Publications

Haut

POINT SUR LA SITUATION EN TURQUIE

CILDEKT
 -
Liste
NO: 174

13/6/2000

  1. LA COUR EUROPÉENNE DES DROITS DE L’HOMME CONDAMNE À NOUVEAU LA TURQUIE POUR " TORTURE "
  2. REGAIN DE LA RÉPRESSION AU KURDISTAN : 15 NOUVELLES ARRESTATIONS DANS LES RANGS DU HADEP
  3. 200 ORGANISATIONS CIVILES DEMANDENT UNE NOUVELLE CONSTITUTION EN TURQUIE
  4. VISITE DU CHEF D’ÉTAT-MAJOR FRANÇAIS EN TURQUIE
  5. BILAN DE L’ANNÉE 1999 POUR LES COURS DE SÛRETÉ DE L’ETAT : 64 % DES AFFAIRES NON ÉLUCIDÉES
  6. FRONDE DES DÉPUTÉS DU MHP CONTRE LES ACTIVITÉS RECRÉATIVES EN ANGLAIS DANS LES ÉCOLES MATERNELLES
  7. CRIME DE LÈSE-MAJESTÉ EN TURQUIE : DIALOGUE ENTRE LE CHP ET LE HADEP
  8. LU DANS LA RPESSE TURQUE : À PROPOS DE LA CONDAMNATION DE N. ERBAKAN


LA COUR EUROPÉENNE DES DROITS DE L’HOMME CONDAMNE À NOUVEAU LA TURQUIE POUR " TORTURE "


La Cour européenne des droits de l’homme a, le 11 juillet, condamné la Turquie pour des actes de " torture " sur un détenu soupçonné d’appartenir à un mouvement d’extrême gauche. Soupçonné d’avoir commis des actes de violence au nom d’un groupe d’extrême gauche, Devrimci-Sol (la gauche révolutionnaire), celui-ci avait été arrêté le 10 février 1992 et interrogé pendant 16 jours par la section antiterroriste de la Sûreté d’Istanbul avant d’être présenté à un juge. Un médecin de la prison où il avait été transféré avait relevé une vingtaine de traces de coupures, écorchures et éraflures sur ses membres. Selon la Cour européenne des droits de l’homme, les violences commises sur le détenu " ont revêtu un caractère particulièrement grave et cruel " et " méritent la qualification de torture ". Le requérant avait été battu, immergé dans une eau glacée, pendu des bras, reçu des chocs électriques et un simulacre d’exécution avait été organisé dans une forêt.

Dans un arrêt rendu à l’unanimité, la Cour estime également que les autorités d’Ankara ont, dans la même affaire, violé l’article 5§3 de la Convention européenne des droits de l’homme qui garantit le droit de toute personne arrêtée d’être traduite aussitôt devant un juge. La Turquie devra verser 200 000 FF pour préjudice moral et 10 000 FF pour frais et dépens au requérant, Metin Dikme, qui se trouve toujours emprisonné.

La procédure visant Metin Dikme est toujours pendante, sa condamnation, en 1998, ayant été annulée par la Cour de cassation. La plainte qu’il avait lui-même déposée contre les policiers responsables de sa garde-à-vue s’est soldée par un non-lieu, en 1993.

REGAIN DE LA RÉPRESSION AU KURDISTAN : 15 NOUVELLES ARRESTATIONS DANS LES RANGS DU HADEP


Les autorités turques ont au cours des dernières semaines intensifié leurs efforts de démantèlement des organisations de la société civile kurde. Après la fermeture des sections de Diyarbakir et de Van de l’Association des droits de l’homme et des associations des étudiants de ces deux villes universitaires kurdes, le centre culturel Dicle pour les femmes de Diyarbakir, le centre culturel Meteris spécialisé dans des activités de théâtre et de musique ont été également fermés sur ordre du Superpréfet de la région. Enfin l’une des rares fondations indépendantes basées à Diyarbakir, la Fondation pour l’aide humanitaire et le développement, spécialisée dans la formation et l’aide aux populations déplacées, a été interdite par la justice turque au prétexte qu’elle " n’aurait pas assez de ressources pour réaliser tous les objectifs énumérés dans ses statuts ". Cette décision a été ratifiée avec une célérité exceptionnelle en 35 jours par la Cour de cassation. À ses dirigeants médusés, les juges ont dit qu’il n’y pouvait rien " car l’ordre vient de très haut, de l’état-major des armées qui ne veut pas d’organismes servant d’interlocuteurs aux visiteurs occidentaux ".

En fait, le régime turc qui estime avoir vaincu militairement la guérilla du PKK cherche par tous les moyens à éviter la politisation du problème kurde, et écrase tous ceux qui peuvent servir de porte-parole pacifiques et légitimes à la population kurde et à ses revendications culturelles.

La répression contre HADEP s’inscrit dans cette stratégie d’ensemble d’étouffement et d’écrasement. Depuis avril 2000 plus de 500 responsables et membres de ce parti ont été arrêtés sous des prétextes divers. Certains ont été relâchés, après avoir été avertis et menacés, d’autres comme les dirigeants des fédérations d’Agri et de Van de ce parti sont toujours derrière les barreaux.

Le 11 juillet, 15 nouvelles arrestations ont eu lieu à Diyarbakir pour " organisation de manifestation illégale ". Plus d’un millier de personnes étaient réunies le 10 juillet à Diyarbakir pour commémorer la mort de Vedat Aydin, responsable local du parti du peuple (HEP), enlevé et exécuté par un escadron de la mort de la police turque il y a neuf ans.

200 ORGANISATIONS CIVILES DEMANDENT UNE NOUVELLE CONSTITUTION EN TURQUIE


200 organisations non gouvernementales turques, venant d’horizons très divers, ont signé un texte pour demander la révision de la Constitution turque (Turkish Daily News le 11-07-00) : " Nous ne nous sentons pas complètement sécurisés pour notre avenir et sommes sans espoir à l’heure où nous entrons au XXIe siècle. La structure politique, administrative, et légale de la Turquie est corrompue ; ceci est devenu obsolète et empêche les progrès et la modernisation du pays. Le chemin de la Turquie devrait être éclairci, mais ceci dépend de plusieurs facteurs. Le premier point est que la démocratie devrait être effective avec toutes ses lois et ses institutions. Deuxièmement, il devrait avoir un système basé sur les droits de l’homme et le principe de l’Etat de droit. Il est largement admis à tous les niveaux de la société que le principal obstacle de la démocratisation est la Constitution de 1982. C’est pourquoi nous avons besoin d’une nouvelle Constitution. "

Parmi les signataires, on compte notamment : Plateforme pour une démocratie urgente, Association des hommes d’affaires Lions d’Anatolie, Association des jeunes hommes d’affaires, Volontaires pour l’environnement, Groupe Ari, Initiative pour la lumière une minute d’obscurité, Fondation Cekul, Programme de la république démocratique, Association de la transformation démocratique, Association des principes démocratiques, DEMOS, Fondation de solidarité des employés de théâtres, opéra et ballet d’Etat, DISK, Association environnementale méditerranéenne de l’Est, Association de solidarité des amis, Institut des professionnels de l’industrie, Fondation de solidarité et de culture Haci Bektas Veli, Chambre des architectes d’enquêtes de carte et de cadastre, Association des citoyens Helsinki, Association des droits de l’homme, Association des accords humains, Association du conservatoire d’Etat de l’Université d’Istanbul, Association des employés pharmaceutiques d’Istanbul, Institut kurde d’Istanbul, Fondation des diplômés des sciences politiques d’Istanbul, Chambre des guides touristiques d’Istanbul, Présidence de la chambre des vétérinaires d’Istanbul, Association des diplômés de l’Université de Marmara et Etudiants en commerce avancé d’Istanbul, Association KADER, Fondation pour le respect des travailleurs féminins, Femmes pour les droits des Femmes, Plateforme de la Mer noire, Mouvement Greenpeace de Chypres, Association des libraires, Mouvement libéral, Ingénieur mécanique-chambre d’Istanbul, Centre culturel Mesopotamia, Association des diplômés de METU-branche d’Istanbul, Initiative autonome du Conseil de l’art, Association culturelle Pir Sultan Abdal, SOS volontaires pour la plateforme de l’environnement, Union des organisations de la société civile, Association des volontaires des enfants de la rue, SODEV, TESEV, Union des critiques de théâtre, TOMEB, Chambre des Ingénieurs géologiques, Union des chambres d’ingénieurs et d’architectes de Turquie (TMMOB), Fondation de recherche socio-légale, Association de mouvement de transparence sociale, TUREB, REVAK, TUGIAD, Union turque des dentistes, Associations turque des libraires, Association turque des ingénieurs de l’installation, Fondation turque des informaticiens, Fondation turque pour la liberté des enfants, Fondation des droits de l’homme de Turquie, Fondation de recherche économique et financière de Turquie, TURMOB, TUSES, TUSIBAK, Association Université Faculté.

VISITE DU CHEF D’ÉTAT-MAJOR FRANÇAIS EN TURQUIE


Le chef d’état-major français de l’armée de terre, Yves Crène, s’est rendu du 8 au 11 juillet en Turquie, alors que la France, l’Allemagne, les Etats-Unis et l’Ukraine sont en concurrence pour la fourniture à l’armée turque d’un millier de chars pour un montant de 7,1 milliards de dollars. L’hebdomadaire allemand Der Spiegel estime que la France est favorite pour emporter ce contrat et qu’Ankara doit annoncer sa décision à la fin de cette semaine.

Par rapport à ses partenaires européens, la France fait beaucoup d’efforts diplomatiques pour ne pas indisposer Ankara. Rares sont les critiques officielles concernant les violations des droits de l’homme en Turquie. Le président Chirac en personne était intervenu pour que le Sénat français n’examine pas un projet de loi portant reconnaissance du génocide arménien adopté en première lecture par l’Assemblée nationale.

BILAN DE L’ANNÉE 1999 POUR LES COURS DE SÛRETÉ DE L’ETAT : 64 % DES AFFAIRES NON ÉLUCIDÉES


Selon la direction générale des casiers judiciaires et des statistiques du ministère turc de la Justice, 63,4 % des dossiers relevant de la compétence des huit cours de sûreté de l’Etat et 27 % des affaires des parquets des districts et des provinces sont restés " non élucidés " pour l’année 1999. Selon les données, ces dossiers se répartissent comme suit : Pour la Cour de sûreté de l’Etat (DGM) d’Adana : 27,3 % ; DGM d’Ankara : 41,4 % ; DGM de Diyarbakir (Kurdistan) : 82,2 % ; DGM d’Erzurum (Kurdistan) : 71,3 % ; DGM d’Istanbul : 0,8 % ; DGM d’Izmir : 11,8 % ; DGM de Malatya (Kurdistan) : 65,4 % ; et DGM de Van (Kurdistan) : 77,1 %.

En 1992, on avait enregistré 5 040 affaires non élucidées par les Cours de sûreté de l’Etat, 8 230 dossiers en 1993, 11 593 en 1994, 13 665 en 1995, 15 321 en 1996, 19 962 en 1997, 18 390 en 1998 et 18 639 en 1999. Quant aux autres parquets, 722 390 dossiers sont restés " non élucidés " en 1999. Avec 11 348, c’est à la Cour de sûreté de l’Etat de Diyarbakir où s’entassent le plus d’affaires " non élucidées ", suivi de Van avec 3 327 dossiers, puis Erzurum avec 1 605 dossiers.

FRONDE DES DÉPUTÉS DU MHP CONTRE LES ACTIVITÉS RECRÉATIVES EN ANGLAIS DANS LES ÉCOLES MATERNELLES


Dés députés du parti de l’Action nationaliste (MHP– ultra-nationaliste), membre de la coalition gouvernementale, ont vivement critiqué la dispense des cours et des jeux éducatifs en anglais dans les écoles maternelles turques. Bozkurt Yasar Öztürk, député de MHP, a déclaré qu’ils avaient saisi à ce sujet, Metin Bostancioglu, ministre de l’Education nationale : " Ce n’est pas un pays qui est régi par une législation coloniale. Les enfants devront apprendre la langue et la culture turques dans nos écoles maternelles. Nous sommes contre les activités récréatives en anglais dans des maternelles turques ".

Le député d’Istanbul, B. Y. Öztürk, qui est enseignant de formation, a ajouté : " Je ne suis pas contre l’enseignement des langues étrangères. Cela étant, les enfants doivent avant tout être éduqués dans leur langue maternelle ". Il a déclaré qu’il allait agir pour demander l’annulation de cette décision publiée dans le journal officiel.

CRIME DE LÈSE-MAJESTÉ EN TURQUIE : DIALOGUE ENTRE LE CHP ET LE HADEP


Le Premier ministre turc Bülent Ecevit s’est ému de la condamnation de Necmettin Erbakan en déclarant : " Nous sommes bien évidemment respectueux des décisions de la cour. Nous y sommes d’ailleurs obligés. Cependant je voudrais souligner que je ne me sentirais nullement heureux de voir M. Erbakan emprisonné suite à un discours d’il y a six ans. D’autant plus que le parti qu’il présidait à l’époque du discours incriminé, a été depuis longtemps dissous ". Cependant M. Ecevit attaque et condamne le parti Républicain du Peuple (CHP) et le parti de la Démocratie du peuple (HADEP) sur la base des seuls renseignements fournis par les services secrets turcs (MIT). Embarrassé du dialogue instauré entre le CHP et le HADEP, tous deux mis à l’écart du Parlement turc du fait du seuil national de 10 %, Bülent Ecevit a, le 5 juillet 2000, déclaré : " J’avais transmis à mon vieux et respectueux ami, Altan Öymen, des informations provenant des services secrets à ce sujet, en espérant qu’il ferait attention. Cependant les dernières déclarations de M. Öymen et de ses amis, ont clairement montré ces derniers jours que le CHP et le HADEP étaient en relations sérieuses et en collaboration, du moins en dialogue. De plus, pour un parti qui se nomme CHP, je trouve qu’une telle relation est triste et nuisible au régime en Turquie (…) ". Rappelant les précédents événements à la suite de la collaboration entre le SODEP et le HEP, qui avait conduit à l’élection d’une vingtaine de députés kurdes, M. Ecevit a indiqué : " De sérieux problèmes avaient été soulevés à cause de cela. Je souhaite que l’on se souvienne de cette expérience ".

Altan Öymen, quant à lui, a déclaré que les commentaires du Bülent Ecevit, n’était nullement du ressort d’un Premier ministre et ni conformes à la démocratie. Cengiz Çandar, éditorialiste au quotidien turc Sabah, écrivait le 8 juillet : " Quelle sorte de Premier ministre est-il pour critiquer le Parti républicain du Peuple (CHP) pour ses liens avec le parti de la Démocratie du peuple (HADEP) ? HADEP est-il un parti illégal ? Un Premier ministre peut-il violer aussi grossièrement les lois ? Et de quel droit ? ".

LU DANS LA RPESSE TURQUE : À PROPOS DE LA CONDAMNATION DE N. ERBAKAN


La condamnation de l’ancien Premier ministre Necmettin Erbakan sur le fondement de l’article 312 suscite de nombreuses réactions au sein de la classe politico-médiatique et nombreux sont ceux qui demandent la réforme ou encore l’abrogation de cette loi. Melih Asik, journaliste au quotidien turc Milliyet, qui dénonce à son tour le 7 juillet 2000 le verdict de la Cour de sûreté de l’Etat, n’oublie pas de dénoncer certaines réactions conjoncturelles. De nombreux hommes politiques et intellectuels ont été condamnés en vertu de cet article ; de Yasar Kemal, Esber Yagmurdereli, à Akin Birdal…

" Nous trouvons la condamnation de Necmettin Erbakan lourde. Nous adhérons à la déclaration des membres du parti de la Vertu (Fazilet-islamiste) selon laquelle " il n’y a aucun lien entre ce verdict et la démocratie, les droits et les libertés des droits de l’Homme, et ni les normes européennes auxquelles on essaie d’accéder "… Cela dit, la démocratie n’est pas une notion dont on se rappelle lorsque l’on est dans l’embarras. Contemplez le tableau…

Au cours des six premiers mois du gouvernement du parti de la Prospérité (RP) en 1997, 617 personnes ont été jugées, 550 condamnées, sur le fondement de l’article 312 qui condamne aujourd’hui Erbakan. Il n’y eut aucune réaction du Refah.

Les membres du Fazilet annoncent aujourd’hui qu’ils auront recours à la Cour européenne des droits de l’homme lorsque toutes les voies internes seront épuisées. Est-ce que quelqu’un va se lever et leur répliquer à ce moment-là :

Durant la coalition gouvernementale entre le parti de la Prospérité (RP) et le parti de la Juste Voie (DYP), votre ami et ministre de la justice Sevket Kazan avait déclaré à Strasbourg " Je ne fais pas confiance à cette Cour car elle ne rend pas de verdicts juridiques mais politiques ".

Pourquoi avez-vous soudain changé d’opinion ?

Et que vont-ils répondre ?…

Ils étaient restés muets lors de la dissolution du parti de la Démocratie (DEP). Et puis, lorsque le parti de la Prospérité a été interdit à son tour, ils ont accusé les parlementaires européens de mutisme et d’employer un double standard. À l’époque le député belge Gérard Deprez vous avait ri au nez et répliqué : " Lorsque nous avons critiqué la dissolution du DEP, vous nous avez rétorqué : " la justice est indépendante en Turquie, ne vous ingérez pas dans nos affaires intérieures ". Écoutant vos conseils, nous restons aujourd’hui silencieux.

Et vous êtes demeurés coi.

Un mot que l’on ne doit jamais oublier en politique : " la Démocratie et le droit peuvent vous être utiles un jour, à vous aussi … ".