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POINT SUR LA SITUATION EN TURQUIE

CILDEKT
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Liste
NO: 61

17/4/1997

  1. L'AFFAIRE DES DÉPUTÉS KURDES DEVANT LA COUR EUROPÉENNE DES DROITS DE L'HOMME, LE 25 AVRIL 1997
  2. CLAUDIA ROTH INTERDITE DE VISITE À LEYLA ZANA
  3. LIBÉRATION DES DIRIGEANTS DU PARTI PRO-KURDE HADEP
  4. AGGRAVATION DE L'ÉTAT DE SANTÉ DE 21 PRISONNIERS D'ERZURUM EN GRÈVE DE LA FAIM DEPUIS LE 10 MARS
  5. TROIS COLLABORATEURS DU QUOTIDIEN OZGUR GUNDEM CONDAMNÉS À 3 ANS 9 MOIS DE PRISON
  6. LA TURQUIE TIENT TOUJOURS LE HAUT DU PAVÉ DANS LA RÉPRESSION DES JOURNALISTES
  7. L'ALLEMAGNE JUGE "DANGEREUSE" UNE ORGANISATION ISLAMISTE PROCHE DU REFAH
  8. LA MOITIÉ DE LA POPULATION DE TURQUIE VIT EN DESSOUS DU SEUIL DE PAUVRETÉ
  9. ILS ONT DIT:
  10. QUESTIONS TABOU:


L'AFFAIRE DES DÉPUTÉS KURDES DEVANT LA COUR EUROPÉENNE DES DROITS DE L'HOMME, LE 25 AVRIL 1997


La Cour de Strasbourg entendra le vendredi 25 avril à 9h l'affaire des députés kurdes du Parti de la démocratie (DEP). Au cours de cette audience publique, la question de la garde-à-vue et la détention provisoire excessive de Leyla Zana et ses amis sera examinée par la haute juridiction européenne qui doit rendre son verdict sur ce point dans quelques mois. Le fonds de l'affaire à savoir les condamnations des députés pour délit d'opinion est actuellement en cours d'instruction par la Commission européenne des droits de l'homme dont l'avis est attendu d'ici à la fin de l'année. L'audience du 25 avril prochaine à Strasbourg étant publique, tous ceux qui le souhaitent peuvent y assister.



CLAUDIA ROTH INTERDITE DE VISITE À LEYLA ZANA


La co-présidente de la Commission parlementaire mixte Union européenne-Turquie qui se trouvait à Ankara à l'occasion de la 4ème réunion de cette commission a, le 15 avril, essayé d'aller rendre visite à son amie Leyla Zana dans la prison Ulucanlar d'Ankara où elle est détenue depuis plus de trois ans. Sur instruction du gouvernement, l'administration pénitentiaire lui a interdit l'accès de la prison. Elle a alors remis aux gardiens le bouquet de fleurs aux couleurs kurdes qu'elle avait apporté pour Leyla Zana. Dans une déclaration aux journaux et télévisons turcs présents sur place, Mme. Roth, qui est aussi vice-présidente du CILDEKT, a notamment déclaré: "Tant que mon amie Leyla Zana reste en prison pour délit d'opinion, je continuerai de revenir en Turquie et je me mêlerai des affaires internes de la Turquie car la défense des libertés et des droits de l'homme ne connaît pas les frontières des États". Auparavant, lors de la conférence de presse donnée à l'issue des travaux de la commission mixte, en présence de Mme. Çiller, elle avait critiqué celle-ci de ne pas avoir tenu ses promesses antérieures et de ne pas avoir mentionné le problème kurde qui est tout de même "l'un des problèmes principaux de la Turquie". Elle a également demandé à Mme. Çiller "comment, en tant que femme se disant laïque elle peut siéger dans un gouvernement où il y a un ministre d'État polygame ?". Cette question a provoqué la colère de Tansu Çiller qui a demandé aux Européens de ne pas intervenir dans les affaires intérieures de la Turquie. Cette passe d'armes entre deux femmes politiques très connues en Turquie a fait les délices des média qui, pour une fois, semblent témoigner plus de sympathie pour Claudia Roth. D'autant que depuis des années elle ne cesse de dire que la Turquie devra avoir toute sa place en Europe le jour où elle deviendra une véritable démocratie et qu'elle défend les droits des immigrés turcs en Allemagne.

La question kurde continue d'ailleurs d'occuper une large place dans l'actualité allemande. Après le verdict courageux du tribunal de Berlin dans l'affaire de l'assassinat du Dr. Sadegh Charafkandi et de ses trois collaborateurs par des agents commandités par les plus hauts dirigeants iraniens, les relations germano-turques traverse une vive crise. Tandis que l'incendie de Klefeld qui a causé la mort de 3 membres de la famille turque Demir et qui a provoqué des échanges de propos vifs entre Bonn et Ankara, s'avère être l'oeuvre du chef de cette famille. L'hebdomadaire Der Speigl de cette semaine pose en couverture la question lancinante de l'intégration des immigrés turcs et kurdes en Allemagne. L'opinion allemande semble tolérer de moins en moins que les conflits qui déchirent la société turque se prolongent en terre allemande et y troublent la paix publique. Cela conduit les autorités, les parlementaires et les intellectuels à essayer de faire quelque chose pour favoriser la démocratisation de la Turquie et le règlement du problème kurde.

C'est dans cet esprit que 7 membres de la Commission des droits de l'homme de Bundstag vient d'effectuer une mission en Turquie. Dans une conférence de presse donnée le 15 avril à Bonn, les députés Schwaetzer, F. Duve et H. Lummer ont indiqué que les violations des droits de l'homme se poursuivaient et que l'existence et le fonctionnement des Cours de sûreté de l'État qui condamnent des gens pour leurs opinions étaient peu compatible avec un État de droit et que la démocratisation tant de fois promise par les dirigeants turcs n'étaient pas au rendez-vous.



LIBÉRATION DES DIRIGEANTS DU PARTI PRO-KURDE HADEP


Arrêtés à la suite du 2ème congrès de leur parti, tenu le 23 de juin dernier, et gardés à vue depuis, le président du parti pro-kurde HADEP, Murat Bozlak, ainsi que douze autres dirigeants de ce parti ont été libérés, le 14 avril 1997, par la Cour de Sûreté de l'État d'Ankara. Néanmoins, le procès devrait se poursuivre le mois de mai prochain, mais leur "libération pourrait indiquer qu'ils vont être acquittés" a déclaré à la presse l'ex-député de Mus, Sirri Sakik, pour qui il s'agit d'"une étape positive vers la paix intérieure" a-t-il encore ajouté. Ce dénouement intervient quelques jours après les aveux d'un provocateur de police Murat Ipek, qui lors de ce congrès avait, sur les instructions de ses chefs, décroché le drapeau turc et accroché à sa place un drapeau du PKK. Ce personnage reconnaît avoir participé à "plusieurs actions clandestines organisées par la section anti-terroriste de la police" et d'être en contact avec "des policiers de haut rang Davut, Hayrettin et Selahettin de cette section". Extraits de ses aveux reproduits dans le quotidien Ozgur Politika du 11 avril: " J'étais à Denizli (NDLR. ville située à environ 600 km d'Ankara), M. Davut de la section anti-terroriste de la police d'Ankara m'a téléphoné et m'a demandé de me rendre à Ankara en compagnie de plusieurs policiers avec quelques j'avais auparavant travaillé à Sirnak (NDLR. ville kurde à moitié détruite à la frontière turco-irakienne) je me suis rendu dans la salle où se tenait le congrès du HADEP. Messieurs Hayrettin et Davut étaient également là (..) Je portais sur moi un revolver et une carte du PKK. On m'a donné un appareil sans fil pour faciliter la communication. Je suis entré dans la salle par la porte des invités, en compagnie des policiers qui m'avaient appelé. Il y avait là des policiers chargés des bureaux PKK, Hizbullah et Sûreté générale de police (..) Vers 11h, le policier Hayerttin a dit "allons, donc à l'intérieur". Avec lui et le policier Ergun nous nous sommes mêlés à la foule. Nous avons vu groupe de militants cagoulés et excités lançant des slogans pro-PKK, tandis que les gens de la tribune officielle gesticulaient pour les faire taire. J'avais également mis une cagoule fournie par la police et sur ordre du policier Hayrettin. Je me suis mêlé à ce groupe d'excités. Certains membres du groupe disaient "que fait le drapeau turc ici, qui l'a accroché". J'ai abondé dans leur sens et demandé qu'on le décroche. Une fois le drapeau décroché au milieu du tohu-bohu général, j'ai quitté les lieux à bord d'une voiture de police de marque Sahin immatriculée 06AA7781". Voilà comment la police turque, pour faire interdire un parti légal d'opposition et mettre derrière les barreaux ses dirigeants montre impunément un complot.



AGGRAVATION DE L'ÉTAT DE SANTÉ DE 21 PRISONNIERS D'ERZURUM EN GRÈVE DE LA FAIM DEPUIS LE 10 MARS


La grève de la faim, entamée le 10 mars, par un groupe de prisonniers politiques kurdes à la prison spéciale d'Erzurum pour protester contre leurs conditions de détention entre désormais dans une phase critique. Selon l'ex-député de Diyarbakir, Sedat Yurttas, qui leur a rendu visite le 11 avril, 14 des 39 grévistes approchaient dangereusement le seuil de la mort. Des troubles organiques sérieux se seraient manifestés. Ces prisonniers étaient pour la plupart à Diyarbakir. Cherchant à briser leur résistance, l'administration pénitentiaire les avaient dispersés entre plusieurs prisons spéciales où chaque détenu est placé dans l'isolement dans des cellules de haute sécurité. Les détenus se plaignent de tortures physiques et morales et de brimades visant à les détruire et à les dépersonnaliser. Le 15 avril, le nombre de grévistes en danger de mort s'élevait à 21.



TROIS COLLABORATEURS DU QUOTIDIEN OZGUR GUNDEM CONDAMNÉS À 3 ANS 9 MOIS DE PRISON


La Cour de sûreté de l'État N° 3 de Diyarbakir a, le 10 avril, condamné à 3 ans 9 mois Salih Tekün, correspondant à Diyarbakir du quotidien pro-kurde Özgur Gündem, interdit en 1994, Cemal Dag et Ihsan Erdem, respectivement directeur de distribution et distributeur de ce quotidien. Les autres prévenus ont été acquittés. Les 3 condamnés ont déclaré qu'ils ont été condamnés pour délit d'opinion pour avoir, par leurs informations et leurs reportages sur "la sale guerre menée au Kurdistan", contribué à faire connaître les réalités de la région, les exactions de l'armée et des forces paramilitaires. "Le dossier d'accusation est totalement basé sur des documents fabriqués de toute pièce par la police" ont-ils ajouté.



LA TURQUIE TIENT TOUJOURS LE HAUT DU PAVÉ DANS LA RÉPRESSION DES JOURNALISTES


Selon la branche d'Ankara de l'Union des journalistes de Turquie, le bilan des violations des droits des journalistes dans l'exercice de leur fonctions et celui du droit d'expression du mois mars reste aussi accablant que celui des mois précédents. Du 1er au 31 mars " Le nombre des journalistes gardés à vue s'élevait à 45 personnes; 8 ont été attaqués et agressés; 114 journalistes, écrivains et éditeurs sont toujours en prison; 3 radios et télévisions ont été interdites d'émission par le Conseil supérieur d'Audiovisuel; 17 pénalités ont été infligées par le même Conseil à des stations de radios et des chaînes de télévision et 4 livres ont été saisis" affirme l'Union des Journalistes dans un communiqué rendu publique le 14 avril 1997. Dans le même registre l'Institut international de presse, à l'issu de son cinquante-sixième congrès, affirme que la Turquie égale, dans la répression des journalistes, la Zambie.



L'ALLEMAGNE JUGE "DANGEREUSE" UNE ORGANISATION ISLAMISTE PROCHE DU REFAH


Dans son rapport annuel 1996, le Bureau de la protection de la Constitution allemand, chargé du Renseignement et du contre-espionnage, montre du doigt l'organisation Milli Görüs Teskilati MGT dont les activités intégristes au sein de la communauté turque sont qualifiées de "dangereuses" pour l'ordre public et la paix civile en Allemagne. Selon le rapport, la MGT est "le prolongement d'un parti qui vise à créer un État islamiste et à mettre un terme à la laïcité". Le rapport souligne que "cette organisation dispose de 26500 membres regroupés en 500 associations" et qu'elle "travaille en étroite coopération avec le gouvernement turc et en particulier avec son aile islamiste, le Refah". "Son secrétaire général, Mehmet Sabri Erbakan, n'est autre que le propre neveu du Premier ministre islamiste turc, N. Erbakan". Par "son idéologie religieuse extrémiste" et ses activités, le MGT empêche l'intégration à la société allemande des jeunes d'origine turque qu'elle tente d'organiser en une société spéciale à part. Surveillée depuis 4 ans, "cette organisation dangereuse pour l'ordre public" n'est cependant pas menacée d'interdiction.



LA MOITIÉ DE LA POPULATION DE TURQUIE VIT EN DESSOUS DU SEUIL DE PAUVRETÉ


C'est ce qui ressort d'une étude réalisée en 1996 par l'organisation nationale de planification (DPT). Cet organisme officiel fixe à 64 millions de livres turques ($ 484 ) par an et par habitant le seuil en dessous duquel une personne est considérée comme pauvre car disposant de revenus insuffisants pour notamment satisfaire ses besoins de 2450 calories par jour. 32 millions de citoyens de Turquie, sur une population estimée actuellement à 64 millions, vit en dessous du seuil de pauvreté. La situation est particulièrement dramatique dans les provinces kurdes. Selon l'auteur de cette étude, R. Dumanli, cité par le Milliyet du 15 avril, à Diyarbakir sur une population recensée de 1. 250. 000 habitants 80% vivent nettement en dessous du seuil de pauvreté. 500 000, d'entre eux, soit 40% de la population de la capitale kurde, "souffrent de la famine" indique l'expert turc R. Dumanli car ils disposent à peine de 19 à 28 millions de livres par an et par habitant ($ 174). Le revenu annuel per capita était, en 1995, de $ 2780 en Turquie mais en raison d'inégalités graves dans la répartition des richesses une minorité en accapare l'essentiel. Cependant la Turquie est présentée par la Banque mondiale et l'Organisation mondiale du Commerce comme un pays "dynamique"; puisque le volume de ses échanges a augmenté de 11% dans la période de 1990-1996. De son côté, le FMI dont une mission vient de séjourner en Turquie, a indiqué, le 15 avril, que le déficit budgétaire turc pour le premier trimestre de 1997 s'élevait à 415 trillions de livres.



ILS ONT DIT:


S'exprimant dans un débat organisé à l'occasion du 35ème anniversaire de la fondation de la Cour constitutionnelle turque, le président de cet organisme, Yekta G. Ozen, a, selon Hurriyet du 15 avril, déclaré: "Je ne suis pas un menteur au point de d'affirmer que la justice est indépendante dans notre pays". De son côté, Celal Adan, président de la fédération d'Istanbul du DYP de Mme. Çiller, et porte-parole d'une déclaration adoptée le 14 avril par les dirigeants régionaux de ce parti qui critiquent vivement "les centres de pouvoir constitutionnels mais non élus qui s'emploient à déstabiliser le gouvernement" déclare à propos du "rôle de l'armée dans ce complot" : "Voilà deux mois que le pays vit à nouveau avec la peur d'un coup d'État militaire. Eh bien, qu'elle intervienne, l'armée ! Je n'ai pas envie de vivre en permanence avec la peur des forces armées. C'est à cause de la peur des militaires que tous les députés sont devenus sans personnalité et le Parlement sans fonction réelle" (Hurriyet du 15. 04. 1997). Husamettin Cindoruk, ancien président du Parlement turc: "Si elle le pouvait, Tansu Çiller dépècerait le président Demirel avec une scie rouillée" (Hurriyet du 16 avril)



QUESTIONS TABOU:


Qualifiée d'alliée stratégique importante tant par les Européens que par les Américains, la Turquie reste un pays très peu "couvert" par les média occidentaux, en particulier américains. Ceux-ci reprennent souvent les dépêches d'agence qui reflètent elles-mêmes les titres de la presse locale et les communiqués officiels. Résultat: jusqu'à une période récente, à quelques exceptions près, c'est la version officielle des événements de Turquie que la plupart des média américains publiaient en l'assortissant ça et là de quelques conditionnels de prudence. Depuis quelques mois, le New York Times a un bureau permanent à Istanbul. Son chef, Stephen Kinzer, désireux d'aller enquêter dans les provinces kurdes, avait dû se coltiner aux dures réalités de la région. Il avait été gardé à vue pendant 19 heures à Batman, avant d'être libéré sur l'intervention de l'ambassade américaine. Dans le Milliyet du 11 avril, il livre ses impressions sur la vie politique et le métier de journalisme en Turquie. Extraits: "En Turquie, il y a des tabous, des sujets qu'il convient d'éviter. Cela n'est pas écrit quelque part, du moins pas à ma connaissance (NDLR. Le code pénal turc compte 152 articles "encadrant" et restreignant la liberté d'expression). Mais tous les journalistes en sont pleinement conscients. Il y a des choses qui ne peuvent être dites, qui ne peuvent être écrites au sujet de l'armée, d'Ataturk, de l'identité kurde et de la situation dans le Sud-Est (kurde). Aux États-Unis, nous n'avons pas de tels tabous de même que nous considérons comme contraire à la déontologie professionnelle que des journalistes en activité travaillent en même temps comme conseillers pour des politiciens en vue et des hommes d'affaires, comme c'est une pratique courante en Turquie (..) En ce qui concerne les hommes politiques, je lis des livres sur l'histoire de la Turquie des années 1960-1970. Je suis très frappé de voir que les politiciens en vue de cette période sont toujours les principaux acteurs de la vie politique turque actuelle. Peut-être que l'un des problèmes les plus importants auxquels la Turquie doit faire face est d'introduire dans le système les leaders de la nouvelle génération".