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Bulletin N° 449 | Août 2022

 

IRAK: LE PAYS FACE AU DANGER D’UNE GUERRE CIVILE INTRA-CHIITE

Le 1er août, l’Irak s’est réveillé, comme l’exprime Le Monde, «avec la sensation de marcher au bord du précipice». Depuis le 30 juillet, les partisans du chef populiste Moqtada Al-Sadr occupent le parlement de Baghdad, dont ils demandent la dissolution avant de nouvelles élections anticipées. Le 31, Sadr a appelé à élargir la mobilisation et à saisir «l’opportunité d’un changement radical du système politique». En réponse, les partisans du  «Cadre de coordination» ,coalition des partis et milices pro-iraniens, ont accusé Sadr de préparer un coup d’État et ont annoncé leurs propres manifestations.

Un tel face-à-face risquait de provoquer des violences irrémédiables pouvant mener le pays à la guerre civile. Tandis que le Premier ministre Mustafa Al-Kadhimi, chargé de gérer les affaires courantes, multipliait les appels au dialogue, des renforts militaires ont été amenés dans la nuit pour sécuriser la «zone verte» où se trouvent le parlement et les principales institutions. Le commandant de la Force iranienne Al-Qods des Gardiens de la révolution, Esmail Qaani, considéré comme le pro-consul iranien en Irak, est arrivé à Bagdad pour des discussions avec les différents acteurs politiques.

Depuis les élections anticipées d’octobre 2021, elles-mêmes provoquées par les importantes manifestations «anti-establishment» d’octobre 2019, les tensions intercommunautaires entre chiites, sunnites et Kurdes, ont été éclipsées par de graves fractures intracommunautaires. La plus dangereuse semble celle concernant les chiites, majoritaires dans le pays, mais divisés entre pro-iraniens, nationalistes irakiens obéissant à Sadr, et le mouvement de contestation, toujours très actif. S’ils sont très opposés au bloc pro-iranien, les contestataires accusent aussi Sadr de tentative de récupération. Le leader populiste a en effet cherché à instrumentaliser à son profit le mouvement né en 2019, qu’il a alternativement appelé ses partisans à soutenir et à réprimer… Cette division des chiites en trois blocs irréconciliables est en grande partie responsable de la paralysie politique actuelle.

La tension s’est encore accrue après la nomination par le Cadre de coordination de Mohamed al-Soudani comme candidat au poste de Premier ministre. Déjà perçu comme pro-iranien, Soudani est aussi un proche de l’ancien Premier ministre Al-Maliki, détesté par Sadr depuis qu’il a ordonné en 2008 l’écrasement à Bassora de l’«Armée du Mahdi», la milice que Sadr avait formée pour combattre l’occupation américaine… Par ailleurs, outre que leur ambition personnelle oppose les deux hommes, Maliki veut préserver un statu-quo politique que Sadr cherche à faire voler en éclats.

Le 5, malgré près de 50°C, des dizaines de milliers de personnes, parfois venues du sud du pays, ont manifesté à Bagdad leur soutien à Sadr. Les deux camps ont tenu de nouvelles manifestations la semaine suivante, qui n’ont heureusement pas débouché sur des affrontements. La crainte d’un dérapage est cependant demeurée, de même que celle de voir les tensions gagner les régions kurdes et sunnites du pays… (Le Monde)

Le 12, les partisans du Cadre de coordination se sont installés sur une avenue de Bagdad menant à la Zone verte. Sadr a de son côté déposé une demande de dissolution du Parlement devant la Cour suprême fédérale. Celle-ci a répondu le 16 ne pas pouvoir prendre une telle décision. Le leader populiste a alors appelé pour le 20 à une «manifestation d'un million» de personnes, avant de retirer son appel.

Le 17, une réunion de «dialogue national», appelée par le Premier ministre Al-Kadhimi la semaine précédente, s’est tenue au siège du gouvernement. Y ont participé les différentes forces politiques… à l’exception du courant sadriste, qui a le matin même annoncé sa non-participation. Étaient présents, outre le Président irakien Barham Saleh (kurde) et le président du Parlement Mohamed al-Halboussi (sunnite), un allié de Sadr, des responsables du Cadre de coordination et des milices Hashd al-Shaabi, ainsi que ceux du Parti démocratique du Kurdistan et de l’Union patriotique du Kurdistan, plus l'émissaire de l'ONU dans le pays, Jeanine Hennis-Plasschaert. À l’issue de cette réunion, les participants ont indiqué dans un communiqué commun s’engager à travailler à une «feuille de route» pour sortir le pays de l'impasse, n’excluant pas l’organisation d’élections anticipées. Ils ont également invité le Courant sadriste à les rejoindre dans le dialogue (AFP).

Le 29 au matin, dans une de ces décisions-surprises dont il a le secret, Moqtada Al-Sadr a annoncé son «retrait de la vie politique». Cette annonce a provoqué dès l’après-midi dans la Zone verte de graves violences qui se sont poursuivies le 30. Des milliers de ses partisans ont envahi le siège du gouvernement, tandis que les forces de l’ordre tentaient de disperser à coups de grenades lacrymogènes d’autres manifestants tentant de pénétrer dans la Zone verte. Quinze manifestants ont été tués par balles et quelque 350 autres blessés, soit par balles, soit en respirant du gaz lacrymogène. Par ailleurs, selon une source sécuritaire, des échanges de tirs, parfois de mortier, ont opposé les «Brigades de la paix» (Saraya al-Salam), un groupe armé sadriste posté aux abords de la zone, et des Hashd Al-Shaabi ainsi que des forces spéciales de l’armée, répliquant depuis l’intérieur (AFP). Des affrontements ont aussi pris place à Bassora. Un couvre-feu a été proclamé à partir de 19 h dans tout le pays, sauf la Région du Kurdistan.

Finalement, Sadr a appelé ses partisans à quitter les lieux, ce qui a mis fin aux violences. Si le calme est revenu à Bagdad le dernier jour du mois, celui-ci s’est achevé comme il avait commencé, dans la plus grande tension et l’inquiétude pour l’avenir…

Ces fortes tensions ont eu évidemment des échos dans la Région du Kurdistan. Jusqu’à un certain point, elles ont poussé à un certain rapprochement les 2 principaux partis kurdes, le PDK et l’UPK, qui se trouvent dans des camps différents à Bagdad, le PDK soutenant l’alliance sadriste, l’UPK étant proche du «Cadre de coordination». UPK et PDK s’opposent par ailleurs toujours sur le choix du futur Président irakien, chacun présentant son propre candidat. Le 9, les dirigeants des 2 partis ont annoncé vouloir «travailler à [élaborer] une position unifiée des partis politiques kurdes à la lumière des défis auxquels sont confrontés l'Irak et la région du Kurdistan» . Les dirigeants kurdes ont également cherché à plusieurs reprises à promouvoir le dialogue entre les différentes alliances en conflit à Bagdad. Ainsi le 30 août, le président du Kurdistan, Nechirvan Barzani, a exhorté les parties concernées à «revenir à la logique» et à engager un «dialogue national».

Par ailleurs, la position des partis kurdes demeure importante au niveau central; le PDK par exemple est devenu aux dernières législatives l’un des premiers partis d’Irak en nombre de sièges. Le 16, le «Cadre de Coordination» a envoyé à Erbil le chef de l'Organisation Badr, Haidi al-Ameri, qui a exhorté les partis kurdes à tenir une session parlementaire pour enfin désigner le prochain Président irakien… Le désaccord PDK-UPK à ce propos joue un rôle important dans la prolongation du blocage subi par le pays depuis un an. Vis-à-vis du Gouvernement Régional du Kurdistan (GRK), le camp pro-iranien n’en est d’ailleurs pas toujours resté aux sollicitations. Suite aux nombreuses attaques lancées depuis des mois contre les installations pétrolières ou gazières kurdes, les dirigeants du PDK, qui dominent le GRK, ont accusé l’Iran de les menacer par ce moyen pour les forcer à quitter l’alliance sadriste. Il faut noter également que le 30, alors que Bagdad vivait le chaos, à Kirkouk, les milices pro-iraniennes du Hashd al-Shaabi ont avancé ostensiblement vers les points de contrôle menant à Erbil et Sulaimaniyeh pour faire face aux peshmergas déployés de l’autre côté de la ligne séparant les deux forces…

Par ailleurs, la Région du Kurdistan a en quelque sorte connu la contagion des manifestations ayant pris place ce mois-ci dans le reste de l’Irak: le 6, la Sécurité de Souleimaniyeh a dispersé à coup de gaz lacrymogène et de balles en caoutchouc un rassemblement appelé par le parti d’opposition «Nouvelle génération» pour protester contre les difficultés économiques, l’autoritarisme du GRK et la corruption des 2 partis dominants. Sept parlementaires «Nouvelle génération», 6 siégeant à Bagdad et 1 à Erbil, ont été brièvement détenus alors qu’ils s’apprêtaient à manifester (AFP).

Plusieurs consuls représentant leur pays à Erbil se sont émus des dizaines d’arrestations de politiciens, de journalistes et de députés ayant suivi la manifestation. Un média proche du parti a déclaré le 7 que plus de 600 personnes avaient été arrêtées lors des manifestations de la veille, et le Metro Center for Journalists Rights and Advocacy, une association locale de défense des médias, a déclaré que 11 journalistes avaient été même arrêtés préventivement la veille du défilé – une information démentie par la Sécurité de Soulaimaniyeh. Après des messages d’inquiétude postés sur Twitter par les consuls du Royaume-Uni et d’Allemagne, le Vice-consul général des Pays-Bas a appelé les autorités de la région du Kurdistan à «respecter la liberté d'expression des manifestants» (Rûdaw).

Concernant les prochaines législatives régionales, le Président Nechirvan Barzani a organisé le 16 une réunion à laquelle ont assisté la plupart des chefs des partis du Kurdistan, à l’exception justement de «Nouvelle Génération», ainsi que la représentante spéciale du Secrétaire général des Nations unies et responsable de la Mission d’assistance à l’Irak (UNAMI), Jeanine Hennis-Plasschaert. Les discussions ont porté sur les moyens de «résoudre les désaccords». Certains partis souhaitent en effet une modification de la loi électorale avant le scrutin (Rûdaw). Dans le communiqué diffusé après la réunion, la Présidence a indiqué que le Président avait souligné que «Retarder les élections [nuirait] à l'image et à la réputation de la région du Kurdistan», avant d’indiquer: «Les partis politiques continueront à discuter et à préparer les élections en coopération avec l'équipe d'experts de l’UNAMI».

Autre chantier en cours, la rédaction d’une Constitution régionale pour le Kurdistan. La présidence du Parlement a lancé le 28 la première d’une série de réunions au cours desquelles les différents partis discuteront ce sujet.

Concernant les attaques sur les sites d’hydrocarbures, le 30, les peshmergas ont mis hors service 3 lanceurs de roquettes Katyusha pointés vers le site gazier de Qadir Karam, qui a déjà subi plusieurs attaques de ce type d’armes, fort probablement de la part de membres des Hashd al-Shaabi. À Washington, le Président de la Commission sénatoriale des affaires étrangères et un des membres de celle-ci, Robert Menendez et James Risch, ont demandé le 15 par courrier au Secrétaire d’État Antony Blinken un engagement «au plus haut niveau» des États-Unis pour aider à résoudre les différends entre Erbil et Bagdad à propos des exportations de pétrole et de gaz du Kurdistan et ainsi «préserver la stabilité économique de la [Région du Kurdistan d'Irak]». Leur lettre dénonce la décision de la Cour suprême irakienne de déclarer inconstitutionnelle la loi sur le pétrole et le gaz du GRK et les attaques incessantes, qui impactent négativement «le climat des investissements étrangers et la capacité de l'Irak à devenir indépendant de l'énergie d'origine iranienne» (Foreign Relations). Le 19, trois membres de la Chambre des représentants ont à leur tour écrit à Antony Blinken pour demander à l’administration Biden de soutenir le GRK face aux tentatives de l’Iran et des partis irakiens pro-iraniens de le forcer à réduire sa production d’énergie. Les auteurs pointent que «les ressources gazières du GRK pourraient aider l'Irak et, à terme, la Turquie et l'Europe du Sud à se passer des approvisionnements en gaz russe et iranien, au moment où nous mettons la Russie sous sanctions […]». Les deux courriers sont tous deux bi-partisans, avec des auteurs républicains comme démocrates. Il semble cependant douteux que le département d’État, dont la priorité actuelle est le rétablissement d’un accord nucléaire avec l’Iran, prenne le risque de mécontenter ce pays en condamnant trop fermement ses attaques contre le Kurdistan… (Kurdistan-24)

À côté des attaques d’origine iranienne ou pro-iranienne, le Kurdistan est également toujours confronté au terrorisme djihadiste de Daech ainsi qu’aux opérations turques.

Les djihadistes continuent à tirer parti du manque de coordination entre forces kurdes et irakiennes dans les territoires disputés. Le 10 août, ils ont tiré trois missiles sur une position de l'armée irakienne près de Daqouq (sud de Kirkouk), blessant trois soldats, avant de tuer un lieutenant et de blesser deux autres officiers dans des accrochages. Le 20, la Sécurité a annoncé l’arrestation de 6 djihadistes dans la province, mais cela n’a pas empêché le meurtre d’un mukhtar (maire de village) le même jour, puis le 25, une attaque sur un village près de Daqouq où une bombe artisanale a fait 1 mort et 2 blessés parmi les soldats irakiens (WKI). Le 28, c’est un berger kurde qui a été tué près du lac de Rokhana, dans le Sud-Est de la province. Au moins 4 bergers ont été attaqués par 2 militants présumés de Daech. Les bergers les ont mis en fuite, abattant même l’un d’entre eux. Ces attaques constituent des tentatives de kidnapping, un moyen que les djihadistes, manquant de fonds, utilisent pour se financer en exigeant ensuite de la famille des rançons d’environ 25.000 dollars. Depuis avril, 5 bergers arabes ou kurdes ont ainsi été enlevés à Kirkouk (Kurdistan-24). Le 29, deux autres personnes ont été enlevées près du champ pétrolier de Jabar Bor. Le 30, la Sécurité a tué un djihadiste et en a blessé un second lors d’une opération de recherche des otages. Le 31, les habitants du village de Salayi ont mis en fuite de nombreux djihadistes.

À Khanaqin, peshmergas et militaires irakiens ont mené le 23 une opération conjointe qui a permis de «nettoyer» l’est du district. La région demeure toujours dans un vide sécuritaire, Bagdad n'ayant toujours pas autorisé les forces conjointes à se déployer dans la zone, conformément à l’accord passé avec Erbil.

Le 3 août correspondait au 8e anniversaire du génocide perpétré par Daech contre la communauté des yézidis. À cette occasion, le Comité du GRK chargé de l’enquête sur cet événement a publié des statistiques effrayantes. Selon les chiffres, le sort de 2.717 yézidis enlevés par les djihadistes, 1.273 femmes et 1.444 hommes, demeure inconnu. 3.554 yézidis enlevés ont été secourus, dont 1.207 femmes et filles, 339 hommes et 1.051 enfants, tandis que 146 ont été tués (WKI). L’Organisation internationale pour les migrations (OIM, agence de l’ONU) a indiqué le 4 dans son propre bilan que certains des 2.700 Yézidis encore portés disparus étaient toujours détenus par Daech. L’agence a également chiffré à plus de 200.000 le nombre de Yézidis toujours déplacés. L’absence de retours au Sindjar s’explique par l’absence de reconstruction et de services essentiels dans le district, dont Daech avait presque totalement détruit les infrastructures, ainsi que par la persistance de la violence. Ainsi début mai, des affrontements ont éclaté entre armée irakienne et combattants yézidis affiliés au PKK. Enfin, la Turquie frappe régulièrement le Sindjar dans le cadre de son opération anti-PKK (AFP).

Rappelons qu’après qu’une frappe d’artillerie turque a tué 9 touristes à Zakho le 20 juillet, l’Irak a demandé une session d'urgence du Conseil de sécurité des Nations unies. Durant celle-ci, qui s’est tenue le 26 juillet, le ministre irakien des Affaires étrangères, Fouad Hussein, a exigé le «retrait total» d'Irak des forces turques. Cependant, le représentant turc a déclaré que l'armée turque continuerait à cibler les «terroristes» en Irak. Le 1er août, un drone turc a frappé un véhicule entre Ranya et Chwarqorna, tuant un occupant et blessant l'autre. Le 29, une frappe  de drone sur un village a fait 2 morts et 1 blessé grave parmi les combattants des Unités de résistance du Sindjar (YBŞ), tandis qu’une autre frappe tuait un père de 6 filles dans le camp de réfugiés de Makhmour et blessait 2 autres civils (WKI).

Enfin, les Kurdes continuent à être confrontés à la discrimination dans les territoires disputés dont Bagdad a repris le contrôle en octobre 2017. Le 4, une division de l'armée irakienne a coupé l'électricité du village de Kabala, dans le district de Sargaran (Kirkouk), depuis longtemps revendiqué par des colons arabes. Selon les villageois, c’est l’un d’entre eux, voulant occuper davantage de terres kurdes, qui a demandé aux officiers de procéder à la coupure. Le même jour, le Tribunal militaire de Mossoul a tenu l’audience finale du procès de 14 officiers de police kurdes accusés d’avoir participé au référendum d’indépendance du Kurdistan en septembre 2017. Après 5 ans, la Cour a jugé que les preuves étaient insuffisantes pour condamner les prévenus. Kirkouk ne disposant pas de Tribunal militaire, un comité du Tribunal militaire de Mossoul se rend à Kirkuk deux fois par semaine pour examiner les affaires concernant les agents de sécurité.

Le 10, l’administration provinciale de Kirkouk a lancé une campagne de recrutement pour 1.000 postes. Cependant, le formulaire en ligne exclut d’office les candidats nés dans la Région du Kurdistan, n’autorisant l’accès qu’aux Irakiens nés dans les 15 autres provinces du pays… Ceci alors qu’une grande proportion des Kurdes de Kirkouk, déplacés à l’époque du régime de Saddam Hussein, sont nés au Kurdistan. Similairement, les candidats potentiels dont la carte d’identité a été délivrée dans le district de Qadirkaram, appartenant à la province de Kirkouk mais administré par le GRK, sont exclus. Par ailleurs, les Kurdes kakaï ont été exclus des quotas réservés aux minorités. Enfin, la priorité d’embauche accordée aux proches des victimes de la guerre contre Daech ignore totalement les peshmergas, qui ont pourtant perdu dans ce combat 1.400 combattants depuis 2014… (WKI)

Le 8, huit officiers de police kurdes de Touz Khourmatou ont été transférés vers la police de la province Salahaddin. Ce transfert a provoqué des protestations dans la communauté kurde de la ville car le départ de ces officiers fait encore tomber la proportion de policiers kurdes, déjà seulement à 13%, contre 40% pour les Arabes et les Turkmènes. Le 12, le député kurde de Touz Khourmatou, Mullah Karim Shukur, a aussi indiqué que 600 familles kurdes déplacées en octobre 2017 ne sont toujours pas revenues, faute de compensation pour reconstruire leurs demeures, incendiées et détruites par les milices chiites. Celles-ci ont ainsi détruit des centaines de maisons, forçant au départ des milliers de familles kurdes.

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ROJAVA: VERS UN RAPPROCHEMENT TURCO-SYRIEN AUX DÉPENS DES KURDES DE SYRIE ?

Après le sommet irano-russo-turc tenu à Téhéran le 19 juillet, de nombreux observateurs avaient conclu que les projets d’une nouvelle invasion du Rojava du président turc avaient connu un coup d’arrêt: l’Iran et la Russie avaient réitéré leur opposition à une telle opération, et jusqu’à présent en effet, aucune n’a été lancée. Mais la chaîne kurde d’Irak Rûdaw a noté le 1er août que «depuis le sommet», «un nombre sans précédent de frappes aériennes et d'attaques de drones ont visé les Kurdes syriens», faisant de juillet «le mois le plus meurtrier de 2022 pour les combattants kurdes». M. Erdoğan, aux termes d’un discret marchandage, pourrait bien avoir obtenu de pouvoir lancer des frappes aériennes illimitées contre le PYD. L’armée russe, qui contrôle quasiment l’espace aérien syrien, n’a jusqu’à présent mené aucune action pour abattre le moindre des nombreux drones turcs qui survolent sans cesse celui-ci. Alors que la Turquie continue à proclamer son intention de compléter la «zone de sécurité» de 30 km de profondeur dont elle a entamé la création avec ses 3 précédentes opérations. La chaîne d’infos kurde Rûdaw  observe que fin juillet, «la police militaire russe a patrouillé pour la toute première fois dans les zones de l'est de Qamishli avec une profondeur de 30 km»…

Les menaces turques jouent en faveur du régime, les Kurdes n’ayant d’autre option que d’appeler l’armée syrienne à se déployer dans des zones qui étaient jusqu’alors sous leur contrôle exclusif, comme Tal Rifaat, Manbij, Kobané et Ain Issa…

C’est  dans ce contexte que le président turc a retrouvé le 5 août son homologue russe à Sotchi, une rencontre à la fin de laquelle la déclaration commune a fait état d’un «renforcement des échanges commerciaux» entre les deux pays (AFP). Moins d’une semaine après, le 11, le ministre turc des Affaires étrangères a révélé avoir rencontré son homologue syrien à Belgrade en octobre durant le Sommet du Mouvement des non-alignés. Puis il a appelé à «réconcilier l'opposition et le régime en Syrie» afin de sceller une «paix durable» (Middle-East Eye). Cette déclaration a littéralement mis le feu dès le lendemain à tous les territoires syriens contrôlés par l’opposition ou l’armée turque et ses supplétifs syriens, à Idlib, Azaz, Al-Bab ou même Afrin… Dans près de 30 lieux différents, des dizaines de milliers de Syriens ont défilé, décrochant ou brûlant les drapeaux turcs. À Azaz, les manifestants ont attaqué le bureau turc de la Sécurité. Au poste-frontière de Jerablus, les militaires turcs ont dû tirer en l'air pour tenter d'éloigner les manifestants du point de passage (OSDH).

Devant ce tollé, le ministère a publié une mise au point évitant le terme de «réconciliation» et réaffirmant «le plein soutien de la Turquie à l'opposition»… (AFP) Mais les allusions à une réconciliation se sont poursuivies. Le 16, le député AKP Hayati Yazıcı a laissé entendre que «le niveau [du contact] diplomatique pourrait augmenter». Le 19, M. Erdoğan a déclaré à son retour d’Ukraine: «Pour nous, il ne s'agit pas de vaincre ou de ne pas vaincre Assad», ajoutant que maintenir les canaux de dialogue ouverts avec le gouvernement syrien était «nécessaire» (Al-Monitor).

Un rapprochement Ankara-Damas est une menace directe pour l’AANES, mais pour se concrétiser, il faut qu’Ankara accepte l’idée de retirer ses troupes du sol syrien… Le projet de «Zone de sécurité» turque sur le territoire syrien semble incompatible avec une réconciliation. C’est probablement pourquoi le 19, M. Erdoğan a également déclaré que la Turquie n’avait «pas de vues sur le territoire de la Syrie». Il a aussi appelé à «renforcer» la coordination avec Moscou dans le nord syrien pour lutter contre le «terrorisme» (AFP) – un mot désignant pour Erdoğan d’abord les Kurdes de Syrie…

Mais tous ces mouvements diplomatiques se sont paradoxalement accompagnées d’une intensification des attaques turques contre les Kurdes, mais aussi contre les troupes syriennes, à présent fréquemment déployées dans les mêmes zones. Le message d’Ankara est clair, l’armée du régime doit cesser d’apporter aux Kurdes un soutien indirect par sa présence: la condition au rapprochement effectif est la lutte commune contre les Kurdes (Al-Monitor).

En réponse à l’escalade turque, les FDS ont parfois pris des cibles du côté turc de la frontière. Le 8, elles ont revendiqué 3 attaques sur la province turque de Mardin ayant tué 23 soldats turcs. Malgré les nombreux échanges de tirs antérieurs, c’est la première fois que les FDS revendiquent de telles attaques. Le 18, elles ont revendiqué la mort de 6 autres soldats près d’un poste-frontière à Şanlıurfa. La Turquie a répliqué en bombardant… une base militaire syrienne près de Kobanê.

Il est intéressant de noter que ces évolutions diplomatiques ont eu un impact sur les patrouilles conjointes turco-russes menées régulièrement dans le Nord syrien depuis le cessez-le-feu de novembre 2019, montrant à quel point les relations sont volatiles entre les forces en présence. Si le 1er août, la 108e d’entre elles a bien eu lieu, parcourant plusieurs villages à l’ouest de Kobanê, celle prévue le 11 dans la région de Derbasiya (Hassaké) a été annulée par la Turquie, de même que la celle du 18. C’est seulement le 22 que s’est tenue près de Kobanê la 109e patrouille conjointe, durant laquelle les 2 hélicoptères russes qui y participaient ont dû tirer du gaz lacrymogène et des balles vers des habitants d’un des villages traversés qui bloquaient le passage des véhicules militaires pour exprimer leur rejet de la présence turque. Deux patrouilles conjointes se sont ensuite tenues normalement les 25 à Derbasiya et le 29 à Kobanê, mais le 31, les forces turques et leurs supplétifs syriens ont ouvert le feu sur une patrouille russe alors qu’elle traversait un village à l’est d’Ain-Issa, forçant celle-ci à se retirer pour éviter un engagement plus important.

Durant août, l’armée turque a encore intensifié son harcèlement de toutes les zones frontalières et parfois au-delà. Le 10, l’OSDH livrait le bilan suivant de la première semaine du mois, décomptant du 3 au 9 août 8 attaques de drones sur des véhicules, des positions militaires mais aussi un marché près d’Hassaké, pour un total de 9 morts, dont 2 enfants et 7 combattants des FDS, et 7 blessés. À cette date, l’OSDH avait compté depuis le début de l’année 50 attaques turques ayant fait 3 morts civils, dont 2 enfants, et 37 combattants, avec plus de 77 blessés plus ou moins graves.

Le 8, l’OSDH a parlé d’«accord [turco-russe] non déclaré» en décrivant le retrait turc de 2 bases de la région de Tel Abyad (Raqqa). Après avoir lancé plusieurs obus sur les bases vides (!), les Russes ont avancé sur les zones évacuées…

L’armée turque a lancé de nombreux tirs d’artillerie sur le Nord de la province d’Alep, provoquant des pertes civiles. Une femme blessée le 26 juillet est morte de ses blessures le 1er août à Tell Rifaat, où le 4, des enfants ont été blessés par un drone turc. Le 2, les mortiers turcs ont visé des positions du Conseil militaire de Manbij et de l’armée du régime dans plusieurs villages près de la ville. De nouveaux bombardements d’artillerie turque le 12 ont provoqué en riposte des tirs de missiles sur un véhicule militaire de supplétifs syriens. Le 16, l’OSDH a rapporté de violents affrontements turco-kurdes à l’ouest de Kobanê, où «l'escalade militaire turque» a provoqué «un important déplacement de population». Un véhicule militaire des FDS aurait également été visé par un drone turc, et 5 soldats turcs ont été tués par des roquettes des FDS. À noter que la ville de Kobanê abrite une base militaire russe (l’ancienne base américaine…). Le même jour, une frappe aérienne turque a fait 19 tués ou blessés près d’une base militaire du régime à Tal Jariqli, à l’ouest de Kobanê, sans que l’OSDH puisse indiquer dans l’immédiat s’il s’agissait seulement de soldats syriens ou aussi  de civils. Les FDS ont indiqué dans un communiqué que «des avions militaires turcs» avaient mené «12 frappes aériennes contre des positions de l'armée syrienne déployées sur la bande frontalière à l'ouest de Kobané» (AFP). L’armée turque a aussi tiré plus de 30 obus de mortier sur des villages contrôlés par les Kurdes près d’Afrin.

Le 24, une attaque de drone turc sur le marché de Tel Rifaat, non loin du QG de la Sécurité militaire du régime, a fait 2 morts et 9 blessés civils. Inversement, le 19, à al-Bab, ville sous contrôle turc, les tirs d'artillerie des forces prorégime sur un marché avaient fait 15 morts civils, dont des enfants et 40 blessés. Le porte-parole des FDS, Farhad Shami, avait assuré que ses forces n'avaient «rien à voir» avec cette frappe (AFP).

Les militaires turcs ont également poursuivi leur pression sur la région d’Hassaké, et en particulier l’autoroute M4 et la ville chrétienne de Tel Tamr, où bombardements d’artillerie et attaques de drone se sont succédées. Le 3, un drone a tué un membre du Conseil militaire de Tel Tamr. Le 8, c’est un point de contrôle du régime qui a été visé sur une route au nord d’Hassaké. D’autres frappes le 9 ont de nouveau visé Tel Tamr, tuant un civil à son domicile. Le 12, d’autres bombardements turcs sur des villages proches ont tué 2 membres du Conseil militaire de la ville et fait 2 blessés, un lieutenant et un soldat du régime. Parallèlement, l’armée turque a amené des renforts sur la ligne de front. Le 17, une frappe de drone a blessé un membre du Conseil militaire de Tel Tamr…

Une des frappes turques a particulièrement ému les observateurs. Le 18, un drone turc avait attaqué un poste militaire des FDS dans la province de Hassaké, à 45 km à l’intérieur du territoire syrien, y faisant 2 morts et 3 blessés. Le site visé se trouve près de la base d'Istrahat Wazir où sont stationnées des forces de la coalition internationale, sur la route Hassaké – Tel Tamr. Le lendemain, une nouvelle frappe de drone dans la même zone, sur un centre de formation de jeunes filles parrainé par l'ONU, a tué 4 mineures et a fait 11 autres blessés. Les jeunes victimes, originellement recrutées par Al-Shabiba Al-Thawriyah («Jeunesse révolutionnaire») pour devenir des combattantes, avaient été transférées dans ce centre par les FDS en vue d’un retour dans leurs familles, en application de l’accord contre le recrutement de mineurs passé avec les Nations Unies. Elles ont été tuées alors qu’elles jouaient au volley-ball… (OSDH)

La ville et la région de Qamishli ont également été frappées. Le 6, un drone a tué 4 personnes dont 2 enfants dans une zone résidentielle de cette ville. Le drone a notamment visé des personnes qui creusaient des tranchées près d'un hôpital. Le 9, des positions de l’armée de Damas et près de 25 villages et villes de la campagne de Qamishili ont été bombardés. Le 10, un civil se trouvant devant sa maison dans un village près de Qamishli a été la victime collatérale d’une attaque de drone turc visant un véhicule des FDS. Le commandant et le combattant à bord ont été tués (OSDH). Le 11, un civil et 2 membres des FDS ont été tués dans leur véhicule par une frappe de drone à Qamishli (Rûdaw).

Les gendarmes turcs (jandarma) qui gardent la frontière continuent à se signaler par leurs exactions. Depuis le début de l’année, ils avaient déjà déjà tué 13 civils dont 3 enfants, faisant aussi 20 blessés. Ces chiffres ont encore augmenté ce mois-ci : près de Kobanê, l’un de leurs véhicules blindés a abattu le 4 un civil qui travaillait dans son champ; le 14 à Hassaké, ils ont ouvert le feu sur un groupe tentant de passer en Turquie, tuant 1 civil et en blessant 3 autres; le 23, ils ont battu un autre civil au Nord d’Alep. Par ailleurs, le 15, ils ont échangé des tirs avec les Forces démocratiques syriennes (FDS) près de Derbassiya.

Les factions syriennes pro-turques poursuivent leurs exactions dans les territoires sous occupation turque, et en particulier à Afrin. Notamment, les arrestations pour des charges fabriquées en vue d’obtenir des rançons des familles sont toujours aussi courantes.

Le 2, le soi-disant tribunal criminel installé par l’occupation et ses milices a condamné à mort un jeune père de famille arrêté chez lui en avril dernier pour avoir «résisté» aux forces turques et à leurs supplétifs au cours de l’invasion d’Afrin. Il avait alors accompli son service militaire obligatoire dans les rangs des YPG. Plusieurs autres membres de la même famille ont été condamnés à des peines de prison allant de 3 à 13 ans. L’épouse du condamné a reçu 12 ans.

Le 3, l’OSDH a publié un bilan accablant des violations systématiques commises durant juillet par les factions soutenues par la Turquie dans le district d’Afrin. L’ONG a compté 68 enlèvements et arrestations arbitraires pour rançon, 47 violations des droits humains, accompagnées de combats fratricides, notant en particulier la mort de 10 personnes. Les violations concernent la vente de 20 maisons spoliées et de 2 parcelles agricoles et l’extorsion de «taxes» illégales pour le passage de marchandises, le travail agricole ou la construction de maisons, tout devenant prétexte à rackett.  Certains civils résistant à l’abattage de leurs arbres fruitiers ou oliviers ou refusant de payer les «taxes» ont été violemment battus. Enfin, le saccage de sites archéologiques classés s’est poursuivi. L’OSDH a renouvelé à cette occasion son appel déjà maintes fois lancé à la communauté internationale à intervenir.

Les abattages illégaux d’arbres par les miliciens se sont poursuivis tout le mois, si nombreux qu’il est impossible de tous les rapporter. Les arbres ainsi perdus se comptent par milliers. Les miliciens ont aussi continué à vendre à bas prix des maisons ou des appartements volés à des déplacés ou confisqués de force. Parfois, des disputes entre factions rivales pour les profits du pillage ont mené à de véritables affrontements, comme dans le district de Shiran le 6.

Plusieurs incidents caractéristiques de l’état de désordre qui règne dans cette zone ont été rapportés ce mois-ci. Par exemple, des membres de la «police militaire» ayant tenté d’arrêter des membres de factions ont dû y renoncer après avoir été attaqués et battus. Un activiste déplacé de la région de Damas avait demandé une enquête sur 3 commandants de Jaish Al-Islam, concernant leurs relations troubles avec la Sécurité du régime, et des viols qu’ils avaient commis dans leurs zones de contrôle… Arrêté le 10 mai dernier, il a été condamné le 22 août par le «Tribunal militaire» d’Afrin à un an de prison et une amende de 2.000 livres turques pour «diffamation, menace de meurtre, atteinte au sentiment religieux et insulte à l'Armée nationale». Clairement, les mercenaires d’Ankara sont fréquemment de simples criminels de droit commun…

Autre exemple des violences sans fin dont souffrent ces territoires, la tribu Al-Mowali a battu le rappel de tous ses membres après qu’une section de l’«Armée Nationale» appuyée par la Police militaire a tenté de prendre le contrôle du village de Kokan. Les villageois ont sévèrement battu les attaquants, détruit leurs véhicules et les ont désarmés. L’OSDH a rapporté de violents échanges à l’arme automatique au village le 27. Le différend a débuté avec la tentative d’arrestation (non réussie) d’un membre de la tribu.

L’AANES continue à tenter de gérer au mieux les camps d’Al-Hol et de Roj, où se trouvent toujours des dizaines de milliers de djihadistes ou de leurs proches. Il s’agit de libérer ceux qui peuvent l’être, de transférer vers leur pays d’origine ceux qui doivent y être jugés, et d’assurer la sécurité des camps en y réprimant les cellules de Daech qui s’y livrent à de nombreux assassinats. Le 12, près de 700 Irakiens, 620 proches de combattants, hommes, femmes et enfants, et 50 chefs ou combattants, ont ainsi été transférés d’Al-Hol dans leur pays en coordination avec les autorités irakiennes (AFP). Le 26, les forces de sécurité kurdes ont lancé dans le camp une opération de plusieurs jours qui a permis d’arrêter 48 personnes soupçonnées de plusieurs attaques terroristes (Rûdaw).

Le même jour en France, des avocats ont publié un communiqué où ils demandent le rapatriement d’urgence pour raison sanitaire de plusieurs personnes détenues à Roj. En cause notamment l’état de santé alarmant d’un enfant mineur atteint d’une maladie cardiaque, et celui d’une mère de 2 enfants hospitalisée après un AVC. Les soussignés se disent «sidérés» par l’absence de réponse du ministère des  Affaires étrangères aux nombreux courriers qu’ils lui ont adressés. Le 5 juillet, 16 femmes et 35 mineurs avaient été ramenés en France, un événement marquant un infléchissement de la position française, jusqu’alors très hostile à un rapatriement, mais à l’évidence, il y a encore des ressortissants français dans les camps syriens. Interrogé par l’AFP, le ministère a indiqué que, chaque fois que ce serait possible, ils seraient rapatriés. Selon Reuters, au moins 44 personnes, dont 14 femmes, ont été tuées cette année dans le camp d'al-Hol.

Le conflit entre les USA et l’Iran déborde aussi en Syrie. Le 24, le Commandement central américain (Centcom) a annoncé avoir mené la veille dans la province de Deir Ezzor des frappes aériennes contre des stockages de munition appartenant à des milices pro-iraniennes responsables d’attaques lancées le 15 contre des troupes américaines. Le communiqué indique: «Les États-Unis ne cherchent pas le conflit avec l'Iran, mais nous continuerons à prendre les mesures nécessaires pour protéger et défendre notre peuple». Le 26, les milices pro-iraniennes ayant tenté de répliquer en attaquant les sites de Conoco et de Green Village, l'armée américaine les a frappés avant qu'ils ne puissent lancer leurs roquettes, faisant 4 morts dans leurs rangs.

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TURQUIE: LE POUVOIR POURSUIT SON DISCOURS DE HAINE POUR DIVISER LA SOCIÉTÉ À SON PROFIT

Une remarque moqueuse faite par la chanteuse pop Gulsen en avril dernier à ses musiciens durant un concert lui a valu l’arrestation le 25 août. Elle s’était pourtant excusée sur Twitter d’avoir traité  de «pervers» les diplômés des écoles de formation des imams et prédicateurs islamiques(Imam Hatip). Mais l’artiste, connue pour son soutien aux LGBT (elle avait notamment déployé la bannière arc-en-ciel sur scène), était déjà particulièrement mal vue des musulmans conservateurs formant la base électorale de l’AKP. Gulsen est maintenant accusée d’«incitation à la haine et à l'hostilité» (Al-Monitor).

Cette affaire consternante illustre ce à quoi il faut s’attendre jusqu’aux élections parlementaires et présidentielles prévues le 18 juin: confronté à la pire situation économique depuis son arrivée au pouvoir et à une forte baisse de popularité, M. Erdoğan compte sur la polarisation à outrance de la société pour se maintenir au pouvoir. La chanteuse Gulsen était un moyen tout désigné pour attiser les sentiments anti-laïques.  Les réfugiés syriens sont stigmatisés comme des profiteurs volant le travail des Turcs, subissent de plus en plus d’agressions. Les Kurdes  qui ne font pas allégeance à Erdogan sont des ennemis d’intérieur alliés du terrorisme. Enfin, la crise économique que connait actuellement le pays ne peut être due qu’aux pays occidentaux, qui complotent la ruine de la Turquie…

Rien ne dit pourtant que ces manœuvres suffiront à assurer la reconduction au pouvoir du président turc et de ses alliés d’extrême-droite du MHP, alors que la situation économique ne donne aucun signe d’amélioration, bien au contraire.. Le 3 août, la Banque centrale turque a relevé le taux d’inflation prévisionnel pour la fin de l’année de 42,8% à 60,4%, puis le 20 août, les prévisions de l’inflation annuelle pour juillet ont bondi à 79%. Cela n’a pourtant pas empêché la Banque centrale turque, suivant la théorie du Président selon laquelle «l’augmentation des taux d’intérêt provoque l’inflation», de baisser de nouveau ses taux, une politique économique unique au monde.

Alors que la défense de la monnaie et l’occupation du Nord syrien, qui coûte 2 milliards de dollars par mois, vident les caisses de l’État, le recours choisi semble être la Russie, au risque de sanctions occidentales. Après sa rencontre avec Vladimir Poutine à Sotchi le 5, M. Erdoğan a annoncé l’adoption par cinq banques turques du système de paiement russe Mir. Quant au pétrole russe, dont la Turquie a doublé les achats depuis janvier, (Wall Street Journal) il sera maintenant payé en roubles.

Selon le Washington Post, citant des sources anonymes de renseignement ukrainiennes, le président russe aurait aussi demandé à son homologue turc d’aider la Russie à contourner les sanctions occidentales. Le moyen: l’ouverture par les grandes banques russes placées sous sanctions de comptes correspondants dans des banques d’État turques, et des prises de participation russes dans des raffineries, des terminaux et des réservoirs pétroliers turcs. Ceci permettrait à la Russie de dissimuler ses exportations. S’il est peu probable que M. Erdoğan accepte de se prêter à un tel blanchiment, qui exposerait certainement Ankara à des sanctions américaines, un montage un peu plus sophistiqué utilisant un pays tiers comme couverture pourrait être utilisé. Après tout, rappelle Al-Monitor, qui rapporte l’information, la Turquie a démontré avec l’affaire Halkbank aux États-Unis son expertise en contournement de sanctions contre l’Iran!

Rappelons que jusqu’à présent, Ankara demeure le seul pays membre de l’OTAN à n’avoir imposé aucune sanction à Moscou, ce qui lui a permis de bénéficier d’un flux continu d’argent russe particulièrement salvateur dans ses présentes difficultés. Il ne s’agit pas seulement de fonds publics. Les oligarques, non contents de mouiller leurs yachts en Turquie, y mettent aussi leur argent à l’abri. La Turquie est aussi devenue le pays de transit privilégié pour la Russie, qu’il s’agisse de transport routier, ferroviaire, aérien ou maritime… Par ailleurs, dans le cadre du chantier de la future centrale nucléaire de Mersin, confié à Rosatom, l’entreprise russe (non sanctionnée) a envoyé à sa filiale turque 5 milliards de dollars, dont une partie a été temporairement placée en obligations en dollars du ministère turc des Finances, un cadeau aux réserves de change turques… (Le Monde) Enfin, durant le premier semestre 2022, des ressortissants russes ont ouvert en Turquie 500 entreprises, plus du double du score de tout 2021…  (Wall Street Journal).

Ce renforcement des liens économiques turco-russes inquiète évidemment l’Occident. Le 22, le Trésor américain a averti par écrit deux grandes associations d'entreprises turques, dont la TUSIAD (45.000 membres), que les compagnies qui entreraient en relations avec des entreprises russes sanctionnées s’exposeraient elles-mêmes à des sanctions. Ces avertissements n’ont guère découragé les patrons turcs, d’autant plus que le ministre turc des Finances, Nureddin Nebati, a qualifié toutes préoccupations à ce propos de «dénuées de sens» (Reuters).

Quant à l’Europe, il est probable qu’elle évitera des critiques trop directes d’Ankara, qui conserve la main sur l’adhésion à l’OTAN de la Suède et de la Finlande, tout en jouant via le gazoduc TurkStream le rôle de corridor de transit vers l’Europe d’une partie du gaz russe («Les consommateurs européens devraient être reconnaissants envers la Turquie pour ce flux ininterrompu de gaz naturel» avait déclaré Poutine à Sotchi).

En attendant, l’incessant travail de sape et de polarisation de la société distillé par le pouvoir AKP-MHP continue à produire ses effets délétères dans le pays. Le 30 juillet, 4 lieux de culte alévis (cemevi) d’Ankara (5 selon le Stockholm Centre for Freedom - SCF) avaient subi en pleine cérémonie des attaques ayant blessé une femme au couteau. Le 2 août, le parti «pro-kurde» HDP a condamné ces attaques, accusant les discours anti-alévis du pouvoir d’en être la cause  Les différents lieux de prière ont été frappés à la suite les uns des autres entre 13h30 et 15h40. La police a arrêté un unique suspect, mais l’avocat des institutions touchées, Hüsniye Şimşek, a remis en cause cette théorie, déclarant que les vidéos et les descriptions des témoins permettaient de distinguer plusieurs perpétrateurs et que les attaques, menées par un groupe, avaient par conséquent dû être «organisées et préparées à l’avance». Le 5 une nouvelle attaque a visé le responsable d’une cemevi d’Istanbul, Selami Saritas. Deux hommes à moto l’ont arrêté alors qu’il était dans sa voiture pour lui demander leur chemin, mais dès qu’il a baissé la vitre de sa voiture, ils l’ont insulté et ont tenté de le frapper. Selon un rapport de 2020 de la Freedom of Belief Initiative, plus de la moitié des crimes de haine perpétrés en Turquie cette année-là ont visé des alévis (SCF).

Anxieux de ne pas perdre les votes de toute une communauté, qui selon différentes estimations représenterait de 15 à 25% de la population, M. Erdoğan s’est suite aux attaques rendu le 8 au Huseyin Gazi Cemevi, sa première visite d’un temple alévi depuis son élection comme président. La date n’était pas choisie au hasard, puisqu’elle correspond à la fête chiite de l’Achoura, célébrée par les alévis. Cependant certains membres de la communauté ont refusé d’être présents, déclarant que la visite était un «show» politique. Parallèlement, le ministère de l’Intérieur a accusé des attaques un groupe d’extrême-gauche, le THKP-C, qui a nié toute implication (Al-Monitor).

Comme déjà mentionné, les Kurdes sont également pris pour cibles par le pouvoir, qui exerce notamment une répression implacable sur le parti progressiste HDP (Parti démocratique des peuples) souvent caractérisé comme «prokurde» par les médias occidentaux, mais qui encourt aussi la colère du pouvoir par sa défense des nombreuses «minorités» du pays.

Le 6, le HDP a tenu à Diyarbakir un grand meeting dénonçant les guerres antikurdes du gouvernement, en Turquie même, mais aussi en Syrie et en Irak. Un second rassemblement sur le même thème a pris place le lendemain à Istanbul. Les autorités ont tenté d’empêcher ces meetings en lançant une vague d’arrestations préventives, notamment à Istanbul (12 personnes arrêtées) et à Antalya (4 personnes) (WKI). Les deux rassemblements ont cependant pu se tenir, en présence des co-présidents du HDP, Pervin Buldan et Mithat Sancar. À Istanbul, le co-porte-parole du Congrès démocratique des Peuples (HDK), Cengiz Çiçek, a notamment déclaré: «Ceux qui se présentent comme des ambassadeurs de la paix dans la guerre Ukraine-Russie imposent la guerre au peuple kurde dans tous les lieux géographiques» (HDP).

Alors que des milliers de responsables, députés et simples membres du parti sont toujours emprisonnés sous des accusations de terrorisme, y compris ses anciens coprésidents Selahattin Demirtaş et Figen Yuksekdağ, et que nombre de ses élus municipaux ont été démis et remplacés par des administrateurs pro-AKP (kayyım), la répression se poursuit. Le jour même du rassemblement de Diyarbakir, l’avocat de la détenue Aysel Tugluk, Serdar Celebi, a annoncé que la justice avait ordonné son maintien en détention, malgré sa démence. Cette ancienne vice-présidente du HDP a été condamnée en 2018 à 10 ans d’emprisonnement pour «appartenance à une organisation terroriste» en raison de ses activités au sein du «Congrès pour une société démocratique» (DTK). Pourtant, «les juges ont vu de leur propres yeux que Mme Tugluk ne comprenait pas les questions qui lui étaient posées et n'était pas capable de présenter une défense». Ils n’en ont pas moins refusé son transfert vers un hôpital.

Le 12, c’est la Cour constitutionnelle qui a à son tour rejeté la demande de libération de Tugluk. Elle a cependant ordonné une mesure d'urgence pour que la détenue puisse recevoir un traitement et bénéficier régulièrement de consultations de neurologie et de psychiatrie dans un hôpital (AFP).

Parallèlement, le coprésident du HDP, Mithat Sancar, a rencontré le Parti démocratique du Kurdistan de Turquie (KDP-T), pour discuter la possibilité d’une «Alliance démocratique» pour les élections de 2023. Celle-ci pourrait rassembler avec le HDP d’autres partis kurdes et de gauche.

L’opposition «principale» à la coalition AKP-MHP, dirigée par les kémalistes du CHP, et qui inclut également le parti d’extrême-droite İYİ, issu d’une scission du MHP, prend soin de conserver ses distances avec le HDP. Pourtant, elle sait que le vote HDP détient en partie la clé du résultat des prochaines élections: le maire CHP d’Istanbul doit ainsi sa victoire sur le candidat AKP aux dernières municipales au fait que le HDP s’est abstenu de présenter un candidat contre lui… C’est ainsi que le leader du CHP, Kemal Kilicdaroğlu, s’est rendu en début de mois, accompagné de son épouse Selvi, qui est kurdophone, dans le village de Roboski, où l’armée de l’air turque avait fait 34 victimes civiles en 2011. Il a rencontré des proches de celles-ci, leur promettant justice (Al-Monitor). Mais les Kurdes connaissent bien les offensives de charme de ce genre, dont ils sont régulièrement les cibles avant les élections. Ils ont été à l’école de l’AKP et savent bien qu’après les élections, elles laissent place à un renouvellement de la répression…

L’opposition a de nouveau montré son peu de volonté de se coordonner avec la mouvance progressiste et kurde lorsqu’elle s’est réunie pour la 6e fois le 21 à Ankara pour discuter de la désignation d’un candidat unique à la prochaine présidentielle… en excluant de cette réunion le HDP. À l’issue de cette rencontre, les dirigeants de l’opposition ont annoncé leur volonté d’opposer à M. Erdoğan un candidat unique dont l’identité sera annoncée après une nouvelle réunion le 2 octobre.

Cette stratégie d’exclusion n’est pas sans risques, comme le montre un incident qui s’est produit fin juillet au parlement: en l’absence du HDP, l’opposition n’a pas réussi à atteindre le quorum nécessaire à la tenue d'une session consacrée à la «violence contre les travailleurs de la santé». Le HDP n’avait pas reçu d’invitation de l’opposition, qui s’est bornée à lancer un appel général à l’adhésion des blocs d'opposition…

Après le succès des grands meetings organisés par le HDP à Diyarbakir et Istanbul, le pouvoir a poursuivi sa répression de ce parti. La police a mené de nombreux raids aux domiciles de membres et de dirigeants et arrêté 8 personnes à Mersin, 20 à Adana, 4 à Van, 2 à Diyarbakir, et 15 à Izmir et Manisa, tandis que le procureur général de Hatay lançait une procédure pénale contre plusieurs Kurdes pour avoir scandé des slogans pro-kurdes en 2015… Le HDP n’a pas pour autant abandonné la lutte contre la politique militariste du pouvoir AKP. Le 15, son groupe parlementaire a dans une lettre ouverte au Président du parlement demandé l’ouverture d’une enquête sur les violations des droits humains commises en Syrie dans les territoires sous occupation turque par la soi-disant «Armée nationale» (WKI). Le texte commence par rappeler «l'extorsion, la torture, le pillage, le harcèlement, le viol et les exécutions extrajudiciaires» commis par ces groupes armés et couverts «depuis longtemps» dans «la presse internationale et les rapports des ONG», ainsi que «le rapport de la Commission internationale indépendante de recherche sur la Syrie affiliée au Conseil des droits de l'homme des Nations Unies». La lettre accuse également le gouvernement d’avoir depuis 10 ans «quasiment ignoré les crimes commis par ces réseaux criminels et observés par le monde entier». Rappelant comment «le gouvernement AKP a utilisé les groupes armés dérivés d’Al-Qaïda, dont certains avaient également des activités conjointes avec [Daech]», le texte réclame une enquête parlementaire sur «les actions de ces groupes» afin de «révéler comment ils sont protégés et avec quelles ressources ils sont soutenus financièrement et logistiquement» (HDP).

La dernière semaine du mois, la police a de nouveau procédé à des arrestations, notamment 6 personnes à Ankara, pour des posts critiques du gouvernement sur les réseaux sociaux. À Urfa, le père d'une victime de Roboski a été arrêté sans mandat.

Au-delà du champ politique, c’est toujours le simple fait d’être kurde et d’oser exprimer son appartenance publiquement qui provoque la répression. Sur ce plan, le pouvoir AKP est maintenant totalement en phase avec la discrimination institutionnelle antikurde pratiquée depuis sa création et de manière quasiment continue par la République de Turquie. Dans le domaine culturel, c’est la soprano kurde de renommée mondiale Pervin Chakar qui vient d’en être victime. L’université de Mardin, sa ville natale, a décidé d'annuler le concert qu’elle devait y donner parce qu'elle avait inclus un morceau en langue kurde dans le programme. Chakar, qui a déjà chanté à la Scala de Milan, à Vienne, et encore tout récemment à Paris, a déclaré le 10 dans un entretien avec Al-Monitor, le premier qu'elle a accordé depuis qu'elle a rendu son histoire publique, qu’elle n'avait pas été «surprise» mais plutôt «attristée» par la décision de l'université. De nombreux artistes kurdes ont rencontré récemment ce genre de problème, comme Aynur Dogan, Mem Ararat, et même des groupes kurdes se produisant durant des mariages privés ont été inquiétés… Concernant Chakar, Abdurrahman Kurt, un ancien député AKP membre du Conseil exécutif du parti, insiste sur le fait que la suppression des concerts kurdes n'est pas une politique gouvernementale et qu'il s’est personnellement opposé à ces mesures. Chakar a reconnu que Kurt avait essayé d'inverser la décision de l'université d'Artuklu, mais sans succès. Il semble que dans ce cas, le recteur de l’université, lui-même kurde, ait agi de peur de perdre son poste, ce qui en dit long sur l’ambiance régnante.

Comme plusieurs cas du même genre l’avaient déjà montré, la discrimination et le mépris antikurdes s’étendent même aux morts. Le barreau de Diyarbakir a porté plainte ce mois-ci auprès du Conseil des juges et des procureurs (HSK) contre un procureur qui a restitué à deux familles les ossements de leur enfant tué dans des combats avec l’armée turque dans une boîte ou un sac en plastique. Cette pratique, qui viole les normes internationales de respect et de protection des morts, se répète depuis les années 90. Ainsi un père a témoigné pour l’agence Mezopotamya avoir reçu dans un sac les ossements de son fils de 12 ans, 20 ans après son arrestation à Mardin en 1995, alors qu’il s’attendait à recevoir ses restes dans un cercueil. Le barreau a notamment déclaré: «Le droit national et international indique en détail comment ces livraisons doivent être effectuées, en respectant la mémoire de la personne et en protégeant le droit d’être enterré. Ce traitement envers le défunt constitue le crime de torture et de mauvais traitements. Cette pratique viole les normes de respect et de protection des morts et le droit à une sépulture décente» (Kurdistan au Féminin).

Enfin, la région de Mardin a été endeuillée le 20 au matin par 4 très graves accidents routiers en cascade qui ont fait de nombreux morts. Il y a eu 2 groupes de 2 accidents liés entre eux. Le premier s'est produit sur l'autoroute entre Gaziantep et Nizip, lorsqu'un bus de passagers est entré en collision avec des équipes de secours qui travaillaient sur les lieux d’un accident antérieur tuant 16 personnes et en blessant 22 autres. L'agence de presse turque Ilhas a déclaré que deux de ses journalistes avaient été tués après s'être arrêtés pour aider les victimes du premier accident (Al-Jazeera). Quelques heures plus tard, à 150 kilomètres de là, à l'ouest de Derik (province de Mardin), un camion dont les freins ne fonctionnaient plus a quitté la route et s'est écrasé sur une passerelle très fréquentée, tuant au moins 19 personnes et en blessant 26 autres. Là encore, l'accident s'est produit alors que du personnel médical s'occupait déjà sur place d'un accident précédent entre un semi-remorque et deux autres véhicules (Express [USA]). C’est donc au total au moins 35 morts que l’on déplore dans ces multiples accidents.

Cette tragédie a provoqué la colère du public et de l'opposition quant aux normes de sécurité des compagnies de fret. Le co-président du HDP, Mithat Sancar, a mis en cause le gouvernement, appelant les responsables, et particulièrement le ministre de l’Intérieur, à démissionner. Pour contenir la réaction du public, les autorités ont interdit aux médias de couvrir l’accident de Mardin, mais ont autorisé les journalistes à écrire sur celui de Gaziantep… (WKI)

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IRAN: TOUJOURS PAS D’ACCORD NUCLÉAIRE, NOUVEAU DURCISSEMENT RÉPRESSIF, CAMPAGNE ANTI-BAHA’I

La rhétorique officielle iranienne s’est brusquement durcie à propos des objectifs du programme nucléaire du pays. Jusqu’à présent, la communication officielle répétait à l’envi que celui-ci visait exclusivement un usage civil. Le Guide suprême, l'ayatollah Ali Khamenei, n’avait-il pas émis en 2005 une fatwa contre les armes nucléaires? Mais le 17 juillet, Kamal Kharazi, un des conseillers de ce même Guide, a laissé entendre que l’Iran avait la capacité de fabriquer une arme nucléaire, mais que la décision n'avait pas encore été prise. Le 29 juillet, une vidéo publiée sur une chaîne Telegram des Gardiens de la révolution (pasdaran) a demandé: «Quand la bombe nucléaire endormie de l'Iran se réveillera-t-elle?», et le 1er août, le chef de l'organisation iranienne de l'énergie atomique, Mohammad Eslami, a de nouveau mentionné la question (Farda).

Il se peut que ces déclarations visent à accroître la pression sur les Occidentaux pour obtenir de meilleures conditions dans un nouvel accord. Mais elles reflètent bien une réalité: le chef de l'AIEA, Rafael Grossi, a averti le 2 que le programme iranien «avance très, très rapidement» et «gagne en ambition et en capacité» (Reuters). Ces déclarations coïncident aussi avec un rapprochement irano-russe, en partie motivé par les sanctions occidentales frappant ces deux pays, qui inquiète les Occidentaux. Le 9 de ce mois, la Russie a procédé avec succès depuis le Kazakhstan au lancement du satellite de renseignement iranien Khayyam. Cet événement remet sur le devant de la scène un programme spatial iranien quelque peu oublié, et qui, s’inquiètent les États-Unis, accroît régulièrement les capacités iraniennes en matière de missiles balistiques… De manière plus terre à terre, Téhéran vient de conclure avec Gazprom un protocole d'accord de 40 milliards de dollars aux termes duquel la société russe doit remettre en état les infrastructures énergétiques iraniennes (L’Express).

Entre temps, le 4, les pourparlers indirects Iran-États-Unis ont repris à Vienne, avec une rencontre entre le négociateur en chef iranien, Ali Bagheri Kani, et l’émissaire spécial de l’Union européenne, Enrique Mora, qui joue les médiateurs entre Washington et Téhéran. Pour ce premier rendez-vous depuis 11 mois, aucune des parties en présence, Washington, Téhéran ou Bruxelles, ne se montre très optimiste sur les chances de succès. Si Kani a indiqué qu’il appartenait à Washington de faire des concessions, le porte-parole du conseil de sécurité nationale de la Maison blanche, John Kirby, a déclaré de son côté: «Nous n'allons pas attendre éternellement que l'Iran accepte l'accord»… (Reuters)

Quelques jours après cette rencontre, l’Union européenne a soumis ce qu’elle a présenté comme «le texte définitif», non négociable, en avertissant qu’il n’y avait que «quelques semaines» pour conclure. Si Washington a indiqué être prêt à signer en l’état, Téhéran a refusé de bloquer le contenu, avant d’envoyer sa réponse le 15. L’UE a indiqué le 17 être en train d’étudier celle-ci, et les États-Unis ont déclaré qu'ils informeraient l’UE de leur point de vue sur la réponse iranienne en privé. Des bruits de couloir laissaient entendre que le message iranien avait été considéré comme «constructif», sans optimisme excessif. Le 24, des responsables américains anonymes ont déclaré que l'Iran avait abandonné certaines de ses exigences – mais les responsables iraniens semblent avoir contredit ces affirmations (Farda). Cependant, après la réponse américaine, selon les termes de Al-Monitor, «le ping-pong s’est poursuivi». Il semble que Téhéran insiste comme condition essentielle sur la fermeture de l’enquête de l’AIEA sur ses activités non-déclarées, mais les détails des discussions en cours n’ont pas été rendus publics… En fin de mois, aucun accord n’avait encore été annoncé. Lueur d’espoir, chacun des deux camps sait à quel point les conséquences d’un échec seraient désastreuses pour lui…

Autre facteur de tension avec l’Iran, l’attaque contre l’écrivain Salman Rushdie le 12 au Canada, poignardé lors d’une conférence. Rushdie est visé depuis 1989 par une fatwa de l’ayatollah Khomeini le condamnant à mort, jamais levée. Si Téhéran a nié toute implication dans l’attaque, à laquelle l’écrivain a survécu, la presse conservatrice iranienne a débordé de satisfaction, en particulier le quotidien Keyhan, dont le rédacteur en chef est nommé directement par le Guide suprême. Celui-ci avait justement déclaré en 2017 que la condamnation était toujours valide… Par ailleurs, Téhéran n’a jamais hésité à frapper ses dissidents ou ennemis hors de ses frontières, comme ne le savent que trop bien les partis kurdes d’opposition… Ainsi le 10, le ministère américain de la Justice a dévoilé des accusations criminelles contre Shahram Poursafi, membre des pasdaran, accusé d’avoir tenté d'orchestrer une tentative d'assassinat contre l'ancien conseiller à la sécurité nationale John Bolton, et ce n’est qu’un des dossiers récents liés au terrorisme d’état de iranien… (New York Times).

La République islamique, dès sa création, a mené à l’étranger la campagne d'assassinats, d'enlèvements et d'intimidation à l’étranger qui se poursuit toujours aujourd’hui. Ainsi le 16, une cour d'appel d’Erbil, au Kurdistan d’Irak, a confirmé la condamnation à mort de 3 hommes reconnus coupables du meurtre en mars 2018 d'un commandant peshmerga du Parti démocratique du Kurdistan d'Iran (PDK-I) nommé Qadir Qadiri. Deux autres accusés ont été condamnés à 5 ans d’emprisonnement. Le tribunal a également jugé que le cas de Qadiri ressortait du terrorisme. L’assassinat avait été orchestré par l’Iran…

À l’intérieur du pays, le pouvoir, confronté à une résistance croissante de la société, répond en accroissant ses tentatives de contrôle social et sa répression. Ceux concernant le domaine culturel se sont durcis dernièrement, avec l’interdiction de dizaines de concerts et d’événements ces dernières semaines. Au début du mois, la militante des droits humains Maryam Karimbeigi a été condamnée à plus de 3 ans de prison pour avoir assisté à un concert d'un chanteur iranien populaire en Turquie. Quelques jours auparavant, des agents de sécurité avaient interrompu un concert de musique à Téhéran alors que les musiciens étaient déjà sur scène. Ce nouveau durcissement est concomitant à celui concernant les vêtements féminins, avec la mise en application en juillet d’une nouvelle loi sur le hijab (qui doit maintenant aussi couvrir les épaules) et une plus grande sévérité à cet égard (HRANA).

L’intimidation, ou le gouvernement par la terreur, est clairement un objectif du pouvoir. On a ainsi appris le 3 que les autorités avaient procédé le 27 juillet à l’amputation des doigts d’un prisonnier convaincu de vol, à l’aide de la machine à lame rotative dernièrement installée dans la prison d’Evin (Téhéran). Selon Amnesty International, qui parle d’une «punition indiciblement cruelle», Pouya Torabi n’a pas reçu d’anesthésique avant l’opération. Au moins 8 autres prisonniers risquent de subir cette peine barbare (HRANA).

L’Iran s’est également signalé à l’attention de la communauté internationale début août pour sa campagne de répression contre la minorité religieuse des Baha’is. Leur persécution et les discriminations contre eux n’ont jamais réellement stoppé au fil des ans, mais elles ont pris ce mois-ci un caractère systématique alarmant, avec de nouvelles arrestations et des destructions d’habitations. Bani Dugal, la représentante aux Nations unies de la Communauté internationale bahai’e, a déclaré que l'Iran avait arrêté 52 baha’is en juillet, fait des descentes dans des dizaines de maisons, fermé des commerces et démoli des propriétés. Les autorités ont accusé les personnes incarcérées d'être des espions en lien avec Israël. Pour ne donner qu’un exemple, le 2, environ 200 agents de la Sécurité et du Renseignement ont mené une véritable opération militaire contre le petit village baha’i de Roshankouh (Mazanderan). Après avoir bloqué les routes d’accès, ils ont tiré des coups de feu en l'air et pulvérisé du gaz poivre sur les villageois, avant d’attaquer au bulldozer 6 demeures et des terres agricoles. Les téléphones portables de habitants ont été confisqués pour les empêcher de diffuser l’information sur le raid. Quelques jours avant, 3 chefs de la communauté et 13 membres avaient été arrêtés dans tout l’Iran. Par ailleurs, les baha’is se voient toujours refuser sous des prétextes fallacieux l’inscription à l’université. Fin août, HRANA (Human Rights Activists News Agency) en avait identifié 64 à avoir été victimes de ce refus pour «dossier incomplet». Concernant Roshankouh, le procureur local, qui est un mollah, a défendu l’opération comme concernant «la protection de l’environnement», sur lequel auraient empiété les maisons détruites (New York Times). Le 10, un groupe de 70 activistes iraniens, universitaire ou artistes, en Iran et à l’étranger, ont condamné ces persécutions dans un texte commun. Parmi les signataires de la déclaration figurent la lauréate du prix Nobel de la paix Shirin Ebadi et l'ancienne prisonnière politique Atena Daemi (Farda). Le 22, les experts des droits humains de l’ONU ont exhorté les autorités iraniennes à mettre fin «à la persécution et au harcèlement des minorités religieuses et à cesser d'utiliser la religion pour restreindre l'exercice des droits fondamentaux».

Au Kurdistan, les assassinats de porteurs transfrontaliers (kolbars) par les forces de sécurité se sont poursuivis. Le 2, le KHRN a indiqué qu’en juillet, ceux-ci avaient connu au moins 2 morts, abattus par les garde-frontières, et 30 blessés, dont 10 dans des chutes ou sur des mines alors qu’ils fuyaient l’attaque. L’organisation Hengaw a quant à elle fait état de 3 morts et de 34 blessés, avec 24 cas de tirs directs ayant fait 3 morts et 21 blessés. Il faut rappeler que ces porteurs ne sont quasiment jamais armés et ne constituent donc aucun danger pour les forces frontalières, qui les abattent pourtant systématiquement à vue.

Le 3, HRANA a indiqué que la police avait tué 2 enfants près de Khorramabad le 31 juillet en tirant sur un véhicule près d’un point de contrôle. Les jeunes victimes sont deux frères de 9 et 13 ans; les parents, eux-même grièvement blessés, ont été transférés vers un lieu inconnu. Selon une source informée, la police a tiré sur le véhicule sans sommation préalable. D’après le rapport annuel de HRANA, en 2021, 242 citoyens ont été la cible de tirs incontrôlés des forces militaires du régime, dont 94 ont été tués. Par ailleurs, les gardes-frontières ont tué un porteur kurde près de Salas-e Babajani le 12 et en ont blessé quatre autres à Baneh et Nowsud. La 3e semaine du mois, un autre kolbar a été tué et 12 autres blessés près de Baneh, tandis que 2 autres étaient blessés par des mines dans la même région. Finalement, en fin de mois, 2 autres kolbars ont été abattus près de Baneh, tandis qu’une mine datant de la guerre Iran-Irak tuait un homme de 70 ans près de Gilanegharb (WKI).

Par ailleurs, des arrestations ont eu lieu au Kurdistan d’Iran tout le mois. Le 4, le ministère du Renseignement a affirmé avoir arrêté dix «terroristes» appartenant à Daech et qui planifiaient des attaques contre les célébrations religieuses chiites de l’Achoura. Selon le communiqué, les personnes arrêtées venaient d’Irak et de Turquie. Ces arrestations font suite à d’autres faites en juillet de plusieurs membres d’un parti kurde d’opposition, accusés d’espionnage et de préparation d’attentats au profit d’Israël. Le ministère a d’ailleurs accusé Israël d’utiliser les «takfiris» (djihadistes) pour frapper l’Iran (AFP). Le parti kurde iranien Komala avait déjà accusé fin juillet le Renseignement de répandre de fausses informations après que 4 de ses peshmergas, arrêtés mi-juillet près d’Ouroumieh, ont été accusés d’entretenir des liens avec le Mossad, les services secrets israéliens. Le parti avait accusé les autorités de chercher à utiliser cette propagande comme prétexte pour accroître la répression au Kurdistan. Début août, 9 organisations kurdes de défense des droits humains ont porté la même accusation, demandant aux autorités de révéler le sort de ces 4 prisonniers, qui ont été après leur arrestation mis au secret (WKI).

Au même moment, un tribunal a condamné un militant syndical kurde, Rebwar Abdullahi, à deux ans de prison pour appartenance à un parti kurde interdit. Les forces de sécurité ont aussi arrêté deux militants, Shadi Dargahai et Logman Grami, à Marivan (WKI).

Le 2, le KHRN a publié son bilan pour juillet des violations des droits humains dont ont été victimes les Kurdes d’Iran. En plus des assassinats de kolbars, dont nous avons déjà parlé, l’ONG recense 8 exécutions, dont celles de 6 prisonniers condamnés pour meurtre avec préméditation et 2 pour des délits liés à la drogue. En fait, le nombre est probablement supérieur, les autorités gardant secrètes un grand nombre d’exécutions. Par ailleurs, au moins 49 personnes ont été arrêtées et incarcérées, dont les 4 peshmergas du Komala dont il a déjà été question, et 3 personnes ont été condamnées à des peines de prison allant de 2 à 5 ans. Enfin, le 29 juillet, la police a tué près d’Ahvaz, au Khouzistan, un jeune homme de 20 ans originaire de Kamyaran (province du Kurdistan). Selon l'organisation Hengaw, depuis l’arrivée au pouvoir d’Ebrahim Raïssi, ce sont 600 Kurdes qui ont été arrêtés, et 64 exécutés, dont les prisonniers politiques Haider Qurbai et Fairoz Musaloo.

La première semaine d’août, les forces de sécurité ont arrêté plusieurs activistes: 2 à Oshnavieh, 2 à Marivan, et 1 à Sanandaj. La semaine suivante, 5 autres personnes ont été arrêtées à Oshnavieh, tandis que des affrontements armés opposaient près de Saqqez les pasdaran à un groupe affilié au PDKI, les «Aigles du Zagros», obligeant les autorités à fermer la route Saqqez-Marivan. Au même moment, un groupe non identifié a attaqué un poste de l’armée iranienne près d’Ouroumieh. Selon Hengaw, une importante force militaire a été déployée le long de la frontière irakienne d’Oshnavieh à Piranshahr (WKI). Le 16, les forces de sécurité ont arrêté sans montrer de mandat 5 autres personnes dans le village de Geok Tepe (Mahabad), avant de les mettre au secret (HRANA). Trois autres arrestations ont pris place à Miandoab, tandis qu’un tribunal pénal d'Ouroumieh condamnait un Kurde de Turquie nommé Mohammed Pirdal à 16 ans de prison pour appartenance au PKK (WKI). le 24 août, 5 habitants de Sanandaj ont été condamnés chacun à 4 ans de prison pour «propagande contre le régime, collaboration avec l'un des partis anti-régime et formation de groupes illégaux». Le lendemain, un résident de Shahin-Dej a été arrêté et transféré à Miandoab. D’autres arrestations ont eu lieu le 30 à Oshnavieh et Mahabad. À Sanandaj, l’Etelaat (Renseignement) a averti la femme activiste Arazo Amjadi de s’abstenir de participer à des événements ou à des activités sociales (HRANA). 

Les conditions économiques continuent à provoquer des protestations. Le 25, les camionneurs travaillant pour les compagnies minières de Qorveh (Kurdistan) se sont mis en grève pour demander une meilleure rémunération pour leur fret. À Ouroumieh, un certain nombre de chauffeurs ont protesté le 28 devant la mairie contre le non-paiement de leurs 3 derniers mois de salaire. Par ailleurs, les 4 membres de l’Association des enseignants du Kurdistan arrêtés à Divandarreh le 15 juin après les manifestations des professeurs sont toujours incarcérés sans accès à un avocat ni visites de leurs familles. Malgré les demandes répétées de celles-ci, les autorités leur refusent la libération conditionnelle. Ils sont loin d’être les seuls enseignants kurdes emprisonnés (HRANA).

Enfin, le 24, on a appris que l’activiste Sa'ada Khadirzadeh avait tenté le 18 de se pendre avec son écharpe dans la prison d'Ouroumieh. Selon des sources non vérifiées, avant sa tentative de suicide, elle a également essayé de tuer son enfant en bas âge avec des pilules. Arrêtée en octobre dernier à Piranshahr, elle avait accouché à l’hôpital d'Ouroumieh en juin dernier. La raison de son arrestation et les charges retenues contre elle sont toujours inconnues. Elle et son enfant sont toujours sous traitement à l’infirmerie de la prison.

Concernant le mouvement national kurde en Iran, la nouvelle la plus importante de cette période est sans conteste l’annonce de la réunification des deux branches du Parti Démocratique du Kurdistan d’Iran (PDKI), séparées depuis 16 ans. Le 21 du mois, ces deux partis, le PDKI et le KDP-I, exilés au Kurdistan d’Irak, ont annoncé que leurs négociations avaient permis d’aboutir à une réunification. Créé en 1945 et ayant joué un rôle important durant la période de la République kurde de Mahabad, le PDKI a été interdit en Iran après la Révolution islamique en tant qu’organisation terroriste (AFP). Pour commémorer leur réunification, les deux partis ont organisé une cérémonie à laquelle ont assisté les dirigeants du KDP-I et du PDKI, Mustafa Hijri et Khalid Azizi, dont il a été convenu qu’ils dirigeraient le parti de manière conjointe, l’un comme dirigeant intérimaire, l’autre comme porte-parole, jusqu’au prochain congrès, programmé courant 2023. Les partis politiques kurdes du Kurdistan iranien et d'ailleurs ont accueilli cette nouvelle avec satisfaction. Le parti Komala, lui aussi séparé en 2 composantes depuis une scission, est également en cours de discussions pour parvenir à se réunifier, et au-delà, former un front uni contre le régime iranien avec d'autres partis kurdes en exil.

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NOUVELLES ADHÉSIONS À L’OTAN: LA TURQUIE POURSUIT SES PRESSIONS

Le 2 août, le parlement français a ratifié l'adhésion à l’OTAN de la Suède et de la Finlande. Les députés ont adopté le texte par 209 voix contre 46 avec le soutien de LR (droite), du Parti socialiste (PS) et des écologistes, l'abstention du RN (extrême-droite) et le vote contre de La France Insoumise. La France rejoint ainsi selon la ministre française des Affaires étrangères Catherine Colonna «vingt alliés» qui «ont déjà ratifié les protocoles». Le lendemain, c’est l’Italie qui a à son tour ratifié les mêmes protocoles. Le 4, le Sénat américain, seul habilité à ratifier les accords internationaux, a approuvé cette résolution lors d'un vote à une très large majorité, avec les élus des deux partis (95 voix pour, 1 contre). Le 9, le Président américain Joe Biden a paraphé la ratification, lui donnant ainsi force de décision définitive. Suède et Finlande ont besoin d'une ratification des 30 États membres de l'organisation pour bénéficier en cas d'attaque de la protection de l'article 5 de sa Charte, qui prévoit une riposte commune en cas d'attaque contre l'un de ses membres.

L'adhésion à l'Otan de la Suède et de la Finlande n'est pourtant pas encore acquise. En effet, la Turquie menace toujours de geler le processus. Après la signature fin juin d’un mémorandum tripartite, Ankara  avait envoyé aux deux pays des demandes d'extradition pour 33 personnes, la plupart considérées comme «terroristes» par Ankara. Mais au 18 août, ces demandes n’avaient toujours pas reçu de réponse, en particulier celles concernant des personnes accusées d’appartenir au réseau guléniste. Le ministre turc de la justice s’est déclaré déçu par l’annonce de l’extradition d’un unique ressortissant turc accusé d’escroquerie: «S’ils pensent pouvoir faire croire à la Turquie qu'ils ont tenu leurs promesses en extradant des criminels de droit commun, ils se trompent», a déclaré Bekir Bozdağ au quotidien Milliyet (AFP).

La Turquie a donc repris contre la Suède et la Finlande (mais plus particulièrement contre Stockholm), ses accusations de bienveillance envers le PKK et ses alliés, qu'Ankara considère eux-aussi comme des organisations terroristes. Une réunion hébergée par la Finlande le 19 avec la Suède et la Turquie n’a pas permis de débloquer la situation, non plus qu’une seconde session le 26 août. La Finlande et la Suède «ont réitéré leur engagement, consigné dans le mémorandum trilatéral, à faire preuve d’une solidarité et d’une coopération totales avec la Turquie dans la lutte contre toutes les formes et manifestations de terrorisme», indique un communiqué turc. Ils ont promis une nouvelle fois d’examiner le cas de suspects accusés d’avoir participé à la tentative de coup d’État de 2016, tout comme celui de militants kurdes. Le ministère finlandais des Affaires étrangères a indiqué qu’une nouvelle rencontre tripartite se tiendrait à l’automne… Le Secrétaire général de l’OTAN, Jens Stoltenberg, avait indiqué en juin que Suède et Finlande devraient prévoir «la poursuite de la modification de leur législation nationale, la répression des activités du PKK et la conclusion d’un accord d’extradition avec la Turquie» (Affaires internationales).

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PROCES DES «BEATLES» DE DAECH: DEUX CONDAMNATIONS À PERPÉTUITÉ

Le 10 août au soir, Aine Leslie Davis, Britannique de 38 ans et membre présumé du groupe de Daech surnommé les «Beatles» en raison de leur accent britannique, cellule spécialisée dans la capture, la torture et l'exécution d'otages occidentaux, a été interpellé à l'aéroport londonien de Luton, où il arrivait après son expulsion de Turquie. Il a été présenté à la justice dès le lendemain. Condamné en Turquie en 2015 à 7 ans et demi de prison pour des infractions terroristes, il avait été expulsé à la fin de sa peine.

Les quatre membres de ce groupe sont accusés d'avoir enlevé au moins 27 journalistes et travailleurs humanitaires originaires des États-Unis, du Royaume-Uni, d'Europe, de Nouvelle-Zélande, de Russie et du Japon. Ils sont aussi soupçonnés d'avoir torturé et tué, notamment par décapitation, les journalistes américains James Foley et Steven Sotloff, ainsi que des travailleurs humanitaires comme Peter Kassig.

Le 19, un autre membre de ce groupe, El Shafee el-Sheikh, 34 ans, a été condamné à la perpétuité par un tribunal américain. En fait, il a reçu 8 condamnations à perpétuité simultanées pour son rôle dans l’assassinat des journalistes James Foley et Steven Sotloff ainsi que les travailleurs humanitaires Peter Kassig et Kayla Mueller. Arrêté en 2018 par les Forces démocratiques syriennes (kurdes) en même temps qu'un autre membre présumé des «Beatles», Alexanda Kotey, il avait été avec celui-ci remis aux forces américaines en Irak. Les 2 hommes avaient été envoyés aux Etats-Unis en 2020 pour y être jugés. Alexanda Kotey a plaidé coupable en septembre 2021, et a déjà été condamné à la prison à vie en avril dernier par le même juge qui vient de condamner el-Sheikh.

Le membre plus connu de ce groupe, Mohammed Emwazi, alias «Jihadi John», a été tué par un drone américain en Syrie en 2015.

Le procès d’el-Sheikh a permis de dévoiler les atrocités infligées par le groupe à ses prisonniers, dix anciens otages européens et syriens ayant apporté leur témoignage à ce propos. Elles comprennent des simulations de noyade, des chocs électriques ou des simulacres d'exécution.

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