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POINT SUR LA SITUATION EN TURQUIE

CILDEKT
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Liste
NO: 192

26/1/2001

  1. 13 ADOLESCENTS KURDES, ÂGÉS DE 10 À 16 ANS, RISQUENT 3 À 5 ANS DE PRISON À DIYARBAKIR
  2. LE CONSEIL D’ÉTAT TURC INTERDIT DES NOMS DE RUES ET DE VILLAGES POUR " DÉLIT DE KURDICITÉ "
  3. "LA FRANCE RECONNAÎT PUBLIQUEMENT LE GÉNOCIDE ARMÉNIEN DE 1915 "
  4. RÉACTIONS TURQUES APRÈS LA RECONNAISSANCE DU GÉNOCIDE ARMÉNIEN PAR LA FRANCE
  5. ESBER YAGMURDERELI LIBÉRÉ AU TERME DE LA LOI D’AMNISTIE


13 ADOLESCENTS KURDES, ÂGÉS DE 10 À 16 ANS, RISQUENT 3 À 5 ANS DE PRISON À DIYARBAKIR


La cour de sûreté de l'Etat (DGM) de Diyarbakir a, le 22 janvier, inculpé treize adolescents, âgés de 10 à 16 ans, pour "soutien à une organisation illégale" et réclame des peines de 3 à 5 ans de prison pour chacun d'entre eux. La police avait interpellé, le 9 janvier, dans la petite ville de Viransehir (Kurdistan) 28 jeunes qui auraient lancé des slogans favorables au Parti des Travailleurs du Kurdistan (PKK) et à son leader, Abdullah Ocalan, emprisonné en Turquie.

L'acte d'accusation demande que les 13 jeunes, dont 6 sont actuellement écroués, soient punis aux termes de l'article 169 du code pénal pour "soutien à une organisation illégale". Le document estime qu'il n'y a pas lieu de mener une poursuite judiciaire à l'encontre de, 15 autres qui avaient également été interpellés.

Les médias turcs et l'Association turque de défense des droits de l'Homme (IHD) avaient dénoncé l'interpellation de ces adolescents et le fait qu'ils aient été emmenés menottés à leur interrogatoire.

LE CONSEIL D’ÉTAT TURC INTERDIT DES NOMS DE RUES ET DE VILLAGES POUR " DÉLIT DE KURDICITÉ "


Le Conseil d’Etat turc, saisi par la préfecture de Batman et le ministère de l’Intérieur, a, le 22 janvier, interdit pour "séparatisme " et délit de " kurdicité " des noms de rue dans la ville kurde de Batman. Parmi les noms incriminés figurent Gandhi, Yilmaz Güney (cinéaste kurde primé au festival de Cannes, mort en exil en France), et des noms kurdes tels que Zilan, Zozan, Lales, et Halabja…

L’arrêt du Conseil d’Etat turc dispose que : " Il ne peut y avoir des noms de lieu en kurde et l’on ne peut faire vivre des noms non turcs. Pour des noms étrangers, l’autorisation du ministère des affaires étrangères est requise. De plus, on ne peut donner aux rues des noms de personnes appelant à l’ébranlement de l’Etat, pour la gloire de la guerre et contre l’hégémonie ".

"LA FRANCE RECONNAÎT PUBLIQUEMENT LE GÉNOCIDE ARMÉNIEN DE 1915 "


L'Assemblée nationale a définitivement adopté, le 18 janvier, la proposition de loi sur la reconnaissance officielle par la France du génocide arménien de 1915, en dépit des menaces de la Turquie et des réserves du gouvernement.

Ce texte d'un seul article — "la France reconnaît publiquement le génocide arménien de 1915 " - a été voté à l'unanimité par les députés. La même proposition de loi avait été adoptée dans la nuit du 7 au 8 novembre 2000 par le Sénat. Le texte sera promulgué dans les prochains jours par le gouvernement. Les députés, qui avaient déjà reconnu le génocide arménien le 29 mai 1998, n'ont pas suivi l'avis du gouvernement, représenté dans l'hémicycle par le ministre des Relations avec le Parlement Jean-Jack Queyranne. Sans nier la réalité de la "tragédie qui s'est abattue sur les Arméniens au début du siècle ", M. Queyranne, qui n'a employé qu'en passant le mot de "génocide", a insisté sur les " exigences " de la politique étrangère de la France, alors que la Turquie est candidate à l'adhésion à l'Union européenne. "La France est l'amie de l'Arménie (...). Elle est aussi l'amie de la Turquie moderne, qui ne peut être tenue pour responsable de faits survenus dans les convulsions de l'Empire ottoman", a rappelé le ministre des Relations avec le Parlement.

Ces propos alambiqués n'ont pas convaincu les députés. "Vous êtes tenu par les exigences du Quai d'Orsay. Nous l'avons tous compris ici", a lancé Patrick Devedjian (RPR) à M. Queyranne. " Blessé " par le discours du ministre, le porte-parole du RPR, lui-même d'origine arménienne, a repoussé en bloc les arguments du gouvernement. "Ceux qui veulent faire entrer la Turquie dans l'Union européenne devraient au moins avoir la décence de lui demander d'être présentable", a-t-il déclaré.

Le rapporteur de la commission des Affaires étrangères, François Rochebloine (UDF), a estimé de son côté que la reconnaissance du génocide arménien, loin de "condamner" la Turquie, "trace la voie de l'ouverture vers le respect des droits de l'homme et l'établissement de relations confiantes avec ses voisins". Quant aux menaces de sanctions économiques de la Turquie, "il vaut mieux perdre un, voire des marchés que de perdre son âme", a lancé le rapporteur.

La résolution adoptée par le Parlement satisfait les revendications des représentants des Français d'origine arménienne, qui militent depuis des années pour la reconnaissance du premier génocide du XXe siècle. Sur le 1,8 million d'Arméniens qui vivaient dans l'Empire ottoman avant la première guerre mondiale, 1,2 million ont été massacrés sur ordre du gouvernement turc. Le caractère massif, planifié et ciblé de ces massacres préfigure la Shoah.

Avant la France, la Belgique, l'Argentine, l'Italie et le Parlement européen ont déjà reconnu le génocide arménien. En novembre 2000, un projet de résolution avait été présenté devant la chambre des Représentants du Congrès des Etats-Unis, avant d'être retiré au dernier moment après des pressions du gouvernement turc.

L'adoption de ce texte a nécessité près de trois années de débats parlementaires. Le processus a été bloqué pendant deux ans par le refus du bureau du Sénat d'inscrire la proposition à l'ordre du jour de la Haute Assemblée.

RÉACTIONS TURQUES APRÈS LA RECONNAISSANCE DU GÉNOCIDE ARMÉNIEN PAR LA FRANCE


Des manifestations d'hostilité et de multiples appels au boycottage économique et culturel ont eu lieu dans une ambiance politique de tension froide. Le président turc Ahmet Necdet Sezer a appelé son homologue français, Jacques Chirac, et son gouvernement à "agir" pour rendre "inefficace" la loi, en déposant un recours devant le Conseil constitutionnel, unique possibilité restante. Mais le ministre des Affaires étrangères Ismail Cem a reconnu sur la chaîne de télévision CNN Turk qu'il n'avait "pas trop d'espoir". "Cette loi va sûrement avoir des répercussions très défavorables sur les relations turco-françaises", a souligné le porte-parole de M. Sezer devant la presse.

Le porte-parole du gouvernement turc avait, le 18 janvier, annoncé sans les préciser, une série de mesures de rétorsion contre la France, affirmant que les relations entre les deux pays seraient "profondément et durablement affectées". Dès l'adoption du texte, qui a provoqué la colère de la Turquie, le ministre des Affaires étrangères, Ismail Cem, a laissé entendre que les sociétés françaises pourraient être exclues d'appels d'offres publics d'un montant de plusieurs milliards de dollars. "D'une manière générale, de telles mesures peuvent être prises pour des appels d'offre d'Etat et pour des contrats militaires", a-t-il souligné. "Tout peut être affecté", a renchéri le Premier ministre turc, Bulent Ecevit. Il a ajouté, le 20 janvier, que son gouvernement préparait contre Paris des sanctions qui ne porteront pas tort à l'économie de la Turquie : "Nous préparons un plan peu douloureux pour nous, bien entendu", a dit le Premier Ministre en réponse aux questions des journalistes. "Cela veut dire que dans quelques jours nous annoncerons les résultats de notre travail pour définir des sanctions contre la France qui ne soient pas dommageables à l'économie de la Turquie", a expliqué M. Ecevit.

La décision des parlementaires français est survenue à un moment où les relations bilatérales étaient au beau fixe et où l'industrie française, notamment militaire, était très bien placée pour obtenir d'importants contrats en Turquie, comprenant la livraison de chars et d'un satellite espion. La France est actuellement l'un des principaux fournisseurs de la Turquie en matière d'armement, alors que les contrats qu'Ankara envisage de signer, dans les trente prochaines années, avec les industries militaires étrangères s'élèvent à 150 milliards de dollars. Une somme d’autant moins négligeable que la Turquie se situe selon le rapport annuel sur "le développement humain" du programme de développement des Nations unies (UNDP), au 85e rang sur 174 pays étudiés, en termes de développement humain.

La Turquie a annoncé, le 23 janvier, l'annulation d'un contrat de 259 millions de dollars avec Alcatel et la possible exclusion de GIAT d’un appel d'offres d'une valeur globale de 7,1 milliards de dollars. GIAT, qui fabrique les chars Leclerc, est en concurrence avec des sociétés d'Allemagne, d'Italie, des Etats-Unis et d'Ukraine pour la fourniture de 250 chars de combat à la Turquie, qui souhaite acquérir plus d'un millier de ces blindés sur les dix à quinze ans à venir. "Il est envisagé d'exclure (les chars) Leclerc de l'évaluation", a déclaré le ministre turc de la défense M. Cakmakoglu.

Dans la foulée du vote du Parlement français, une réunion de hauts responsables militaires turcs et français, prévue la semaine suivante en Turquie pour évoquer la coopération bilatérale a été annulée, a indiqué, le 19 janvier, le ministère turc de la Défense.

Par ailleurs, la Turquie pourrait exclure d’autres firmes avec lesquelles un contrat a déjà été signé, estiment des analystes. L'Aérospatiale a signé en 1998 un contrat d'un montant de 600 millions de dollars pour la production en commun du missile anti-blindés Eryx. Le projet n'a pas encore débuté, mais pourrait ne jamais voir le jour. Ankara et Paris étaient en outre parvenus l'an dernier à un accord de principe pour la vente à la marine turque de six navires patrouilleurs français de type Aviso, d'un montant d'environ 500 millions de dollars. Le sort de cet accord est aujourd'hui incertain. Selon le journal turc à gros tirage Hürriyet, daté du 19 janvier, des compagnies françaises sont également en lice dans un appel d'offre pour la production en commun avec la société publique turque Aselsan des systèmes de navigation de guerre des chasseurs F-16, produits près d'Ankara par le constructeur aéronautique Turkish Aerospace Industries (TAI). Le ministre turc de la Santé, Osman Durmus, membre du Parti d'action nationaliste (MHP- extrême droite) annonçait même, le 24 janvier : "On pourrait empêcher l'entrée de médicaments et de vaccins français en Turquie".

De plus, les dirigeants de plusieurs syndicats, notamment Resul Akay, qui dirige celui des fonctionnaires, ont appelé le gouvernement à fermer les installations françaises en Turquie et à lancer une campagne demandant aux Turcs vivant en France de retirer leur argent des banques françaises. "Les produits français doivent être boycottés", a déclaré M. Akay. Le président de la Chambre de commerce de Konya a fait de même le 20 janvier : "Nos 25.000 membres sont appelés à suivre ce mouvement", a-t-il dit. Le président des Chambres et Unions de commerce de Turquie (TOBB), Fuat Miras, a indiqué qu'il envisageait de lancer un appel à ses membres pour qu'ils revoient leurs liens commerciaux avec leurs partenaires français et qu’ils arrêtent d’importer des produits français. La France est l'un des principaux partenaires de la Turquie avec un volume d'échanges commerciaux de plus de 4 milliards de dollars, en 1999.

L'Université d'Istanbul a annoncé l'arrêt à partir de vendredi 20 janvier de ses relations scientifiques avec des partenaires français. Son recteur Kemal Alemdaroglu a déclaré que "tout contact scientifique" avec les universités Descartes à Paris, de Toulouse et de Strasbourg avait été rompu, et qu’ils avaient annulé la visite prévue d'universitaires de l'Université Paris Sud dans le cadre d'un programme d'échange.

Officiellement, les sanctions contre la France doivent être déterminées après le retour de l'ambassadeur turc à Paris Sonmez Koksal, rappelé en Turquie en consultations.

Plusieurs manifestations hostiles se sont déroulées devant l'ambassade de France à Ankara et le consulat à Istanbul. Les ultra-nationalistes, Ulkucu, groupe proche du Parti de l'Action Nationaliste (MHP, au pouvoir) ont été les plus virulents: "France, ne te trompe pas, n'épuise pas notre patience " ou encore"Les bâtards de la France ne peuvent nous faire céder", ont-ils scandé devant l'ambassade. Quelque 200 ultra nationalistes ont jeté des œufs contre les fenêtres du consulat de France à Istanbul et une bousculade avec la police s'est terminée sans incident.

La presse a aussi exprimé son amertume. "Adieu la France", titrait vengeur le 19 janvier, à la une en français, le quotidien Hürriyet. Confrontée une fois de plus à l'accusation d'un génocide perpétré contre les Arméniens sous l'Empire ottoman, par un Parlement étranger, la Turquie s'interroge sur les moyens de mieux faire valoir son point de vue pour empêcher un effet boule-de-neige. Les Turcs craignent que la reconnaissance du génocide arménien de 1915 par le Parlement français n'ait un effet d'entraînement auprès d'autres assemblées européennes mais aussi aux Etats-Unis, où le président Bill Clinton n'avait réussi en octobre 2000 qu'in extremis à arrêter une résolution en ce sens au Congrès. Le gouvernement et la diplomatie turques se font régulièrement étriller, et cette fois encore lors du vote français, pour leur inactivité et leur inefficacité dans ce domaine.

Plusieurs éditorialistes soulignaient, le 19 janvier, la nécessité de mettre en place une stratégie : "La Turquie devrait agir pour créer une nouvelle approche envers la question arménienne avec toutes ses institutions", relevait Sami Kohen, dans le quotidien Milliyet.

Deux axes se dégagent dans les propositions pour une stratégie d'autodéfense : un rapprochement avec l'Arménie, un débat ouvert entre historiens. Pour Taner Akcam, sociologue et historien turc à l'Université de Hambourg, "Si la Turquie recherche une solution à ce problème directement avec l'Etat arménien, il n'y aura plus besoin pour les Parlements étrangers de mettre cette question à l’ordre du jour". "La seule manière pour la Turquie de se réapproprier ce sujet est de le banaliser, de rendre le débat possible. Elle doit aussi faire les gestes nécessaires pour mettre fin à la douleur du peuple arménien", a-t-il déclaré.

Ilter Turkmen, ancien ambassadeur, estime qu'il est "facile, après coup, de critiquer tel ou tel pour ce qui n'a pas été fait. Mais, il n'y a probablement pas moyen de mettre un point final à ce débat parce qu'il n'y a pas d'histoire véritablement objective", a-t-il déclaré à l'AFP. "Je pense qu'une sorte de " comité vérité et réconciliation", regroupant des organisations non gouvernementales, des historiens des deux parties, des représentants des minorités de Turquie et de la diaspora, et des intellectuels pourrait être créé. Non pas dans l'idée de donner une réponse définitive, mais pour instaurer une plate-forme où chacun pourrait exposer son point de vue".

"Ce qui doit être fait, c'est nous réveiller et nous embarquer dans une campagne académique pour prouver que nous avons raison", estimait, le 19 janvier, le journaliste Mehmet Ali Birand dans le quotidien turc anglophone Turkish Daily news. "Ouvrons vraiment et honnêtement nos archives (ottomanes). Montrons que nous n'avons aucune raison d'avoir peur. Réunissons des chercheurs et créons une commission, en invitant les tenants des revendications arméniennes à s'y joindre", lançait-il.

ESBER YAGMURDERELI LIBÉRÉ AU TERME DE LA LOI D’AMNISTIE


L'avocat et écrivain turc Esber Yagmurdereli, emprisonné pour propagande séparatiste pour avoir prôné une solution pacifique à la question kurde, a été libéré, le 18 janvier, au terme de la loi d'amnistie. M. Yagmurdereli, aveugle et âgé de 55 ans, aura passé 16 ans dans les prisons turques.

Il a quitté la prison de Cankiri, à une centaine de km au nord-est d'Ankara, après qu'un tribunal eut répondu favorablement à une requête de son avocat demandant le bénéfice de la loi d'amnistie entrée en vigueur le mois dernier.

Esber Yagmurdereli, membre du Pen Club International et lauréat du Prix international des droits de l'Homme Ludovic Trarieux de l'Institut des droits de l'Homme du barreau de Bordeaux et l'Union des avocats européens, purgeait depuis 1997 une nouvelle peine de 17 ans de prison. Il avait déjà passé treize ans en prison, de 1978 à 1991, pour "activité subversive armée".

"Je suis content de retrouver la liberté. Ces trois dernières années en prison ont été difficiles", a-t-il dit à la presse devant le pénitencier. Le président tchèque Vaclav Havel, qui est également dramaturge et a passé de nombreuses années en prison sous le régime communiste, avait demandé aux dirigeants turcs sa libération, lors d'une visite en octobre en Turquie.