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POINT SUR LA SITUATION EN TURQUIE

CILDEKT
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Liste
NO: 212

8/8/2001

  1. L’ARMÉE TURQUE EXCLUT 15 DE SES OFFICIERS POUR " LIEN AVEC LES MOUVEMENTS KURDE ET ISLAMISTE "
  2. LA VISITE EN TURQUIE D’ARIEL SHARON SOULÈVE LA CONTROVERSE
  3. 30 ÈME VICTIME DE LA GRÈVE DE LA FAIM LANCÉE DANS LES PRISONS TURQUES
  4. LU DANS LA PRESSE TURQUE : DANS LA RÉPUBLIQUE DES PACHAS MÊME LES MINISTRES NE PEUVENT DISCUTER DU " CONCEPT DE SÉCURITÉ NATIONALE " CONÇU PAR L’ARMÉE
  5. UNE AFFAIRE ROCAMBOLESQUE D’HOMICIDES EN TURQUIE


L’ARMÉE TURQUE EXCLUT 15 DE SES OFFICIERS POUR " LIEN AVEC LES MOUVEMENTS KURDE ET ISLAMISTE "


Un communiqué de l'armée turque a, le 4 août, annoncé l’exclusion de quinze officiers de ses rangs accusés d'être " liés à des mouvements séparatistes kurdes et à des mouvements islamistes ".

Selon le communiqué, les quinze officiers " ont été renvoyés en raison d'une conduite incompatible avec la discipline militaire ", expression qui désigne habituellement l'implication dans une activité favorable " aux groupes séparatistes kurdes ou aux mouvements islamistes ". La décision, entérinée par le Premier ministre Bulent Ecevit, a été prise lors d'une réunion du Haut conseil militaire qui a tenu sa réunion annuelle du 1er au 3 août. Les décisions du Conseil sont sans appel et ne peuvent pas être contestées par une cour civile.

Un nombre record d'officiers - 232 - avaient été mis à la retraite au cours du mandat du premier Premier ministre pro-islamiste turc, Necmettin Erbakan, de 1996 à 1997. L'armée a mené une campagne anti-islamiste qui a forcé M. Erbakan à démissionner en juin 1997.La Cour constitutionnelle a par la suite interdit son parti, Le Parti de la Prospérité (Refah), accusé " d'activités anti-laïques ".

LA VISITE EN TURQUIE D’ARIEL SHARON SOULÈVE LA CONTROVERSE


Premier ministre israélien Ariel Sharon est, le 8 août, en visite d'une journée à Ankara en vue de consolider l'alliance d'Israël avec la Turquie, au moment où Israéliens et Palestiniens s'enfoncent dans la violence, faute de perspective de paix. M. Sharon rencontrera le Premier ministre Bulent Ecevit, le Président Ahmet Necdet Sezer et le ministre de l'Economie Kemal Dervis et quittera la Turquie dans l'après-midi.

" L'objectif de la visite éclair qu'effectuera M. Sharon à Ankara est de consolider les liens entre les deux pays qui sont les deux seules démocratie de la région ", a indiqué Daniel Ayalon, conseiller de M. Sharon pour la politique étrangère. Israël et la Turquie, les deux plus grandes puissances militaires de la région, ont signé en 1996 des accords de coopération militaire qui ont débouché sur une série de manœuvres conjointes, avec la participation des Etats-Unis, et éveillé l'inquiétude

de pays voisins tels que la Syrie, l'Irak et l'Iran. Cette coopération militaire s'est étendue à divers domaines comme la production et la modernisation d'armements, notamment d'avions de combat et de blindés, et la formation de pilotes de chasse, sujets sur lesquels M. Ayalon s'est refusé de s'étendre. " La consolidation de ces liens revêt une importance majeure pour la stabilité de la région ", s'est-il borné à souligner.

La visite de M. Sharon s'effectuera dans un contexte délicat. En dépit de ses étroites relations avec l'Etat hébreu, la Turquie a dénoncé à plusieurs reprises l'usage excessif de la force contre les Palestiniens, notamment au lendemain de l'attaque meurtrière de Naplouse (Cisjordanie) le 31 juillet qui avait fait huit tués palestiniens, dont deux enfants. La Turquie avait été l'un des premiers pays à reconnaître l'Etat de Palestine proclamé par le président Yasser Arafat en 1988 lors d'une session du Conseil National palestinien à Alger.

Des questions d'ordre bilatérales, comme les échanges commerciaux et touristiques, doivent également être abordées lors de la visite de M. Sharon. Le commerce bilatéral, qui n'était que de 100 millions de dollars par an au début des années 80, s'est élevé à 800 millions USD en 1998 pour atteindre 2 milliards de dollars l'an dernier. Parmi les projets étudiés, figure la fourniture d'eau potable par la Turquie à Israël, qui connaît actuellement une grave pénurie, a-t-on appris auprès du ministère israélien des Affaires étrangères. Un accord en ce sens avait été signé entre les deux pays en juin 2000.

Des manifestants et des commentaires de presse dénoncent le passé controversé et la politique répressive envers les Palestiniens du Premier ministre israélien Ariel Sharon, à la veille de sa visite.

La police anti-émeute a, le 7 août, interpellé à Istanbul une quinzaine de personnes, la plupart des femmes couvertes d'un voile noir, qui protestaient contre les opérations meurtrières de l'armée israélienne envers les Palestiniens. Les personnes arrêtées se préparaient à participer à une manifestation de plus grande envergure plus tard dans la journée. Toujours à Istanbul, la police a mis en garde-à-vue trois journalistes de deux journaux islamistes pour les interroger sur leur appel, la semaine dernière lors d'une conférence de presse, à organiser des manifestations anti-Sharon, un appel qualifié d'action illégale.

Les quotidiens turcs, tant islamistes que laïcs, expriment un sentiment anti-Sharon convergeant et critiquent l'invitation du gouvernement turc, au moment où l'Etat hébreu est montré du doigt par la communauté internationale pour son usage excessif de la force contre les Palestiniens. " C'est un criminel de guerre ", titrait en Une le journal islamiste Yeni Safak à propos de Sharon, qu'il accuse de porter la " principale responsabilité " du bain de sang au Proche-Orient. Son éditorialiste, Cengiz Candar, qualifie de son côté la visite de Sharon d' " événement répugnant " et accuse Ankara d' " embrasser Israël, qui est gouverné par un Premier ministre sous le coup d'accusations de violations des droits de l'Homme et même de massacres ".

Selon Turgut Tarhanli, du quotidien de centre gauche Radikal, le resserrement des liens avec l'actuel gouvernement israélien pourrait porter atteinte à la crédibilité de la Turquie dans ses appels à la fin des violences israéliennes. Un nouveau Groupe d'initiative palestinienne, créé à l'occasion de cette visite par des militants turcs pour dénoncer le passé controversé de Sharon, a symboliquement déposé la semaine dernière deux plaintes devant des tribunaux d'Ankara et d'Istanbul, accusant le leader israélien de crimes contre l'Humanité, en s'inspirant de l'enquête ouverte en Belgique sur le rôle d'Ariel Sharon dans les massacres de réfugiés palestiniens au Liban en 1982.

Le député turc Mahmut Goksu (indépendant) a en outre soumis au Premier Ministre Bulent Ecevit une question formelle sur les véritables dividendes qu'Ankara peut attendre de cette mini-tournée de M. Sharon, au moment où Israël est quasiment au ban de la communauté internationale.

30 ÈME VICTIME DE LA GRÈVE DE LA FAIM LANCÉE DANS LES PRISONS TURQUES


Le bilan de la grève de la faim des prisonniers turcs d'extrême gauche qui dénoncent la détention en isolement s'est alourdi à 30 morts le 3 août alors même qu'ils n'ont aucun espoir de faire plier le gouvernement.

Muharrem Horoz, 28 ans, est décédé dans un hôpital d'Izmit où il avait été admis dix jours auparavant en raison de la gravité de son état, après 236 jours de jeûne. Horoz, membre présumé du groupuscule maoïste clandestin Armée de libération des paysans et des ouvriers de Turquie (TIKKO), était jugé pour un attentat perpétré en mars 1999 contre le gouverneur de la province de Cankiri qui avait fait 3 morts et 10 blessés. Il faisait partie des quelque 200 détenus qui poursuivent envers et contre tout leur mouvement, lancé par quelque 800 prisonniers en octobre 2000 pour protester contre une réforme du régime carcéral qui renforce l'isolement des détenus condamnés pour activités terroristes ou mafieuses. Pour briser le mouvement, l'armée avait lancé un assaut contre 20 prisons en décembre, au cours duquel 30 détenus et 2 gendarmes avaient été tués. Le gouvernement avait profité de l'opération pour transférer plus d'un millier de détenus dans les nouvelles prisons, dites de " type F ", à cellules pour 1 ou 3 détenus maximum, devant remplacer les dortoirs surpeuplés abritant jusqu'à 60 prisonniers. Il avait dès le début annoncé clairement qu'il n'avait pas l'intention de revenir sur sa décision, et s'est contenté d'adoucir le régime d'isolement par des lois autorisant les détenus à participer à des activités communes en fonction de leur bonne conduite et créant des commissions de surveillance des conditions de détention. Les organisations de défense des droits de l'Homme ont jugé ces mesures insuffisantes. Les détenus soutiennent que l'isolement les rend vulnérables aux mauvais traitements des gardiens et leur dénie toute socialisation.

Depuis, c'est le statu quo, sans dialogue, avec 30 morts depuis mars. Le Conseil de l'Europe a appelé les détenus à cesser leur mouvement, relayé par le député Vert européen Daniel Cohn-Bendit, qui a dénoncé lors d'une visite à Ankara début juin " l'idéologie préhistorique " des meneurs de la grève. Le gouvernement turc libère progressivement les plus mal en point des grévistes, mais certains n'en continuent pas moins leur jeûne.

La grève se déroule dans l'indifférence quasi-générale en Turquie, où ces mouvements n'attirent guère la sympathie de l'opinion, et où la population se débat avec les conséquences d'une grave crise économique qui a vu fondre de plus de moitié la valeur de la livre turque, redémarrer l'inflation, et mis au chômage environ un demi-million de personnes.

LU DANS LA PRESSE TURQUE : DANS LA RÉPUBLIQUE DES PACHAS MÊME LES MINISTRES NE PEUVENT DISCUTER DU " CONCEPT DE SÉCURITÉ NATIONALE " CONÇU PAR L’ARMÉE


Can Dundar, journaliste au quotidien turc Milliyet, saisit l’occasion de la polémique lancée par le vice-Premier ministre Mesut Yilmaz qui dans son discours au cours du congrès de son parti - où il a été élu, le 6 août, pour la cinquième fois, à une très forte majorité--, a mis en cause le concept de la sécurité nationale, domaine sacro-saint de l’armée turque, s’attirant ainsi les foudres de l’armée et des conservateurs, tous deux réunis dans l’Etat profond. L’armée turque n’a pas tardé à réagir en déclarant le 7 août qu’" il est dangereux de critiquer le concept de sécurité nationale car cela peut avoir des développements négatifs dans le pays… la sécurité nationale ne devrait pas être exploitée à des fins politiques… [et que] les matières concernant l’existence, le bien être…de la nation turque devraient être discutées sur des plate-formes sérieuses ". Par ailleurs, le quotidien turc anglophone Turkish Daily News, a, le 8 août, annoncé l’élaboration par l’Etat-major turc d’un nouveau document de politique de sécurité nationale remplaçant celui daté de 1997. Voici de larges extraits de l’article de Can Dundar publié sous le titre de " livre rouge " le 7 août :

" Dans un tiroir secret de l’Etat, il y a un livre avec une couverture rouge. Peu de personnes savent ce qu’il contient, mais les initiés disent que c’est " la Constitution secrète de la Turquie ". Ainsi, la Turquie est régie selon les lois stipulées dans ce livre.

Parlons brièvement de l’époque du " rédacteur " de ce livre :

En 1949, un Haut Conseil de la Défense Nationale a été fondé à Ankara pour " échafauder la stratégie de la défense ". Ce conseil est composé de 17 ministres civils et du chef de l’état-major turc.

En 1961, la perte de confiance vis-à-vis des civils des militaires qui ont renversé Menderes a également eu des conséquences sur cette institution. Un conseil de sécurité nationale (MGK) a été fondé pour donner des " recommandations " en matière de défense. Le chef d’état-major, qui ne disposait jusque-là que d’une seule voix, a pris auprès de lui les trois autres commandants de l’armée. Le tableau était de 4 militaires pour 8 civils.

Avec la Constitution de 1982, le MGK a commencé à donner au gouvernement des " notifications " et non plus de " propositions " en matière de défense. L’équilibre dans le conseil composé de 10 membres a été modifiée au préjudice des civils : 5 militaires, 4 civils et le président de la république.

C’est probablement cette institution qui est appelée " l’Etat profond ", dont l’influence dans l’administration étatique n’a fait que s’accroître ces 50 dernières années.

Le cerveau du MGK est " le secrétaire général ". Son nom est peu connu, mais il est célébré comme étant " le Premier ministre de l’ombre ". 250 personnes travaillent sous ses ordres. Sa mission ; " assurer la continuité de l’Etat "… Si l’on compare l’Etat à un cheval, assurer que le cheval galope dans la même direction sans tenir compte du changement de cavalier…

Comment cela se passe-t-il ?…

" Le président de la politique de la sécurité nationale ", qui est un des quatre adjoints du secrétaire général, élabore la stratégie. Du classement des menaces contre l’Etat à la politique économique, des priorités culturelles aux préférences en matière de la politique étrangère, tout sera rédigé dans ce document et puis cuisiné au secrétariat général pour être transformé en livre rouge. Après le MGK, il est d’abord approuvé par le conseil des ministres. Le Parlement, - même en sachant rien du contenu- ne peut voter de lois contraire à ce livre.

Tout pouvoir élu est invité à un briefing au secrétariat général du MGK dans les trois mois. On y explique au nouveau cavalier " la stratégie de la défense nationale ".

Et s’il y avait une quelconque contradiction entre le programme du nouveau parti au pouvoir et ce livre ?…

Il y a de cela des années, j’avais interpellé l’ancien secrétaire général du MGK, le général Dogu Bayazit, sur cette question :

" Le parti au pouvoir change de nombreux concepts de son programme lorsqu’il est mis au courant sur le fond de la politique de la sécurité nationale ", avait-il répondu.

C’est donc de cela que Mesut Yilmaz parle lorsqu’il dit que " l’on devrait soulever le rideau" sur le " syndrome de la sécurité nationale "…

" Le livre rouge " ouvre la voie à ceux qui portent l’uniforme d’exercer sur les gouvernements un pouvoir despotique.

Même si les militaires prétendent que " le document de la politique de la sécurité nationale est approuvé par le conseil des ministres ", l’on a pu ouvertement constater à l’instar du 28 février que dans la pratique " le cheval " se débarrasse par tout moyen du cavalier qui ne respecte pas les décisions.

Depuis des années, à maintes reprises, en polémique avec l’armée pour ses sorties, défenseur obstiné de l’adhésion à l’UE qui " bouleversera les relations de pouvoir ", Yilmaz a touché la corde hautement sensible avec ces propos.

(…)

On peut dire ce que l’on veut, après la fin de la guerre froide, alors que les dépenses en matière de défense n’ont fait que baisser partout dans le monde, le fait est que la Turquie qui prétend avoir combattu les menaces du séparatisme et de la charia, augmente ses dépenses militaires de plus 50 % - Un géant comme les Etats-Unis consacre 3 % de son PNB au budget de la défense — et la part du budget de la défense représente 5,4 % du PNB dans une Turquie en crise, cela ne peut que nous interpeller.

Connaître le contenu du " document de la politique de la sécurité nationale " qui définit tout notre avenir et discuter de la proportionnalité entre les menaces encourues et l’argent qui sort de nos poches est notre droit naturel.

Si la couverture du " livre rouge " s’ouvre, la Turquie ne sera pas la seule bénéficiaire puisque le MGK accusé trop souvent de " pouvoir de l’ombre " pourra également exploiter l’occasion ".

UNE AFFAIRE ROCAMBOLESQUE D’HOMICIDES EN TURQUIE


Le quotidien turc Milliyet dans son numéro du 6 août met à la Une sous le titre de " Un assassinat digne d’un film " les informations recueillies à la suite de l’assassinat, il y a quelques mois, de Cumhur Keskin, ancien député du parti socialiste du peuple (SHP) à Van. Selon le quotidien, l’affaire a débuté par l’exil forcé de la région d’un proche de Cumhur Keskin, Ali Er, lié à toutes sortes de trafics illicites au Kurdistan. Retiré dans la région de la Mer noire, A. Er fait la connaissance d’une bande mafieuse d’extrême droite appelée " la bande de Kuleberoglu " dirigée par Bayram Ali Kuleberoglu, qui lui demande des noms proches du parti des travailleurs du Kurdistan (PKK) de la région de Hakkari (Kurdistan). A. Er donne alors le nom de deux personnes d’une tribu adverse avec qui il a eu des démêlés liés au trafic illicite. Très rapidement ces deux dernières sont kidnappées et retrouvées dans la Mer noire les pieds engloutis dans du béton. L’enquête policière conduit à la bande de Kuleberoglu et à Ali Er qui se font arrêtés. Dans sa déposition, ce dernier déclare que de nombreuses personnes étaient endettées aux deux victimes y compris Mustafa Bayram, député de Van, lié aux trafics de drogue mais aussi d’œuvres d’art volées après que ses proches ont été arrêtés alors qu’ils étaient en train de vendre des Picasso à des policiers en civil. Finalement et le même jour Ali Er est retrouvé assassiné dans sa prison et Cumhur Keskin à Van.

Les affaires sont toujours en instruction et la justice turque ne faisant aucune connexion entre elles, l’enquête policière a conclu à une vendetta. Cela dit l’affaire prouve une nouvelle fois que des hommes politiques turcs sont liés à des trafics illégaux dans une région où règne une insécurité choquante profitant à ces trafics, mais également que l’extrême droite turque liée à certains services de l’Etat n’hésite pas à éliminer physiquement des kurdes sur simple dénonciation.