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POINT SUR LA SITUATION EN TURQUIE

CILDEKT
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Liste
NO: 13

3/11/1995

  1. VIVE DÉCEPTION EN EUROPE APRÈS LE VERDICT DE LA COUR DE CASSATION TURQUE CONCERNANT LES DÉPUTES KURDES
  2. LE CONSEIL D'ASSOCIATION UNION EUROPÉENNE-TURQUIE
  3. LE NOUVEAU CABINET TURC
  4. M. CINDORUK CRAINT UN ÉTAT POLICIER EN TURQUIE
  5. LE CONSEIL DE SÉCURITÉ NATIONALE TURC DÉCIDE DE PROLONGER L'ÉTAT D'URGENCE AU KURDISTAN TURC


VIVE DÉCEPTION EN EUROPE APRÈS LE VERDICT DE LA COUR DE CASSATION TURQUE CONCERNANT LES DÉPUTES KURDES


Le verdict de la Cour de Cassation turque, du 26 octobre, concernant l'affaire des députés kurdes, a déçu tous ceux qui, en Europe, attendaient un geste conciliant avant le vote sur la ratification de l'accord d'union douanière. En Allemagne, premier partenaire européen de la Turquie, le ministre des Affaires étrangères, M. Klaus Kinkel, s'est dit déçu de l'arrêt de la Cour et que la Turquie «a certainement fait peu afin d'obtenir un vote favorable». S'exprimant sur le même sujet, le 26 octobre à Strasbourg, le président de l'Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe, M. Miguel Angel Martinez, s'est déclaré «très déçu» et dénoncé «les normes légales et constitutionnelles scélérates qui permettent de tels anachronismes et monstruosités juridiques en Turquie». Le verdict a suscité un tollé parmi les eurodéputés, qu'ils soient de gauche ou de droite de l'hémicycle, et jeté le trouble au sein du Parlement européen. Mme. Pauline Green, présidente du Groupe socialiste, a qualifié le verdict de «coup dur». Selon Nicole Fontaine du Parti populaire européen et vice-présidente du parlement, « il ne sera pas possible au parlement de donner son avis conforme dans les conditions actuelles», autrement dit le Parlement européen préférerait de retarder le vote sur l'union douanière, prévu initialement pour le 14 décembre, en attendant que les conditions exigées par les europarlementaires concernant une véritable démocratisation, une solution politique de la question kurde et la libération de tous les députés kurdes soient accomplies par Ankara. En Turquie, le Premier ministre a fait diffuser un communiqué laconique indiquant qu'Ankara reconnaissait la juridiction de la Cour européenne des droits de l'homme et que les députés condamnés pourraient faire appel à Strasbourg. Un tel pourvoi, même en procédure d'urgence, dure cependant au moins un an. Contrairement à la plupart des commentateurs de la presse turque se réfugiant derrière «l'autorité de la clause jugée», l'éditorialiste Yavuz Gökmen, généralement laudateur de Mme. Çiller résume à sa manière, dans le quotidien Hürriyet du 27 octobre, «l'erreur irrattrapable de la Belle Blonde». Selon lui, «il faut bien le reconnaître: Celle-ci a agi à la demande d'un personnage puissant (général Gürres) qui déclarait publiquement que Tansu Çiller est «une femme qui vaut trente soldats». Depuis le pays est tiré vers le fond des puits par ces forces et il ne fallait pas compter sur la Cour de cassation pour nous l'en sortir!". Des parlementaires kurdes innocents jetés en prison et condamnés à 15 ans de prison «à la demande« plus exactement sur ordre du général Güres, chefs d'état-major des armées, cela constituerait dans une démocratie normale «une affaire Dreyfus».!

LE CONSEIL D'ASSOCIATION UNION EUROPÉENNE-TURQUIE


Réuni le 30 octobre au Luxembourg estime que le dossier de l'entrée de la Turquie dans l'union douanière «est techniquement prêt» et demande au Parlement européen «de ne pas faire obstruction à la ratification de l'accord conclu le 6 mars 1995». Cependant, le président en exercice du Conseil de l'Union, M. Javier Solana, a tenu à rappeler aux autorités d'Ankara «l'importance que le Parlement européen attache à la libération de tous les députés du DEP. Nous espérons que le processus de réformes démocratiques en cours permettra de trouver des solutions rapides à cet égard.» a souligné M. Solana. Son collègue français Michel Barnier, ministre des Affaires européennes, estime de son côté qu'il ne faut pas «prendre le risque d'un vote négatif qui aurait des conséquences dommageables à long terme. Les signaux encourageants adressés par Ankara doivent recevoir une réponse positive».

Ces «signaux encourageants» paraissent tout à fait «cosmétiques» à M. Carlos Carnero, rapporteur espagnol du Parlement européen. Dans un rapport de 11 pages sur la situation en Turquie présenté le 31 octobre à la Commission des Affaires politiques du Parlement, M. Carnero estime que les quelques mesures récentes de «démocratisation» adoptées par le Parlement turc sont tout à fait «superficielles», «il ne faut pas croire que grâce à ces modifications la liberté d'expression va s'instaurer en Turquie. C'est la conception générale du Droit qui donne lieu à ces restrictions, la différence entre la justice civile et les Cours de Sûreté de l'État à caractère militaire qui devraient être révisées» ajoute le rapporteur qui conclut que "Le système politique en vigueur en Turquie est à tous égards une démocratie incomplète dans laquelle on remparque l'absence de mécanismes essentiels pour l'exercice de libertés fondamentales très importantes; la mise en oeuvre de l'union douanière devrait servir, le moment venu, à ce que le proressus de transition que connaît la Turquie débouche sur l'établissement d'une démocratie intégrante qui permette d'affronter les principaux problèmes du pays. Le Parlement européen est en mesure d'aider les secteurs les plus dynamiques de la société turque à mener à bien ce processus en offrant toutes les garanties de succès face aux secteurs qui s'y opposent et qui occupent certainement des positions clè du pouvoir politique et institutionnel. Dans une situation aussi complexe que celle que présente la Turquie, les questions abordées par le PE dans ses résolutions(d'une part, réformes constitutionnelles, mise en liberté des députés du DEP, abolition ou modification substantielle de l'article 8 de la loi anti-terroriste et législation ordinaire concomitante, arrêt des violations des droits de l'homme; et, d'autre part, traitement non militaire de la question kurde et acceptation des résolutions de l'ONU sur Chypre ) ont clairement été perçues comme une demande d'approfondissement, d'élargissement, d'amélioration et de normalisation de la démocratie. Le PE doit accorder une attention constante à l'évolution politique en Turquie au cours des prochains mois, en évaluant les faits de façon dynamique et analytique...Le rapporteur estime enfin que le PE commettrait une grave erreur s'il donnait son avis conforme à l'union douanière avec la Turquie tant que des progrès notables ne sont pas accomplis dans les principaux domaines énoncés plus haut, car il priverait ainsi de toute possiblité de contribuer à la mise en place de la démocratie dans ce pays, objectif que désirent atteindre sans doute la majeur partie des citoyens."

Par ailleurs, nombre d'eurodéputés se demandent si procéder à un vote 10 jours avant les élections législatives turques ne constituerait pas une ingérence directe dans la vie politique intérieure de ce pays. De plus en plus nombreux sont ceux qui se prononcent en faveur d'un report d'au moins de trois mois du vote sur la ratification afin d'attendre le résultat des élections, la constitution d'un gouvernement stable et d'exiger du nouveau Parlement turc le vote d'une amnistie générale pour tous les prisonniers du pays dont Leyla Zana et ses collègues condamnés à 15 ans de prison. Mme. Çiller ne semble guère s'embarrasser de ces subtilités. Pour elle, «la perdrix est dans le sac»; l'union douanière sera ratifiée avant les élections et elle pourra se présenter comme «la conquérante de l'Europe». C'est en tout cas, le message de «grande victoire» diffusée à la Une de tous médias turcs à sa dévotion dès le lendemain de la réunion du Luxembourg. Grâce à cette union douanière la Turquie recevrait au total une aide financière de 2,2 milliards d'écus, à en croire le décompte communiqué par le gouvernement turc qui espère ainsi que l'électorat saura lui être reconnaissant pour cette «manne européenne».

LE NOUVEAU CABINET TURC


En gestation depuis plusieurs semaines, le nouveau cabinet turc a été annoncé dans la soirée du 30 octobre, après son approbation par le président Demirel. Dirigé par Mme. Çiller, il comprend un vice-premier ministre, M. Deniz Baykal, chargé également des Affaires étrangères, 14 ministres d'État et 16 ministres. Le Parti de la Juste Voie (DYP) du Premier ministre détient 19 portefeuilles, tandis que le Parti Républicain du Peuple (CHP) de M. Baykal en détient 10. Les ministres de la justice, de l'intérieur et des communications et des transports sont, dans cette période préélectorale, théoriquement choisis parmi les personnalités non affiliées à un parti politique. En nommant un ancien procureur d'extrême-droite, M. Firuz Clngiroglu, au poste de ministre de la justice, en maintenant malgré les protestations de D. Baykal, un autre militant musclé d'extrême-droite, Ayvaz Gökdemir, dit «Ayvaz le commando», tristement célèbre pour ses injures publiques envers trois parlementaires européennes, Mme. Çiller a voulu donner des gages sûrs au colonel Türkes et à son Parti d'Action Nationale (MHP), son allié désigné pour les prochaines élections. Le Basbug (Führer) Türkes prône depuis la fin des années quarante un fascisme aux couleurs turques. Les Loups Gris, organisation de jeunesse, de son parti ont été mêlés dans les années soixante et soixante-dix à un grand nombre de meurtres et de tueries de démocrates, de militants de gauche, de civils Kurdes et alévis. L'un de leurs membres, Ali Agca, a même attenté à la vie du Pape. Instruit par son échec dans ses tentatives de prise directe du pouvoir, le Colonel pratique maintenant l'entrisme au sein de principales formations de droite. Sept ministres du nouveau cabinet sont considérés comme ses «sous-marins». Il y a quelques semaines M. Baykal avait publiquement dénoncé le noyautage massif de l'appareil de l'État par ce Parti. Selon lui, d'ores et déjà la majorité des postes de préfets et de directeurs de police du pays sont aux mains des hommes de ce Parti. Démocrate et libérale quand elle s'adresse aux Occidentaux, Mme. Çiller cependant n'hésite pas en Turquie à parader en compagnie du «grand patriote» Colonel Türkes aux côtés duquel Jean-Marie Le Pen fait figure d'un grand libéral laxiste.

Leur partenariat officieux prend donc désormais la forme d'une alliance politique publique.

Autre personnage notable du nouveau cabinet turc, l'ultranationaliste Coskun Krca, nommé ministre d'État chargé des Affaires européennes. M. Krca est notamment connu pour sa célèbre apostrophe à la tribune de l'Assemblée, le 2 mars 1994, lors du vote de la levée d'immunité des parlementaires kurdes: «Les Kurdes n'ont qu'un seul droit dans ce pays: celui de se taire!». Cette apostrophe est la version moderne d'une déclaration mémorable et historique faite en 1930 par le ministre de la justice d'Atatürk, un certain Mahmut Esat Baskurt, : «Seuls les Turcs ont des droits dans ce pays. Ceux qui ne sont pas de la pure race turque n'ont qu'un seul droit: celui d'être des esclaves, des serviteurs de la Grande Nation Turque». En 65 ans, en dépit des «encouragements» nombreux de l'Occident, qui a admis la Turquie au sein du Conseil de l'Europe et de l'OTAN et qui s'apprête à l'inclure dans l'Union douanière pour consolider l'ancrage de l'Ouest de ce pays et ses «progrès démocratiques», le statut des Kurdes n'a guère changé en Turquie.

M. CINDORUK CRAINT UN ÉTAT POLICIER EN TURQUIE


L'ancien président du Parlement turc, récemment expulsé pour indiscipline du Parti de la Juste Voie (DYP), sur ordre de Mme. Çiller, M. Cindoruk est devenu l'un des critiques les plus véhéments du Premier ministre. Après avoir dénoncé dans une émission de télévision très regardée «la corruption du couple Çiller et leurs nombreuses affaires frauduleuses frôlant le pillage systématique de l'État», M. Cindoruk prétend que «cette femme venue on ne sait d'où n'a pu accéder au poste du Premier ministre que par chantage; car elle a des dossiers sur le président Demirel et celui-ci n'a donc pu entraver sa marche au pouvoir». Ami de quarante ans de Demirel dont il reste toujours proche, M. Cindoruk qui était jusqu'à sa démission volontaire de son poste, en septembre dernier, deuxième personnage de l'État turc, n'a pas précisé la nature de ces dossiers. La corruption de la classe politique turque étant tellement généralisée que les affirmations de M. Cindoruk n'ont guère suscité de remous comme s'il n'apprenait rien à personne. Et comme si l'on voulait confirmer ses dires, on assiste actuellement à une impressionnante vague de démissions des dirigeants des banques d'État, des ministères économiques et financiers et de l'Organisme chargé des privatisations., des juges et des procureurs qui ont rendu des services au gouvernement. Tout ce beau monde veut se faire élire député sur la liste de Mme. Çiller afin de bénéficier de l'immunité parlementaire qui les mettrait à l'abri des poursuites judiciaires. Contrairement à Leyla Zana et ses amis dont l'immunité a été levée pour permettre des poursuites judiciaires pour délit d'opinion. 155 députés turcs impliqués dans des affaires de corruption, malversations et autres crimes de droit commun ont pu couler des jours paisibles et prospères sous le couvert de leur immunité parlementaire jusqu'au terme de l'actuelle législature.

Parmi les haut-fonctionnaires qui affluent vers le parti de Mme. Çiller on compte aussi le directeur général de la Sûreté, Mehmet Agar et de nombreux chefs de police. «Le DYP est en train de devenir une académie de police» ont déclaré à la presse certains opposants de Mme. Çiller. D'autres vedettes des forces de sécurité, proclamés pompeusement «héros de la guerre contre le terrorisme», tels les deux «supér-préfets» du Kurdistan, H. Kozakçoglu et U. Erkan et l'ancien chef d'état major des armées le général Güres, que Mme. Çiller aimait à appeler «abi» (grand-frère), figurent également sur la liste du Premier ministre.

De son côté le procureur général Demiral, fidèle à ses convictions d'extrême-droite, a choisi la liste du Colonel Türkes.

Après avoir constitué un État dans l'État, les forces de sécurité seraient selon M. Cindoruk, en train d'investir aussi, via le parti de Mme. Çiller, le Parlement, dernière vitrine politique civile du pays. «Ces gens-là vont mettre en place un État policier», crie l'ex-président du Parlement à qui veut l'entendre. Il dénonce aussi la nouvelle loi électorale inique, fabriquée sur mesure par le gouvernement et collecte des signatures de députés pour demander à la Cour constitutionnelle l'annulation des élections du 24 décembre pour infraction à de nombreuses dispositions de la Constitution. L'ancien ministre social-démocrate des Affaires étrangères, Mumtaz Soysal, et le Parti de la Nouvelle Démocratie de Cem Boyner soutiennent également cette initiative.

Malgré la formation d'un nouveau gouvernement et la fixation d'une date pour les élections anticipées, la vie politique turque continue de rester dans une grande confusion.

LE CONSEIL DE SÉCURITÉ NATIONALE TURC DÉCIDE DE PROLONGER L'ÉTAT D'URGENCE AU KURDISTAN TURC


Le Conseil de Sécurité nationale turc, organe politico-militaire qui se prononce sur les grandes décisions d'ordre interne et externe de la vie politique turque et donc des directives aux civils qui se succèdent au gouvernement depuis le coup d'état militaire en 1980, a décidé de prolonger l'état d'urgence de quatre mois dans dix régions administratives à majorité kurde au Kurdistan turc. En effet, le Kurdistan turc est soumis à ce régime d'exception depuis juillet 1987, qui fait suite à une période d'état de siège de 1979 à 1987.