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POINT SUR LA SITUATION EN TURQUIE

CILDEKT
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Liste
NO: 114

28/10/1998

  1. ANKARA ET DAMAS SIGNENT UN ACCORD DE SÉCURITÉ ET LA SYRIE EXPULSE A. ÖCALAN
  2. LES VERTS ALLEMANDS RÉAFFIRMENT LEUR OPPOSITION À LA VENTE D'ARMES À DESTINATION DE LA TURQUIE
  3. DEVANT LE RISQUE DE 7 MILLIARDS DE DOLLARS DE PÉNALITÉS LA TURQUIE DÉPÊCHE UNE DÉLÉGATION AUPRÈS DE LA COUR EUROPÉENNE DES DROITS DE L'HOMME
  4. SELON L'ASSOCIATION REPORTERS SANS FRONTIÈRES LA LIBERTÉ DE LA PRESSE CONTINUE D'ÊTRE BAFOUÉE EN TURQUIE
  5. CULTE DE LA PERSONNALITÉ: APO VERSUS ATATÜRK
  6. LA TURQUIE MISE EN CAUSE PAR L'OBSERVATOIRE GÉOPOLITIQUE DES DROGUES


ANKARA ET DAMAS SIGNENT UN ACCORD DE SÉCURITÉ ET LA SYRIE EXPULSE A. ÖCALAN


La guerre turco-syrienne n'aura pas lieu. À la question : «Öcalan vaut-il la peine d'une guerre avec la Turquie » posée par l'émissaire du président iranien Khatami, Damas veut finalement de répondre « non » en acceptant les conditions turques. Et après trois semaines d'extrême tension et quarante-huit heures de tractations secrètes, les discussions menées à Adana entre les délégations turque et syrienne, ont pris fin dans la nuit du mardi 20 octobre au mercredi 21 octobre par la signature d'un accord. Le ministère turc des Affaires étrangères a affirmé qu'au terme de cet accord la Syrie s'était engagée à priver le PKK de tout soutien financier, militaire et logistique sur son sol, à ne plus permettre à son leader Öcalan de retourner en Syrie, à arrêter et traduire en justice les membres du PKK se trouvant sur son territoire et à empêcher l'infiltration des militants de ce parti vers un pays tiers. Ankara déclare se réserver le droit de recourir aux moyens militaires dans l'éventualité où l'accord ne serait pas respecté. En gage de bonne volonté, la Syrie vient de lui remettre une liste des 600 militants du PKK, arrêtés au cours des dernières semaines par la police syrienne.

La crise turco-syrienne semble donc provisoirement apaisée. Cependant on se souvient qu'en avril 1992 un accord similaire avait été conclu par les deux parties prévoyant l'interdiction des activités du PKK. La Turquie avait accusé la Syrie de ne pas respecter les termes de cet accord qui n'avait donné lieu à l'époque qu'à la fermeture d'un camp d'entraînement du PKK dans la Bekaa libanaise. Bien que le gouvernement d'Ankara affirme avoir cette fois-ci obtenu une victoire diplomatique, l'avenir du PKK en Syrie demeure encore incertain. Nombre d'observateurs estiment que le régime syrien ne se privera pas si facilement de l'importante carte du PKK dans le conflit qui l'oppose au gouvernement d'Ankara sur le partage des eaux de l'Euphrate. Pour l'instant la direction du PKK semble avoir trouvé refuge en Russie grâce à la bienveillance des services russes favorables à une politique étrangère plus active dans une région où ils estiment que la Russie est désormais en compétition avec la Turquie surtout pour le projet de l'oléoduc destiné à transporter le pétrole de la mer Caspienne. Moscou n'a pas oublié non plus l'aide multiforme accordée par les Turcs à la rebeillon tchéchéne.

Selon des informations concordantes Öcalan et sa suite ont quitté Damas pour Moscou à bord d'un avion de ligne régulière. Il se trouveront à Odintsovo, une banlieue résidentielle bien protégée de Moscou généralement réservée aux cadres supérieurs de l'armée et de services secrets. Selon le premier ministre turc, cité par le quotidien Sabah du 24 octobre, le chef du PKK est désormais « neutralisé », « coupé de ses contacts avec ses troupes » et « suivi à la trace par les services turcs qui grâce à la coopération des services de renseignements alliés écoutent toutes ses communications téléphoniques ».

De son côté A. Öcalan dans une interview téléphonique à la chaîne kurde MED-TV, a confirmé qu'il avait quitté la Syrie car sa présence « isquait de provoquer une troisième guerre mondiale ». Il n'a pas indiqué où il se trouvait actuellement. Ankara s'apprête à demander à Moscou l'extradition d'Öcalan sans toutefois trop y croire car il n'existe pas d'accord d'extradition entre les deux pays.

Dans une déclaration faite à l'agence russe Itar-Tass, l'Ambassadeur russe en poste à Ankara, Alexandre Lebedev insiste sur l'absence d'un accord entre les deux pays. Par ailleurs, la Douma russe dans une résolution votée le 22 octobre par 303 voix sur 450 condamne la politique d'oppression menée par la Turquie contre sa minorité kurde et les menaces d'Ankara contre les pays voisins critique l'OTAN de pratiqeur une politique de « deux poids deux mesures » face aux drames comparables du Kossovo et du Kurdistan turc et appelle l'ONU, les gouvernements et parlements occidentaux à tenir une conférence internationale sur la question kurde.

LES VERTS ALLEMANDS RÉAFFIRMENT LEUR OPPOSITION À LA VENTE D'ARMES À DESTINATION DE LA TURQUIE


Dans une interview accordée au quotidien Berliner Zeitung par leur porte-parole pour la politique de défense Angelica Beer, les partenaires vert chancellier Gerhard Schroeder élèvent de plus en plus leur opposition à toute sorte de vente d'armes à la Turquie qu'ils accusent de violer constamment les droits de l'homme. Angelica Beer affirme que le gouvernement conservateur avait auparavant assuré les Verts de sa décision de ne pas transférer d'armes à la Turquie et qu'au cas où cela se révélerait inexact, son parti se mobiliserait pour mettre en application cette décision. Le protocole signé avec les sociaux-démocrates conditionne l'exportation d'armes aux critères relatifs au bilan des droits de l'homme du pays acheteur. Et Mme. Beer de conclure que "ce critère s'applique aussi à la Turquie qui est un pays membre de l'OTAN".

DEVANT LE RISQUE DE 7 MILLIARDS DE DOLLARS DE PÉNALITÉS LA TURQUIE DÉPÊCHE UNE DÉLÉGATION AUPRÈS DE LA COUR EUROPÉENNE DES DROITS DE L'HOMME


Selon le Ministre turc de la Justice Hasan Denizkurdu on compte actuellement 24000 plaintes portées contre la Turquie devant la Cour européenne des Droits de l'Homme. Inquiète de l'augmentation du nombre de condamnations à son encontre, la Turquie a décidé d'envoyer une délégation de haut rang pour se plaindre auprès de cette juridiction qu'elle accuse d'avoir "deux poids, deux mesures". Composée du Ministre de la Justice, du Président de la Cour constitutionnelle et du Président de la Cour de Cassation, cette délégation partira bientôt pour Strasbourg où elle a pour mission d'exprimer le malaise turc au vu du nombre de condamnations dont la Turquie ferait injustement l'objet. Si 70 % des requêtes en cours se concluaient par une condamnation à une amende, cela se traduirait par un fardeau financier de 7 milliards de dollars pour la Turquie à l'en croire les estimations avancées par le Ministère turc de la Justice. Ce ministère ne s'interroge toujours pas sur les raisons de ces condamnations et les moyens d'y remédier en procédant à une refonte substantielle de la législation turque afin de la rendre compatible avec la Convention européenne des droits de l'homme dont la Turquie est co-signataire.

SELON L'ASSOCIATION REPORTERS SANS FRONTIÈRES LA LIBERTÉ DE LA PRESSE CONTINUE D'ÊTRE BAFOUÉE EN TURQUIE


Après la réunion de l'IPI (International Press Institute), qui a eu lieu à Istanbul les 15-17 octobre, l'association Reporters Sans Frontières a, le 22 octobre, rendu public un rapport intitulé: « Turquie : les atteintes à la liberté de la presse persistent". Selon ce rapport, la liberté de la presse est régulièrement bafouée en Turquie avec l'aval des autorités et au cours des huit derniers mois, 75 % des violences perpétrées contre la presse sont directement imputables aux agents de l'Etat. Selon RSF « entre janvier et août 1998, deux journalistes sont morts lors d'opérations policières, cinq ont été torturés, cinquante-huit agressés, menacés ou harcelés et quarante-cinq autres ont été interpellés. Deux journalistes ont été emprisonnés pour des délits de presse". Nonobstant les promesses du Président de la République, Süleyman Demirel, qui déclarait récemment vouloir faire profiter ses concitoyens "des fruits de ce phénomène que l'on appelle la pluralité, la libre pensée et la libre opinion", le Conseil supérieur de l'audiovisuel (RTÜK) a prononcé 30 jours de suspension à l'encontre de la radio privée Can, basée à Diyarbakir, pour "diffusion contraire à l'unité indivisible de la République". De même, les émissions des chaînes de télévision Kanal-D et Interstar et de la radio Milli Gençlik ont été suspendues pour un jour. De son côté, IPI, qui a tenu une réunion avec des parlementaires et journalistes turcs, a invité le Premier ministre turc à tenir ses promesses lorsqu'il avait promis, à son arrivée au pouvoir, "de faire de telle sorte qu'il n'y ait plus de journalistes condamnés pour leurs écrits".

CULTE DE LA PERSONNALITÉ: APO VERSUS ATATÜRK


Le culte de la personnalité a atteint des sommets dans la semaine du 18 au 25 octobre tant chez les Turcs de toutes obédiences que chez les Kurdes de la mouvance du PKK.

En Turquie, l'Etat a organisé dans 780 villes des « marches de respect pour Atatürk » à l'occasion du 75ème anniversaire de la proclamation de la République turque. Le chef d'état-major a ordonné aux officiers, sous-officiers et aux soldats de se joindre en uniforme à ces manifestations. Toutes les chaînes de télévision publiques et privées, les radios et les journaux ont pendant plus d'une semaine diffusé des appels répétés à manifester. Les télévisions ont retransmis en direct les manifestations les plus importantes, notamment l'inévitable cérémonie réunissant les principaux chefs civils et militaires turcs au mausolée d'Atatürk à Ankara. Malgré tout ce battage médiatique les manifestations n'ont eu qu'un succès relatif. Environ 100.000 personnes à Istanbul, ville de 12 millions d'habitants, selon l'estimation sans doute bien exagérée du quotidien Hürriyet du 25 octobre, pour la plupart des militaires, des policiers et de fonctionnaire. Dans les provinces kurdes le fiasco a été frappant. A Diyarbakir qui compte plus d'un million d'habitants il y a eu de 4 à 5000 manifestants (10.000 selon Hürriyet) dans leur quasi totalité des militaires, des policiers et des fonctionnaires obligés d'y prendre part sous peine de sanctions.

Les Kurdes de la mouvance du PKK ont répliqué à cette furie atatürkiste par des « marches d'attachement à Apo » (surnom d'Abdullah Öcalan) organisées dans une quinzaines de villes d'Europe occidentales. Dans le même temps, le quotidien Özgür Politika, proche du PKK mène une campagne intitulée « vous ne pouvez éteindre notre soleil » où chaque jour sur une pleine page garnie d'un portrait d'Öcalan on peut lire : « Nul ne peut éteindre notre soleil, Notre leader national, le président Apo est le soleil des peuples de Mésopotamie, il a pu par son sang-froid et sa prescience déjouer un complot international organisé par la coordination Etats-Unis-Israël-Turquie ». La chaîne de télévision MED-TV organise des débats et lancent des appels sur le même thème.

Pour prévenir l'impact de cette campagne en Turquie la Turquie après avoir essayé de brouiller les émissions de MED-TV qui a depuis changé de satellite, vient de suspendre pour un mois le quotidien pro-kurde Ülkede Gündem. Par ailleurs plusieurs centaines de membres et de sympathisants du parti pro-kurde HADEP ont été arrêtés et gardés à vue « à titre préventif » pur empêcher la tenue des manifestations pro-Ocalan.

LA TURQUIE MISE EN CAUSE PAR L'OBSERVATOIRE GÉOPOLITIQUE DES DROGUES


Dans une résolution votée le 17 septembre 1998, le Parlement européen avait solennellement demandé à la Turquie de "cesser d'être une plaque tournante du commerce international des stupéfiants" . Dans son rapport 1997-1998 qui vient d'être rendu public, l'Observatoire géopolitique des drogues enfonce le clou et consacre une large place à la Turquie. Mettant en lumière l'alliance du clan de Çiller et de nombre de hauts fonctionnaires de la police avec les Loups Gris et les mafias d'extrême droite et leur implication dans le trafic d'héroïne, le rapport fait un état des lieux très détaillé sur les réseaux turcs dont l'ampleur avait poussé le Parlement européen à mettre en garde la Turquie. Du côté turc, de nouvelles révélations liées à de féroces luttes d'intérêts et des règlements de comptes continuent d'agiter l'échiquier politique. Un haut fonctionnaire de la police est accusé à son tour d'être impliqué dans l'assassinat en 1995 de Nesim Balki, un richissime homme d'affaires présenté dans la presse turque comme "usurier de confession juive".