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POINT SUR LA SITUATION EN TURQUIE

CILDEKT
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Liste
NO: 72

11/9/1997

  1. UN MOIS DE SEPTEMBRE DIFFICILE DANS LES RELATIONS TURCO-EUROPÉENNES
  2. LA COUR DE SÛRETÉ D'ÉTAT D'ISTANBUL INTERDIT LA PUBLICATION D'UNE BROCHURE SUR LES KURDES
  3. LE PROCÈS D'INTERDICTION DE L'ASSOCIATION TURQUE DES DROITS DE L'HOMME DEVANT LE TRIBUNAL CORRECTIONNEL D'ANKARA
  4. POURSUITE CONTRE LES PACIFISTES ÉTRANGERS
  5. "JE NE PUIS DIRE QUE LA JUSTICE DE MON PAYS EST INDÉPENDANTE" DÉCLARE LE PRÉSIDENT DE LA COUR DE CASSATION
  6. L'ARMÉE ESTIME "INSUFFISANTE" L'ACTION DU NOUVEAU GOUVERNEMENT CONTRE "LA RÉACTION ISLAMISTE"


UN MOIS DE SEPTEMBRE DIFFICILE DANS LES RELATIONS TURCO-EUROPÉENNES


Le mois a commencé avec la visite mouvementée à Ankara du ministre luxembourgeois des Affaires étrangères, Jacques Poos, dont le pays assure la présidence tournante de l'Union européenne. Mr. Poos a, lors de ses entretiens avec le Premier ministre et le ministre des Affaires étrangères turcs, réaffirmé la position européenne sur une éventuelle adhésion de la Turquie à l'Union européenne. Les trois conditions restent inchangées: droits de l'homme, le problème chypriote et la question kurde. Sur ce dernier point, Mr. Poos a affirmé que la Turquie doit trouver "une solution politique à la question kurde" et reconnaître une "autonomie culturelle kurde". Ces propos ont provoqué un tollé en Turquie. Le rédacteur en chef de Turkish Daily News, I. Çevik, écrivait, le 3 septembre, dans son journal qu'"il semble que personne n'a dit à Poos à quel point les Turcs sont susceptibles sur la question d'une (solution politique) ou peut être il a tout simplement tenu ces propos pour déranger ses hôtes". Après cette visite du ministre luxembourgeois à Ankara, le ministre turc des Affaires étrangères, I. Cem, est venu à Paris pour rencontrer son homologue français, H. Védrine, ainsi que le ministre d'État chargé des Affaires européennes, P. Moscovici. Paris, sous le gouvernement de droite, avait frotement appuyé la candidature d'Ankara à l'Union douanière avec l'UE, mais depuis la signature de ce traité les gouvernements des deux pays ont changé. Les nouveaux ministres socialistes se sont contentés de placer la visite de M. Cem dans le cadre d'une prise de contact et d'échange d'informations. Au cours de ces entretiens, M. Védrine a évoqué la question des droits de l'homme et le problème kurde en Turquie et il a demandé, au nom de son gouvernement, la libération de Leyla Zana. Le lendemain, M. Cem a écouté les ambassadeurs turcs en poste en Europe occidentale qui ont tous souligné la nécessité de faire des progrès sérieux dans les domaines de la démocratie et des droits de l'homme pour espérer une amélioration de l'image du régime turc auprès de l'opinion européenne. Le ministre turc s'est contenté de déclarer à l'issue de cette visite, apparemment peu fructueuse de son point de vue, que "l'adhésion à l'Union européenne est toujours souhaitable mais ce n'est une question vitale. Le refus de l'Europe ne va pas entraîner la fin du monde. Nous pouvons chercher des alternatives avec les grands blocs économiques comme la Chine et l'Inde". Propos repris en des termes similaires par le président turc Demirel en visite à Budapest pour qui "Si la Turquie reste à l'extérieur de l'Europe, ce ne sera pas la fin du monde" . Quant au ministre allemand des Affaires étrangères, Klaus Kinkel, dont le pays entretient d'étroites, mais difficiles, relations avec la Turquie, il a conseillé à la Turquie de "faire ses devoirs" afin d'adhérer à l'Union européenne. Dans une interview accordée, mardi 9 septembre, au quotidien turc Yeni Yuzyil, M. Kinkel a affirmé que "les droits de l'homme, la question kurde et les problèmes économiques sont les principaux "devoirs" de la Turquie". M. Kinkel avait déjà tenu des propos analogues lors de sa visite en mars dernier à Ankara et ajouté que l'adhésion de la Turquie à l'UE "n'était pas prévisible dans un proche avenir". Dans son interview à Yeni Yuzyil, M. Kinkel a souhaité que la Turquie "préfère toujours l'Occident". "Nous insistons maintenant, a-t-il dit, sur la formule: l'Union douanière et plus. Il faut voir ce que nous pouvons ajouter à l'Union douanière". Notons enfin, dans le cadre de cette offensive européenne du nouveau gouvernement turc, le ministre des Affaires étrangères turc se rendra en Allemagne le vendredi 12 septembre; sa visite sera suivie, à la fin du mois, par celle du Premier ministre M. Yilmaz.



LA COUR DE SÛRETÉ D'ÉTAT D'ISTANBUL INTERDIT LA PUBLICATION D'UNE BROCHURE SUR LES KURDES


Écrite à l'origine en français par le prince kurde Celadet Bedirxan en 1934 et Intitulée " De la question kurde: la loi de déportation et de dispersion des Kurdes", cette brochure devait être éditée par la maison d'édition Avesta en une version bilingue turco-française vient d'être interdite par la Cour de Sûreté d'État d'Istanbul sous prétexte de "propagande séparatiste".



LE PROCÈS D'INTERDICTION DE L'ASSOCIATION TURQUE DES DROITS DE L'HOMME DEVANT LE TRIBUNAL CORRECTIONNEL D'ANKARA


Sur ordre du procureur de la République d'Ankara, M. Nihat Ohan, une information a été ouverte pour l'interdiction de l'Association turque des droits de l'homme (IHD). La première audience de cette affaire a eu lieu le lundi 8 septembre. Ont été convoqués à cette audience le président de l'association M. Akin Birdal ainsi que la plupart des membres du Conseil d'administration. L'acte d'accusation retenu par le Tribunal à l'encontre de l'IHD est qu'elle fait "la propagande du PKK". Prenant la parole devant les juges, M. Birdal a récusé l'accusation formulée par le Tribunal en donnant lecture du statut de son organisation et en insistant sur le fait que les activités menées par celle-ci sont conformes au principe de la défense "des droits et libertés humains" et que cette accusation est "politique et non pas juridique". Il a par ailleurs ajouté que "depuis 1984 la guerre du Kurdistan a fait plus de 30.000 victimes et causé la destruction et l'évacuation de plus de 3000 villages, selon les chiffres officiels". En signe de solidarité, de nombreux représentants d'ONG turques ainsi que des représentants des ambassades anglaise et norvégienne et un représentant d'Amnesty International ont été présents dans la salle d'audience.



POURSUITE CONTRE LES PACIFISTES ÉTRANGERS


Le Tribunal d'instance n°2 de Sisli (Istanbul) a engagé des poursuites contre deux citoyens allemands, Mmes. Ute Steingerg et Rosemarie Potthast, pour avoir organisé à leur hôtel d'Istanbul "une manifestation sans autorisation. Les prévenues ont été remises en liberté le 9 septembre et confiées à la police qui les a expulsées le jour même. Par ailleurs, la Direction de la Sûreté générale a émis un mandat de recherche dans l'ensemble du territoire contre le député sud-africain Gassam Solomon qui était venu en Turquie pour prendre part à la manifestation interdite du Train de la paix. Le 10 septembre, à Diyarbakir, les militants pacifistes kurdes que la police avait considérés comme "les meneurs" de l'initiative de la paix et arrêté le 1er septembre ont comparu devant la Cour de sûreté de l'État. Celle-ci a décidé d'écrouer Mme. Selma Tanrikulu, membre du Conseil national de HADEP, et de remettre en liberté tous les autres prévenus.

A son arrivée à Brème, en Allemagne, Mme. Potthast, 57 ans, a donné une conférence de presse sur son séjour mouvementé en Turquie. Selon elle, le 3 septembre la police turque a fait une descente violente dans son hôtel en brisant la porte de l'établissement. Les policiers ont cherché à embarquer de force les délégués étrangers en les traînant par les pieds. Bien que sa jambe soit coincée dans la porte brisée, les policiers ont persisté à la traîner causant ainsi la section de sa jambe. Au commissariat, les 24 occidentaux interpellés ont été placés la face contre le mur et injuriés. 3 heures plus tard, Mme. Ute Steinberg qui avait le cou cassé et Mme. Potthast ont été hospitalisées. Elles sont restées 6 jours à l'hôpital sous la surveillance permanente de deux policiers postés jour et nuit devant la porte de leur chambre et dans un climat d'hostilité du personnel. Déférées le 9 septembre devant le tribunal de Sisli, elles se sont vu recommander par le juge d'agir à l'avenir autrement en revenant en Turquie pour voir ses "beautés touristiques et non pour se mêler de ce genre d'affaires". Pacifiste militante, Mme. Potthast, rentrée de Turquie dans fauteuil roulant avec une jambe cassée, se dit prête à repartir immédiatement si cela peut contribuer à faire avancer la cause de la paix.



"JE NE PUIS DIRE QUE LA JUSTICE DE MON PAYS EST INDÉPENDANTE" DÉCLARE LE PRÉSIDENT DE LA COUR DE CASSATION


En inaugurant le 8 septembre l'année judiciaire 1997-1998, M. Mehmet Uygun, président de la Cour de cassation turque a déclaré devant un auditoire comprenant le président turc et les chefs des principaux partis politiques : "Je ne puis affirmer avec fierté que la justice de mon pays est indépendante et parfaite. Je n'ai pas non plus le bonheur de pouvoir dire que l'indépendance des juges est garantie chez moi". Énumérant ensuite la longue liste des exceptions à la loi commune "entravant les poursuites contre les fonctionnaires, contre les députés et contre les banquiers sans toutefois évoquer les privilèges des militaires et des policiers qui sont quasiment intouchables en Turquie". Selon M. Uygun, ce sont les hommes politiques, jaloux de l'indépendance judiciaire, qui empêchent celle-ci et ce sont souvent eux qui dans les situations de crise font les frais de cette absence d'indépendance. Il a invité ensuite tous les Turcs, du président de la République à la jeunesse éclairée, à défendre "tous les principes et les réformes d'Ataturk inscrits dans la constitution". Ces fameux principes érigés en idéologie officielle de l'État nient l'existence des Kurdes et leur culture en Turquie.



L'ARMÉE ESTIME "INSUFFISANTE" L'ACTION DU NOUVEAU GOUVERNEMENT CONTRE "LA RÉACTION ISLAMISTE"


Le général Erol Özkasnak, secrétaire général du tout puissant Conseil de sécurité nationale turc, a , le 8 septembre convié les principaux journalistes turcs à un cocktail au cours duquel des hauts commandants turcs ont distillé le message suivant à destination de l'opinion publique: "Le péril islamiste conserve toute sa gravité; les mesures prises par le nouveau gouvernement restent très insuffisantes; la justice n'est pas assez rapide pour sévir contre les menées islamistes rapportées aux procureurs par l'état-major des armées. C'est pourquoi le groupe de travail de l'Ouest (BÇG) formé au sein de l'état-major des armées pour suivre les activités islamistes dans le pays, les documenter, les dénoncer et élaborer des mesures visant à les endigue, poursuit son action ", a été diffusé à la Une des principaux journaux turcs du 10 septembre. Sous le titre "L'armée toujours mécontente", le quotidien Hurriyet indique que sur l'ordre du général Karadayi, chef d'état-major général des armées, une délégation militaire a récemment rendu visite au Premier ministre Mesut Yilmaz pour lui faire part pendant deux heures des préoccupations de l'armée au sujet de la réaction islamiste "qui met gravement en péril l'ordre constitutionnel". Les militaires auraient demandé au gouvernement de faire adopter rapidement une loi bannissant l'accès à l'Université des diplômés des lycées religieux dits Imam-Hatip. Après la fermeture des collèges de ces lycées à la suite d'une loi instituant l'enseignement public obligatoire de 8 ans, votée en août dernier, cette mesure contribuerait à réduire sensiblement le poids du puissant système scolaire islamique qui outre ces lycées dispose des pensionnats hébergeant 160.000 élèves issus des milieux ruraux. Les diplômés des lycées religieux n'auraient plus pour débouchés que des facultés de théologie qui forment le personnel des mosquées sunnites (imams, muezzins, muftis) rétribué par un État théoriquement laïc et qui ne subventionne aucune institution des confessions minoritaires chi'ites, chrétiennes ou juives. Critiquant l'inefficacité du ministère de la justice, les militaires affirment que contrairement à ce qu'a déclaré le Premier ministre, le groupe de travail de l'Ouest n'a pas mis un terme à ses activités depuis la formation du nouveau gouvernement. "Bien au contraire. Les membres de ce Groupe, se réunissaient une fois par jour sous le gouvernement précédent, nous tenons désormais deux réunions par jour" déclare à Hurriyet "un responsable militaire". Selon lequel, ce groupe est composé de 40 officiers d'état-major. "Le groupe recueille des renseignements sur les activités de la réaction islamiste et les transmet au Conseil de sécurité nationale" ajoute ce "responsable militaire". Interrogé à ce sujet, le Premier ministre M. Yilmaz, en visite au Kazakhstan, estime que "dans la mesure où nous avons actuellement un gouvernement sensible aux périls menaçant l'ordre constitutionnel le Groupe de travail de l'Ouest de l'état-major n'a plus de raison d'être. C'est au gouvernement qu'il appartient d'évaluer les menaces et d'adopter les mesures appropriées. Il dispose pour cela des moyens appropriés comme l'organisation nationale du renseignement (MIT)". Selon le Hürryet du 10 septembre, M. Yilmaz aurait déclaré aux généraux turcs: "La tension sociale est devenue extrême. Nous avons du mal à embouchonner la bouteille. Si on force encore un peu les choses la bouteille va exploser par le fond". Mais cet appel à la modération n'aurait guère été appréciée par l'armée.

De son côté, l'ancien ministre de l'Intérieur, Mme. Aksener, dénonce dans le Hurriyet du 11 septembre "la dictature oligarchique qui dirige la Turquie dont le gouvernement n'est que le gros bâton". Elle avait, à la demande de Mme. Çiller, chargé la Direction de la Sûreté de suivre de près et d'informer le gouvernement "des réunions illégales et séditieuses du Groupe de travail de l'Ouest". Les espions de Mme. Aksener, dont le directeur-adjoint de la Sûreté ont été démasqués et arrêtés par les militaires et ils comparaissent actuellement devant un tribunal militaire pour vol de documents concernant la défense nationale.

Dans le Milliyet du 11 septembre, l'éditorialiste libéral Taha Akyol prie le général Karadayi de veiller à ce que les interventions de l'armée ne donnent pas à l'étranger l'image d'un pays dirigé par "un gouvernement sous tutelle militaire car cette image va nuire à notre cause en Europe et dans les questions d'Égée, de Chypre et de la lutte contre le terrorisme".