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POINT SUR LA SITUATION EN TURQUIE

CILDEKT
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Liste
NO: 211

1/8/2001

  1. UNE DÉPUTÉE TURQUE POURSUIVIE POUR AVOIR DÉNONCÉ LA TORTURE
  2. LA COUR EUROPÉENNE DES DROITS DE L’HOMME APROUVE À UNE PETITE MAJORITÉ L’INTERDICTION DU PARTI REFAH
  3. LA VISITE DE M. HUBERT VEDRINE EN TURQUIE
  4. LE MINISTRE TURC DE L’ÉCONOMIE ANNONCE DES " AJUSTEMENTS " POUR L’ÉCONOMIE TURQUE
  5. LE FESTIVAL DE MUNZUR S’ACHEVE MALGRÉ LES PROVOCATIONS DES AUTORITÉS TURQUES


UNE DÉPUTÉE TURQUE POURSUIVIE POUR AVOIR DÉNONCÉ LA TORTURE


Le Parquet d’Ankara a, le 24 juillet, demandé la levée d’immunité parlementaire de Mme Sema Piskinsut, l’ancienne présidente de la Commission des droits de l’homme du Parlement turc, accusée d’avoir " dissimulé " les noms des victimes de tortures. Mme Piskinsut s’en défend en affirmant qu’elle préserve la sécurité de ces victimes qui se sont confiées aux parlementaires. Elle s’étonne d’autre part que les autorités turques cherchent plutôt à accuser ceux qui ont le courage de dénoncer la torture que de poursuivre et condamner les tortionnaires.

Mme Piskinsut est en disgrâce depuis qu’elle a dénoncé les violences à l’égard des détenus. Elle s’était attirée les foudres des autorités turques mais aussi de son propre parti qui lui avait refusé sa rénomination à la présidence de la commission parlementaire des droits de l’homme lorsqu’elle a apporté au Parlement des instruments de tortures retrouvés dans les commissariats turcs. Lors du congrès de son parti (le parti de la Gauche démocratique), elle s’était faîte huer et violemment bousculer pour s’être présentée contre Bulent Ecevit.

LA COUR EUROPÉENNE DES DROITS DE L’HOMME APROUVE À UNE PETITE MAJORITÉ L’INTERDICTION DU PARTI REFAH


La Cour européenne des droits de l'Homme a donné raison, le 31 juillet, au gouvernement d'Ankara en estimant fondée sa décision de dissoudre le parti Refah (parti islamiste de la Prospérité) au nom de la laïcité de l'Etat. Les juges européens de Strasbourg ont, par 4 voix contre 3, estimé que les valeurs prônées par les dirigeants du parti de la Prospérité Refah, comme l'instauration de la charia et la " guerre sainte " pour arriver à leurs fins, étaient incompatibles avec la Convention européenne des droits de l'Homme, de même que les responsables du Refah " avaient laissé planer un doute sur leur position quant au recours à la force afin d'accéder au pouvoir et, notamment, d'y rester ".

Le Refah (Parti de la Prospérité), fondé en 1983 et dirigé par l'ex-premier ministre turc Necmettin Erbakan, était devenu le premier parti politique du pays après les élections législatives de 1995, avec plus de 4,5 millions d'électeurs. Trois ans plus tard, sous la pression de l'armée, la Cour constitutionnelle turque prononçait la dissolution du Refah en janvier 1998 au motif que ce parti s'était transformé " en centre d'activités contraires au principe de laïcité, portant ainsi atteinte à l'ordre démocratique turc ". M. Erbakan, 74 ans, et deux ex-vice-présidents et députés du Refah, Sevket Kazan (ancien ministre de la Justice) et Ahmet Tekdal, ont alors porté plainte devant la Cour européenne de Strasbourg, estimant violés leurs droits à la liberté de réunion et d'association (article 11), à la liberté d'expression (10), l'interdiction de la discrimination (14) la protection de la propriété et le droit à des élections libres.

Malgré l'opinion dissidente de trois juges autrichien, chypriote et britannique, quatre juges de la Cour européenne (le Français Jean-Paul Costa, la Norvégienne Hanne Sophie Greve, l'Albanais Kristaq Traja et le Turc Riza Turmen) ont en effet jugé que les sanctions appliquées par la justice turque aux trois responsables du Refah, déchus de leur qualité de députés et interdits d'exercer une fonction politique pendant cinq ans, pouvaient " raisonnablement être considérées comme répondant à un besoin social impérieux pour la protection de la société démocratique ". " Même si la marge d'appréciation des Etats doit être étroite en matière de dissolution des partis politiques, le pluralisme des idées et des partis étant lui-même inhérent à la démocratie, l'Etat concerné peut raisonnablement empêcher la réalisation d'un projet politique incompatible avec les normes de la Convention européenne, avant qu'il ne soit mis en pratique par des actes concrets risquant de compromettre la paix civile et le régime démocratique dans le pays ", insiste la Cour européenne.

Pour les juges européens, " un parti politique dont les responsables incitent à recourir à la violence et/ou proposent un projet qui ne respecte pas une ou plusieurs règles de la démocratie ou qui vise la destruction de celle-ci ne peut se prévaloir de la protection de la Convention contre les sanctions infligées pour ces motifs ". " Des principes tels que le pluralisme dans la participation politique ou l'évolution incessante des libertés publiques " sont étrangers à la charia, selon la Cour. " Il est difficile à la fois de se déclarer respectueux de la démocratie et des droits de l'Homme et de soutenir un régime fondé sur la charia qui se démarque nettement des valeurs de la Convention européenne ", notamment en ce qui concerne les règles en droit pénal, les supplices utilisés comme sanctions pénales, la place qu'elle réserve aux femmes dans l'ordre juridique et à son intervention dans les domaines de la vie privée et publique conformément aux normes religieuses, selon l'arrêt.

Les questions du port du foulard islamique ou de l'organisation des horaires de travail en fonction de la prière ou du Ramadan ne constituent pas, prises isolément, des menaces imminentes pour le régime laïque en Turquie, estime par ailleurs la Cour européenne. Toutefois, en Turquie, les prises de position en faveur de ces deux thèmes étaient " conformes au but inavoué du Refah d'instaurer un régime politique fondé sur la charia ", ajoute l’arrêt. Le président du Refah, l'ancien Premier ministre Necmettin Erbakan, avait encouragé le port du foulard dans les établissements publics et scolaires, notamment en décembre 1995, en déclarant que " les recteurs d'université (allaient) s'incliner devant le voile quand le Refah (serait) au pouvoir ", bien que le port du foulard ait été déclaré inconstitutionnel depuis 1989.

Les juges autrichien, britannique et chypriote ont toutefois publié, à la suite de l'arrêt, une " opinion dissidente ", dans laquelle ils contestent l'interdiction d'un parti sur le seul fondement de déclarations de certains de ses dirigeants. " Rien dans les statuts (du Refah) ni dans son programme n'indique que ce parti était hostile à la démocratie ", estiment les trois juges.

" C'est un grand soulagement pour les laïcs du pays…Il y avait ce point d'interrogation de savoir si la conception de la laïcité en Turquie était compatible avec la Convention européenne. À présent, cette discussion est terminée ", analyse Mehmet Ali Birand, journaliste dans plusieurs quotidiens turcs.

Cependant, la décision de la Cour a été critiquée par plusieurs représentants des milieux libéraux, reflet d'un débat sur la réalité de la menace que représente l'islam politique turc pour la démocratie dès lors que les moyens employés contre lui ne sont pas forcément jugés démocratiques. Pour Yucel Sayman, bâtonnier d'Istanbul, " c'est une décision très politique, qui trahit un sens très étriqué de la démocratie ". " Strasbourg condamne une intention, et non une réalisation… Car on ne peut pas dire que les actes du Refah, au gouvernement ou dans l'opposition, aient jamais confirmé la volonté de changer le régime politique de la Turquie, de contrevenir aux règles démocratiques ", estime Ahmet Insel, professeur d'économie à l'université francophone Galatasaray d'Istanbul. " Cet arrêt montre que l'Europe continue de percevoir le fondamentalisme comme une menace pour elle aussi ", selon Rusen Cakir, islamologue et journaliste.

La fermeture du Refah en 1998 par la Cour constitutionnelle turque avait été précédée par une intervention de l'armée, qui se considère comme la gardienne des principes laïques en Turquie. Elle avait fait pression pendant des mois pour obtenir, en juin 1997, la démission de Necmettin Erbakan, Premier ministre depuis un an en coalition avec Mme Tansu Ciller, et chef du Refah. Ce processus est décrit par nombre de commentateurs turcs comme un " coup d'Etat post-moderne ", après les putschs militaires de 1960, 1971 et 1980. Le successeur du Refah, le parti de la Vertu (Fazilet), aux accents plus modérés, a été interdit, en juin 2001. Mais dans un incessant recommencement, deux formations se construisent sur ses ruines, officialisant la scission du mouvement. Les conservateurs ont créé le parti du Bonheur, inspirés par M. Erbakan. Les modernistes, emmenés par l'ex-maire (Refah) d'Istanbul, Recep Tayip Erdogan, doivent bientôt déposer les statuts de leur formation et se déclarent prudemment hors religion.

En 1998 et en 1999, la Turquie avait été condamnée à Strasbourg pour l'interdiction de trois formations politiques d'inspiration marxiste ou pro-kurde. L'arrêt de la Cour est susceptible d'appel, l'une des parties ayant la possibilité de demander, dans un délai de trois mois, le renvoi de l'affaire devant la grande chambre de 17 juges.

LA VISITE DE M. HUBERT VEDRINE EN TURQUIE


Le chef de la diplomatie française Hubert Védrine s’est rendu le 26 juillet à Ankara pour " une visite de réconciliation ", après six mois de brouille consécutive à l'adoption par la France d'une loi reconnaissant le génocide arménien que la Turquie n'a toujours pas complètement digérée.

M. Védrine, invité par son homologue turc Ismail Cem, a été reçu par le Premier ministre Bulent Ecevit au cours de cette courte visite de travail, première reprise de contacts à ce niveau depuis mi-janvier. L'adoption par le Parlement français mi-janvier 2001 d'une loi reconnaissant comme ce génocide les massacres d'Arméniens perpétrés sous l'Empire ottoman et sa promulgation par le président Jacques Chirac avaient déchaîné les foudres de la Turquie, qui nie un génocide. Ankara avait rappelé pendant quatre mois son ambassadeur à Paris pour consultation, et les firmes françaises avaient souffert pendant plusieurs mois des retombées, avec exclusions d'appels d'offre, annulations de contrat, et tracasseries administratives. La dure crise économique que traverse la Turquie a cependant largement contribué à raccommoder les relations, même sans grande chaleur officielle. M. Ecevit avait ainsi reçu la semaine dernière une forte délégation de patrons français du Medef, à l'heure où la Turquie a plus que jamais besoin d'une aide extérieure. Cela n'empêchera toutefois pas la Turquie de maintenir pour l'instant ses sanctions commerciales dans le domaine des ventes d'armes. " Nous avons décidé de regarder vers l'avenir, sans oublier le passé ", a résumé M. Cem lors d'une conférence de presse commune. " Il existe une décision gouvernementale (sur les sanctions) et elle ne changera pas ".

Selon François Rivasseau, porte-parole du ministère français des Affaires étrangères, M. Védrine devrait examiner avec M. Cem le processus de rapprochement entre la Turquie et l'Union européenne, la question épineuse de Chypre et le projet de défense européenne --auquel Ankara s'oppose car il l'exclut du processus de décision en tant que non-membre de l'UE-- et l'état des réformes économiques menées par la Turquie pour surmonter la crise. Différentes questions régionales concernant les deux pays, notamment le Caucase du Sud, l'Irak, le Proche-Orient et les Balkans, ont également été abordées. Paris, comme Ankara, plaide pour un allègement des sanctions imposées à l'Irak depuis son invasion du Koweit en 1990.

Le vote des députés français " a eu un impact négatif sur nos relations (...), mais la France est traditionnellement un membre de l'Union européenne qui soutient la Turquie ", a poursuivi Ismaïl Cem. Pour sa part, M. Védrine a simplement expliqué que Paris souhaite exprimer sa " solidarité " avec la Turquie qui connaît des difficultés économiques et a souligné que l'UE devait prendre en compte les préoccupations turques, mais a appelé Ankara à " comprendre et faciliter " les projets européens. Signe de la fraîcheur des relations franco-turques, le président Ahmet Necdet Sezer, a décidé d'ignorer la visite de M. Védrine, qu’il n’a pas reçu pour protester contre le vote français sur le génocide arménien, à l’en croire la presse turque.

LE MINISTRE TURC DE L’ÉCONOMIE ANNONCE DES " AJUSTEMENTS " POUR L’ÉCONOMIE TURQUE


Le gouvernement turc a, le 26 juillet, annoncé des mesures économiques pour donner de l'oxygène à la devise nationale et restaurer la confiance dans la capacité du Trésor à faire face au poids de la dette nationale. Kemal Dervis, ministre de l'Economie et principal architecte d'un plan de relance économique soutenu par le Fonds monétaire international (FMI), a estimé qu'il s'agissait d' " ajustements techniques " destinés à surmonter des difficultés rencontrées par ce plan depuis le début juillet. Des conflits au sein du gouvernement ont renforcé les craintes des marchés selon lesquelles Ankara n'a pas véritablement l'intention de mettre en œuvre ce programme, ce qui a eu pour effet de faire baisser la lire turque à 1,32 million pour un dollar et monter les taux d'intérêt à long terme à plus de 90 %.

M. Dervis a annoncé des mesures fiscales concernant les dépôts bancaires pour encourager les investissements à long terme libellés dans la monnaie nationale. Le ministère des Finances relèvera également le seuil minimum nécessitant de faire une déclaration au fisc à 50 milliards de lires turques (283.000 FF /43.150 euros) pour les bons du Trésor. Ce changement " encouragera les investisseurs petits et moyens à entrer sur le marché des bons du Trésor ", a souligné M. Dervis. Ce dernier a également annoncé une restructuration de la dette de l'Etat détenue par les banques publiques et privées qui ont été placées en règlement judiciaire. Cette décision devrait permettre de réduire les remboursements de la dette intérieure de quelque 3 milliards de dollars (22,3 milliards de FF/ 3,4 milliards d'euros) cette année. Pour sa part, le gouverneur de la banque centrale, Sureyya Serdengecti, a annoncé notamment des mesures pour abaisser le coût du crédit.

LE FESTIVAL DE MUNZUR S’ACHEVE MALGRÉ LES PROVOCATIONS DES AUTORITÉS TURQUES


Le second festival culturel de Munzur organisé dans la ville kurde Tunceli du 27 au 30 juillet s’est terminé malgré les obstacles et des affrontements entre les autorités turques et les participants. Des centaines de soldats ont défilé, le 28 juillet, dans la ville, au lendemain d'affrontements entre la police et des manifestants kurdes qui ont fait 12 blessés. " Tout pour ce pays, je sacrifierais ma vie pour ce pays ", ont clamé les soldats, escortés de véhicules militaires, lors d'une marche à travers le centre ville qui s'est achevée sans incidents. La veille, des heurts avaient opposé 1.500 Kurdes aux forces de l'ordre au cours d'une fête locale, faisant huit blessés parmi les policiers et quatre parmi les manifestants.

L'affrontement avait été déclenché par le refus des autorités turques d'autoriser Murat Bozlak, président du Parti de la Démocratie du peuple (HADEP pro-kurde) à prononcer un discours dans le cadre de cette fête. La tension était montée d'un cran à cause d'une banderole suspendue dans le stade de la ville, lieu de la fête, remerciant le leader du parti de l'Action nationaliste (MHP), au pouvoir, " pour ses contributions " à l'organisation de l'évènement. Or, le MHP, parti d'extrême droite, est le principal adversaire politique des Kurdes, qui réclament une autonomie culturelle.

Des manifestants furieux, en marche vers le centre de Tunceli, avaient alors jeté des pierres sur la voiture d'un responsable militaire local, provoquant l'intervention de la police. Les mesures de sécurité ont été renforcées à Tunceli après ces événements.