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POINT SUR LA SITUATION EN TURQUIE

CILDEKT
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Liste
NO: 129

14/4/1999

  1. LE HADEP DANS LE COLLIMATEUR DES AUTORITÉS TURQUES À QUELQUES JOURS DES ÉLECTIONS NATIONALES: PLUS DE 1500 ARRESTATIONS AU COURS D'UN MEETING ÉLECTORAL À DIYARBAKIR
  2. NOUVELLE INCURSION MILITAIRE TURQUE AU KURDISTAN IRAKIEN
  3. BILAN DES ATTENTATS: PLUS DE 20 MORTS ET DES CENTAINES DE BLESSÉS
  4. LES JOURNALISTES CONTINUENT À ÊTRE TORTURÉS, TUÉS OU EMPRISONNÉS EN RAISON DE LEURS ÉCRITS EN TURQUIE
  5. AMNESTY INTERNATIONAL HONORE AKIN BIRDAL


LE HADEP DANS LE COLLIMATEUR DES AUTORITÉS TURQUES À QUELQUES JOURS DES ÉLECTIONS NATIONALES: PLUS DE 1500 ARRESTATIONS AU COURS D'UN MEETING ÉLECTORAL À DIYARBAKIR


Le 18 avril 1999 plus de 35 millions électeurs doivent aller aux urnes pour élire les 550 députés de l'Assemblée Nationale, mais aussi renouveler les conseils des 80 départements, 921 sous-préfectures, 2 270 présidents des conseils municipaux, 3 778 conseillers municipaux et 49 580 maires.

Les élections législatives et municipales pour lesquelles 21 partis politiques sont en lice, se déroulent sous haute surveillance des forces de sécurité. Deux partis, le Parti de la Démocratie du Peuple (HADEP) et les islamistes du Fazilet sont menacés d'être fermés après le scrutin. Vural Savas, procureur général de la Cour de cassation, avait entamé fin janvier 99 une procédure d'interdiction du HADEP, estimant qu'il est contrôlé par le parti des travailleurs du Kurdistan (PKK) d'Abdullah Ocalan. Le procureur était revenu à la charge la semaine dernière, assurant avoir trouvé de nouvelles preuves dans les dépositions d'Abdullah Ocalan. "Si on autorise des partis tels que le HADEP à participer aux élections, des milliers de terroristes deviendraient députés, maires, conseillers municipaux" avait-il argumenté.

La Cour constitutionnelle par décision daté du 14 avril 1999 a rejeté une nouvelle fois la demande du magistrat. Le refus des "sages turcs" repose sur l'espoir que le HADEP fragilise le parti islamiste Fazilet au Kurdistan et réduise sensiblement son score national. Le parti pro-kurde y était sorti le grand vainqueur des précédentes élections législatives en 95 (avec 54,35% à Hakkari; 46,47% à Diyarbakir; 37,40 à Batman; 27,77% à Van etc...) mais n'avait pas pu franchir la barre de 10% au niveau national augmentant ainsi les sièges des islamistes dans la région.

Le HADEP ne cesse de dénoncer le harcèlement policier qui entrave sa campagne électorale. Son président, Murat Bozlak et une dizaine de responsables du parti sont emprisonnés depuis mi-novembre et encourent une peine de 22,5 ans de prison. Les candidats se plaignent des pressions policières permanentes. Dans une interview accordée le 13 avril 99 à Amberin Zaman, Feridun Celik, candidat à la mairie de Diyarbakir déclarait à ce sujet qu'il avait lui-même était détenu pendant une semaine le mois dernier sans qu'on lui dise une seule fois la raison de son arrestation les deux premiers jours. Il a également dénoncé les arrestations arbitraires, les tortures et sévices subies par ses camarades de cellule, tous membres du HADEP. Lui-même n'avait pas le droit d'utiliser ses béquilles. Huseyin Umit, candidat à la mairie de Hakkari a déclaré que "les gendarmes disent au peuple si vous votez pour le HADEP nous brûlerons et détruirons votre village".

De plus, les meetings électoraux du parti sont trop souvent interdits. Ainsi, la police a interpellé mardi 13 avril 1999, près de 1500 sympathisants du HADEP qui s'étaient rassemblés pour un meeting à Diyarbakir. Des centaines de policiers matraque en main, armés de fusils automatiques, renforcés par des camions de soldats, ont pris d'assaut le square central de Diyarbakir. Osman Ozcelik, un des responsables du parti a déclaré que trois candidats à la députation et de nombreux candidats aux conseils municipaux ont été arrêtés. Il a ajouté que la police a interdit le meeting 25 mn avant qu'il démarre ne laissant aucun temps aux responsables du parti pour prévenir ses sympathisants de la volte-face survenue. Plus de 100 000 personnes étaient attendues à ce meeting. Trois représentants du parti écologiste des Verts allemands ont été priés de quitter la ville dès lundi, un journaliste occidental s'est également vu empêcher l'accès à Diyarbakir. Les autorités semblent évidemment peu enclines à ébruiter ce genre de comportement. "les responsables de l'État, les bureaucrates, les forces de sécurité font leur possible pour réduire les voix du HADEP" écrit l'éditorialiste turc Oral Çalislar au quotidien turc Cumhuriyet. Les autorités turques nient les accusations d'intimidation et continuent à crier haut et fort que les principaux dangers encourus par la République turque sont le "séparatisme" et la "réaction", à savoir, dans sa terminologie, le nationalisme kurde et le fondamentalisme musulman.

Dans ce contexte et étant donné l'omniprésence et l'omnipotence de l'armée et de la police dans les zones rurales où elles peuvent trafiquer les urnes à leur guise, le scrutin qui n'a pas été libre en raison des pressions et persécutions diverses, ne sera pas sincère non plus.

NOUVELLE INCURSION MILITAIRE TURQUE AU KURDISTAN IRAKIEN


Quelque 20 000 soldats turcs et 2 000 gardiens de village ralliés au gouvernement ont effectué, le 6 avril 1999, une nouvelle incursion militaire dans le Kurdistan irakien. C'est la seconde offensive turque dans la région depuis que le chef du Parti des Travailleurs du Kurdistan (PKK), Abdullah Ocalan, a été capturé le 15 février dernier. Selon le quotidien turc Cumhuriyet (7 avril 1999), un raid aérien de l'aviation turque sur les positions du PKK dans les régions kurdes irakiennes de Pirbela et de Sinath, appuyé par des hélicoptères, avait précédé l'incursion des troupes turques. Un communiqué militaire du 10 avril 1999, a indiqué que 44 combattants kurdes et 10 militaires turcs ont été tués dans cette opération.

L'armée turque lance fréquemment des opérations similaires violant ainsi toutes les lois internationales alors que le Kurdistan irakien se trouve dans la zone d'exclusion instaurée par les alliés après la guerre du Golfe de 1991 pour protéger les minorités chiite et kurde.

BILAN DES ATTENTATS: PLUS DE 20 MORTS ET DES CENTAINES DE BLESSÉS


Une vague d'attentats frappe la Turquie depuis l'arrestation d'Ocalan détenu sur l'île-prison d'Imrali dans l'attente de son jugement prévu pour le 30 avril 1999. Le 27 mars, une femme avait blessé 11 personnes en plein centre d'Istanbul dans un attentat-suicide. Samedi 10 avril, un homme avait été tué dans la région de Tunceli, dans l'explosion prématurée des explosifs qu'il transportait. Lundi 12, le gouverneur de la province de Bingol est sorti indemne d'un attentat-suicide à l'explosif qui a fait deux morts et deux blessés. Le 5 mars, un attentat contre le gouverneur de la province de Çankiri, revendiqué par l'Armée de Libération des paysans et des ouvriers de Turquie (TIKKO), a fait 3 morts et 10 blessés dont le gouverneur. Jeudi 8 avril, deux personnes ont été tuées et neuf autres blessées dans un attentat-suicide visant le gouverneur de la province de Hakkari (au Kurdistan). Il s'agissait du troisième attentat visant un gouverneur de la province depuis début mars. Enfin, dimanche 11 avril, l'explosion d'une bombe commandée à distance a tué trois militaires et un civil à Adana. Plus de 24 personnes, dont 13 victimes le 13 mars au centre commercial à Istanbul, ont succombé aux attentats depuis que le Parti des Travailleurs du Kurdistan a décrété "zone de guerre" toute la Turquie.

Le tourisme, l'un des secteurs clés de l'économie turque, est en baisse depuis la capture d'Abdullah Ocalan et des violences qui ont suivies. L'an passé le tourisme avait rapporté plus de 7 milliards de dollars (42 milliards de FF) mais selon l'Association des agences de voyages turques, plus de 200 000 Européens ont d'ores et déjà annulé leurs réservations à destination de la Turquie. Pour attirer les touristes, la Turquie a baissé de moitié le prix de l'essence sur les vols charters et réduit les taxes d'aéroport.

Interrogé par la presse, le ministre turc de l'Intérieur, Cahit Bayar, a déclaré: "Tous ces événements indiquent que les atrocités continuent dans la région. Nous critiquons fermement ces événements inhumains () La République turque possède une force adéquate pour résoudre ces problèmes". Par ailleurs, dans une lettre publiée par le quotidien Evrensel, transmis par son avocat Ahmet Zeki Okçuoglu, Abdullah Ocalan a invité depuis sa prison les membres du PKK à observer le cessez-le-feu unilatéral qu'ils avaient décrété en septembre dernier du moins jusqu'aux élections générales du 18 avril prochain. Cependant le conseil présidentiel du PKK avait annoncé dès fin février qu'il ne tiendrait aucun compte des appels ou déclarations d'Ocalan pendant sa captivité.

LES JOURNALISTES CONTINUENT À ÊTRE TORTURÉS, TUÉS OU EMPRISONNÉS EN RAISON DE LEURS ÉCRITS EN TURQUIE


L'organisation Reporters Sans Frontières (RSF) a dénoncé dans un communiqué rendu public le 2 avril 1999 la mort de Çetin Gunes, âgé de 28 ans, éditorialiste dans une périodique gauchiste Hedef. Le journaliste avait été placé en détention le 5 juillet 1998 et avait été condamné la même année à un an et quatre mois de prison pour "propagande séparatiste" pour un article publié en septembre 1994 dans le mensuel l'Alternative Socialiste. Condamné une première fois, il avait participé à un grève de la faim en 1996 et souffrait depuis des problèmes cardiaques. Il est mort à la prison d'Ankara après une nouvelle grève de la faim.

De plus, Amnesty International a dénoncé les menaces formulées contre le journaliste (de Dayanisma) Bayram Namaz, harcelé depuis le 9 mars 1999 par la police à la suite d'une conférence de presse au cours de laquelle il a dénoncé la mort de son compagnon de cellule Suleyman Yeter qui a succombé aux tortures subies au cours de sa garde à vue du 5 au 8 mars.

Par ailleurs, un tribunal turc a, vendredi 9 mars 1999, condamné pour "propagande séparatiste" 114 intellectuels et de défenseurs de droit de l'homme à un an de prison pour avoir signé en 1993 une déclaration appelant à une solution pacifique à la question kurde. Parmi ces intellectuels figurent le sociologue turc Ismail Besikçi condamné d'ores et déjà à plus de 200 ans de prison pour ses écrits sur les Kurdes.

AMNESTY INTERNATIONAL HONORE AKIN BIRDAL


La section allemande d'Amnesty International a honoré Akin Birdal, président de l'Association turque des droits de l'homme (IHD) pour sa "contribution à la question des droits de l'homme" le 8 avril 1999. Outre des représentants d'Amnesty France, Finlande, et Hollande, tous les ambassadeurs des pays membres de l'Union européenne en Turquie mais aussi les ambassadeurs du Canada et de la Palestine étaient présents à la cérémonie à Ankara. Les responsables de l'IHD ont déclaré qu'ils se réjouissaient de voir qu'ils ne sont pas seuls dans leur lutte pour les droits de l'homme. La section allemande avait projeté de décerner le prix lors d'une cérémonie à Francfort en décembre 1998 mais les autorités turques avaient suspendu le passeport d'Akin Birdal pour l'empêcher de voyager à l'étranger.