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POINT SUR LA SITUATION EN TURQUIE

CILDEKT
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Liste
NO: 256

15/11/2002

  1. LA COUR EUROPÉENNE DES DROITS DE L’HOMME DÉCLARE IRRECEVABLE L’APPEL DE LA TURQUIE CONDAMNÉE DANS L’AFFAIRE DES DÉPUTÉS DU DEP
  2. ELECTIONS TURQUES: DÉROUTE DES PARTIS DE LA COALITION GOUVERNEMENTALE, VICTOIRE DE DEUX PRINCIPAUX PARTIS DE L’OPPOSION
  3. ABDULLAH GUL NOMMÉ PREMIER MINISTRE EN TURQUIE
  4. VISITE À WASHINGTON DU CHEF D’ETAT-MAJOR DES ARMÉES TURQUES
  5. VALERY GISCARD D’ESTAING DÉCLARE QUE L’ENTRÉE DE LA TURQUIE À L’UNION EUROPÉENNE REPRÉSENTE “ LA FIN DE L’UE ”
  6. SERKAN KARABULUT 58 ÈME VICTIME DE LA GRÉVE DE LA FAIM LANCÉE DANS LES PRISONS TURQUES


LA COUR EUROPÉENNE DES DROITS DE L’HOMME DÉCLARE IRRECEVABLE L’APPEL DE LA TURQUIE CONDAMNÉE DANS L’AFFAIRE DES DÉPUTÉS DU DEP


La Grande chambre de la Cour européenne des droits de l’homme a, le 6 novembre, déclaré irrecevable l’appel formé par la Turquie contre la décision de la Cour européenne condamnant le 11 juin 2002 Ankara dans l’affaire des 13 députés kurdes du parti de la Démocratie (DEP). La Cour européenne des droits de l’homme avait condamné la Turquie pour avoir “ violé le droit à des élections législatives libres en prononçant la déchéance de 13 députés kurdes ” et avait fixé le montant de la compensation à 50 000 euros pour chaque député. La Turquie devrait également régler 19 500 euros pour les frais et dépens.

ELECTIONS TURQUES: DÉROUTE DES PARTIS DE LA COALITION GOUVERNEMENTALE, VICTOIRE DE DEUX PRINCIPAUX PARTIS DE L’OPPOSION


La coalition qui, depuis 1999, gouvernait la Turquie a été très largement désavouée lors des élections du 4 novembre. Les trois partis qui la composaient et qui avaient ensemble obtenu 53,2 % des suffrages des électeurs en avril 1999 n’ont cette fois-ci réalisé qu’un score total de 14,6 %. La chute la plus vertigineuse a été enregistrée par le parti de la Gauche démocratique (DSP) de Bulent Ecevit qui, en trois ans est passé de 22,1 % des suffrages à 1,1 %. Le Premier ministre sortant achève ainsi sa longue carrière politique marquée du sceau d’un nationalisme turc intolérant et d’une hostilité viscérale aux droits du peuple kurde, sur une débâcle humiliante. Son partenaire d’extrême droite, le parti de l’Action nationaliste, malgré ses surenchères chauvines a, avec 8,3 % des voix, perdu la moitié de son audience et la totalité de ses sièges au Parlement. Le parti de la Mère-Patrie (ANAP) de Mesut Yilmaz, malgré ses engagements pro-européens et son ouverture à certaines revendications culturelles kurdes, a été également sanctionnée pour sa participation à une gestion gouvernementale qui s’est traduite par l’appauvrissement de la grande majorité de la population et l’enrechissement d’une petite minorité d’affairistes pillant, avec la complicité des gouvernants, les richesses du pays. Avec un score de 5 %, contre 13,2 % en 1999, l’ANAP est aussi éliminé du Parlement.

Le vainqueur incontesté du scrutin du 4 novembre est le parti de la Justice et du Développement (AKP) de l’ancien maire d’Istanbul, Recep Tayyip Erdogan, qui obtient 34,3 % des suffrages. Le système électoral turc, conçu pour marginaliser les partis indésirables pour l’armée (kurdes, musulmans, extrême-gauche) et amplifier la représentation des partis nationalistes turcs agréés, se retourne cette fois-ci contre ses auteurs en permettant à l’AKP, issu de la mouvance islamiste, de disposer d’une large majorité de sièges (363 sur 550) au Parlement. Ce parti qui se veut conservateur et pro-européen est donc appelé à gouverner le pays. Il aura entre temps réussi à marginaliser la formation rivale plus traditionaliste, le parti du Bonheur (SP), fondé par les fidèles de l’ancien Premier ministre islamiste Necmettin Erbakan, qui obtient tout juste 2,2 % des voix. Au total les deux partis issus de l’ancien parti Refah, avec un score total de 36,8 %, auront en trois ans presque doublé les voix de la mouvance islamiste. Celle-ci a puisé l’essentiel de ses voix supplémentaires chez les électeurs traditionnels d’ANAP et du parti de la Juste Voie (DYP) de Tansu Çiller. Ce dernier parti, bien que dans l’opposition depuis plus de trois ans n’a pas réussi avec 9,5 % des suffrages à franchir la barre de 10 % et restera donc absent du Parlement. Son électorat semble conserver encore un fort mauvais souvenir de la gestion du gouvernement Çiller.

Enfin le parti de la Nouvelle Turquie, créé récemment par l’ex-ministre des Affaires étrangères Ismail Cem, avec 1,4 % des voix, semble condamné à disparaître de la scène politique. Le Jeune Parti (GP) animé par le magnat des média, Cem Uzan, jouant le Berlusconi turc, offrant à tour de bras des concerts et des banquets gratuits pour séduire l’électorat n’a pu, malgré le soutien massif de ses chaînes de télévision, franchir la barre fatidique de 10 %. Son score de 7,5 % l’autorise cependant à persévérer et à se préparer pour des échéances futures.

Dans le Kurdistan, la compétition électorale a opposé l’AKP au parti pro-kurde DEHAP. Celui-ci est arrivé premier dans les provinces d’Agri, de Bitlis, de Diyarbakir, de Hakkari, de Mardin, de Mus, de Kars, de Siirt, de Dersim, de Van, de Batman, de Sirnak, d’Igdir.

De son côté, l’AKP l’a emporté à Adiyaman, Ardahan, Bingöl, Elazig, Erzincan, Erzurum, Antep, Maras, Kilis, Malatya. Le DEHAP qui a, dans l’ensemble de la Turquie, obtenu 1 953 627 voix, soit 6,2 % des suffrages exprimés ne franchissant pas la barre des 10 % n’aura pas de députés. Tandis que l’AKP obtient 73 sièges dans les provinces kurdes où le CHP, malgré son faible score, aura 24 élus.

En raison d’un système électoral particulièrement injuste près de la moitié de l’électorat (45 %) ne sera donc pas représenté dans le Parlement d’Ankara. Un système plus équitable aurait donné la configuration suivante au Parlement (seuil 5 %) : AKP : 266 sièges ; CHP : 117 ; DEHAP : 51 sièges ; DYP : 43 sièges ; MHP : 33 sièges ; GP : 28 sièges; ANAP : 8 sièges ; INDÉPENDANTS : 4 sièges

ABDULLAH GUL NOMMÉ PREMIER MINISTRE EN TURQUIE


Abdullah Gul, vice-président du parti de la Justice et du Développement (AK), a été nommé le 16 novembre Premier ministre à la place du chef de ce parti, Recep Tayyip Erdogan, qui ne pouvait prétendre au poste en raison de son inéligibilité parlementaire. M. Gul, qui a immédiatement promis des réformes pour relancer l'économie et promouvoir les normes démocratiques du pays, a été nommé par le président Ahmet Necdet Sezer, mais choisi par le charismatique Erdogan, qui conserve son poste de dirigeant du parti AK. M. Erdogan a d'ailleurs quasiment volé la vedette à M. Gul en convoquant une conférence de presse sur les objectifs politiques du parti, une heure avant la nomination de ce dernier, dont l'arrivée à la présidence en a presque été occultée sur les chaînes de télévision. “ Nous introduirons des mesures pour combattre la torture, et les droits et libertés de base seront élevés aux normes internationales dans la cadre du processus pour rejoindre l'UE ”, a notamment affirmé M. Erdogan, qui quittait le pays peu après pour une courte visite à la communauté chypriote-turque de Chypre du nord. “ Tous les obstacles à l'éducation seront levés ”, a encore affirmé M. Erdogan, évoquant le problème du foulard islamique dont le port est interdit dans les universités et les administrations publiques en raison de son association avec l'islam politique.

M. Gul, 52 ans, un économiste au langage pro-occidental, a affirmé être prêt à relever les défis auxquels le pays est confronté, et notamment ceux de l'économie, cause première de la défaite de la coalition sortante dirigée par le Premier ministre Bulent Ecevit.

Le 58ème gouvernement de la Turquie a été formé le 18 novembre. Avec trois vice-Premier ministres, le gouvernement comprend 24 noms dont une femme.

VISITE À WASHINGTON DU CHEF D’ETAT-MAJOR DES ARMÉES TURQUES


Le chef d’état-major turc, Hilmi Ozkok, s’est, le 4 août, rendu aux Etats-Uns sur invitation des autorités américaines pour rencontrer le secrétaire d’Etat, Colin Powell, Donald Rumsfeld, secrétaire d’Etat à la défense, son adjoint, Paul Wolfowitz et Mme Condolezza Rice, chargée de la sécurité nationale. Le véritable patron de la Turquie, le général Özkök a négocié avec Washington les conditions de la collaboration de la Turquie à une éventuelle intervention militaire américaine contre l’Irak sans éprouver le besoin d’attendre la formation du nouveau gouvernement issu des urnes.

VALERY GISCARD D’ESTAING DÉCLARE QUE L’ENTRÉE DE LA TURQUIE À L’UNION EUROPÉENNE REPRÉSENTE “ LA FIN DE L’UE ”


Valéry Giscard d'Estaing, président de la Convention européenne chargée de préparer une Constitution pour l'Europe élargie a jeté un gros pavée dans la marre au cours d’un entretien accordé au Monde daté du 8 novembre au moment où les 105 conventionnels achevaient à Bruxelles une session plénière consacrée notamment à l'Europe sociale. “ La Turquie est un pays proche de l'Europe, un pays important, qui a une véritable élite mais ce n'est pas un pays européen ”, a-t-il déclaré dans un entretien accordé le 7 novembre à quatre journalistes, dont ceux du “ Monde ”. “ Sa capitale n'est pas en Europe, elle a 95 % de sa population hors d'Europe ”. Son adhésion représenterait “ la fin de l'Union européenne ”, puisqu'on ne pourrait plus dire “ non ” aux nombreux autres pays qui, comme le Maroc, caressent l'idée d'une adhésion.

Les réactions à ses déclarations n'ont pas tardé, même si le sujet n'a pas été évoqué au sein de la Convention. Les représentants du parlement turc n'ont pas caché leur colère d'être ainsi traités par “ leur ” président comme des membres de seconde zone qui n'ont pas voix au chapitre. “ Il est l'équivalent des intégristes musulmans ”, a déclaré Ali Tekin, un parlementaire du parti de la Mère Patrie (ANAP) qui représentait son pays à la Convention, mais qui perdra bientôt son poste après la victoire du parti musulman modéré. “ C'est un intégriste chrétien. Il pense que l'Union est un club chrétien ”. Le vice-président de la Convention, le Belge Jean-Luc Dehaene, a implicitement critiqué cette contribution, dont il se dit certain qu'elle a été “ émise à titre personnel ”, alors qu'à aucun moment Valéry Giscard d'Estaing ne le précise.

Valéry Giscard d'Estaing prend en effet à contre-pied la position officielle de l'UE, qui a déclaré en décembre 1999, au sommet d'Helsinki, que la Turquie “ est un pays candidat qui a vocation à rejoindre l'Union européenne sur la base des mêmes critères que ceux qui s'appliquent aux autres candidats ”.

SERKAN KARABULUT 58 ÈME VICTIME DE LA GRÉVE DE LA FAIM LANCÉE DANS LES PRISONS TURQUES


Un détenu d'extrême gauche est décédé en Turquie des suites de sa grève de la faim, portant à 58 le nombre de personnes décédées dans ce mouvement de protestation contre la détention dans des quartiers de haute sécurité. Serkan Karabulut, 32 ans, s'est éteint le 8 novembre dans un hôpital d'Ankara. Il effectuait une peine de prison de 36 ans pour son appartenance au Parti révolutionnaire pour la libération du Peuple (DHKP-C). S. Karabulut jeûnait depuis 400 jours, ne consommant que des vitamines et de l'eau sucrée.

Les prisonniers d'extrême gauche et de leurs proches ont lancé leur mouvement en octobre 2000 pour protester contre leur transfert dans des cellules d'isolement, à la merci de leurs gardiens. Les autorités pénitentiaires estiment que la détention dans les grands blocs où des centaines de prisonniers se côtoient sont incontrôlables et servent en fait de camp de formation idéologique.