANDE LA FERMETURE DES RADIOS ET TELEVISION PROCHES DE LA MOUVANCE ISLAMISTE


Le tout-puissant Conseil national de Sécurité turc (MGK), par l'intermédiaire duquel l'armée exerce son influence politique, a appelé le mercredi 26 novembre 1997 le gouvernement à interdire des centaines de télévision et de radios locales accusés de faire de la propagande islamiste. Le MGK a déclaré "avoir demandé au gouvernement de prendre des mesures légales contre des médias qui opèrent en violation des principes fondamentaux et indispensables de la constitution". La décision du Conseil est la dernière d'une série de mesures réclamées par l'armée afin de lutter contre ce qu'elle appelle "la montée de l'islam politique". D'un autre côté, ce même Conseil a décidé dans la foulée que l'adhésion à l'UE "ne sera plus à l'ordre du jour de la Turquie" si l'UE ne prend pas une décision favorable à Ankara lors de son sommet de décembre. Le MGK a estimé, lors de sa réunion mensuelle, que l'UE "leurre la Turquie avec ses fausses promesses à propos de son adhésion".



LE PRESIDENT DE LA COUR CONSTITUTIONNELLE TURQUE PREND A PARTIE WASHINGTON


Le Président de la Cour Constitutionnelle turque, Yekta Güngör Özden, a vivement critiqué James Foley, porte-parole adjoint du ministère américain des affaires étrangères. M. Foley avait récemment déclaré à propos de l'affaire en cours devant la Cour Constitutionnelle sur la dissolution du parti islamiste qu'" un verdict mettant en question le système démocratique et multipartite de la Turquie serait embarrassant". Le Président Özden a réagi avec véhémence en déclarant qu'" Il n'y a aucune instance en Turquie, pas même au monde qui soit susceptible d'influencer la Cour Constitutionnelle. Ces propos ne sont pas dignes du représentant d'un pays réputé pour son respect de la souveraineté de la Justice et des droits de l'homme". Considérant que les propos américains avaient le dessein d'influencer la Justice turque, M. Özden a ajouté qu'il ne rendait en aucune façon des verdicts en conformité avec la conjoncture politique. " la Turquie n'est nullement le valet des Américains, mais un pays indépendant qui entend le rester indéfiniment." a-t-il conclu.



INTERDICTION ET SAISIE D'UN LIVRE DU DR. EKINCI POUR UN PROBLEME PACIFIQUE DU PROBLEME KURDE


Chaque semaine la Cour de Sûreté de l'Etat interdisent, dans la quasi-indifference générale, des livres, des journaux, des périodiques. Un exemple récent de cette censure de routine, l'interdiction le 13 novembre par la Cour de Sûreté de l'Etat n°5 d'Istanbul d'un livre en turc "La question kurde du point de vue de la citoyenneté et une proposition de solution". Son auteur, Dr. Tarik Ziya Ekinci, ancien député de Diyarbakir, est une personnalité de gauche connue et réputée qui, après le coup d'Etat militaire de 1980 a dû vivre pendant plusieurs années en exil en France. Ses opinions pacifiques sont également de notoriété publique. Dans son essaie, il analyse la politique des gouvernements turcs successifs envers la communauté kurde, explique les raisons de l'impasse de cette politique de négation et de destruction de l'entité kurde et avance une proposition de solution pour le règlement du problème dans le cadre des frontières existantes avec une nouvelle conception de citoyenneté et de pluralisme culturel:

La Cour turque estime qu'"en évoquant les persécutions subies par le peuple kurde", l'auteur commet "le crime d'invitation ouverte de la population à la haine et à la confrontation par des considérations de différence de race, de langues et de région", crime puni par l'article 28 de la constitution et la loi n° 5680. Elle ordonne la saisie du livre et engage des poursuites contre son auteur septuagénaire qui a déjà fait plusieurs séjours dans les prisons turques pour délit d'opinion. Dans un communiqué rendu public à Istanbul, Dr. Ekinci a déclaré qu'il poursuivrait jusqu'à la mort son combat pacifique en faveur de la justice pour son peuple, de la démocratie et de la paix. En 1994, son frère cadet, l'avocat Yusuf Ekinci, avait été enlevé en plein Ankara par un escadron de la contre-guerilla turque et sauvagement assassiné.



HUMOUR: UN "PRIX DE LA DEMOCRATIE ET DE LA LAÏCITE" DECERNE A L'ARMEE TURQUE!


L'association Atatürk américaine a décerné le mercredi 26 octobre 1997, "le prix de la démocratie et de la laïcité 1997" à l'armée turque. Le Général Çevik Bir, chef-adjoint de l'état-major turc s'est rendu aux Etats-Unis pour recevoir ce prix au cours d'une cérémonie à la quelle étaient présents Nüzhet Kandemir, l'ambassadeur turc à Washington, Mark Parris, son homologue américain en Turquie. "Atatürk et l'Atatürquisme est un idéal auquel la République turque sera liée à jamais" a-t-il déclaré au cours de son discours. Critiquée par la communauté internationale pour sa brutalité envers les Kurdes, l'armée turque, gardienne de la pensée unique d'Atatürk semble satisfaite de recevoir un prix donné par une obscure association de Turcs des Etats-Unis. Le Général Bir a néanmoins profité de sa visite pour rencontrer son homologue américain, promettre "une solution par le dialogue pour le problème kurde" et inviter les Américains à participer au marché d'achat de 145 hélicoptères de combat dont le délai de soumission expire le 31 décembre.



TEMOIGNAGE: "A VOUS DE DENOMMER CE REGIME !"


Zülfü Livaneli, journaliste et artiste turc notoire, résume dans un éditorial paru au quotidien Milliyet du 27 novembre 1997, la chronique des derniers jours:

"Enumérons un par un et objectivement les événements d'un jour. Episode 1: Les agents du MIT (service des renseignements), présumés avoir été trempés dans l'assassinat d'Ömer Lütfü Topal (roi des casinos), ont été relâchés. Episode 2: Les policiers qui ont matraqué et traîné les journalistes à même le sol, leur occasionnant des blessures au cours d'une manifestation à Ankara, ont été disculpés. Le tribunal a décidé "qu'ils exécutaient leur mission" et n'a pas retenu l'usage effectif des matraques, malgré des centaines d'images probantes diffusées à la télévision. Faut-il croire à ses yeux ou bien à la décision de la Cour? A la Cour bien sûr! Episode 3: La juge qui a décidé l'arrestation des policiers, présumés avoir participé à l'assassinat de Metin Göktepe (journaliste), à été mutée. Une instruction a été ouverte à son encontre.

Faisons un peu une rétrospective sur ces derniers jours: La proposition de révision constitutionnelle ayant pour objet de limiter l'immunité parlementaire a été rejetée à l'Assemblée turque. Le Premier ministre Mesut Yilmaz a reconnu que l'affaire Susurluk était dans une impasse et que même les services de renseignements (MIT) ne fournissaient pas d'information. Sa phrase devenue un crescendo est la suivante "Si j'avais su, je ne me serai pas mêlé de cette affaire !" Bravo !

A côté de cela, les enfants, torturés à Manisa et qui ont fait leurs dépositions sous la pression, ont été condamnés à une peine de 2,5 à 12 ans de prison. Le parquet a demandé que des peines plus lourdes soient prononcées. Selon le journal Radikal, l'instituteur Bedrettin Sen a été condamné par la Cour de Sûreté de l'Etat à 28 mois de prison et à une amende de 223 millions de livres turques pour avoir lancé des slogans. Ces exemples ne sont pas exhaustifs. Nous sommes comme cela ! D'accord mais, quel est le nom de ce régime? Quel nom peut-on attribuer à ces agissements fermes et résolus et à ces pratiques, conduites par une main invisible. C'est à vous de répondre à cette question ! Mais en votre for intérieur ! Il suffirait que vous tombiez par inadvertance sur le nom réel pour qu'ils vous attrapent et vous enferment vous aussi, cinq à dix ans ".