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POINT SUR LA SITUATION EN TURQUIE

CILDEKT
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Liste
NO: 244

13/6/2002

  1. LA COUR EUROPÉENNE DES DROITS DE L'HOMME CONDAMNE LA TURQUIE POUR AVOIR "VIOLÉ LE DROIT À DES ÉLECTIONS LÉGISLATIVES LIBRES EN PRONONÇANT LA DÉCHÉANCE DE 13 DÉPUTÉS KURDES "
  2. BILAN DES VIOLATIONS DES DROITS DE L'HOMME AU KURDISTAN DE TURQUIE POUR LES MOIS D'AVRIL ET DE MAI
  3. 25 ENFANTS POURSUIVIS POUR AVOIR DEMANDÉ L'ENSEIGNEMENT DE LA LANGUE KURDE, DES PARENTS POURSUIVIS POUR LES PRÉNOMS KURDES DE LEURS ENFANTS
  4. L'ÉCONOMIE TURQUE SOUFFRE DE L'ETAT DE SANTÉ CANCELANT DU PREMIER MINISTRE ECEVIT
  5. UN ÉCONOMISTE TURC POURSUIVI POUR AVOIR APPELÉ " MONSIEUR " ABDULLAH OCALAN
  6. QUATRE KURDES JETÉS À L'EAU PAR DES PASSEURS SANS SCRUPULES


LA COUR EUROPÉENNE DES DROITS DE L'HOMME CONDAMNE LA TURQUIE POUR AVOIR "VIOLÉ LE DROIT À DES ÉLECTIONS LÉGISLATIVES LIBRES EN PRONONÇANT LA DÉCHÉANCE DE 13 DÉPUTÉS KURDES "


Dans l'affaire des 13 députés kurdes du parti de la démocratie (DEP) dont Leyla Zana, la Cour européenne des Droits de l'Homme a le 12 juin condamné à l'unanimité la Turquie pour la violation de l'article 3 du Protocole n°1 (droit à des élections libres). En application de l'article 41 (satisfaction équitable) de la Convention, la Cour a alloué à chacun des requérants 50 000 euros toutes causes de préjudice confondues, ainsi que 10 500 EUR globalement à sept d'entre eux, et 9 000 EUR globalement aux six autres requérants, pour frais et dépens.

Les 13 députés kurdes du parti de la démocratie (DEP) se plaignaient d'avoir été déchus de leur mandat parlementaire à la suite de la dissolution du DEP et alléguaient la violation des articles 7 (pas de peine sans loi), 9 (liberté de pensée), 10 (liberté d'expression) et 14 (interdiction de la discrimination) de la Convention européenne des Droits de l'Homme. Ils dénonçaient également une atteinte à leur droit à la liberté d'association garantie par l'article 11, et soutenaient que la privation de leurs émoluments parlementaires a porté atteinte à leur droit de propriété en violation de l'article 1 du Protocole n° 1. Enfin, invoquant l'article 6§ 1, ils se plaignaient de n'avoir pas bénéficié d'un procès équitable.

Les requêtes ont été introduites devant la Commission européenne des Droits de l'Homme les 23 août et 16 décembre 1994. Elles ont été jointes le 22 mai 1995 et transmises à la Cour le 1er novembre 1998. Par une décision du 30 mai 2000, la Cour a déclaré les requêtes recevables, à l'exception de la requête n°25144/94 qu'elle a déclaré partiellement irrecevable pour autant qu'elle concerne l'article 5 (droit à la liberté et à la sûreté) de la Convention. Par une décision du 6 janvier 2000, la Cour a décidé que les requêtes devaient aussi être examinées au regard de l'article 3 du Protocole n° 1 à la Convention. L'arrêt a été rendu par une chambre composée de sept juges dont un juge turc.

Ainsi, la Cour rappelle que " l'article 3 du Protocole n° 1 consacre un principe caractéristique d'un régime politique véritablement démocratique, et qu'il revêt dans le système de la Convention une importance capitale ". Elle relève qu'en l'espèce, les requérants furent déchus automatiquement de leur mandat parlementaire à la suite de la dissolution du DEP, et que cette dissolution fut prononcée par la Cour constitutionnelle en raison de discours tenus à l'étranger par l'ancien président du parti, et d'une déclaration écrite émanant de son comité central. " Cette déchéance est indépendante des activités politiques individuelles des requérants et n'est que la conséquence de la dissolution du parti dont les requérants étaient membres ". La Cour note également que depuis un amendement constitutionnel de 1995, seul le mandat du député dont les propos ou actes ont entraîné la dissolution du parti prend fin. " Elle estime que la mesure prise en l'espèce, à savoir la dissolution immédiate et définitive du DEP ainsi que l'interdiction faite aux membres du parti d'exercer leur mandat et activités politiques revêt un caractère d'une extrême sévérité ".

La Cour considère que " la sanction infligée aux requérants ne saurait passer pour proportionnée à tout but légitime invoqué par la Turquie ", que cette mesure est "incompatible avec la substance même du droit d'être élu et d'exercer un mandat, et qu'elle a porté atteinte au pouvoir souverain de l'électorat qui a élu les requérants ". Elle conclut par conséquent à la violation de l'article 3 du Protocole n° 1 de la Convention européenne des droits de l'homme qui garantit "la libre expression de l'opinion du peuple sur le choix du corps législatif ".

En revanche, la cour, estimant suffisant de reconnaître la violation " d'un principe caractéristique d'un régime politique véritablement démocratique ", a refusé " d'examiner séparément " les accusations de violations de sept autres articles (7, 9, 10, 11 et 14 et 6§1) de la Convention européenne et de son Protocole numéro 1.

BILAN DES VIOLATIONS DES DROITS DE L'HOMME AU KURDISTAN DE TURQUIE POUR LES MOIS D'AVRIL ET DE MAI


La section de Diyarbekir de l'Association turque des droits de l'homme (IHD) a rendu public le 11 juin le bilan des violations des droits de l'homme dans la région kurde pour les mois d'avril et de mai 2002. Voici de larges extraits de ce bilan :

  • Nombre de meurtres non élucidés ou de condamnations extrajudiciaires : 5 morts et 1 blessé en avril et 5 morts en mai.
  • Nombre de personnes torturées ou ayant subi des sévices : 16 en avril et 25 en mai.
  • Nombre de personnes placées en garde-à-vue : 224 en avril et 352 en mai.
  • Nombre d'arrestations : 66 en avril et 72 en mai.
  • Nombre d'exilés : 8 en avril et 1 en mai.
  • Nombre de publications interdites dans la région sous état d'urgence (OHAL) : 29 en avril et 29 en mai.
  • Nombre d'associations interdites : 1 en avril.


25 ENFANTS POURSUIVIS POUR AVOIR DEMANDÉ L'ENSEIGNEMENT DE LA LANGUE KURDE, DES PARENTS POURSUIVIS POUR LES PRÉNOMS KURDES DE LEURS ENFANTS


Vingt-cinq enfants et adolescents, âgés de 11 à 17 ans, ont comparu le 11 juin devant la cour de sûreté de Diyarbakir (DEP) qui les accuse d'avoir " soutenu le séparatisme en reprenant des slogans en faveur de l'enseignement en langue kurde ". L'accusation souligne que " les enfants et les adolescents avaient scandé des slogans réclamant l'instruction en kurde lors d'un rassemblement en décembre dernier " alors qu'il est interdit d'enseigner ou de diffuser des programmes dans cette langue. Les autorités turques affirment que " le parti des travailleurs du Kurdistan (PKK) se cache derrière cette campagne appelant à un enseignement en langue kurde dans les écoles et les universités ". Lors de l'audition, les mineurs, qui encourent une peine de trois ans de prison, ont nié avoir scandé de tels slogans lors du rassemblement. La cour a prévu de nouvelles auditions en septembre.

Depuis plusieurs mois, les autorités turques sont extrêmement nerveuses. Elles essayent d'étouffer par la répression toute forme de revendication de droits culturels des Kurdes, en n'hésitant pas à poursuivre des familles ayant donné des prénoms kurdes à leurs enfants. Ainsi, En donnant à son bébé le prénom de Berivan (trayeuse), sa chanteuse préférée, Tufan Akcan, père de famille turc d'Ardahan (nord-est) originaire de la Géorgie voisine, ne se doutait pas qu'il allait se retrouver poursuivi par la justice pour " tentative de sabotage de l'Etat ". C'est pourtant le titre d'une série télévisée très populaire où l'une des grandes stars de la chanson turque, Sibel Can, incarne une jeune Kurde prénommée Berivan. Mais un procureur a décelé dans ce nom kurde " un symbole anti-turc " et Akcan a soudain été soupçonné de "terrorisme et soutien aux séparatistes kurdes du Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK)". Le procureur s'est appuyé dans la procédure engagée contre Akcan sur les lois anti-terroristes draconiennes adoptées pour lutter contre le PKK. Également sur la sellette : les employés de la municipalité qui avaient accepté le " sulfureux prénom".

Tufan Akcan n'est cependant pas le seul à avoir eu ce genre de problème récemment. À Ardahan, un autre père a été convoqué par le procureur pour avoir prénommé ses enfants Rojin (ensoleillé) et Rohjan (coucher de soleil). À Izmir (ouest), la police a fait irruption en pleine nuit chez 11 familles qui avaient donné des prénoms kurdes à leurs enfants. Une procédure a été ouverte contre 9 parents soupçonnés de "propagande pour une organisation terroriste ". Mais les tribunaux turcs ne suivent pas systématiquement les procureurs. Le parquet de la Cour de sûreté de l'Etat (DGM) d'Erzurum a refusé de donner suite à la procédure contre Akcan et l'autre père de famille d'Ardahan. Un tribunal de Dicle a lui aussi refusé les procédures ouvertes contre 7 familles ayant en tout 23 enfants aux prénoms kurdes. Une affaire qui a d'autant plus attiré l'attention que la juge elle-même se prénommait Sirvan, un prénom kurde qui veut dire " laitière ".

L'ÉCONOMIE TURQUE SOUFFRE DE L'ETAT DE SANTÉ CANCELANT DU PREMIER MINISTRE ECEVIT


Handicapé par une santé fragile, le Premier ministre turc Bulent Ecevit a fait sa première apparition publique depuis des semaines et assuré que son état ne l'empêchait pas de travailler depuis son domicile. "Je n'ai absolument aucune intention d'abandonner mes fonctions gouvernementales tant que je garde le titre de Premier ministre, je n'ai pas le droit d'abandonner ces devoirs", a déclaré B.Ecevit, le 9 juin, depuis le jardin de sa résidence. Ecevit a indiqué que le gouvernement travaillait normalement en son absence, et que lui-même avait encore besoin de quelques semaines de repos. " Il n'est pas question d'un éloignement des affaires de l'Etat. Je n'ai aucune intention de quitter les affaires du gouvernement. Je n'en ai pas le droit ", a-t-il ajouté. Il a aussi démenti les informations de presse selon lesquelles il serait atteint de la maladie de Parkinson, concédant toutefois que son état de santé l'empêcherait d'assister au sommet européen de Séville, les 21 et 22 juin. Présent près d'un demi-siècle durant sur la scène politique turque, M. Ecevit dirige depuis 1999 la coalition la plus durable de l'histoire de la Turquie mais aussi disparate que son parti de gauche nationaliste (DSP), les conservateurs pro-européens de Mesut Yilmaz (ANAP) et les extrémistes de droite de M. Bahceli (MHP). M. Ecevit a aussi exclu des élections anticipées avant la date prévue de 2004, ironisant : " je n'ai pas à me plaindre du gouvernement actuel ".

Pourtant M. Ecevit a accru les doutes sur sa capacité à gouverner en renonçant, le 7 juin, pour raisons de santé à participer à une réunion cruciale sur les réformes à entreprendre afin d'intégrer la Turquie à l'Union européenne (UE). Ce sommet convoqué par le président Ahmet Necdet Sezer pour tenter de dynamiser le processus de réformes pour intégrer l'UE a réuni les dirigeants des 5 partis politiques représentés au Parlement, dont les trois au gouvernement et les deux partis islamistes. Le chef du parti d'opposition de la Juste Voie (DYP) Tansu Ciller a annulé sa participation au sommet en déclarant " Il y a un vide de gouvernement. Si le Premier ministre n'est pas là, cela veut dire qu'il n'y a pas de gouvernement. S'il n'y a pas de solution au problème du gouvernement, la solution à d'autres problèmes ne peut être trouvée".

Le sommet a mis en outre au jour les profondes divergences des trois partenaires gouvernementaux concernant ces réformes --l'abolition complète de la peine de mort, et une télévision ainsi qu'un enseignement en kurde-- auxquelles s'opposent les ultranationalistes du MHP de M. Devlet Bahceli, principal partenaire de la coalition tripartite. Ce dernier a même menacé à l'issue du sommet de démissionner si ses partenaires s'appuyaient " trop fréquemment " au Parlement sur l'opposition pour faire passer ces réformes, notamment l'octroi de droits culturels aux Kurdes. M. Ecevit a tenté de minimiser ces propos, se disant convaincu qu'il n'y aurait pas de "divergence sérieuse " concernant ces réformes.

À propos de l'abolition de la peine de mort, il a indiqué que cette question serait "résolue d'elle-même" si son parti pouvait rallier les voix de ses partenaires gouvernementaux ou de l'opposition. Le MHP avait laissé entendre qu'il donnerait son accord à cette formule, soutenue par l'opposition islamiste au Parlement, mais a demandé qu'elle ne devienne pas une " pratique courante " pour les autres réformes. " M. Bahceli a, à juste titre, indiqué que cette pratique (de recourir à l'opposition) ne pouvait être constamment employée ", a relevé M. Ecevit. La peine de mort a été abolie suite à un amendement constitutionnel en octobre dernier, excepté en temps de guerre, en cas de menace imminente de guerre, et de terrorisme.

Les deux formations d'opposition, le parti du Bonheur (SP) de Recai Kutan et le parti de la justice et du développement (AK) de Recep Tayip Erdogan, qui soutiennent les réformes, sont pro-islamistes et donc regardés de travers par la puissante armée turque. " Bahceli dit : soit le gouvernement, soit l'UE ", écrit le 9 juin l'éditorialiste Ismet Berkan dans le journal turc Radikal, " que vont choisir les autres partenaires de la coalition ? La stabilité à court terme ou les intérêts à long terme ? "

En attendant la bourse d'Istanbul a chuté de près de 3 % à la mi-journée après l'annonce de la non-participation de B. Ecevit au sommet des dirigeants. Le président de l'association patronale TUSIAD, Tuncay Ozilhan, a appelé le gouvernement à agir pour sortir de l'incertitude : " la santé du Premier ministre n'est plus un problème personnel, mais un problème d'Etat. La Turquie a des problèmes très urgents à régler et ne peut se permettre de perdre du temps. Il faut prendre les mesures nécessaires ".

" Ce sommet était le dernier test de survie politique d'Ecevit ", souligne un diplomate européen sous couvert de l'anonymat. " S'il ne peut plus participer à une réunion aussi importante, on voit mal comment on peut conclure qu'il peut diriger le pays ", a-t-il ajouté. "Aucun parti de la coalition ne veut aller à des élections car ils redoutent un vote sanction. Ils veulent avoir un Premier ministre un peu fantôme et tenir comme ça le plus longtemps possible avant des élections, leur objectif étant plutôt 2003 ", estime un autre diplomate européen. "Mais le rythme politique sera lié aux bulletins de santé d'Ecevit", souligne-t-il.

UN ÉCONOMISTE TURC POURSUIVI POUR AVOIR APPELÉ " MONSIEUR " ABDULLAH OCALAN


Un économiste turc réputé risque un procès pour avoir appelé Abdullah Ocalan, " Monsieur Ocalan ", au cours d'un colloque à Istanbul le 8 juin. Un procureur a ouvert une enquête le 10 juin contre Atilla Yesilada, commentateur à la télévision et éditorialiste de la presse écrite, qui a fait scandale en appelant à plusieurs reprises Abdullah Ocalan " Monsieur Ocalan ", utilisant le terme "sayin " qui comporte une nuance de respect et d'estime.

Le ministre du Commerce extérieur Tunca Toskay, du parti ultranationaliste MHP, a claqué la porte de la conférence pour protester. "Nous ne resterons pas à une réunion où un individu qui a le sang de 30.000 personnes sur les mains est appelé "Monsieur" ", a-t-il déclaré.

Dans une lettre envoyée par e-mail aux organisateurs de la conférence, M. Yesilada s'est défendu en affirmant : "Je n'ai jamais eu le moindre respect pour le PKK et le lâche qui le dirige (...) J'ai toujours défendu la juste lutte de la Turquie contre le PKK. Mais je suis un défenseur des droits de l'homme jusqu'au bout ".

QUATRE KURDES JETÉS À L'EAU PAR DES PASSEURS SANS SCRUPULES


Quatre immigrés kurdes, âgés approximativement de 25 et 40 ans, ont trouvé la mort et deux autres ont été blessés après que des passeurs eurent contraint une quarantaine de clandestins kurdes à se jeter à l'eau à proximité de la côte italienne, dans la région des Pouilles (sud de l'Italie), a annoncé la police italienne le 8 juin.

Selon la reconstitution effectuée par les policiers et les carabiniers, plusieurs clandestins se sont rebellés lorsqu'on leur a ordonné de quitter le navire à l'aube et deux d'entre eux ont été blessés à coups de couteau. Les immigrés kurdes ont alors obtempéré aux injonctions des passeurs et ont plongé. D'après les premiers éléments de l'enquête, trois de ces hommes se sont noyés. Les passeurs, deux Albanais, ont réussi à s'enfuir et les forces de l'ordre, qui ont retrouvé 39 immigrés clandestins, ont transféré ces derniers dans un centre d'accueil dans la région de Lecce.

Les Etats-Unis avaient récemment mis en garde la Turquie contre des mesures de rétorsions économiques qui pourraient être prises contre elle si elle ne luttait pas sérieusement contre le trafic d'êtres humains sur son sol. C'est une nouvelle fois l'armée turque qui a réagi par la voie du général Aytac Yalman, commandant de la gendarmerie, qui a déclaré le 12 juin que "pour la question de l'immigration, on est injuste avec la Turquie qui héberge un million de clandestins" et que "l'année dernière 92000 clandestins ont été arrêtés" dans le pays.