Publications

Haut

POINT SUR LA SITUATION EN TURQUIE

CILDEKT
 -
Liste
NO: 202

18/5/2001

  1. LA TURQUIE ANNONCE QU’EN CAS DE PROCLAMATION D’UN ETAT KURDE EN IRAK, ELLE FERA INTERVENIR SES TROUPES
  2. L’IRAK MENACE LA TURQUIE ET LA JORDANIE : DE CESSER SES EXPORTATIONS DE PÉTROLE SI ELLES ADOPTENT LE NOUVEAU PLAN DE SANCTIONS AMÉRICAIN
  3. PLUS DE 50 MEMBRES DE HADEP ARRÊTÉS À ANKARA
  4. LE FMI OCTROIE 19 MILLIARDS DE DOLLARS À LA TURQUIE
  5. DÉLIT D’OPINION : DR. FIKRET BASKAYA SERA EMPRISONNÉ POUR UN DE SES ARTICLES
  6. BULENT ECEVIT CONTESTE L’ARRÊT DE LA COUR EUROPÉENNE DES DROITS DE L’HOMME SUR CHYPRE
  7. NOUVELLE TENSION ENTRE LES QUINZE ET LA TURQUIE


LA TURQUIE ANNONCE QU’EN CAS DE PROCLAMATION D’UN ETAT KURDE EN IRAK, ELLE FERA INTERVENIR SES TROUPES


Le quotidien turc Milliyet du 13 mai annonce la publication par le Premier ministre Bülent Ecevit d’une circulaire interne secrète encadrant la politique irakienne de la Turquie à court, à moyen et à long terme. Le point essentiel de la circulaire est clairement affiché : " La proclamation d’un Etat au nord de l’Irak sera considérée [par la Turquie] comme une cause d’intervention ". Un rapport signé par le ministre turc des affaires étrangères, Ismail Cem, et intitulé " Mesures préventives relatives à la politique turque en Irak ", sert de base à la circulaire dont l’existence est démentie par les autorités turques. Selon le quotidien turc Hurriyet du 16 mai, qui reprend l’information, le rapport qui met l’accent sur la nécessité de maintenir l’aspect unitaire de l’Irak souligne : " Nous prenons en considération le fait qu’il est impossible pour le nord de l’Irak de revenir à une situation d’avant 1992. Cependant le scénario qui ne pourrait en aucune façon être accepté par nous, c’est la proclamation d’un Etat kurde indépendant au nord de l’Irak. Une telle déclaration devrait être considérée comme un casus belli. "

Par ailleurs, le rapport indique que les études sur l’Irak devront être suivis par " un comité d’observation " présidé par le ministère des affaires étrangères et composé du chef adjoint de l’Etat-major turc, et le chef des services de renseignement (MIT).

De plus, Ankara qui continue de refuser à ses 15 millions de Kurdes le moindre droit culturel, soulève dans ce rapport une nouvelle fois la situation des Turkomans du Kurdistan irakien : " Il est important que les Turkomans normalisent leurs rapports aussi bien avec le Parti démocratique du Kurdistan (PDK) qu’avec Bagdad. Les Turkomans sont la troisième composante en Irak et seconde composante au nord de l’Irak du peuple irakien. Ils devraient être en sûreté et des messages en ce sens ont d’ores et déjà été délivrés ". Les Turkomans sont moins de 30 000 dans la zone de protection kurde et environ 150 000 dans l’ensemble de l’Irak.

L’IRAK MENACE LA TURQUIE ET LA JORDANIE : DE CESSER SES EXPORTATIONS DE PÉTROLE SI ELLES ADOPTENT LE NOUVEAU PLAN DE SANCTIONS AMÉRICAIN


L'Irak a menacé d'arrêter ses exportations de pétrole vers la Jordanie et la Turquie si elles coopèrent au nouveau plan de "sanctions intelligentes" des Etats-Unis. Washington souhaite renforcer l'embargo sur les armes tout en assouplissant les restrictions concernant les importations de marchandises civiles en Irak.

Le vice-Premier ministre Tarek Aziz a déclaré à la télévision irakienne que Bagdad devrait cesser ces exportations vers ces deux pays si leurs achats de pétrole étaient effectués dans le cadre du programme pétrole contre nourriture de l'Onu. Pour l'instant, les deux pays importent du pétrole irakien en dehors de ce cadre, ce qui constitue une exception aux sanctions adoptées par l'Onu. Ils payent directement le gouvernement irakien en espèces au lieu de verser la somme sur un compte de l'Onu. En vertu du nouveau projet de sanctions américain, les paiements des exportations illicites de pétrole irakien vers la Turquie, et la Jordanie, mais aussi la Syrie et l'Iran, devraient désormais être versés sur le compte de l'Onu.

L'Irak exporte son pétrole vers la Turquie par camion et par oléoduc. L’oléoduc Kirkuk-Yumuralik livre environ 40% des 2,2 millions de barils par jour vendus par l'Irak sous contrôle de l'Onu. Bagdad fournit tout son pétrole brut à la Jordanie et il couvre tous les besoins du royaume en produits pétroliers depuis 1990. Ces ventes de pétrole à la Jordanie constituent une exception aux sanctions imposées en 1991 par l'Onu à Bagdad suite à l'invasion irakienne du Koweit. L'Irak fournit chaque année 4,8 millions de tonnes de pétrole brut et de produits pétroliers à prix réduits à la Jordanie, soit quelque 95.000 barils par jour, pour une valeur totale d'environ 600 millions de dollars. Les clauses de cet accord sont secrètes.

Le nouveau projet de sanctions américain prévoit l'inspection par l'Onu des avions à destination de l'Irak, la vente à prix réduits de pétrole irakien aux pays de la "ligne de front" (les voisins de Bagdad) et éventuellement des livraisons de pétrole fournies par d'autres pays du Golfe pour les voisins les plus pauvres de l'Irak.

PLUS DE 50 MEMBRES DE HADEP ARRÊTÉS À ANKARA


Plus de 50 membres ou sympathisants du parti pro-kurde de la Démocratie du peuple (HADEP), dont 9 responsables, soupçonnés de "liens avec le PKK" ont été arrêtés à Ankara les 16 et 17 mai. Veli Aydoganun, responsable du Hadep à Ankara a déclaré que les forces de sécurité ont lancé une opération contre les domiciles des suspects à l'aube sur ordre de procureurs de la Cour de sûreté de l'Etat. "Plus de 50 personnes ont été arrêtées jusqu'ici. Six sont membres de notre parti et les autres en majorité des étudiants qui ont activement participé à nos activités sans être membres", a-t-il ajouté.

Les membres du HADEP, qui plaide pour un règlement pacifique de la question kurde, sont souvent poursuivis pour liens présumés avec le Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK). Le HADEP est l'objet d'une procédure judiciaire en vue de sa fermeture pour liens présumés avec le PKK, une accusation qu'il rejette catégoriquement.

LE FMI OCTROIE 19 MILLIARDS DE DOLLARS À LA TURQUIE


Le Fonds monétaire international a décidé d'apporter un nouveau ballon d'oxygène à la Turquie, en augmentant sa ligne de crédit stand-by de 8 milliards de dollars, la portant à un total de 19 milliards de dollars, dont 3,8 milliards disponibles immédiatement. Nouveau ministre turc de l'Economie et ancien vice-président de la Banque mondiale, Kemal Dervis s'est aussitôt félicité de cette décision. "C'était le montant que nous attendions (…) C'est un succès pour le gouvernement. Le FMI n'a octroyé une aide d'un tel montant à aucun autre pays. Mais c'est aussi une responsabilité importante" a-t-il déclaré.

En annonçant le déblocage de ces 8 milliards de dollars supplémentaires, le numéro deux du FMI Stanley Fischer a de son côté vanté l'important plan de redressement mis en place par l'équipe de Kemal Dervis, alliant diminution des dépenses publiques, privatisation d'entreprises clé et réforme de différents marchés, tels que les télécommunications, l'électricité, le gaz naturel, le tabac et le sucre. En février dernier, une crise financière particulièrement aiguë a obligé Ankara à abandonner un précédent plan anti-inflation et à laisser flotter la livre turque, qui a perdu depuis 40% de sa valeur face au dollar.

Outre les 3,8 milliards de dollars disponibles immédiatement, le gouvernement turc pourra tirer dans un deuxième temps deux tranches de 1,5 milliard de dollars chacune au plus tôt les 25 juin et 25 juillet, puis deux autres tranches de 3 milliards chacune au plus tôt les 20 septembre et 15 novembre. Ces nouveaux déboursements seront accordés au vu des progrès accomplis par la Turquie dans la mise en oeuvre de son plan de redressement.

DÉLIT D’OPINION : DR. FIKRET BASKAYA SERA EMPRISONNÉ POUR UN DE SES ARTICLES


Dr. Fikret Baskaya, économiste et universitaire turc, condamné le 13 juin 2000 pour délit d’opinion par la Cour de sûreté de l’Etat d’Istanbul à une peine d’emprisonnement d’un an et de quatre mois et 11 000 F d’amende, devrait être incarcéré le 29 juin 2001, la Cour de cassation turque ayant, le 15 janvier 2001, confirmé la peine.

En vertu de l’article 8 de la loi anti-terreur turque, Dr. Baskaya avait été poursuivi pour avoir écrit un article intitulé " Est-ce un procès historique ? ", publié, le 1er juin 1999, par le quotidien pro-kurde Özgür Bakis, aujourd’hui interdit. Le réquisitoire l’incriminant stipule : " Lorsqu’on lit attentivement l’article, l’auteur explique que le problème kurde est géré [par les autorités turques] comme un fait policier et non comme une cause nationale (…) " L’auteur soutient que " les révoltes kurdes d’aujourd’hui se différencient des précédentes révoltes rurales, et qu’il ne suffira pas d’éliminer, cette fois-ci, le leader pour mettre fin à l’actuel soulèvement (…) Les Kurdes constituent une société citadine, forte d’une vaste intelligentsia. Ils atteignent le sommet pour constituer l’avant-garde en politique " allusion au PKK ". Selon l’auteur, les Kurdes luttent pour leur identité, leurs droits nationaux et protéger leur dignité, donc on peut considérer que ce dernier fait de la propagande séparatiste par voie de presse ".

Il y a huit ans, Dr. Baskaya avait été condamné par une cour de sûreté de l’Etat à un an et huit mois de prison pour un de ses livres " Paradigmanin iflasi " (La faillite du paradigme), peine qui lui a fait perdre sa chaire à l’université. La Cour européenne des droits de l’homme, saisie de l’affaire, avait condamné la Turquie pour atteinte à la liberté de l’expression.

BULENT ECEVIT CONTESTE L’ARRÊT DE LA COUR EUROPÉENNE DES DROITS DE L’HOMME SUR CHYPRE


Le Premier ministre turc Bulent Ecevit s'est, le 11 mai, élevé contre l'arrêt de la Cour européenne des droits de l'Homme reconnaissant la Turquie coupable de 14 violations dans la partie nord de Chypre, sous occupation turque depuis 27 ans. " Il est clair que la Cour européenne des droits de l'Homme n'a pas fait une évaluation correcte de la situation ", a déclaré Bulent Ecevit lors de son point de presse hebdomadaire. " Les questions concernant Chypre ne sont pas des questions de droit, mais des questions politiques ", a-t-il fait valoir. " La décision de la Cour ne correspond pas à la réalité chypriote ". Pour le gouvernement d'Ankara, le contrôle du nord de Chypre ne relève pas de ses compétences et la responsabilité des faits incombe à la seule administration chypriote turque, qui n'est cependant reconnue que par la Turquie.

Saisis par les autorités chypriotes grecques, les juges de la Cour strasbourgeoise se sont prononcés la veille par 16 voix contre une pour la responsabilité de la Turquie dans ces violations, qui vont de l'absence d'enquête sur la disparition de Chypriotes grecs à des traitements inhumains infligés aux proches de personnes disparues. L'Etat turc est également accusé d'empêcher des Chypriotes grecs originaires du nord de l'île de rentrer chez eux, de refuser toute compensation pour la perte de propriété, d'interférer dans la liberté de culte, et de faire subir des discriminations aux Chypriotes grecs vivant sur la péninsule de Karpas, dans le secteur turc.

NOUVELLE TENSION ENTRE LES QUINZE ET LA TURQUIE


Les Quinze ont manifesté, le 15 mai, leur mécontentement à l'égard de la Turquie qui bloque un accord entre l'Union européenne et l'Alliance atlantique, mais certains espèrent qu'une solution sera trouvée à la réunion des ministres des Affaires étrangères de l'OTAN fin mai à Budapest. La Turquie "devra changer" d'attitude, a jugé le ministre français de la Défense Alain Richard. "Il n'y a pas d'avantages pour nos amis turcs à maintenir cette position négative, ce n'est pas cohérent avec leurs intérêts de rapprochement avec l'Europe", a-t-il dit. Le ministre allemand de la Défense Rudolf Scharping a aussi haussé le ton, affirmant que la Turquie n'empêcherait par les Quinze d'avancer sur l'Europe de la défense.

Depuis des mois, Ankara bloque un accord entre l'UE et l'OTAN sur l'accès de l'Union aux moyens de planification de l'Alliance atlantique. Ankara veut que cet accès soit décidé au cas par cas et non "garanti et permanent", comme le demandent les Quinze. Les Quinze ont proposé l'an dernier à ces pays des consultations étroites sur la politique européenne de défense, mais il n'est pas question qu'ils participent pleinement aux décisions. La Turquie, membre de l'OTAN mais non de l'UE, refuse de se contenter de ces consultations et juge que sa position géostratégique lui donne le droit de participer pleinement au processus de décision, comme si elle était un Etat membre de l'UE, ce que les Quinze jugent impossible. La Turquie s'inquiète surtout d'être absente d'un organe de décision sur des questions de sécurité auquel participe la Grèce.

L'ancien ministre des Affaires étrangères, Ilter Turkmen, a mis en garde contre une telle escalade, soulignant qu'elle compromettrait les espoirs de la Turquie d'adhérer à l'UE : " Si nous donnons l'impression d'être les éternels fauteurs de trouble, le processus d'adhésion de la Turquie va en pâtir ". Il écarte le scénario " catastrophe " d'une intervention de l'UE à Chypre, soulignant que l'Union n'est pas une coalition anti-turque et que ses membres sont des alliés de l'OTAN. Mais le chef de la diplomatie turque Ismail Cem a répliqué que "ce ne sera pas la fin du monde" si aucun accord n'est trouvé avant la réunion de Budapest.