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POINT SUR LA SITUATION EN TURQUIE

CILDEKT
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Liste
NO: 31

2/5/1996

  1. L'ASSEMBLÉE PARLEMENTAIRE DU CONSEIL DE L'EUROPE EXIGE LA LIBÉRATION DES DÉPUTÉS KURDES ET LA RECHERCHE D'UNE SOLUTION PACIFIQUE AU PROBLÈME KURDE EN TURQUIE.
  2. LA PROVINCE KURDE DE KARS DÉCLARÉE ZONE MILITAIRE INTERDITE
  3. UN PREMIER MAI SANGLANT EN TURQUIE
  4. NOUVELLE EXÉCUTION EXTRAJUDICIAIRE
  5. DES FEMMES KURDES ET TURQUES POUR LA PAIX AU KURDISTAN
  6. NOUVELLES MISES EN ACCUSATION DE MME. ÇILLER POUR CORRUPTION


L'ASSEMBLÉE PARLEMENTAIRE DU CONSEIL DE L'EUROPE EXIGE LA LIBÉRATION DES DÉPUTÉS KURDES ET LA RECHERCHE D'UNE SOLUTION PACIFIQUE AU PROBLÈME KURDE EN TURQUIE.


Dans une résolution, adoptée le jeudi 25 avril, à Strasbourg, les parlementaires des 39 pays que compte le Conseil de l'Europe, affirmant notamment qu'"A la suite de la décision de la Cour suprême turque du 26 octobre 1995, deux des six parlementaires du DEP, qui ont été condamnés à une peine de 15 ans de prison en 1994, ont été libérés. Cependant, le maintien en détention des quatre autres demeure une grave violation des droits de l'homme, et constitue la négation même de la démocratie parlementaire. Une grâce présidentielle ou une nouvelle loi d'amnistie confirmerait l'engagement de la Turquie vis-à-vis de la démocratie". L'Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe, dont la Turquie fait partie, attend en outre "des autorités turques qu'elles déclarent la recherche d'une solution pacifique au problème kurde comme l'une de leurs plus grandes priorités politiques ". Tout en se félicitant des quelques réformes adoptées par la Turquie, l'Assemblée parlementaire estime "cependant, l'article 8 révisé de la loi de 1991 contre le terrorisme continue de poser de graves questions sous l'angle des droits de l'homme. En conséquence, l'Assemblée demande à nouveau la suppression de l'article 8 ainsi que de dispositions analogues figurant dans d'autres textes de loi"

En même temps, un autre organe du Conseil de l'Europe, la Cour européenne des droits de l'homme, examinait deux requêtes kurdes, le jeudi 25 et le vendredi 26 avril. Dans le premier cas, Sukran Aydin, âgée aujourd'hui de 20 ans, affirme avoir été violée par un gendarme après son arrestation en juin 1993 dans son village de Tasit. Elle accuse les gendarmes de l'avoir auparavant torturée; les yeux bandés, elle a été déshabillée et arrosée d'eau sous pression. La deuxième requête concernait quatre villageoises de Saggoze accusant les gendarmes d'avoir incendié leurs maisons en juin 1993.

A ce jour, 400 requêtes ont été déposées contre la Turquie à la Commission européenne des droits de l'homme et c'est la première fois que deux requêtes ont été transmises à la Cour européenne des droits de l'homme. La Cour doit rendre son jugement dans un délai de six mois à un an. Pour la Commission, l'interdiction de la torture (article 3) et le droit au respect de la vie privée et familiale et du domicile (article 8) ont été violés.

LA PROVINCE KURDE DE KARS DÉCLARÉE ZONE MILITAIRE INTERDITE


Dans un communiqué officiel, le 29 avril, l'état-major des armées déclare la province de Kars "zone militaire interdite pour six mois". Cette mesure fait suite à "l'offensive de printemps" déclenchée par l'armée turque contre les maquisards du PKK le 6 avril dernier. Après des affrontements armés faisant environ 250 morts des deux côtés, l'armée vient d'étendre la zone de ses opérations vers la région du Mont Ararat, qui longe la frontière avec l'Arménie.

UN PREMIER MAI SANGLANT EN TURQUIE


Trois personnes ont été tuées, mercredi 1er mai, lors des affrontements entre la police et des manifestants lors d'un rassemblement à Istanbul. Plusieurs dizaines de milliers de personnes personnes étaient en train de se rassembler pour la manifestation prévue à midi pour célébrer la Fête du Travail, lorsque la police a tenté de procéder à des fouilles des manifestants, déclenchant des affrontements qui ont vite dégénérés en scènes d'émeutes: trois manifestants ont été tués par balles, des dizaines de magasins et d'édifices ont été saccagés. Des affrontements analogues ont eu lieu dans la ville d'Izmir faisant des dizaines de blessés. Dans les provinces kurdes les préfets ont interdit toute célébration du 1er mai "en raison de la situation sensible et de risques graves de troubles".

NOUVELLE EXÉCUTION EXTRAJUDICIAIRE


Un jeune kurde âgé de 19 ans, Mehmet Senyigit, arrêté le 21 avril par 4 policiers en civil, alors que rentrant de son travail, il se rendait de à son domicile situé dans un faubourg de Diyarbakir a été trouvé mort le lendemain dans la morgue de l'Hôpital d'État de cette ville. selon la version officielle, il aurait été abattu lors d'un raid du PKK contre un poste de police. Les témoins oculaires de son arrestation et la famille de la victime contestent avec véhémence cette version officielle. Son père affirme que son fils n'a jamais touché une arme dans sa vie, qu'il avait un travail régulier dans une manufacture de la ville et qu'il rejetait la violence. "Comment en l'espace d'une nuit a-t-il pu, sans entraînement ni formation militaire devenir un guérillero du PKK et attaquer en plein centre-ville un poste de police ?" demande-t-il au parquet, en soulignant que "de nombreux témoins avaient vu son arrestation par des policiers en civil, le 21 avril, au soir". Il a demandé à l'Association turque des droits de l'homme de porter cette affaire devant la Commission européenne des droits de l'homme.

DES FEMMES KURDES ET TURQUES POUR LA PAIX AU KURDISTAN


Réunies, le 30 avril, à Istanbul pour célébrer "les journées pour la paix" des femmes kurdes et turques au cours des meetings, forums, discussions marquant ces journées ont mis l'accent sur la recherche d'une paix durable au Kurdistan. Ce premier rassemblement entre femmes kurdes et turques marque le lancement d'une campagne d'un an des "journées pour la paix" qui culminera par une conférence internationale regroupant des femmes des pays affectés par la guerre. Des discours émouvants ont été tenus par des femmes kurdes venues témoigner de l'horreur vécue au quotidien au Kurdistan. Mme. Nebahat Akkoc, ancienne institutrice à Diyarbakir, et la seule parmi les femmes kurdes qui pouvait s'exprimer correctement en turc, a cité son "cas banal" en disant: "Lors de mes deux années de travail en tant que syndicaliste, j'ai enterré les corps de 16 (de mes collègues) instituteurs ...J'ai toujours porté une liste de donneurs de sang volontaires sur moi en cas d'urgence ou d'assassinat...Mais cette liste ne m'était d'aucune utilité lorsque j'ai appris qu'ils ont tiré sur mon mari. J'ai couru en direction de l'hôpital...trop tard, il était déjà mort (...) J'ai porté plainte contre les forces de sécurité en Turquie et dans les Cours internationales. Encore une fois je trouve devant moi la terreur, ils (les policiers) m'ont arrêtée et ont abusé de moi sexuellement".

D'autres femmes kurdes ne parlant pas le turc se contentaient de lancer de temps à autre "Asti" et "Baris" voulant dire paix respectivement en kurde et en turc. Des femmes turques qui avaient entendu parler de la guerre au Kurdistan par les médias officiels turcs déformant les réalités, se voyaient désarmées, impuissantes, d'autres pleuraient en silence en écoutant les témoignages de leurs concitoyennes kurdes. Les Kurdes, qui prenaient la parole, se présentaient comme des femmes ayant perdu leurs bien-aimés: "Je suis la mère de Biseng" disait l'une, "je suis la femme de Mahmut" disait encore une autre qui avait perdu son mari. Ces "journées de la paix" ont été activement soutenues par Mme. Claudia Roth, vice-présidente de notre Comité et présidente des Verts au Parlement européen, par l'Association turque des droits de l'homme et par des intellectuels et artistes turcs et kurdes.

NOUVELLES MISES EN ACCUSATION DE MME. ÇILLER POUR CORRUPTION


Le Parlement turc a voté, le 25 avril, par 232 voix contre 179 de créer une commission d'enquête pour étudier l'opportunité d'envoyer Mme. Çiller devant la Haute Cour de Justice pour corruption dans l'exercice de ses fonctions. Cette commission de 15 membres, choisis à la proportionnelle, dont 4 députés de la formation de l'ancien Premier ministre commencera début mai ses travaux d'investigation dans l'affaire dite de TEDAS, concernant l'adjudication des marchés de distribution d'électricité.

Cependant cette première affaire semble n'être que la partie visible de l'iceberg des accusations de corruption visant le couple Çiller. Le Refah islamiste, soutenu par le CHP de Baykal et une partie des députés d'ANAP et de DSP, s'apprête à voter le 9 mai en faveur d'une deuxième enquête parlementaire portant sur les marchés publics de l'industrie automobile (TODAS) où Mme. Çiller aurait gagné et fait gagner à ses proches des sommes considérables. Last but not least, suite à des récentes révélations de presse sur " la fringale immobilière de Mme. Çiller" qui au cours des dernières années a acquis en Turquie, souvent avec des prête-noms, une vingtaine de propriétés et de terrains. Le Refah demande la création d'une commission parlementaire pour enquêter sur l'origine et l'étendue de la fortune du couple Çiller, sur les conditions de transfert d'une partie de cette fortune aux États-Unis, sur la faillite frauduleuse de la banque d'Istanbul de M. Çiller..etc.

Ce vrai déballage prélude-t-il une "opération mains propres" à la turque? Les observateurs restent d'autant plus sceptiques que la corruption est très généralisée en Turquie affectant les principaux dirigeants politiques du pays ainsi que la haute hiérarchie militaire et policière. Certains pensent qu'il s'agit d'une opération limitée menée de connivence avec Mesut Yilmaz pour éliminer sa rivale Tansu Çiller et favoriser la fusion de la droite. D'autres affirment que la chute de Mme. Çiller, offerte en bouc émissaire à une opinion publique écoeurée, risque de discréditer l'ensemble des politiciens civils et préparer la voie à un coup d'État militaire "purificateur". Le président Demirel dans une déclaration du 29 avril, fait des allusions claires à ce risque de coup militaire.

Voici quelques autres réactions suscitées par la mise en accusation de Mme. Çiller relatées dans le Hurriyet du 26 avril.

Deniz Baykal, leader du CHP et ancien vice-premier ministre de Mme. Çiller : "Lors de la formation du gouvernement chacun a dissimulé un poignard sous le veston avec l'intention de poignarder son partenaire au premier coin de rue, à la première occasion, c'est ce qui est en train de se passer".

Bulent Ecevit, leader du DSP, dont le "soutien critique" permet à la coalition de gouverner : "Le gouvernement se dévore de lui-même. Il creuse son propre puits (Ndt. sa propre tombe) sans qu'il soit nécessaire que nous lui maintenions ou retirions notre soutien. Il ne peut plus inspirer confiance à la nation. Il faudrait organiser des nouvelles élections dès le mois de juin."

N. Erbakan, président du Refah: "je suis très triste que la voie de la Haute Cour s'ouvre ainsi devant un ancien premier ministre. Mais la société ne peut plus supporter ce degré de corruption."

De son côté Sinasi Altiner, ministre de l'Énergie de Mme. Çiller à l'époque de la passation des marchés contestés de la compagnie d'électricité TEDAS a, selon le quotidien Hurriyet du 26 avril, reconnu les ingérences du couple Çiller dans l'adjudication de ces marchés: "Le mari du premier ministre m'appelait 5 fois par jour à propos de ces marchés. J'en avais plus qu'assez (..) Je leur ai dit qu'ils se servaient de mon ministère comme un instrument au service de la mafia et qu'ils finiraient par m'envoyer en Haute Cour. Je voulais démissionner de mon poste de ministre et du parti de Mme. Çiller car trop c'était trop".