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POINT SUR LA SITUATION EN TURQUIE

CILDEKT
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Liste
NO: 8

1/8/1995

  1. LA COUR CONSTITUTIONNELLE TURQUE A REJETÉ LE POURVOI DES DÉPUTÉS KURDES EMPRISONNÉS
  2. LES PARLEMENTAIRES EUROPÉENS SE SUCCÈDENT À ANKARA
  3. HELSINKI COMMISSION, LA BRANCHE AMÉRICAINE DE LA CSCE, FAIT LE POINT SUR LES RELATIONS TURCO-AMÉRCAINES
  4. LE PROGRAMME DES NATIONS UNIES POUR LE DÉVELOPPEMENT (PNUD), DRESSE UN BILAN ACCABLANT DE L'ÉTAT DES INÉGALITÉS EN TURQUIE
  5. UN DES PARTIS DE LA COALITION AU POUVOIR EN TURQUIE EST EMBARRASSÉ FACE AUX DESTRUCTIONS ET ÉVACUATIONS DE VILLAGES DANS LA PROVINCE KURDE DE TUNCELI


LA COUR CONSTITUTIONNELLE TURQUE A REJETÉ LE POURVOI DES DÉPUTÉS KURDES EMPRISONNÉS


A la suite des récents amendements de la Constitution turque, notamment de son article 84 dans le cas de la dissolution d'un parti politique en raison des déclarations "séparatistes" de ses dirigeants, seuls les auteurs de ces déclarations seront tenus responsables et les députés de ce parti ne seront plus tous déchus automatiquement de leur mandat.

Or en juillet 1994, le Parti de la démocratie (DEP) avait été dissous par la Cour Constitutionnelle turque en raison des "propos séparatistes" qu'auraient tenus son président à l'étranger et 13 députés de ce parti ont été déchus automatiquement de leur mandat.

Invoquant le principe de la responsabilité individuelle, fondement du Droit, l'amendement de la Constitution en ce sens, les avocats des députés kurdes victimes de ce déni de justice, soutenus par plusieurs experts en droit constitutionnel avaient introduit un recours auprès de la Cour Constitutionnelle visant au rétablissement dans leurs droits et dans leurs mandat législatif de leurs clients.

Le 12 septembre la Cour Constitutionnelle a rendu un arrêt de rejet.

Cet arrêt, plus politique que juridique, a déçu tous ceux qui espéraient une ouverture démocratique de la part des autorités turques à quelques semaines du débat sur la ratification de l'accord d'Union douanière par le Parlement européen.

On attend maintenant le verdict de la Cour de Cassation turque sur les lourdes condamnations pénales de 8 députés kurdes, dont 6 ont déjà passé 18 mois derrière les barreaux de la prison Centrale d'Ankara. La Cour de Cassation a fixé au 21 septembre l'audition de cette affaire.

Verdict attendu vers la mi-octobre.

LES PARLEMENTAIRES EUROPÉENS SE SUCCÈDENT À ANKARA


En préparation de l'examen par le Parlement européen de l'accord d'Union douanière avec la Turquie, les autorités turques poursuivent leur offensive de charme en invitant à tour de bras les parlementaires européens à Ankara. Après les présidents de principaux groupes et commissions, d'autres délégations se rendent à Ankara. La dernière en date, formée de Mme. Anne Andrée Lévrand et MM. Ernesto Caccavale, Stefano de Luca et Jean-Pierre Beber, a été reçue, le 8 septembre, par le Président turc Demirel. Celui-ci a déclaré à ses interlocuteurs européens que "la démocratie turque n'avait rien à envier aux démocraties occidentales" et que "comme dans tout pays il pouvait y avoir des violations des Droits de l'Homme" mais que " cela ne constitue pas la politique de l'État". De son côté, le Président de la Commission des Affaires Étrangères de l'Assemblée turque, l'ancien ministre des Affaires étrangères Mumtaz Soysal, a refusé de recevoir la délégation sous prétexte que celle-ci était arrivée en retard à son rendez-vous. A Bonn, le même jour l'ambassadeur turc, Volkan Vural, a offert un petit-déjeuner de travail à 32 députés allemands, membres du Groupe d'amitié avec la Turquie, pour les inviter à redoubler d'efforts afin de convaincre leurs collègues de militer en faveur de la ratification de l'accord d'Union douanière.

Le 13 septembre le rapporteur du Parlement européen, M. Carlos Carnero, est arrivé à Ankara pour faire le point sur la situation.

Au cour de leur visite, les parlementaires européens, outre leur rencontre avec les autorités, tiennent à écouter les dirigeants des O.N.G turques pour se faire une opinion plus équilibrée sur la situation en Turquie. La plupart de ces personnalités ont demandé et obtenu le droit de rendre visite aux députés kurdes détenus à Ankara pour connaître également leur point de vue.

Les militants turcs et kurdes, tout en se félicitant de ces visites, regrettent que leur programme n'inclue pas un séjour, même bref, dans les provinces kurdes, théâtre d'une guerre dévastatrice et des violations massives des droits de l'Homme. La capitale kurde, Diyarbakir, est à une heure de vol d'Ankara et tant qu'on n'a pas vu la situation à tous égards dramatique de la région kurde, l'idée que l'on peut se faire des réalités de la Turquie restera partielle et très incomplète.

HELSINKI COMMISSION, LA BRANCHE AMÉRICAINE DE LA CSCE, FAIT LE POINT SUR LES RELATIONS TURCO-AMÉRCAINES


La Conférence sur la Sécurité et la Coopération en Europe (CSCE) qui avait fait, le mois de mai dernier, un volumineux rapport sur les violations des Droits de l'Homme en Turquie et qui avait insisté sur les insuffisances des réformes de démocratisation des institutions politiques en Turquie et dont la délégation, en visite à Ankara, du 1er au 6 mai, avait demandé la libération des députés kurdes incarcérés, organise une audition sur la Turquie, le 19 septembre à Washington, au Congrès américain . Cette réunion aura pour thème principal, outre l'état des relations turco-américaines, la crise multiforme de la société turque: sur les plans ethnique, religieux et régional. Dans son communiqué annonçant cette audition, Helsinki Commission, constate qu' "en dépit des efforts déployés par les gouvernements turcs successifs afin de consolider les institutions démocratiques, ils n'ont pas pu résoudre les sources des conflits" et d'ajouter que " dans sa réponse au terrorisme, le gouvernement turc a restreint les libertés publiques et commis de massives violations à l'encontre des citoyens kurdes". Outre des chercheurs de Washington Institute for Near East Policy et Human Rights Watch, deux Secrétaires d'Etat-adjoints MM. Richard C. Holbrook et John Shattuck, chargés respectivement des Affaires européennes et canadiennes et du Bureau de la Démocratie, des Droits de l'Homme et du Travail, du Département de l'État américain témoigneront au cours de cette audition devant le Congrès américain. Le Congrès américain se montre de plus en plus critique vis-à-vis de la politique turque en raison des violations massives et systématiques des droits de l'homme et du sort dramatique de la population kurde attestés et documentés par de nombreuses missions d'enquête. Déjà en 1994, "à titre d'avertissement" il avait réduit de 10% l'aide américaine à la Turquie. En mai dernier, en dépit des interventions du Pentagone et du Département d'Etat en faveur d'Ankara, la Chambre des représentants a voté par 247 voix contre 155 la réduction de cette aide à 21 000 000 $. Partisan d'une politique "réaliste et compréhensive envers Ankara" au nom des " intérêts vitaux des Etats-Unis", M. Holbrook risque d'avoir du mal à convaincre son auditoire parlementaire.

LE PROGRAMME DES NATIONS UNIES POUR LE DÉVELOPPEMENT (PNUD), DRESSE UN BILAN ACCABLANT DE L'ÉTAT DES INÉGALITÉS EN TURQUIE


Selon un rapport de l'organisme onusien intitulé "Rapport du développement humain en 1995", la Turquie est un pays où les inégalités s'accentuent. Dans le classement mondial, en termes de développement sur 173 pays étudiés, la Turquie arrive en 68ème position. Le Sud-Est (à lire Kurdistan turc) demeure la région la moins développée, et ce, à tous points de vue. L'écart entre l'Ouest turc et l'Est kurde, en matière de développement, reste énorme; le bilan dressé par le PNUD, en tenant compte de l'espérance de vie, de l'éducation et du taux de mortalité, place les villes kurdes telles que Mus, Bingöl, Van, Agri et Hakkari en bas de la liste, alors que les villes turques arrivent en tête. A titre d'exemple, le taux de mortalité des enfants de moins d'un an à Hakkari (ville kurde) est de 36,8% tandis qu'à Mugla (ville turque), il est de 6,5% et dans la capitale, Ankara, il est de 11,5%. Idem en matière d'éducation, la moyenne du nombre d'années d'études est de 4,3% dans les régions kurdes, ce même taux est de 6.4% pour les villes turques. D'après une étude turque portant sur l'année 1993, le revenu annuel par habitant était de 204$ dans 19 provinces kurdes contre 3760$ pour l'ensemble de la Turquie. Cet écart résume mieux que tout discours la détresse de la population kurde en Turquie.

UN DES PARTIS DE LA COALITION AU POUVOIR EN TURQUIE EST EMBARRASSÉ FACE AUX DESTRUCTIONS ET ÉVACUATIONS DE VILLAGES DANS LA PROVINCE KURDE DE TUNCELI


Lors d'une réunion tenue dernièrement, à huis clos, par le Parti Républicain du Peuple (CHP) la question de Tunceli a été soulevée par le député Kamer Genç, élu de cette circonscription et vice-président de l'Assemblée. La province kurde de Tunceli, où la quasi totalité des villages ont été détruits ou évacués par l'armée. Celle-ci, a depuis le début de l'été y impose un embargo alimentaire à la province. Selon le député de Tunceli, dont l'édition hebdomadaire, du 11-17 août 1995, du quotidien turc Cumhuriyet rapporte les propos de celui-ci dans les termes suivants: " 70 à 80% des habitants de Tunceli ont été forcés à l'exil. Ils vivent dans des conditions plus misérables que certaines tribus d'Afrique...Alors que l'État envoie des aides en Bosnie, et il le faut, la population de Tunceli vit depuis un an dépourvue de tout. Les gens nous demandent du pain et de l'aide alors qu'elle n'en avaient pas besoin auparavant. N'étant pas en mesure de les aider, nous ne pouvons plus nous rendre dans la région en tant que leurs représentants. Comment allons-nous accomplir notre tâche de député ? Si cette indifférence (de la part de l'État) persiste, je démissionnerai de mes mandats".

Après le député de Bitlis, Kamran Inan, collaborateur kurde de tous les régimes, y compris de la junte militaire et ancien ministre du Parti de la Mère Patrie (ANAP), appelant le ministre de l'intérieur à agir d'urgence "pour empêcher une explosion générale dans un sud-est devenu un véritable Bangladesh". C'est donc le tour d'un autre important allié kurde du régime turc de tirer la sonnette d'alarme.

A quelques mois des élections législatives, son Parti républicain du peuple (CHP) qui sert depuis quatre ans de "caution de gauche" à la politique la plus répressive et anti-kurde des 50 dernières années en Turquie est en chute libre dans les sondages. Avec 8 à 9% d'intention de vote, il arrive en 6ème position et derrièr les principaux partis traditionnels, loin derrière les deux partis de droite et le Parti islamiste. Il est même nettement devancé par le Parti d'extrême-droite du Colonel Turkes.

L'élection, le 9 septembre, de M. Deniz Baykal, apparatchik sans envergure, à sa présidence semble avoir peu de chances d'enrayer la désaffection d'un électorat déçu par tant de remaniements et de scandales politico-financiers.