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POINT SUR LA SITUATION EN TURQUIE

CILDEKT
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Liste
NO: 120

22/12/1998

  1. APPEL DES PRIX NOBEL POUR UNE SOLUTION POLITIQUE AU PROBLÈME KURDE EN TURQUIE
  2. ECEVIT ABANDONNE LA MISSION DE FORMER UN GOUVERNEMENT
  3. LA POLICE TURQUE MISE SUR LA SELLETTE DANS UNE AFFAIRE DE CORRUPTION
  4. NOUVEAU SCANDALE DANS UNE AFFAIRE D'ÉCOUTES TÉLÉPHONIQUES PAR LE MINISTÈRE TURC DE L'INTÉRIEUR
  5. LU DANS LA PRESSE TURQUE: TRISTE FÊTE DE LA PAIX À DIYARBAKIR


APPEL DES PRIX NOBEL POUR UNE SOLUTION POLITIQUE AU PROBLÈME KURDE EN TURQUIE


«Au moment où la communauté internationale célèbre avec fastes le cinquantième anniversaire de la Déclaration Universelle des droits de l'homme, l'un des plus anciens peuples du monde, le peuple kurde, reste, en Turquie privé des droits aussi élémentaires que le droit d'enseigner sa langue à ses enfants, de conserver sa culture, sa mémoire collective et transmettre aux générations futures son patrimoine historique et culturel.

Cette injustice intolérable qui dure depuis des décennies et qui a alimenté l'engrenage dévastateur de répression-révolte-repression plongeant la population kurde dans une série de terribles drames, doit cesser. Comme toutes les communautés humaines, le peuple kurde a aussi droit à la vie, à la libre expression de son identité et de sa culture, à la maîtrise de son destin collectif sur ses terres ancestrales.

Une responsabilité particulière échoit aux gouvernements occidentaux alliés de la Turquie au sein de l'OTAN qui, à ce titre, lui apportent un soutien multiforme, notamment militaire.

Leur silence face une tragédie humaine qui a fait des dizaines de milliers de morts, des millions de déplacés et plusieurs milliers de villages kurdes détruits, reste inacceptable pour nous, et sans doute aussi pour un large secteur de l'opinion. Nous constatons avec amertumes que les résolutions des institutions démocratiques et représentatives comme le Parlement européen, le Conseil de l'Europe, l'Internationale socialiste en faveur d'une solution politique du problème kurde en Turquie dans le respect de la démocratie, des frontières existantes et du respect de l'identité, de la culture et de la dignité des peuples kurde et turc n'ont pas encore été suivies d'effet faute d'appui des États.

Combien de temps encore les chancelleries occidentales vont-ils rester sourdes aux cris et aux souffrances d'une population sinistrée?

Très sensibles au destin tragique du peuple kurde tout au long de ce siècle, et mus par des sentiments de justice, nous appelons instamment les chefs d'État et de gouvernement des États-Unis et de l'Union européenne, qui disposent d'importants moyens de pression sur leurs alliés turcs, de prendre d'urgence une initiative commune en vue de persuader la Turquie de faire droit aux aspirations légitimes de ses 15 millions de citoyens kurdes en leur accordant un statut d'autonomie et des droits culturels et linguistiques garantis, en permettant la reconstruction de leur pays dévasté, le retour des millions de déplacés, réfugiés et exilés et en décrétant une amnistie générale afin de tourner définitivement la page de la guerre et des violences et de jeter les bases d'une réconciliations durable entre les peuples turc et kurde.

Nous prions également Monsieur le Secrétaire général de l'Organisation des Nations Unies de bien vouloir porter devant le Conseil de sécurité cette question qui compromet gravement la paix dans une importante région du monde et qui ne cesse de générer des vagues successives de réfugiés vers plusieurs pays européens».

ECEVIT ABANDONNE LA MISSION DE FORMER UN GOUVERNEMENT


Le Premier Ministre turc, Bulent Ecevit, a renoncé officiellement le 21 décembre 1998, à la formation d'un gouvernement, ses démarches auprès des partis politiques afin de constituer un nouveau cabinet, ayant échoué. "J'ai abandonné la mission de former un gouvernement que le Président de la République m'avait confiée " a dit M. Ecevit. Cet échec tient au refus de Mme Çiller de s'associer à une formule dictée par l'armée. De son côté, Deniz Baykal, chef du parti Républicain du peuple et rival de longue date de M. Ecevit a refusé tout soutien à un cabinet dirigé par M. Ecevit qui selon lui n'a aucune légitimité démocratique car il ne dirige que la quatrième formation politique du pays.

M. Ecevit, chef du petit Parti de la Gauche Démocratique (DSP- gauche nationale), avait, le 2 décembre, été chargé par le Président Demirel de former un nouveau cabinet, après la destitution par le Parlement du gouvernement de Mesut Yilmaz, dont il a été membre, pour "liens avec la mafia".

Malgré sa position de premier parti politique au Parlement, le Fazilet (islamiste) n'a pas été consulté en vue de la formation du nouveau gouvernement. Ce dernier, comme son prédécesseur le Parti de la Prospérité (Refah-dissous) s'attire les foudres de l'armée.

Deux choix s'offrent à M. Demirel, l'un serait de désigner un député pour former un gouvernement de transition et l'autre de constituer lui-même un gouvernement d'union nationale où tous les partis y compris le Fazilet, seraient représentés proportionnellement au nombre de sièges dont ils disposent au parlement. Un tel gouvernement n'aurait pas besoin de la confiance du parlement et dirigerait le pays jusqu'aux prochaines élections législatives du 18 avril 1999.

LA POLICE TURQUE MISE SUR LA SELLETTE DANS UNE AFFAIRE DE CORRUPTION


Une nouvelle affaire est venue confirmer les liens entre la mafia et la police turque. Dans une déclaration datée du 15 décembre 1998, Ferruh Tankus, ancien chef du département narcotique de la Direction de Sûreté d'Istanbul, a accusé ses supérieurs hiérarchiques de l'avoir "vendu" pour un montant de 4 millions de dollars aux trafiquants de drogue. "Mon départ à un autre poste a été rendu possible par un pot-de-vin payé par des chefs mafieux à des dirigeants policiers parce que je menais des opérations sans merci et couronnées de succès contre ces mafieux " a déclaré F. Tankus.

Selon ses allégations, il aurait été muté à la Direction de Sûreté de Beyoglu suite aux pressions des narco-trafiquants. F. Tankus a apporté de fortes accusations à l'encontre de la Direction de la police, notamment contre Hasan Ozdemir, directeur de la direction de sûreté d'Istanbul, et au plus haut niveau Necati Bilican, qui n'est autre que le directeur général de la police nationale. Le premier a été mis en cause dans une affaire de corruption- une villa luxueuse acquise pour le compte de son fils. Il faut également rappeler que M. Ozdemir avait été jugé par la Chambre Criminelle de Bursa avec 6 autres policiers et mis en liberté, pour tortures lors d'une garde à vue, à l'encontre de deux personnes soupçonnées d'avoir tué Ahmet Ozturk, hôtelier à Bursa. Quant au second, il a tout de même décerné une plaquette d'honneur lors d'une cérémonie en faveur des familles de martyrs, à Yilmaz Katmerci- qui n'est autre que le frère de Mehmet Hayri Katmerci recherché depuis des années pour trafic de drogue- qui fait l'objet d'une instruction du Trésor Public pour une affaire d'argent sale. Ces faits ont à nouveau mis en relief les liens étroits entre la police turque et la mafia.

Par ailleurs Necati Bilican a reproché à F. Tankus "d'avoir dissimulé jusqu'ici ce qu'il savait, si ses accusations s'avèrent vraies". Le gouverneur d'Istanbul, Erol Cakir, a pour sa part accusé F. Tankus d'avoir "des liens avec les organisations criminelles". Le Ministère de l'Intérieur a ouvert une enquête sur les déclarations de F. Tankus qui a été limogé du poste pour lequel il venait d'être nommé.

NOUVEAU SCANDALE DANS UNE AFFAIRE D'ÉCOUTES TÉLÉPHONIQUES PAR LE MINISTÈRE TURC DE L'INTÉRIEUR


Un nouveau scandale a secoué la scène politique turque lorsque l'ancienne ministre de l'intérieur, Mme Meral Aksener, a, vendredi 18 décembre, révélé à la presse turque les écoutes téléphoniques des journalistes turcs enregistrées à leur insu et cela sous son autorité. Il s'agit d'un entretien téléphonique entre Ertugrul Ozkok, rédacteur en chef du quotidien turc Hurriyet, Sedat Ergin, le correspondant à Ankara et le ministre d'État, Gunes Taner.

La classe politico-médiatique s'interroge sur les pratiques anticonstitutionnelles mais courantes, voire routinières des mises sur écoute des hommes politiques, des journalistes, des avocats par le gouvernement de Mme Çiller et sur l'État de non droit en Turquie. Plus particulièrement, les allégations du président du parti des travailleurs (IP), Dogu Perinçek qui soutient l'existence d'"une organisation privée Çiller", ont un regain d'intérêt depuis ces révélations. Le parti de la Juste Voie (DYP) de Mme Çiller avait déjà était mis sérieusement en cause dans l'affaire de Flash-TV dont les locaux avaient été plastiqués. Tout laisse à penser que ces pratiques ont continué sous les gouvernements ayant succédé à Mme Çiller et la Turquie continue d'être un Etat très policier.

LU DANS LA PRESSE TURQUE: TRISTE FÊTE DE LA PAIX À DIYARBAKIR


Celal Baslangiç, journaliste au quotidien Hurriyet, a décrit la situation de Diyarbakir, capitale politico- culturelle du Kurdistan de Turquie dans son éditorial du 18 décembre 1998. Voici des extraits de son article.

"À Diyarbakir, lorsque les enfants se lancent dans la rue pour assister à la moindre festivité, c'est l'occasion pour que les trottoirs soient envahis par la pauvreté. La plupart n'ont même pas de chaussures aux pieds. Malgré le froid, ils portent seulement des chaussons sans chaussettes. Ils sont couverts de quelques pulls superposés, hérités du troisième ou encore du quatrième frère (...)

Le prétexte de la fête d'aujourd'hui est le Parti de la Paix (BP) et la réunion organisée à l'occasion du discours de son président fondateur Ali Haydar Veziroglu sur "le projet de la paix sociale". Toutefois cette réunion constitue à Diyarbakir la première manifestation autorisée depuis les élections législatives de 1995. Nous savons tous les célébrations du Newroz, et de la journée mondiale pour la paix. Et puis, c'est dans cette ville que le HADEP subit le plus de pressions.

D'ailleurs, il y a quelques mois les vice-présidents de ce même parti ont été interdits de sortie de l'aéroport et rembarqué dans l'avion qui les avaient emmenés (...)

Si on prenait en considération le fait qu'un jeune de 20 ans de Diyarbakir n'a pas vécu un seul jour sous un régime ordinaire- de 1978 à 1987 sous état de siège, à partir de 1987 sous état d'urgence- on comprend alors plus aisément pourquoi un convoi d'un kilomètre, arboré de drapeaux, accompagné de la musique se transforme en une véritable fête (...)

Paradoxalement, l'oppression s'intensifie à partir du moment où les déclarations telles que "j'ai brisé la colonne vertébrale de l'organisation terroriste" affluent. Le Parti de la Paix n'a pas été autorisé à afficher et ni à distribuer des tracts (...) Veziroglu et son convoi ont même été interdits de faire un tour en ville avant la réunion. Les cars venus des villes voisines pour assister à la réunion n'ont également pas été autorisés à entrer à Diyarbakir. Mais il s'agit pour les habitants de cette ville une occasion rare, voire un luxe, que de pouvoir être témoin de cette "fête" (...) Malgré de nombreuses difficultés [Veziroglu] organise une réunion à Diyarbakir qui est sous un régime extraordinaire, et clame que "le premier problème est la question kurde. Personne ne peut se permettre de nier l'identité kurde, la question réelle est la citoyenneté, le patriotisme et le nationalisme en Turquie". Vous pouvez adhérer ou non à ces idées mais vous ne pouvez ne pas voir les efforts de paix (...) Les habitants de cette région, en faisant abstraction de leur faim, de leur pauvreté, de leur chômage, de leur manque dans le domaine de l'éducation et de la santé et de leur désespoir, demandent à cor et à cri "la paix" (...) Cependant la conception de la souveraineté, les applications légales, le volume de la propagande chauvine dans les média, montrent qu'il est très difficile de promouvoir la paix en Turquie."