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POINT SUR LA SITUATION EN TURQUIE

CILDEKT
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Liste
NO: 30

24/4/1996

  1. AUDIENCE DE LA COUR EUROPÉENNE DES DROITS DE L'HOMME SUR LA DESTRUCTION D'UN VILLAGE KURDE
  2. MANIFESTATION POUR "LA PAIX MAINTENANT" À ISTANBUL
  3. QUAND L'ÉTAT DEMANDE DES INDEMNITÉS À DES FAMILLES DE MILITANTS TUÉS DU PKK
  4. LE PETIT PRINCE INTERDIT EN TURQUIE
  5. LE QUOTIDIEN "EVRENSEL" A NOUVEAU INTERDIT DE PARUTION
  6. L'UNION INTER-PARLEMENTAIRE DÉNONCE LE SORT RÉSERVÉ AUX KURDES EN TURQUIE
  7. L'OFFENSIVE DU PRINTEMPS DE L'ARMÉE TURQUE SE POURSUIT
  8. SELON LE MAIRE DE HAKKARI PRÈS DE LA MOITIÉ DE LA POPULATION DE SA VILLE A FAIM
  9. ECEVIT : "LES GENS DU SUD-EST ASPIRENT À LA MORT"
  10. LE REFAH ISLAMISTE DEMANDE AUX MILITAIRES DE SE TAIRE
  11. MME. ÇILLER FAIT L'OBJET DE DEUX DEMANDES D'ENQUÊTE PARLEMENTAIRE SUR SON ENRICHISSEMENT FULGURANT
  12. QUATRE DIPLOMATES IRANIENS MIS EN CAUSE DANS L'ASSASSINAT DE DEUX OPPOSANTS IRANIENS À ISTANBUL
  13. TÉMOIGNAGE: RETOUR DE DIYARBAKIR
  14. COMMENTAIRE DE LA SEMAINE : "LA TURQUIE EST-ELLE GOUVERNÉE PAR DES GÉNÉRAUX ?"


AUDIENCE DE LA COUR EUROPÉENNE DES DROITS DE L'HOMME SUR LA DESTRUCTION D'UN VILLAGE KURDE


La Cour européenne des droits de l'homme examine ce jeudi 25 avril l'affaire de la destruction du village kurde Kelekçe, dans le district Dicle de la province de Diyarbakir. le 17 juillet 1992, les soldats turcs avaient évacué de force et brûlé aux lance-flammes les maisons de ce village. Huit habitants de ce village soutenus par l'Association des droits de l'homme ont décidé de porter plainte contre les autorités turques devant la Commission des droits de l'homme de Strasbourg. Celle-ci, après une longue et minutieuse enquête, a jugé leur requête recevable. Le 25 avril la Cour européenne va entendre les parties en audience publique. Elle rendra son arrêt dans quelques mois. Si l'État turc est reconnu coupable, il devra indemniser les victimes et cette décision créera également un précédent dans un pays où plus de 3000 villages kurdes ont été évacués et détruits par l'armée turque et où près de 3 millions de civils ont, depuis 1992, été déplacés de force.

MANIFESTATION POUR "LA PAIX MAINTENANT" À ISTANBUL


Plus de dix milles personnes ont participé, dimanche 21 avril, à une manifestation en faveur de la paix organisée à l'initiative du HADEP (successeur du parti de la démocratie DEP pro-kurde interdit). Outre les dirigeants de ce parti, de nombreuses personnalités kurdes, des intellectuels et artistes turcs, des proches des soldats ou de guérilleros kurdes tués dans la guerre du Kurdistan ont participé à ce rassemblement où nombre d'orateurs ont affirmé que le problème kurde n'est pas seulement le problème des Kurdes mais celui de toute la Turquie. Mme. Claudia Roth, présidente du groupe des Verts au Parlement européen et vice-présidente du CILDEKT, s'est rendue à Istanbul pour prendre la parole dans cette manifestation pacifiste. Un "train de la Paix" affrété par l'Association des droits de l'homme est parti d'Istanbul à destination de Diyarbakir pour diffuser tout le long du trajet le message de la paix et d'un règlement pacifique du problème kurde en Turquie. De nombreux intellectuels, chanteurs et artistes kurdes et turcs ont pris place à bord de ce train de la paix salué par des fleurs et des slogans pacifistes aux principaux arrêts de son itinéraire. A son arrivée à Diyarbakir le 23 avril, la police a dispersé avec brutalité les manifestants kurdes venus accueillir les "messagers de la paix" dont le message: "Arrêtons cette guerre où il n'y a ni vainqueurs ni vaincus mais des victimes" n'est pas du goût des autorités. Les médias turcs ont pratiquement ignoré ces manifestations pacifistes.

QUAND L'ÉTAT DEMANDE DES INDEMNITÉS À DES FAMILLES DE MILITANTS TUÉS DU PKK


Le 18 avril un étrange procès a eu lieu devant le Tribunal correctionnel d'Urfa. Un administration publique turque (Direction des services ruraux) demande aux familles de deux guérilleros du PKK, Recep Bali et Osman Yildiz, des dommages et intérêts pour des dégâts qu'ils auraient causés à leur matériel. Notant que ces deux Kurdes avaient été tués au cours d'affrontements avec l'armée, qu'ils n'étaient donc plus en état de payer, l'État demande à leurs femmes et enfants de l'indemniser. Ceux-ci ont déclaré, non sans ironie, que dans le système judiciaire turc, l'État allait très probablement gagner le procès mais qu'étant dans leur dénuement ils ne paieraient jamais les 810 millions de livres (environs 65000 FF) d'indemnités qui leur étaient réclamées. Le Tribunal a renvoyé à une date ultérieure le jugement de cette affaire.

LE PETIT PRINCE INTERDIT EN TURQUIE


L'édition tuque de la célèbre oeuvre d'Antoine de Saint-Exupery a été interdite et confisquée le 15 avril par la justice turque pour "outrage à Ataturk, fondateur de la République turque", qualifié de "dictateur turc". Ainsi nul n'a le droit en Turquie d'appeler "dictateur" celui qui a, de 1924 à sa mort en 1938, dirigé le pays avec une poigne de fer, s'est fait appeler "Père des Turcs" et "leader éternel", imposé au pays le régime du parti unique, interdit la langue et la culture kurdes et vidé le Kurdistan du tiers de sa population par une politique ininterrompue d'expéditions militaires, de massacres et de déportations. Élevé de son vivant au statut d'un demi-dieu, Ataturk reste en Europe le seul dictateur dont culte est encore publiquement célébré par un État. Après le sociologue turc Ismail Besikcçi condamné deux siècles de prison pour sa critique de l'idéologie d'Ataturk, notamment sur la question kurde, voici donc le Petit Prince qui subit à son tour les foudres des censeurs turcs.

LE QUOTIDIEN "EVRENSEL" A NOUVEAU INTERDIT DE PARUTION


Le 18 avril, La Cour de Sûreté de l'État N° 2 d'Istanbul a décidé la suspension pour 10 jours du quotidien turc d'opposition Evrensel en application de l'article 6 de la loi dite anti-terreur. En outre, le propriétaire et le directeur de la publication du quotidien ont été respectivement condamnés à des amendes de 160 830 000 LT et 80 415 000 LT. La Cour reproche à Evrensel d'avoir publié "un démenti" d'une organisation illégale turque DHKC (le Front révolutionnaire de libération populaire). Les dirigeants du quotidien ont affirmé qu'ils avaient fait écho de ce "démenti" dans un souci d'information. Connu pour son non-conformisme, le quotidien Evrensel a déjà été suspendu à deux reprises pour 45 jours et 2 mois par les autorités turques.

L'UNION INTER-PARLEMENTAIRE DÉNONCE LE SORT RÉSERVÉ AUX KURDES EN TURQUIE


Réunis à Istanbul du 15 au 20 avril à l'occasion de la 95ème conférence de "l'Union inter-parlementaire", les élus de 117 pays regroupés au sein de cette organisation se sont penchés sur le sort des minorités nationales dans le monde: thème de principal de la conférence. Plusieurs parlementaires n'ont pas caché leur indignation au pays hôte (Turquie) qui persécute sa minorité nationale kurde. L'intervention de Mme. Anita Apelthun Saele, parlementaire norvégienne et vice-présidente du CILDEKT, sur le drame kurde et sa défense de ses collègues parlementaires kurdes emprisonnés a suscité un tollé au sein de la délégation turque qui, comme d'habitude, l'a accusée de "méconnaître les réalités de Turquie". Sur instructions du gouvernement, les médias turcs, à l'exception de quelques publications de l'opposition, ont ignoré toutes les interventions sur le problème kurde. De même, les entretiens des membres de la sous-commission des droits de l'homme avec les ONG locales, avec Ahmet Turk et les avocats de Leyla Zana ont été passés sous silence. Extraits de l'intervention de Mme. Apelthun Saele: "Un pays qui ne respecte pas le droit à l'expression interdit un des droits les plus fondamentaux des droits de l'homme et par conséquence la démocratie. Je voudrais attirer votre attention sur le fait que la situation des droits de l'homme ici en Turquie est très fortement liée à la question des minorités. On ne peut pas laisser passer les violations massives des droits de l'homme et plus particulièrement dans le Sud-Est de la Turquie. Les évacuations des villages et la question des "personnes disparues" sont profondément regrettables: ces pratiques doivent immédiatement cesser.

En signe de solidarité avec les minorités, les autorités locales en Norvège ont récemment lancé une campagne pour établir des jumelages avec les villages kurdes. En créant un tel réseau de contacts de peuple à peuple, cela exprime la nécessité de venir en aide aux milliers de villageois forcés de quitter leurs maisons et villages détruits.

Cela va sans dire que nous condamnons toutes sortes de terrorisme. Des actions violentes visant des personnes innocentes pour promouvoir des objectifs politiques, ne peuvent en aucune façon être défendues et justifies.

Le problème de la minorité kurde doit être résolu par des moyens politiques et non pas par des actions militaires et paramilitaires. De plus, les parlementaires élus dans le cadre de la loi, comme notre collègue Leyla Zana, doivent être libérés immédiatement pour qu'il leur soit possible de participer au processus politique visant la solution des conflits des minorités.

L'OFFENSIVE DU PRINTEMPS DE L'ARMÉE TURQUE SE POURSUIT


Un porte-parole militaire turc a annoncé le 23 avril la mort de 46 combattants du PKK dont 14 femmes, au cours d'affrontements dans le triangle Kulpe-Lice-Genç où les forces turques auraient essuyé 5 morts. Au total, depuis le début de cette offensive lancée le 5 avril 38 militaires turcs et 176 militants du PKK ont été tués à l'encroire le bilan établi par les autorités turques. Le même jour était annoncée la "disparition de 14 soldats à la suite de la chute d'un véhicule militaire dans la rivière Karasu", un affluent de l'Euphrate, dans la province kurde d'Erzincan, officiellement il s'agit d'accident. Par ailleurs, dans la province de Maras, 3 jeunes instituteurs servant dans des villages isolés ont été trouvés morts criblés de balles. Ce triple meurtre est attribué à un commando du PKK par le gouverneur de cette province.

SELON LE MAIRE DE HAKKARI PRÈS DE LA MOITIÉ DE LA POPULATION DE SA VILLE A FAIM


Dans cette ville située à la jonction des frontière turco-irako-iraniennes qui connaît un essor démographique important en raison de l'arrivée de paysans chassés de leurs villages, sur 90 000 habitants près de 40 000 seraient totalement sans ressources et obligés de chercher leur pitance dans les poubelles. "Ces gens ont faim. On reçoit beaucoup de conseils et de promesses, mais aucune assistance concrète" a déclaré le maire Abdurrahman Keskin au Milliyet du 19 avril. Outre la famine le maire craint des épidémies dues à des conditions d'hygiène dramatiques, en raison d'absence de tout-à-l'égout dans beaucoup de secteurs de la ville. Le maire, désespéré par l'inaction des autorités turques, fait appel aux organisations humanitaires européennes. Une organisation allemande, Pax Christi, vient de faire distribuer discrètement 204 tonnes de nourriture à cette population en détresse.

ECEVIT : "LES GENS DU SUD-EST ASPIRENT À LA MORT"


En visite dans les provinces kurdes, le chef du Parti de la Gauche Démocratique (DSP, nationaliste) a tenu, le 18 avril, une conférence de presse où il notamment déclaré: "le calme d'avant la tempête qui règne dans cette région s'étend maintenant vers l'ouest du pays. Le chômage et le désespoir ont conduit la population à aspirer à la mort. Si les gens en arrivent à vouloir mourir pour échapper à leur situation désespérée, cela donnera naissance à de très grands problèmes. Depuis 18 ans, la population du Sud-Est est privée de démocratie. Si les gens avaient la liberté de parler, la lutte menée contre l'organisation séparatiste de terreur aurait connu plus de succès (..) Il faut renoncer à la logique "d'abord la sécurité, ensuite le développement" et prendre en compte l'option que nous défendons depuis des années "le développement d'abord, ensuite la sécurité".

LE REFAH ISLAMISTE DEMANDE AUX MILITAIRES DE SE TAIRE


Réagissant à la mort de 30 soldats turcs dans les premiers jours de l'offensive de printemps de l'armée turque dans le Kurdistan, le vice-président du groupe parlementaire du Parti islamise Refah (Prospérité) a déclaré au cours d'une conférence de presse donnée au Parlement: "Selon les responsables de l'état-major des armées, les pertes subies seraient normales dans ce genre d'opérations. Comment peut-on admettre une telle chose ? La vie humaine ne devrait pas être aussi bon marché. Des déclarations du genre "la mort ne peut venir à bout des Turcs" sont également des paroles creuses. Le moins que vous (responsables militaires) puissiez faire est de vous taire; sachez au moins de vous taire". Il y a quelques semaines, face aux accusations du non respect de la liberté religieuse dans les casernes, les chefs militaires avaient réagi très vivement en menaçant "les politiciens qui bâtissent leur carrière sur l'exploitation des sentiments religieux de la population". Les critiques du parlementaire islamiste vis-à-vis de l'état-major des armées risquent de ne pas rester sans suite. Elles ne sont en tout cas pas fortuites. Le Refah, soucieux de s'attirer les sympathies de l'électorat kurde, laissent souvent entendre qu'il est opposé à la guerre, que "les problèmes entre les musulmans devraient être réglés dans esprit de fraternité islamique, sans effusion de sang".

MME. ÇILLER FAIT L'OBJET DE DEUX DEMANDES D'ENQUÊTE PARLEMENTAIRE SUR SON ENRICHISSEMENT FULGURANT


Des députés du Refah menant une campagne active contre "la corruption de la classe politique" ont demandé au Parlement turc de diligenter une enquête sur l'enrichissement personnel de Mme. Çiller pendant son exercice du pouvoir, en particulier dans deux affaires de trafic d'influence pour la cession de marchés publics ayant frayé la chronique sans suite judiciaire. Le Parlement votera le 24 avril sur l'opportunité d'une telle enquête dans l'affaire de la société publique de distribution d'électricité TEDAS. Le 7 mai, l'autre affaire, celle de TOFAS, qui aurait permis à Mme. Çiller et ses proches de réaliser une plus value de plusieurs dizaines de millions de dollars sera examinée par les députés. Au total, le Refah évalue à 3,5 trillions de Livres turques (250 millions) la fortune mal acquise de Mme. Çiller placée en grande partie aux États-Unis.

Le Parti Républicain du Peuple (CHP) ex-partenaire de coalition de Mme. Çiller, a affirmé qu'il voterai en faveur de ces enquêtes parlementaires. Une trentaine de députés du Parti de la Mère-Patrie (ANAP) du Premier ministre ainsi que les opposants de la formation de Mme. Çiller (DYP) s'y déclarent favorables. Celle-ci a "appelé au secours" Bulent Ecevit dont le Parti de la gauche démocratique (DSP) apparaît divisé entre le groupe Soysal partisan de l'enquête "dans un souci de transparence" et les proches d'Ecevit souhaitant ne pas participer au vote "dans un esprit de responsabilité pour ne pas provoquer de crise politique". Car Mme. Çiller n'a pas hésité de rompre da coalition avec l'ANAP si ce parti ne vote pas contre la demande d'enquête et elle a rendu une visite remarquée à N. Erbakan pour le prier de renoncer à sa motion et examiner avec lui "les possibilité d'une coalition avec le Refah" . En cas de reconnaissance de sa culpabilité, Mme. Çiller sera déférée devant la Haute Cour de Justice. Son parti, un fragile syndicat d'intérêts hétéroclites, pourrait ne pas survivre à une telle épreuve.

QUATRE DIPLOMATES IRANIENS MIS EN CAUSE DANS L'ASSASSINAT DE DEUX OPPOSANTS IRANIENS À ISTANBUL


La police turque a arrêté la semaine dernière 6 individus-3 turcs et 3 iraniens- recherchés pour l'assassinat de 2 opposants iraniens -Zehra Rajabi et Abdul Ali Moradi, cadres dirigeants des Moujahidins du Peuple- perpétré le 21 février à Istanbul. Les assassins présumés ont déclaré avoir agi sur instruction et avec le soutien logistique (armes, renseignements et argent) de 4 diplomates iraniens en poste au consulat général de la République islamique à Istanbul. Les noms de ces "diplomates" avaient déjà été cités par l'assassin présumé d'un journaliste turc, Çetin Emeç, connu pour sa défense de la laïcité et la Turquie avait demandé leur rappel, provoquant une crise diplomatique avec son voisin islamiste. Déclarées persona non grata, les 4 "diplomates" iraniens ont regagné Téhéran qui à son tour décidé l'expulsion de 4 diplomates turcs pour "espionnage".

TÉMOIGNAGE: RETOUR DE DIYARBAKIR


Extraits de l'éditorial de Yavuz Donat paru dans le Milliyet du 20 avril. " Version officielle: en Turquie il n'y a pas de route qu'on ne puisse emprunter, pas de village où on ne puisse se rendre. Et puis la réalité de la "région". La route de Diyarbakir-Bingöl est fermée. Bingöl est à 130 km. Mais la section Lice-Genç de cette route est dangereuse. Pour cette raison il n'y a pas de "passage". On ne peut se rendre à Bingöl qu'en passant par Elazig. Et cela allonge le trajet qui devient 300 km. La route de Tunceli-Erzincan est également "problématique". On ne peut la parcourir que sous escorte. De même pour la route Eruh-Sirnak. Avant la terreur on mettait 5 heures pour aller de Diyarbakir à Erzurum. Maintenant on met 15 heures. Officiellement, c'est-à-dire d'après le chiffre inscrit sur le panneau placé à l'entrée de la ville (de Diyarbakir), la population de celle-ci est de 380 000. Nul ne sait le chiffre réel de cette population. Selon certains, elle est d'un million. Selon d'autres un million et demi. D'autres disent deux millions. Et on compte trois milles cafés à Diyarbakir. Le chômage n'est plus "à hauteur des genoux" (Ndt. largement répandu) il est désormais à hauteur de minaret. Le nombre d'écoles fermées dans les campagnes est de plus de mille. Pas seulement Diyarbakir mais toute la région (kurde) n'est représentée que par un seul ministre au cabinet: Abdülkadir Aksu (Ndt. conservateur affilié à l'ANAP de Mesut Yilmaz) (..) Voici donc nos premières impressions sur la ville de Diyarbakir où des voitures de dernier modèle côtoient des gens cherchant leur nourriture dans les décharges publiques".

COMMENTAIRE DE LA SEMAINE : "LA TURQUIE EST-ELLE GOUVERNÉE PAR DES GÉNÉRAUX ?"


Le journaliste Ahmet Altan, déjà condamné à 20 mois de prison avec sursis pour son article iconoclaste "Atakurt" et licencié du quotidien Milliyet, publie dans le quotidien turc libéral Yeni Yüzyil (Siècle Nouveau) du 16 avril un éditorial non conformiste intitulé "La Turquie est-elle gouvernée par des généraux?" dont voici de larges extraits: "Dans notre vie il est certaines questions dont le fait même de pouvoir les poser est parfois plus important que d'y répondre car le véritable problème est qu'on ne peut pas poser de telles questions. La plus importante question que rencontre la Turquie est qu'il y a une incertitude totale sur le fait de savoir qui dirige ce pays. De même que nous ne savons pas qui est au gouvernail de l'État, la discussion de ce sujet est constamment écartée de l'ordre du jour par des pressions qui ne sont pas exprimées clairement mais qui sont ressenties en permanence.

Et comme si notre pays était, à l'instar des autres pays, gouverné par des méthodes normales voilà que nous cherchons des solutions à nos problèmes. Les solutions sont trouvées: elles sont répétées par tout le monde mais elles n'arrivent pas à être mises en pratique. Nous voilà repartis pour parler à nouveau des solutions à nos problèmes.

Nous ne cessons de parler des solutions mais nous ne pouvons résoudre les problèmes. Il est impossible de les résoudre dans les conditions actuelles. Parce que la question fondamentale est qu'on ne sait pas par qui ce pays est gouverné et on ne peut même pas demander qui nous gouverne vraiment.

Qui donc gouverne ce pays?

Est-ce que ce sont des généraux qui gouvernent ce pays? (..)

Il y a à ce sujet certains faits. Au moment de devenir premier ministre, Demirel avait parlé de "la réalité kurde" ensuite il a oublié ce qu'il avait dit. Tansu Çiller a parlé du "modèle basque" (Ndt. espagnol pour le règlement du problème kurde en Turquie), mais ensuite elle s'est comportée comme si elle n'avait pas dit pareille chose. Mesut Yilmaz a déclaré "ça ne peut pas se faire avec la solution militaire" ensuite il a avalé ses propres paroles.

Pourquoi ces gens se sont-ils tus? Qui a fait taire, qui a effrayé ces pauvres gens ?

Alors que tous les partis parlent de la démocratisation pourquoi donc ce pays n'arrive pas à se démocratiser?

Qui a effacé de l'ordre du jour et jeté (aux oubliettes) le "Rapport sur les meurtres à auteurs inconnus" élaboré par le Parlement?

Qui empêche que des poursuites soient engagées contre les officiers et les policiers accusés d'avoir commis des crimes dans le Sud-Est ?

Il y a peu, trois députés du CHP (parti républicain du peuple de Deniz Baykal) étaient allés dans le Sud-Est et avaient écrit un rapport où, entre autres, le nom d'un commandant était cité comme responsable de certains meurtres à auteurs inconnus commis dans cette région.

L'état-major des armées n'a non seulement ouvert aucune enquête contre un officier sur lequel porte la lourde accusation de responsabilité de la mort des citoyens de ce pays mais il s'est mis à faire peur aux députés auteurs de ce rapport en demandant au parquet de les poursuivre.

L'état-major des armées peut donc engager des poursuites contre des députés mais le Parlement peut-il engager des poursuites contre un général ou un quelconque officier ? Alors que selon nos lois, le Parlement est au-dessus de l'état-major, comment donc une telle distorsion étrange est possible?

Le Parlement reste bouche cousue sur ce sujet, l'image qui apparaît est celle des généraux qui gouvernent le pays: l'absence à peu près totale de volonté des dirigeants civils se manifeste dans le fait qu'ils ne peuvent pas réaliser aucune des idées qu'ils affirment.

La Turquie entre à nouveau dans un goulot d'étranglement énergétique; bien tôt les coupures d'électricité vont reprendre, le téléphone trébuche, les autoroutes s'enfoncent, les investissements sont arrêtés, l'État en est réduit à ne pouvoir payer ses fonctionnaires et pendant ce temps, au prix d'enfoncer le pays dans un marécage, nous gaspillons (nous faisons couler) des milliards de dollars pour la guerre.

On voit désormais clairement que nous ne pouvons régler aucun de nos problèmes sans mettre un terme à la guerre. Tous les politiciens affirment qu'il faut reconnaître la réalité kurde, que nous avons besoin de la démocratisation. Mais ni la démocratisation ne se fait ni la guerre s'achève et ni une solution est trouvée au problème. Car le vrai problème est à Ankara, le vrai problème est qu'on ne peut pas demander ouvertement "qui gouverne la Turquie?"