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POINT SUR LA SITUATION EN TURQUIE

CILDEKT
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NO: 130

23/4/1999

  1. PEINE DE MORT REQUIS CONTRE ABDULLAH OCALAN
  2. ELECTIONS : FORTE POUSSÉE DES ULTRANATIONALISTES TURCS, SUCCÈS DU HADEP DANS LE KURDISTAN OÙ IL REMPORTE UNE QUARANTAINE DE MAIRIES
  3. RESULTATS DES ELECTIONS LEGISLATIVES 1999 EN TURQUIE
  4. LU DANS LA PRESSE TURQUE


PEINE DE MORT REQUIS CONTRE ABDULLAH OCALAN


À peine les résultats des élections générales turques annoncés, le parquet de la Cour de Surêté de l'Etat d'Ankara a, mardi 20 avril 1999, requis sans grande surprise, la peine de mort contre Abdullah Ocalan, chef du parti des Travailleurs du Kurdistan (PKK). Un acte d'accusation de 135 pages pour trahison et meurtres sera remis à la cour par le procureur en chef Cevdet Volkan dans le courant de la semaine.

Le procès est toujours prévu pour le 30 avril et les avocats n'ont toujours pas eu accès au dossier d'instruction. En attendant, Ocalan reste toujours interdit de livres, journaux, radios, et télévision. Le 17 avril, une manifestation pacifique rassemblant plus de 100 000 personnes a eu lieu à Bonn pour demander sa libération.

ELECTIONS : FORTE POUSSÉE DES ULTRANATIONALISTES TURCS, SUCCÈS DU HADEP DANS LE KURDISTAN OÙ IL REMPORTE UNE QUARANTAINE DE MAIRIES


Les élections législatives et municipales du 18 avril ont été marquées par la forte poussée des partis turcs ultranationalistes de «gauche» (le Parti de la gauche démocratique, DSP, de M. Bulent Ecevit, 22,6% des voix) et d'extrême droite (le Parti de l'Action nationaliste, MHP de M. Devlet Bahçeli, 18,6% des voix).

Les deux formations de la droite nationaliste traditionnelle -le Parti de la Mère-Patrie, ANAP, de M. Mesut Yilmaz, et le Parti de la Juste voie (DYP)- s'effondrent tandis que le Parti républicain du Peuple (CHP), créé en 1923 par Ataturk et qui se revendiquait comme social-démocrate ne franchissant pas la barre fatidique des 10% des suffrages ne sera pas représenté au Parlement pour la première fois de son histoire.

Les islamistes du parti de la Vertu, successeur du parti Refah, affectés par l'élimination récente de leurs leaders charismatiques, M. Erbakan et l'ex-maire d'Istanbul T. Erdogan, avec un score de 15,1% perdent plus de 6 points par rapport aux élections législatives de 1995 tout en parvenant à préserver l'essentiel de leur influence locale en conservant les municipalités des grandes villes comme Istanbul, Ankara, Kayseri, etc...

Au Kurdistan, en dépit d'une fraude importante pratiquée dans les zones rurales et dans nombre de districts des provinces de Sirnak, Mardin, Urfa, Mus et Batman, malgré l'incarcération de ses principaux dirigeants, les harcèlements policiers et la pression médiatique hostile, le parti pro-kurde Hadep fait un bon score en obtenant en moyenne 30% des suffrages et remporte une quarantaine de municipalités dont celles de Diyarbakir, Batman, Bingol, Hakkari, Siirt, Agri, Van. Les villes de Dersim (Tunceli) et Mardin ne lui ont échappé qu'officiellement de quelques dizaines de voix, en raison des bourrages d'urnes lors des opérations de dépouillement pratiquées dans les commissariats de police. Dans certaines villes comme Sirnak, Siverek et Hilvan, les municipalités ont été attribuées d'office aux candidats des partis arrivés en second, car le Hadep, arrivé premier, avait dû, sous la menace d'assassinat de ses édiles, renoncer à y présenter des listes municipales ou même tenir le moindre meeting électoral. À Sirnak, le candidat indépendant, Me Hasip Kaplan, soutenu par le HADEP, n'a même pas été autorisé par l'armée à mettre les pieds dans sa circonscription pour déposer sa candidature. Il avait été obligé de s'acquitter par fax de cette formalité.

Ses principaux dirigeants nationaux et régionaux étant en prison, certains depuis près de deux ans, le HADEP, sous la menace d'une interdiction imminente de la Cour constitutionnelle turque, avait dû présenter des candidats disponibles, pour la plupart inconnus du public, afin d'offrir à la population la possibilité de ne pas voter pour les partis nationalistes turcs. Cette politique a reçu une assez large approbation des électeurs du Kurdistan tandis que l'important électorat kurde de l'Ouest, conscient de l'impossibilité de faire élire un maire ou un député du HADEP dans les villes comme Istanbul ou Izmir, à forte population immigrée kurde, semble avoir préféré voter utile contre le nationalisme turc en votant pour les listes du parti de la Vertu. On relève cependant que certains arrondissements kurdes d'Izmir, Asarlik, et d'Adana, Kuçukdili, ont élu des maires HADEP. Dans l'importante ville méditerrannéenne de Mersin, le candidat du HADEP a été battu dans des conditions douteuses.

Parmi les maires fraîchement élus du HADEP, quatre femmes: Melle Ferrah Diba ERGUN, 31 ans, élue maire de Diyadin, dans le département d'Agri, au pied du mont Ararat, et toujours dans le même département, à quelques kms de la République islamique d'Iran, Mme Mukkades KUBILAY, 44 ans, élue maire de Dogubeyazit; Mme Cihan SINCAR, veuve du député Mehmet Sincar, assassiné en 1993, élue maire de Kiziltepe dans le département de Mardin et Mme Ayse KARADAG, 46 ans, élue maire de Derik, dans le même département. Par ailleurs, par défi aux autorités, la ville d'Agri a élu maire une personnalité, Huseyin Yilmaz, détenu sans jugement depuis 7 mois pour délit d'opinion. Son prédécesseur Zeki Basaran avait été destitué par le ministre de l'intérieur pour "insulte à Ataturk".

Le HADEP avec un score national de 4,7% des voix dans l'ensemble de la Turquie n'aura pas d'élus au Parlement turc, alors qu'un système proportionnel lui aurait assuré un bonne trentaine de sièges.

RESULTATS DES ELECTIONS LEGISLATIVES 1999 EN TURQUIE




Les Principaux Partis%1999Nbre de sièges 1999%1995
Parti de la Gauche Démocratique (DSP)22,612714,64
Parti de l'Action Nationale (MHP)18,61268,18
Parti de la Vertu (Fazilet)15,110521,38
Parti de la Mère Patrie (ANAP)13,68019,65
Parti de la Juste Voie (DYP)12,98519,18
Parti Républicain du peuple (CHP)8,7010,71
Parti de la Démocratie du peuple (HADEP)4,704,17


L'influence électorale des autres partis politiques au Kurdistan est résumée dans le tableau ci-après.


RESULTAS DES LEGISLATIVES DANS LES DEPARTEMENTS KURDES EN TURQUIE
VILLE
DSP MHP FP ANAP DYP CHP HADEP
NO Sièges % NO Sièges % NO Sièges % NO Sièges % NO Sièges % NO Sièges % NO Sièges %
ADIYAMAN 0 6,3 1 9,9 3 29,1 1 10,7 1 18,7 0 10,9 0 7,4
AGRI 0 2,8 1 7,7 1 12,8 1 9,2 1 12,7 0 4,2 0 33,7
ARDAHAN 1 20,2 0 8,1 0 7,9 0 16,3 1 21,6 0 10,9 0 7,8
BATMAN 0 2,4 0 2,1 1 13,9 1 10,6 2 14,1 0 4,1 0 43,5
BINGOL 0 2,2 0 11,3 2 24,9 0 9,9 1 14,7 0 5,8 0 13,1
BITLIS 0 4,7 1 11,3 1 20,8 1 20,5 1 13,9 0 2,0 0 13,7
DIYARBAKIR 1 4,7 0 2,8 4 16,8 3 13,7 3 14,3 0 3,9 0 45,5
ELAZIG 0 3,3 1 12,9 2 24,9 0 8,3 1 12,2 0 4,9 0 4,9
ERZURUM 0 4,8 3 26,1 3 27,9 0 7,4 2 16,2 0 5,1 0 1,7
ERZINCAN 0 8,4 1 25,4 1 18,7 0 7,6 1 13,9 0 19,4 0 6,0
GAZIANTEP 2 19,5 3 19,8 2 16,2 1 10,3 1 9,0 0 15,8 0 5,5
HAKKARI 0 4,8 0 2,0 1 9,9 1 9,4 1 18,1 0 5,8 0 46,1
IGDIR 0 4,4 1 17,0 1 13,0 0 12,1 0 8,1 0 12,4 0 29,7
KARS 1 17,0 1 12,9 0 9,8 1 16,4 0 11,9 0 8,2 0 17,7
KILIS 0 20,4 1 21,0 0 15,4 0 9,2 1 23,1 0 6,2 0 0,8
MALATYA 0 6,1 2 20,0 3 24,8 1 7,2 0 5,5 0 14,9 0 2,3
MARDIN 1 11,0 0 0,4 1 10,5 2 21,6 2 17,4 0 2,9 0 25,2
MUS 1 9,7 0 5,0 1 11,4 1 12,0 1 11,7 0 4,8 0 32,0
SIIRT 0 5,1 0 5,0 1 13,4 1 12,6 1 22,2 0 6,5 0 22,3
TUNCELI 0 6,0 0 7,4 0 2,5 0 8,6 1 16,2 0 18,7 0 13,5
VAN 0 3,7 1 7,1 3 18,5 2 12,0 1 11,3 0 6,6 0 35,7
SANLIURFA 0 4,6 1 8,7 4 20,7 2 14,4 4 24,4 0 5,9 0 16,5
SIRNAK 0 4,6 0 5,2 1 10,9 1 16,7 1 9,9 0 5,2 0 24,1
TOTAL SIEGES 7 18 36 20 29 0 0


Tandis que le Kurdistan a accordé sa préférence au HADEP, l'Anatolie centrale et le littoral de la mer Noire ont massivement voté en faveur du MHP et les régions développées de l'Ouest turc pour le DSP.

La montée du DSP de M. Ecevit était prévisible tant depuis des mois les grands media du pays pratiquent une campagne de promotion incessante en sa faveur mettant en valeur sa "probité" son "patriotisme" l'estime et la confiance dont il jouit auprès de l'armée depuis son intervention militaire à Chypre, en 1974. En lui livrant sur un plateau d'argent la tête d'Abdullah Ocalan, les Américains ont, malgré eux fortement contribué à la popularité de cet homme politique turc, réputé jusqu'à récemment pour son anti-américanisme et ses sympathies pro-Saddam. Une partie de l'électorat de CHP et du DYP de Mme Çiller semble avoir, dans ce climat patriotique chauffé à blanc opté pour le "tombeur d'Ocalan". La suspension par les autorités britanniques de MED TV, l'unique chaine de télévision en kurde, en pleine campagne électorale, a empeché tout effort d'équilibrer un tant soit peu le rouleau compresseur nationaliste des media turcs.

L'affaire Ocalan et toute l'hystérie nationaliste fortement médiatisée qui l'accompagne depuis septembre 1998 a joué un rôle encore plus décisif dans la forte poussée du Mouvement de l'Action nationaliste (MHP). Ce parti d'extrême droite, créé par le colonel Turkes et prônant "l'unification des peuples turcs de l'Adriatique à la muraille de Chine", résolument anti-kurde, et anti-grec, a mené campagne sur le thème "les martyrs [NDLR: soldats turcs tués dans la guerre du Kurdistan] ne meurent pas, la patrie ne se divise pas". Il fournit le gros du contingent des unités spéciales (Ozel Tim) et des forces de police turque servant au Kurdistan et ont une forte présence dans la justice, l'éducation nationale et l'administration préfectorale. Troupes de chos très idéologisées des forces de sécurité et de l'administration turque, ces Loups Gris ont, tout au long de la campagne, fait valoir leur état de sérvices "patriotiques", pris à partie "l'Europe, ennemie des Turcs et supporter des terroristes" et vilipendé les chefs des partis de droite "incapables d'éradiquer le terrorisme du PKK".

Dans cette surenchère nationaliste beaucoup d'électeurs turcs qui auparavant avaient voté pour l'ANAP de M. Yilmaz et le DYP de Mme Çiller "championne" du nationalisme turc, ont voulu cette fois-ci donner ses chances au MHP. En fait, une analyse fine de l'électorat du MHP, détaillée par T. Erdem dans le Hurriyet du 21 avril, indique qu'environ 1 100 000 électeurs qui, en 1995, avaient voté pour l'ANAP et le DYP ont cette fois-ci voté pour le MHP qui a également attiré 700 000 voix du parti islamiste de la Vertu (Fazilet) ainsi que près de la moitié (1 300 000) des 3 millions nouveaux électeurs, pour la plupart jeunes au chômage. Malgré des nuances, il n'y a pas de véritables frontières idéologiques étanches entre le DYP, l'ANAP et le MHP. Plusieurs militants de premier plan de ce parti néo-fasciste ont d'ailleurs servi comme ministres dans les cabinets Yilmaz et Çiller. Le Fazilet compte également une composante plus turquiste que islamiste qu'incarne, entre autres, le maire d'Ankara Gokçek. Le va-et-vient des électeurs entre ces formations en fonction du climat idéologique et médiatique du moment et du charisme des leaders en présence ne doit pas étonner.

Leader rassembleur et charismatique Turgut Ozal avait su fédérer dans l'ANAP ces diverses composantes islamiste, nationale-conservatrice et libérale. En 1991, l'ANAP avait obtenu 36% des voix. Sous la direction de son terne successeur M. Yilmaz, ce parti ne recueille plus que 13,2% des suffrages. De son côté, Mme Çiller avait hérité en 1993 d'un DYP qui sous le leadership de Demirel avait fait un score honorable de 27% et qui se trouve maintenant à 12,2% faisant prédire à certains commentateurs la fin du centre en politique turque.

Malgré leur défaite sans appel, les dirigeants des trois partis vaincus (DYP, ANAP, CHP) n'ont pas l'intention de démissionner et fondent leurs espoirs sur des manuvres politiques pour la formation de la future coalition gouvernementale qui en leur accordant éventuellement quelques portefeuilles ministériels leur permettrait sinon de se requinquer progressivement, du moins de garder leurs clientèles et de survivre en attendant d'inévitables retournements de situation et crises dans ce pays de plus en plus instable.

Pour l'heure, la montée des ultranationalistes turcs suscite de vives inquiétudes au Kurdistan, en Grèce, en Irak, en Russie et dans le Caucase. Tandis que l'Europe encline au business as usual ne réagit guère au péril pour la paix d'une Turquie extrémiste et surarmée. Et certains aux Etats-Unis commencent à soupeser les chances de l'usage de l'idéologie panturque des ultranationalistes turcs dans leur stratégie de détachement du Caucase et de l'Asie centrale de la zone d'influence russe.

LU DANS LA PRESSE TURQUE


La campagne 1999 pour les élections générales en Turquie s'est déroulée dans des conditions déplorables pour le parti pro-kurde HADEP. Fatih Altayli, dans son éditorial du 15 avril 1999 à Hurriyet et Melih Asik, le 16 avril 1999 dans Milliyet, ont décrit une des dernières journées de campagne de HADEP à Diyarbakir.

"Avez-vous vu les images diffusées sur les écrans du meeting du HADEP à Diyarbakir ? Inchallah non! Car si vous les aviez vues, vous auriez été bien tristes de vivre dans un pays pareil. Et cela quelles que soient vos inclinations politiques.

Le HADEP a eu l'autorisation pour un meeting électroral qui a été cependant annulé le dernier jour. Peu importe. Qu'est ce qui se passe si cela se déroule sans autorisation? Pretextant la dispersion du meeting les gens se font tabasser sans vergogne. Le citoyen s'écroule sous les coups des bâtons en bois ou en fer. Le sang coule à flots. Tableau d'un lynchage qui reflette le moyen-âge. Cela dépasse l'entendement et atteint l'insupportable. À la vue de ces images on a honte d'être un homme. Par conséquent je souhaite que vous ne les ayez pas vues. Mais inchallah ceux qui déclarent qu'ils vont embrasser avec amour tous les citoyens de ce pays auront vu ces images. Car si c'est ainsi qu'on embrasse avec amour les citoyens dans ce pays, alors malheur à ce pays"

Milliyet 16 avril 1999- Melih Asik

"Vous avez certainement dû voir les images du passage à tabac des sympathisants du HADEP réunis à Diyarbakir pour un meeting. Matraques, coups de pied, coups de poings etc. les bâtons en bois qui s'élèvent et descendent sur les têtes Les civils munis de bâtons qui apportent par charité leur aide à la police Que dit l'Etat depuis des années: "la terreur n'est pas une solution, la solution est dans la démocratie" Mais l'Etat ne se conforme pas aux règles qu'il a lui même établies. Les régles démocratiques ne sont pas appliquées à un parti qui est autorisé à participer aux élections. Et quel est le message donné: "Vous n'avez pas le droit de vie dans la démocratie, le mieux est de rejoindre la montagne " Est-ce cela que l'on veut? "