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POINT SUR LA SITUATION EN TURQUIE

CILDEKT
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Liste
NO: 113

17/10/1998

  1. LE PARLEMENT EUROPÉEN SE DIT "CHOQUÉ" PAR LA NOUVELLE CONDAMNATION DE LEYLA ZANA
  2. LE BILAN DES VIOLATIONS DES DROITS DE L'HOMME EN SEPTEMBRE
  3. LA MAUVAISE IMAGE DE LA TURQUIE EMPÊCHE LES INVESTISSEMENTS ÉTRANGERS
  4. SYRIE-TURQUIE : BALLET DIPLOMATIQUE SUR FOND DE MUSIQUE DE GUERRE
  5. LA POLICE CANADIENNE PRATIQUE UNE FOUILLE AU CORPS DU MINISTRE TURC DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES ET DE SA SUITE


LE PARLEMENT EUROPÉEN SE DIT "CHOQUÉ" PAR LA NOUVELLE CONDAMNATION DE LEYLA ZANA


La condamnation de Leyla Zana à deux années de prison supplémentaire pour un article paru dans le bulletin interne du Hadep a suscité l'indignation générale de l'opinion publique démocratique. Le Parlement européen, à l'initiative du Groupe de la Gauche Unie (GUE) a adopté le 8 octobre à l'unanimité une nouvelle résolution réitérant sa demande de libération de la lauréate du Prix Sakharov et de tous les prisonniers politique et son appel à une solution politique du problème kurde. Voici les principaux extraits de cette importante résolution :

Le parlement européen,

- considérant que Leyla Zana, lauréate du prix Sakharov du parlement européen, n'a toujours pas été libérée,

- considérant que la Cour de sûreté de l'État d'Ankara l'a condamnée à une nouvelle peine de prison de deux ans pour un article sur le nouvel an traditionnel kurde paru dans le bulletin du HADEP,

- considérant qu'au cours du même procès, 6 autres prévenus kurdes, dont M. Güven Özata, vice-président du HADEP, ont été condamnés à des peines allant de 1 à 2 ans de prison,

- considérant qu'un autre ex-député kurde, M. Hatip Dicle, a été condamné à 1 an et 11 mois de prison et à une amende pour un article paru dans le quotidien "Ulkede Gündem", (...),

- considérant que la Commission a reconnu dans son rapport sur l'application de l'Union douanière entre l'U.E et la Turquie "qu'aucun progrès significatif n'a été accompli en Turquie dans le domaine des droits de l'homme et de la réforme démocratique",

- considérant que la Turquie ne respecte toujours pas les critères définis à Copenhague, notamment en ce qui concerne la démocratie et les droits de l'homme,

- condamne les violations répétées des droits de l'homme en Turquie, qui visent notamment les représentants du peuple kurde;

- se déclare particulièrement choqué par la nouvelle condamnation de Leyla Zana à deux années de prison supplémentaires et renouvelle avec insistance sa demande de libération de Leyla Zana et de tous les prisonniers politiques;

- exprime sa profonde préoccupation quant à la dégradation de la situation politique et institutionnelle en Turquie, constate l'absence d'amélioration dans le domaine de la protection des droits de l'homme et de la promotion de l'État de droit;

- réaffirme sa conviction qu'il n'y a pas de solution militaire à la question kurde et invite donc les autorités turques à engager des pourparlers directs avec les organisations représentatives du peuple kurde en vue de dégager une solution politique et pacifique qui permettrait de reconnaître les droits économiques, sociaux, politiques et culturels de ce peuple;

LE BILAN DES VIOLATIONS DES DROITS DE L'HOMME EN SEPTEMBRE


L'association des droits de l'homme de Turquie (IHD) a, le 12 octobre, rendu public le bilan des violations perpétrées en septembre en Turquie.

Ce bilan se présente comme suit :;
Meurtres politiques par des auteurs non identifiés9
Nombre de personnes placées en garde-à-vue1357
Nombre de journalistes blessés1
Nombre de personnes déclarant à l'IHD d'avoir été torturées29
Nombre de quotidiens ou revues saisis par les Cours de Sûreté de l'État:26


Par ailleurs, la police a effectué des raids contre des locaux de 12 partis politiques ou centres culturels arrêtant et plaçant en garde-à-vue 22 de leurs membres.

LA MAUVAISE IMAGE DE LA TURQUIE EMPÊCHE LES INVESTISSEMENTS ÉTRANGERS


C'est ce qu'affirme Abdurrahman Ariman, secrétaire général de l'association turque du Capital étranger (YASED), dans une interview à l'agence semi-officielle turque Anatolie le 11 octobre.

Selon lui, depuis la crise économique de 1994 il n'y a pas eu de nouveaux capitaux étrangers investis en Turquie. Le flux annuel d'un milliard de dollars de capitaux étrangers concerne les investissements des multinationales comme Renault, Pepsi, Ford, Coca Cola, BP ou Siemens installées de longue date en Turquie pour le renouvellement de leurs modèles obsolètes et le remplacement de leurs machines usées. "Le capital étranger ne vient plus en Turquie même pour l'utiliser comme springboard vers l'Asie centrale car l'image de notre pays s'est dégradée à l'étranger" conclut ce responsable économique turc.

SYRIE-TURQUIE : BALLET DIPLOMATIQUE SUR FOND DE MUSIQUE DE GUERRE


Dans la crise qui les oppose à la Syrie, les autorités turques semblent s'inspirer de la tactique utilisée par Washington à l'égard de Saddam Hussein et de Milosevic faire planer la menace d'une intervention militaire sérieuse et imminente pour arracher par la négociation les concessions voulues.

Ainsi, d'un côté, l'armée turque continue de masser des troupes tout au long de la frontière syrienne. Le Premier Ministre fait, le 11 octobre, des déclarations martiales dignes d'un pacha ottoman : "Nous crèverons les yeux de ceux qui convoitent notre territoire. Si la Syrie ne reprend pas ses esprits, ce sera notre devoir de lui faire écrouler le monde sur sa tête". Il fixe un délai de 45 jours expirant à la mi-novembre pour que Damas se plie à toutes les exigences turques.

De l'autre côté "les missions de bons offices" (Ankara ne veut pas entendre parler de médiation) se succèdent à Ankara. L'initiative du président égyptien a été suivie de la visite du Ministre iranien des Affaires étrangères à Ankara et à Damas "pour éviter une guerre entre deux États musulmans". Téhéran qui assure actuellement la présidence de la Conférence islamique ne bénéficie pas d'un grand crédit auprès d'Ankara qui l'accuse régulièrement de soutien au PKK. L'initiative iranienne viserait plutôt à épargner à son principal allié régional, la Syrie, d'être entraînée dans une guerre aux conséquences imprévisibles. "Abdullah Ocalan vaut-il vraiment une guerre avec la Turquie?" aurait demandé M. Kharazi à son homologue syrien avant d'inciter la Syrie à mettre une sourdine à son aide au PKK.

L'Egypte, qui a été l'architecte de l'accord irako-iranien de mars 1975 par lequel en contrepartie de concessions territoriales et politiques consenties par Saddam Hussein, le Chah d'Iran s'engageait à cesser son soutien au mouvement kurde irakien du général Barzani conduisant à son effondrement, semble jouir de davantage de faveurs aux yeux des Turcs. Le Ministre égyptien des Affaires étrangères effectue une véritable navette diplomatique entre Ankara, Damas et le Caire et espère pouvoir réunir assez rapidement ses collèges turc et syrien pour trouver une solution négociée au conflit. La Syrie se dit prête à "discuter de tous les problèmes qui l'opposent à la Turquie" en excluant ainsi que la négociation ne porte que sur le problème de son aide au PKK. Damas voudrait mettre sur la table au moins deux autres sujets du contentieux : le partage équitable des eaux de l'Euphrate et l'alliance militaire turco-israélienne. Ankara demande avant toute négociation l'extradition d'Ocalan, la fermeture des camps du PKK en Syrie et l'engagement de la Syrie à ne plus revendiquer la province d'Alexandrette (Hatay) annexée en 1939 par la Turquie que les Syriens font toujours figurer sur leur carte comme faisant partie de la Syrie.

En guise de préliminaire, Damas assure les Turcs qu'Ocalan n'est plus en Syrie et que des membres du PKK ont été arrêtés par la police syrienne. Les Turcs qui dans le passé ont eu ce genre d'assurances sans lendemain, ne s'en contentent plus. Les "fuites" organisées laissant croire qu'Ocalan aurait été remis aux Irakiens ou qu'il se trouverait dans la zone kurde de J. Talabani ont été démenties. Ankara, de son côté, brouille depuis le 9 octobre les émissions de la chaîne de télévision kurde par satellite Med TV et affirme que la fin du PKK est proche. Celui-ci en lançant, le 14 octobre, une attaque très meurtrière (une soixantaine de morts dont 18 soldats et miliciens turcs selon le bilan officiel) contre un régiment turc, dans la province de Van, proche de l'Iran, rappelle qu'on l'enterre un peu trop vite et que les dirigeants turcs continuent de prendre leurs désirs pour des réalités.

En attendant chacun compte ses amis et alliés. Dans un communiqué du 10 octobre les 22 États membres de la Ligue arabe apportent leur soutien à la Syrie. Bagdad menace de cesser ses relations commerciales avec la Turquie en cas de conflit avec la Syrie. Les Américains tout en demandant à Damas de cesser de soutenir "l'organisation terroriste PKK" appellent les deux parties à la retenue et à un règlement négocié de leur contentieux.

LA POLICE CANADIENNE PRATIQUE UNE FOUILLE AU CORPS DU MINISTRE TURC DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES ET DE SA SUITE


Après l'arrestation de plusieurs chefs de la mafia turque de drogue portant des passeports diplomatiques turcs, ces passeports deviennent de plus en plus suspects pour les polices occidentales. Cette suspicion a fini par toucher le chef de la diplomatie turque en personne; Venant de New York où il avait assisté à l'Assemblée générale des Nations-Unies, M. Ismail Cem s'est rendu au Canada en visite officielle. A l'aéroport de Montréal, au lieu de transiter sans fouille par le Salon VIP comme c'est l'usage diplomatique, il a fait l'objet d'un contrôle en règle de son passeport et surtout d'une fouille au corps minutieuse et d'une fouille tout aussi minutieuse de ses bagages et des bagages de sa suite.

Selon le quotidien Hurriyet du 13 octobre qui rapporte "ce scandale diplomatique", M. Cem a bien brandi son passeport diplomatique, déclaré haut et fort à maintes reprises aux policiers canadiens : " je suis le Ministre des Affaires étrangères de la Turquie; je suis ici pour une visite officielle dans votre pays", mais les Canadiens n'ont rien voulu entendre, ils ont passé au peigne fin tous les effets et bagages de M. Cem. Car, commente le quotidien, depuis l'arrestation un peu partout, y compris au Canada, des parrains de la Mafia turque portant des passeports diplomatiques, les polices occidentales sont devenues très méfiantes. "Des jours encore plus sombres nous attendent. Ce sont ceux qui ont compromis la crédibilité de la Turquie avec des parrains de la Mafia qui portent la responsabilité de cette situation" conclue Hurriyet.

Dans le même numéro de ce quotidien, le public turc apprend que d'après l'un des principaux chefs des Services secrets turcs (MIT), Mehmet Eymur, déposant devant une Cour instruisant l'affaire de Susurluk, pour une seule opération visant le leader de l'organisation d'extrême gauche Dev-Sol, Dursun Karatas, le chef de la Sûreté générale turque, Mehmet Agar, a expédié en Allemagne par l'intermédiaire des parrains turcs Yazar Oz et Murettin Guven, 80 kgs d'héroïne. La police allemande a pu saisir la drogue. Le commanditaire de ce trafic, M. Agar, loin de recevoir un quelconque blâme, a été promu Ministre de l'Intérieur, puis Ministre de la Justice dans les cabinets de Mme Çiller. Disposant de tous les leviers, il a pu poursuivre à sa guise ses trafics douteux sous prétexte de la lutte contre le terrorisme et la défense de la patrie.