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POINT SUR LA SITUATION EN TURQUIE

CILDEKT
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Liste
NO: 79

26/11/1997

  1. STATUANT SUR L'AFFAIRE DE LEYLA ZANA ET DE SES COLLÈGUES LA COUR EUROPÉENNE DES DROITS DE L'HOMME CONDAMNE LA TURQUIE
  2. LA TURQUIE EGALEMENT CONDAMNEE DANS L'UNE DES AFFAIRES DE MEHDI ZANA
  3. ANKARA REJETTE UNE ASSISTANCE FINANCIERE CONDITIONNELLE DES ÉTATS-UNIS
  4. L'ALLEMAGNE SUR LA "LISTE JAUNE" D'ANKARA
  5. BILAN DU MOIS D'OCTOBRE DES VIOLATIONS DES DROITS DE L'HOMME EN TURQUIE
  6. LA CAMPAGNE GRANDISSANTE POUR LA LIBERATION DE LEYLA ZANA GÊNE LES RELATIONS ENTRE WASHINGTON ET ANKARA


STATUANT SUR L'AFFAIRE DE LEYLA ZANA ET DE SES COLLÈGUES LA COUR EUROPÉENNE DES DROITS DE L'HOMME CONDAMNE LA TURQUIE


La Cour de Strasbourg a rendu son verdict ce mercredi 26 novembre dans la première partie du recours introduit par les défenseurs de Leyla Zana et de ses cinq collègues députés kurdes. Il s'agit de la partie concernant l'arrestation et la garde-à-vue de ces six députés en mars 1994. Dans son arrêt argumenté de 14 pages, la Cour, formée de 9 juges, dont le juge turc F. Gölcüklü, conclut à l'unanimité que l'Etat turc a violé les articles 5.3, 5.4 et 5.5 de la Convention européenne des droits de l'homme et le condamne à verser pour dommage moral à Mme. Zana, MM. Alinak, Sakik et Türk qui ont subi une garde-à-vue de 12 jour une somme de 25.000 FF chacun et à MM. Dicle et Dogan, gardés à vue pendant 14 jours une somme de 30.000 FF chacun. La Cour ordonne également à Ankara de " verser aux requérants pour frais et dépens 120.000 FF dans un délai de 3 mois ". Elle affirme que la dérogation de l'article 15 de la Convention qui prévoit la suspension de certaines libertés dans des situations d'urgence mettant en danger la vie et la sécurité de la nation, invoquée par la partie turque, ne peut s'appliquer dans cette affaire où des élus du peuple ont été arrêtés à Ankara, capitale du pays.

L'arrêt de la Cour européenne sur la première partie de l'affaire des députés kurdes constitue d'ores et déjà une condamnation cinglante pour les autorités turques. Il est intervenu plus de 3,5 ans après le recours introduit par les avocats des députés qui attendent maintenant le verdict de la Cour de Strasbourg sur le fond de l'affaire, à savoir la condamnation à de très lourdes peines de prison de ces élus du peuple pour délit d'opinion.

Voici à titre d'information, le texte des dispositions de la Convention européenne des droits de l'homme que, selon la Cour, la Turquie a violées dans l'affaire des députés kurdes :

3. Toute personne arrêtée ou détenue, dans les conditions prévues au paragraphe 1 c) du présent article, doit être aussitôt traduite devant un juge ou un autre magistrat habilité par la loi à exercer des fonctions judiciaires et a le droit d'être jugée dans un délai raisonnable, ou libérée pendant la procédure. La mise en liberté peut être subordonnée à une garantie assurant la comparution de l'intéressé à l'audience.

4. Toute personne privée de sa liberté par arrestation ou détention a le droit d'introduire un recours devant un tribunal, afin qu'il statue à bref délai sur la légalité de sa détention et ordonne sa libération si la détention est illégale.

5. Toute personne victime d'une arrestation ou d'une détention dans des conditions contraires aux dispositions de cet article a droit à réparation. "



LA TURQUIE EGALEMENT CONDAMNEE DANS L'UNE DES AFFAIRES DE MEHDI ZANA


La Cour européenne des droits de l'homme a, le 25 novembre, condamné la Turquie pour les violations des articles 6.1 et 6.3c de la Convention européenne dans l'affaire de la condamnation à 12 mois de prison, en 1991, de l'ancien maire de Diyarbakir pour une déclaration de celui-ci au quotidien turc Cumhuriyet du 30 août 1987. Les juges de Strasbourg estiment que l'absence de M. Zana lors de son procès devant la Cour de Sûreté de l'Etat de Diyarbakir (alors qu'il était incarcéré dans des prisons militaire ou de haute sécurité de l'Ouest du pays) et la durée excessive de la procédure pénale (3 ans 11 mois) contreviennent aux alinéas susmentionnés de la Convention qui garantissent le droit à un procès équitable. Ils condamnent l'Etat turc à verser à M. Zana 40.000 FF en réparation du préjudice moral subi ainsi que 30.000FF pour frais et honoraires d'avocats.

Sur la question de savoir si en condamnant M. Zana à une peine de prison d'un an pour une déclaration à la presse l'Etat turc n'a pas violé l'article 10 de la Convention, les juges restent partagés. Dans le texte incriminé Mehdi Zana dit " Je soutiens le mouvement de libération nationale du PKK, en revanche je ne suis pas en faveur des massacres. Tout le monde peut commettre des erreurs et c'est par erreur que le PKK tue des femmes et des enfants ". Devant la Cour, l'ancien maire de Diyarbakir a déclaré que ses propos avaient été mal interprétés, que depuis le début de son engagement politique dans les années 1960 il avait toujours prôné la non violence et c'est pourquoi il avait désapprouvé le massacre de civils attribué au PKK mais qu'il soutenait les objectifs politiques de cette organisation, visant à obtenir un statut reconnu pour le peuple kurde en Turquie. Une majorité de 12 juges de Strasbourg sur 20 estiment que " le soutien apporté au PKK, qualifié de " mouvement de libération nationale ", par l'ancien maire de Diyarbakir, ville la plus importante du sud-est de la Turquie, dans une entretien publié dans un grand quotidien national, devait, dans les circonstances de l'époque des faits, passer pour de nature à aggraver une situation déjà explosive dans cette région " et donc la peine d'un an de prison dont il n'a purgé qu'un cinquième n'est pas disproportionné, que " la nécessité de l'ingérence pour raisons de sécurité nationale " invoquée par le gouvernement turc est recevable. 8 juges sont d'un avis différent et considèrent qu'il y a eu violation flagrante de l'article 10 de la Convention et s'inquiètent de l'interprétation sécuritaire donnée par leurs collègues.



ANKARA REJETTE UNE ASSISTANCE FINANCIERE CONDITIONNELLE DES ÉTATS-UNIS


La Turquie a rejeté, le 15 novembre, un programme d'aide financière conditionnelle de 40 millions de dollar voté le 13 novembre par le Congrès américain. Celui-ci demandait que la moitié de cette somme, $20 millions soit fournie aux actions en faveur " du règlement des problèmes régionaux " par le biais des ONG et institutions luttant en faveur de la démocratie et des droits de l'homme ". Comme la région en question est le " Sud-Est " (lire Kurdistan) et que les ONG susceptibles d'uvrer en faveur d'un règlement pacifique de ses problèmes sont précisément celles qui critiquent régulièrement la politique du gouvernement turc dans cette région et qu'elles font, à ce titre, l'objet de tracasseries et de persécutions de la part des autorités turques, celles-ci y voient " une ingérence dans les affaires intérieures de la Turquie ".

Ce programme ayant été voté sous une forme identique par le Sénat, la Chambre et la Conférence des deux assemblées, il est devenu définitif. La Turquie en a pris acte et son ambassadeur à Washington, M. Nuzhet Kandemir, a officiellement écrit à Mme Allbright, au Président de la Chambre des représentants et aux leaders de la majorité et de la minorité du Sénat que " son gouvernement n'acceptera aucune aide conditionnelle ".

Déjà l'année dernière Ankara avait refusé une aide similaire parce qu'elle était conditionnée à " l'ouverture d'un corridor d'aide humanitaire pour les vols à destination de l'Arménie ".

Le programme ESF (American Economic Support Fund) est une survivance de la guerre froide. Son volume a d'ailleurs beaucoup diminué passant de $ 250 millions en 1991 à $ 40 millions en 1998 dans le cas de la Turquie. Ce pays qui a tiré $ 25 milliards du trafic de drogue en 1995 (cf. Hürriyet du 27 décembre 1996) et (Cf. $37,5 milliards en 1996) n'a que faire de cette menue monnaie américaine, sur tout si une partie est destinée à renforcer les ONG des droits de l'homme, ses " pires ennemis ".



L'ALLEMAGNE SUR LA "LISTE JAUNE" D'ANKARA


La Turquie entend récompenser par des contrats juteux les Etats européens qui sont favorables à son adhésion à l'Union européenne et punir, en les excluant de ses marchés les Etats réticents ou hostiles. Selon le quotidien Milliyet du 15 novembre 1997, Ankara vient de mettre l'Allemagne sur sa "liste jaune" en raison des réticences de Bonn envers la candidature turque. Ankara, un des plus gros clients de l'Allemagne dans ce domaine, espère ainsi faire pression sur Bonn afin d'assouplir sa position sur la candidature turque à l'UE- L'état-major turc a d'ores et déjà annoncé que l'Allemagne perdait un marché de construction de sous-marins d'une valeur d'1,2 milliard de DM. En revanche la France reçoit un traitement de faveur. Après la vente des hélicoptères Cougar, elle vient d'obtenir un marché de production de chars Leclerc en Turquie.



BILAN DU MOIS D'OCTOBRE DES VIOLATIONS DES DROITS DE L'HOMME EN TURQUIE


Le bilan du mois d'octobre des violations des droits de l'homme rendu public le mardi 18 octobre se présente comme suit:



Meurtres non élucidés 14
Condamnations extrajudiciaires, morts à la suite de tortures subies ou morts en garde à vue 6
Actions à l'encontre de civils 16 morts
37 blessés
Disparitions 2
Personnes torturées 29
Personnes placées en garde à vue 3687
Nombre de personnes arrêtées 71
Nombre de villages et hameaux évacués 1
Nombre d'associations, de syndicats, d'organe de presse fermés 9
Nombre de journalistes placés en garde à vue 25
Nombre de publications saisies 28
Détenus pour délits d'opinion 116














LA CAMPAGNE GRANDISSANTE POUR LA LIBERATION DE LEYLA ZANA GÊNE LES RELATIONS ENTRE WASHINGTON ET ANKARA


L'influent journaliste turc Hasan Cemal résume dans son éditorial de Sabah du 20 novembre 1997, les attentes et les exigences des Américains qu'il a rencontré à Washington. Soulignant l'importance toujours aussi stratégique de la Turquie et l'intérêt américain de la voir figurer dans l'UE, Hasan Cemal affirme que la question des droits de l'homme handicape la Turquie dans toutes ses entreprises commerciales et politiques. Faisant écho à des propos tenus par ses différends interlocuteurs, il demande aux autorités turques de réfléchir à une prochaine libération de Leyla Zana et d'une partie des journalistes emprisonnés avant la tenue du sommet de Luxembourg ou de la visite de Mesut Yilmaz à Washington, à la mi-décembre. Enfin, pour éviter une sclérose des rapports existant entre Washington et Ankara, il plaide en faveur d'une nécessaire réorganisation des relations américano-turques, affirmant que le modèle entretenu pendant la guerre froide, essentiellement porté sur une entente militaire, est aujourd'hui obsolète.

Concernant toujours les relations entre les deux pays, cinq grandes sociétés américaines; Boeing, Textron, Lockheed Martin, General Electric et Northrop, ont adressé au Président Clinton, de même qu'au chef de la diplomatie américaine Madeleine Albright et au ministre de la défense William Cohen, une requête sollicitant l'aval de l'administration américaine pour qu'elles puissent prendre part au marché public turc concernant la production de 145 hélicoptères en collaboration avec la Turquie. Un marché de 4,5 milliards de dollars, s'étendant jusqu'en 2015 dont la date limite des candidatures est fixée au 31 décembre 1997 et où en absence des Américains les Français d'Eurocopter seraient en compétition avec les Russes et les Italiens.