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Bulletin N° 444 | Mars 2022

 

ROJAVA : HARCÈLEMENT ET EXACTIONS TURCS SE POURSUIVENT, L’ADMINISTRATION AUTONOME APPELLE DE NOUVEAU AU RAPATRIEMENT DES DJIHADISTES PRISONNIERS

Pour la première fois depuis des mois, des affrontements ont opposé le 1er mars des soldats du régime de Damas et des combattants des Forces démocratiques syriennes (FDS), faisant 2 morts dans chaque camp. Les derniers accrochages s’étaient produits dans des villes administrées par l’Administration Autonome du Nord-Est Syrien (AANES), dominée par les Kurdes du PYD, où le régime conserve le contrôle de certains quartiers, comme Qamishli ou Hassakeh. Rien de tel dans les nouveaux affrontements, semble-t-il, qui ont pris place selon l’Observatoire Syrien des Droits de l’Homme (OSDH) dans la banlieue de la ville chrétienne de Tell Tamr. Selon l’agence officielle syrienne SANA, les combats ont débuté quand les soldats d’un point de contrôle ont refusé le passage à des combattants des FDS accompagnés de militaires américains. Lors de l’attaque turque de 2019, pour empêcher les militaires d’Ankara d’avancer encore plus, l’AANES avait accepté l’entrée sur son territoire de troupes du régime et de leurs alliés russes, tandis que les États-Unis sont présents aux côtés des FDS dans le cadre de la coalition anti-Daech…

On peut se demander si cet incident ne reflète pas la prise d’assurance des militaires de Damas alors qu’à l’international, et notamment sur la scène diplomatique arabe, Bachar Al-Assad est en train de passer progressivement du statut de paria à celui de dirigeant à nouveau légitime… Symbole de cette réhabilitation, en sa première visite dans un pays arabe depuis le déclenchement de la révolution syrienne en 2011, le maître de Damas a ainsi été reçu «fraternellement» le 18, par le prince héritier d’Abou Dhabi, Mohammed Ben Zayed («MBZ»). Le porte-parole du département d’État, Ned Price, a regretté cette visite, déclarant: «Nous exhortons les États envisageant un rapprochement avec le régime Assad de réfléchir attentivement aux atrocités commises par ce régime contre les Syriens au cours de la dernière décennie». À Abou Dhabi, «MBZ» et Assad ont insisté sur «la préservation de l’intégrité territoriale de la Syrie et le retrait des forces étrangères», une allusion à peine déguisée à l’AANES et aux militaires américains – même si les Émirats s’inquiètent surtout de la présence iranienne dans le pays… (Le Monde).

Le 15 mars, à l’occasion du 11e anniversaire du soulèvement, le Conseil démocratique syrien, aile politique des FDS, a publié une déclaration dénonçant le régime Assad pour les «meurtres, déplacements et destructions» qui ont embrasé le pays depuis et l’accusant d’avoir «rejeté toutes les initiatives de dialogue interne visant à trouver une solution» (WKI).

Par ailleurs, autres forces étrangères présentes sur le sol syrien, les militaires turcs ont poursuivi ce mois-ci leur incessant harcèlement des territoires administrés par l’AANES. Deux accords de cessez-le-feu conclus séparément par Ankara avec les États-Unis et la Russie en octobre 2019 étaient pourtant sensés mettre fin à ces agressions… Début mars, des tirs d’artillerie lancés depuis la zone sous contrôle turc «Bouclier de l’Euphrate» ont visé des villages du nord de la province d’Alep où sont déployés des combattants kurdes et des soldats du régime. Le 5, des échanges de tirs turco-kurdes à l’arme lourde ont pris place près d’Azaz, sans faire de victimes. Le 11, à Al-Hesha, près d’Ain-Issa (nord de Raqqa), 3 enfants de 10 à 15 ans ont été grièvement blessés par des roquettes turques. Le village avait déjà été touché mi-janvier lorsqu’une station d’épuration d’eau avait été visée. Le 16, la soi-disant «Armée nationale syrienne», des mercenaires d’Ankara, a bombardé plusieurs villages près de Tell Tamr, au nord d’Hassaké,  tandis qu’un drone turc attaquait un véhicule militaire près de Houshan (Est d’Ain Issa), faisant des dégâts matériels. La même zone d’Houshan a également été visée par l’artillerie turque. Le 18 mars, des sources fiables ont indiqué à l’OSDH que les bombardements des Turcs et de leurs supplétifs avaient endommagé le réseau électrique près de Tell Tamr, provoquant des coupures d’électricité.

Le 23, l’armée turque a dû intervenir pour mettre fin aux affrontements meurtriers qui opposaient depuis près d’une semaine plusieurs factions de l’«Armée Nationale Syrienne» à Ras Al-Ain/Serê Kaniyê et sa région… Ces conflits internes récurrents portent sur la répartition du pillage des villages kurdes et des profits de la contrebande (carburant ou denrées alimentaires, voire personnes) vers et depuis la Turquie. Le même jour, l’OSDH a rapporté des combats entre FDS et factions syriennes au nord d’Ain Issa, dont la région proche de l’autoroute stratégique M4 a été de nouveau ciblée par l’artillerie le 25 et jusqu’à la fin du mois, sans que des pertes soient signalées.

Par ailleurs, les factions djihadistes qui contrôlent la région d’Afrin pour le compte d’Ankara y poursuivent leurs crimes de guerre. Ils enlèvent des civils contre rançon, se livrent à la contrebande, parfois au trafic de drogue, arrêtent arbitrairement des résidents pour «relations avec l’ancienne administration», une autre manière d’obtenir une rançon, attaquent physiquement, torturent ou assassinent… Même les sites archéologiques enregistrés auprès du ministère syrien de la Culture sont leurs proies, comme celui de Zontry, près de Sharran, aux alentours de la ville d’Afrin, ou ceux de Basarqah ou de Khazyan (Ma’batli), où ils ont amené des engins de chantier pour trouver des objets qu’il puissent revendre, détruisant ainsi totalement les différents niveaux archéologiques. Ils continuent aussi à abattre les oliviers et les arbres fruitiers qui faisaient la richesse et la beauté de cette région…

Sans  pouvoir énumérer toutes les exactions commises ce mois-ci, rapportées notamment sur le site de l’OSDH, nous en mentionnons quelques-unes. Le 19, la «police militaire», accompagnée de membres des services de renseignement turcs, a arrêté chez eux deux civils d’Afrin, sans que les charges contre eux soient indiquées. Au village de Jiman (Shiran), les membres d’une faction djihadiste ont enlevé une jeune fille de 18 ans et réclamé à ses parents une rançon de 20.000 US$. Le père avait déjà été enlevé six mois plus tôt. Le 21, un civil entrant à Afrin a été arrêté à un point de contrôle pour «participation à la fête de Newrouz». Le 25, deux autres personnes ont été arrêtées à Afrin pour «relations avec l’ancienne administration» (OSDH). Le 28, malheureusement, une nouvelle preuve du mépris des occupants pour la vie humaine a été donnée par un événement dramatique, lorsqu’«un groupe de mercenaires nommé al-Hamazat, appartenant aux forces d'occupation turques, a ouvert le feu à la mitrailleuse sur une école dans le village de Mirkan, dans [la région occupée d’]Afrin» (Agence HawarANHA). Les djihadistes recherchaient un enseignant de cette école qui avait puni l’enfant de l’un d’entre eux, et étaient furieux de ne pas l’y avoir trouvé (Rûdaw). Le 29, l’OSDH a rapporté qu’une petite fille déplacée avait été tuée près d’Afrin par un véhicule blindé turc qui ne s’était même pas arrêté après l’avoir renversée. Un autre véhicule des occupants a de même  poursuivi son chemin sans s’arrêter après avoir blessé près d’Azaz 3 civils dans leur propre véhicule (OSDH).

La chaîne d’info kurde d’Irak Rûdaw et l’OSDH ont tous deux rendu compte des exactions subies par le secteur d’Afrin en quatre ans d’occupation dans plusieurs articles dont on trouvera plus bas la traduction française. Le bilan s’établit à près de 650 morts, 7.500 enlèvements et 2.300 autres violations à l’encontre des résidents, dont 1.300 sont toujours emprisonnés…

Le 18, triste quatrième anniversaire de la chute d’Afrin aux mains des Turcs et de leurs mercenaires djihadistes, des milliers de Kurdes se sont rassemblés pour protester contre l’invasion et l’occupation turques de la région. À Afrin même, plusieurs tenanciers de commerces ont défié les occupants en baissant le rideau.  Le commandant général des FDS, Mazloum Abdi, a dénoncé le silence de la communauté internationale, à laquelle il a reproché d'ignorer ses «responsabilités envers le peuple d'Afrin», ajoutant: «Mettre fin à l'occupation turque et faciliter le retour dans leurs foyers et sur leurs terres en toute sécurité des habitants d'Afrin est notre cause et notre responsabilité» (WKI).

Par ailleurs, les djihadistes de Daech restent toujours actifs… Le 6, les Asayish (Sécurité kurde) du camp de Al-Hol, près d’Hassaké, ont déjoué un plan pour faire évader des femmes de membres de l’organisation qui y sont détenues. Ils ont réussi à arrêter les djihadistes à proximité du camp. Ces derniers s’étaient coordonnés avec les cellules djihadistes toujours actives dans le désert syrien. Le même soir, quatre tentes du camp ont brûlé. Selon la Sécurité, il s’agissait d’une tentative pour assassiner une femme du camp qui travaille avec des organisations humanitaires qui y sont présentes (OSDH). Le 19, toujours à Al-Hol, les FDS et les Asayish ont annoncé avoir arrêté dans le camp plusieurs membres de Daech dans le cadre d’une importante opération de sécurité. Le nombre exact d’arrestations n’a pas été indiqué. L’opération a été déclenchée après que deux femmes se sont échappées la veille. Malgré les nombreux appels des autorités kurdes et des États-Unis aux pays d’origine pour qu’ils rapatrient leurs ressortissants internés dans les camps administrés par l’AANES, les départs se font au compte-gouttes. Le 16, quatre ressortissants suédois ont quitté Al-Hol (Rûdaw).

Le 23, à l'occasion du troisième anniversaire de la défaite militaire de Daech dans son dernier réduit du village de Baghouz, les FDS ont mis en garde pour la n-ième fois la communauté internationale contre les conséquences de son «inaction» face aux tentatives de résurgence des djihadistes: «L'inaction de la communauté internationale, le fait que certains pays ont tourné le dos à ce dossier [...] constitue une opportunité donnée à l'EI pour se renforcer»… La massive et meurtrière attaque contre la prison de Hassaké lancée fin janvier par des centaines de membres du groupe terroriste aurait dû inciter les pays occidentaux à réagir et à rapatrier leurs ressortissants. Ils gardent le silence  et ils ne répondent  pas non plus aux demandes des autorités kurdes de mettre en place un tribunal international pour juger les djihadistes détenus en Syrie… (AFP)

Enfin, une explosion d’origine encore inconnue a fait au moins 5 victimes et 10 blessés le matin du 30 dans le district de Shehba. C’est un immeuble qui a explosé à Ehdas (Kurdistan au Féminin).

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KURDISTAN D’IRAK : APRÈS LES FRAPPES IRANIENNES SUR ERBIL, LE PREMIER MINISTRE DÉNONCE DES ATTAQUES CONTRE LE SECTEUR PÉTROLIER DU KURDISTAN

Le mois de mars a été marqué au Kurdistan irakien par la frappe de sa capitale, Erbil, par douze missiles balistiques tirés le 13 depuis l’Iran voisin. Les missiles, qui ont frappé des zones proches du consulat américain, n’ont fait que des dégâts matériels.

La chaîne de télévision locale Kurdistan-24, dont les studios se trouvent non loin de nouveaux locaux du consulat américain, a publié sur les réseaux sociaux des images de ses bureaux endommagés, avec des pans effondrés du faux plafond et du verre brisé. Le Premier ministre du Kurdistan Masrour Barzani a indiqué dans un communiqué: «Nous condamnons cette attaque terroriste lancée contre plusieurs secteurs d'Erbil, et nous appelons les habitants à garder le calme». Ces tirs contre Erbil interviennent près d'une semaine après la mort en Syrie de deux hauts gradés des Gardiens de la Révolution (pasdaran), tués dans une attaque imputée à Israël, et pour laquelle les pasdaran avaient promis de «faire payer le régime sioniste» (AFP). Cette attaque intervient juste après que les négociations sur le nucléaire iranien, proches de l’aboutissement, ont été interrompues le 11, en raison de nouvelles exigences russes intervenant suite à la guerre déclenchée en Ukraine.

Les pasdaran iraniens ont rapidement revendiqué ces frappes, affirmant avoir ciblé un «centre stratégique» israélien en riposte à de «récents crimes du régime sioniste» , et menaçant Israël de nouvelles ripostes «destructrices». Les missiles visaient en fait la résidence de Baz Karim Barzinji, chef du groupe KAR, la plus importante entreprise énergétique de la région du Kurdistan. Elle a été frappée au moins par 4 d’entre eux.

Le Premier ministre du Kurdistan a dénoncé l’attaque dans un communiqué au ton ferme: «La lâche attaque d'Erbil du 13 mars 2022, prétendument sous le prétexte de frapper une base israélienne près du consulat américain à Erbil, a visé des lieux civils et sa justification ne sert qu'à cacher le caractère honteux d'un tel crime». Le gouverneur d’Erbil, Omid Khochnaw, a nié toute présence d’Israël dans la Région, qualifiant les allégations de Téhéran de «sans fondement». Le Département d’État américain a lui aussi condamné l’attaque comme une «violation scandaleuse de la souveraineté de l'Irak», a exprimé son soutien au gouvernement du Kurdistan et  appelé l’Iran à «mettre fin à son ingérence dans les affaires intérieures de l'Irak». Le ministère irakien des Affaires étrangères, dénonçant «la violation flagrante de la souveraineté» de l'Irak, a convoqué l’ambassadeur d’Iran à Bagdad, Iraj Masjedi, pour lui communiquer les protestations du gouvernement. La France et l’Union Européenne ont également condamné l’attaque.

Le Conseiller à la sécurité nationale des États-Unis, Jake Sullivan, a indiqué sur la chaîne CBS que les États-Unis pourraient fournir à l'Irak et à la Région du Kurdistan des «capacités de défense antimissile afin qu’ils puissent se défendre dans leurs villes». Le Département d’État américain a par ailleurs indiqué à la chaîne kurde Rûdaw que selon lui, le consulat américain n’était pas l’objectif visé.

En fort contraste des condamnations internationales, en Iran, le quotidien ultraconservateur Kayhan a célébré en «Une» la «gifle aux sionistes», reprenant la justification officielle: «deux centres israéliens ont été anéantis à Erbil».

Le 14, le Premier ministre irakien Mustafa al-Kadhimi et plusieurs responsables kurdes ont visité le site de l'attaque, tandis qu’à Téhéran, le porte-parole du ministère iranien des Affaires étrangères, Saïd Khatibzadeh, avertissait lors de sa conférence de presse hebdomadaire que l’Iran ne tolérerait pas «la présence près de ses frontières d'un centre de sabotage, de complot et d'expédition de groupes terroristes» visant la République islamique. L’ambassadeur iranien à Bagdad a promis de nouvelles attaques sur Erbil si «trois autres centres du Mossad [services secrets israéliens] n'étaient pas fermés».

Après un appel téléphonique de Moqtada Sadr au chef du PDK, Massoud Barzani, le parlement de Bagdad a créé une commission d’enquête sur l’attaque. Le 17, Rebar Ahmed, le ministre de l'Intérieur du Gouvernement Régional du Kurdistan (GRK), a présenté devant le parlement irakien réuni en session spéciale un rapport sur l’attaque et a demandé «une enquête complète» par l’Irak, les États arabes et la communauté internationale «avec la participation de l'Iran» (WKI). Le 20 au matin, la commission d’enquête parlementaire a visité le site des frappes sous la conduite du conseiller irakien à la sécurité Qasim al-Araji (Rûdaw).

Le 29, le Premier ministre de la Région du Kurdistan, Masrour Barzani, a déclaré depuis Dubaï, où il était venu participer au «Forum global sur l’énergie» (Global Energy Forum), puis au «Sommet mondial Gouvernement 2022» (World Summit Government 2022), que l’attaque visait à saper le développement du secteur énergétique du Kurdistan d’Irak, alors que la situation de guerre en Ukraine risque justement de provoquer des pénuries dans ce secteur. Il a ajouté: «Il n'y a pas que par des roquettes qu’on tente de nous arrêter, on manipule aussi les institutions», faisant allusion à la récente décision de la Cour Suprême irakienne d’invalider la loi sur le pétrole et le gaz du GRK (Kurdistan-24).

À ce propos, la décision de la Cour Suprême de Bagdad, qui déclare illégaux tous les contrats passés par le Kurdistan avec des firmes étrangères, a eu une conséquence inattendue. Elle invalide théoriquement aussi celui par lequel le pétrole «fédéral» de Kirkouk, soit 100.000 barils/jour, est exporté vers la Turquie par la SOMO, l’organisation nationale irakienne pour la commercialisation du pétrole! Le pétrole passe en effet par l’oléoduc traversant le Kurdistan, lequel appartient à 60% à l’entreprise russe Rosneft… Pour février, selon les chiffres SOMO, ce sont près de 1,5 millions de barils qui ont ainsi utilisé cet oléoduc pour arriver au terminal de Ceyhan, apportant, pour un prix moyen de US$ 96,93 par baril, 143 millions d’US$ au pays…

Le 30, le département du Trésor américain a annoncé l’imposition rapide de sanctions contre l’Iran pour l’attaque de missiles sur Erbil, ainsi que celle des Houthis du Yémen, soutenus par Téhéran, sur un site Aramco en Arabie Saoudite (Kurdistan-24).

Par ailleurs, l’Irak est toujours à la recherche de son prochain gouvernement – et d’abord de son prochain président, qui seul peut désigner un Premier ministre...

Le 1er mars, la Cour suprême irakienne a rejeté la demande du Président du parlement Mohammed al-Halbousi, de rouvrir l'enregistrement de plusieurs candidats à la présidence, argumentant que la Constitution n’accorde pas ce pouvoir au Président du parlement. Mais elle a par contre indiqué qu’une prolongation pouvait être votée par le Parlement. Le 5, la coalition rassemblée autour de Moqtada Sadr, Sayrûn-Taqaddum-PDK  a pu ainsi obtenir une prolongation de trois jours. Le PDK et l’UPK s’opposent toujours sur leur candidat respectif à la présidence, l’UPK espérant la réélection de Barham Salih, le PDK lui opposant Rebar Ahmed, à présent aussi soutenu par Sadr. Par ailleurs, si la «coalition Sadr» souhaite reconduire Mustafa al-Qadhimi comme Premier ministre, le groupe des partis pro-iraniens favoriserait Haidar al-Abadi (WKI). Le 23, cependant, l’alliance a choisi un cousin et beau-frère de Sadr, Jaafar, actuel ambassadeur d’Irak au Royaume-Uni, pour le poste de Premier ministre. Fils du vénéré leader chiite Sayed Mohammed Baqir al-Sadr, Jaafar a été décrit comme modéré et sans affiliation politique (Rûdaw).

En milieu de mois, le parlement a fixé au 26 la session devant désigner le Président irakien. Sadr a appelé tous les députés à y prendre part, particulièrement ceux qui ne sont membres ni de sa coalition, ni du groupe pro-iranien. Le Parlement a publié une liste finale de 40 candidats pour le poste. Cependant, le 26, le vote a dû être annulé faute du quorum requis des deux-tiers (219 présents), avec seulement 202 présents sur 329.  C’est la deuxième annulation; la première tentative le 7 février avait déjà dû être annulée car largement boycottée dans le contexte de l’invalidation par la Cour Suprême de la candidature de Hoshyar Zebari… (Al-Monitor) Pour la session suivante, fixée au 30, le score était encore pire: 178 présents sur 329 seulement. Comme lors des deux précédentes séances, les représentants des partis chiites pro-iraniens du «Cadre de coordination» étaient absents. Cette fois-ci, l’Assemblée a ajourné sa séance sans même proposer de nouvelle date. Pourtant, selon la Cour fédérale, les députés ont jusqu'au 6 avril pour élire le Président. Au-delà de cette date, la Constitution est muette (Le Figaro)…

Par ailleurs, alors que leurs leaders participent aux négociations de désignation du futur gouvernement du pays, les Kurdes continuent à être confrontés à de nombreuses discriminations dans les territoires dont l’administration est disputée entre Bagdad et Erbil.

En particulier, les expulsions de Kurdes de leurs terres se poursuivent.  Par exemple, en début de mois, le ministère irakien de la Défense a ordonné l’éviction de 150 familles kurdes de Kirkouk au profit d’anciens officiers ba’thistes qui, après être demeurés 17 ans en fuite, sont revenus réclamer les demeures qui leur avaient été attribuées après l’expulsion des Kurdes, et leur avaient été retirées en 2003… La semaine suivante, le tribunal de Kirkouk a prononcé la confiscation à des agriculteurs kurdes de Daqouq au profit de colons arabes de 3.000 donums. Par ailleurs, des fuites au sein de l’administration de la province de Kirkouk ont révélé que les cartes d'identité de 100 à 200 familles du district de Hawija et de ses villages avaient été transférées vers la ville de Kirkuk, afin d’accroître la population arabe dans la province. Une opération du même ordre a été révélée à Khanaqin, où le ministère de l’Intérieur a transféré entre 2020 et 2022 les cartes de dizaines de familles non kurdes originaires des districts de Baqouba et Khales. Parallèlement, des dizaines de familles kurdes de Khanaqin contraintes de fuir lors de la reprise de contrôle des autorités fédérales en octobre 2019 se sont vues refuser le renouvellement de leur carte de résidence…

Le 10, Journée du costume national kurde, le Président de l’Université de Kirkouk, Omran Jamal Hassan, qui est également le chef adjoint de la milice pro-iranienne Badr dans la province, a fait interdire l’entrée du campus aux étudiants en habits kurdes. À Touz Khourmatou, sur 71 policiers nouvellement recrutés, seulement 7 sont Kurdes, l’écrasante majorité d’entre eux étant des Turkmènes (chiites) et des Arabes (sunnites). Lever le drapeau du Kurdistan (pourtant constitutionnellement reconnu) à Kirkouk demeure interdit, et le tout nouveau tribunal de la ville, inauguré fin mars par le Président du Conseil judiciaire, Faiq Zaida, en présence du gouverneur, ne porte aucune indication en kurde, étant signalé exclusivement en arabe. Autre exemple de discrimination, pour construire une route, l’administration de Kirkouk prévoit de démolir dans le quartier d’Asra 2.000 maisons de familles de la minorité kurde Kakaï, affirmant qu’elles ont été construites «illégalement». Elle refuse d'indemniser les familles.

Par contre, les protestations populaires ont obligé le gouverneur intérimaire de Kirkouk, Rakan al-Jabouri, à revenir sur sa décision de restreindre les festivités de Nowrouz, le 21, à seulement trois heures. Les Kurdes ont finalement été autorisés à célébrer la fête, mais sous la «supervision» des forces de sécurité… Les protestations ont aussi obligé le Président de l'université de Kirkouk, après un refus initial, à autoriser la commémoration du génocide d'Halabja.

En fin de mois, deux députés kurdes de Khanaqin ont envoyé au ministère irakien de l’Intérieur un mémorandum demandant l’arrêt du transfert continuel de résidents arabes vers la ville. Ils demandent simplement le respect de la  constitution, avec une pause jusqu’à la mise en œuvre de son article 140. Parallèlement, un responsable kurde de Khanaqin a appelé au retour dans vingt villages du district des Kurdes déplacés depuis 2017: bien que la zone ait été libérée de Daesh, le manque de sécurité et de services de base les empêche de rentrer.

Si le nombre d’attaques de Daech marque une diminution depuis quelque temps, le danger est toujours réel. À preuve le mémorandum daté du 2 mars envoyé par le chef d'état-major général de l’armée irakienne, Abdel Emir Yarallah, au ministère irakien de la Défense, pour demander le transfert sous commandement fédéral de 3.693 peshmergas de la 20e division. Selon l’accord Bagdad-Erbil conclu il y a déjà plusieurs mois, ils sont censés faire partie d'une «deuxième» division conjointe irako-kurde à déployer dans les territoires contestés, mais la création des unités conjointes semble toujours buter sur le problème du financement…

La province de Kirkouk a connu plusieurs attaques djihadistes ce mois-ci, dont 3 la seule journée du 8, où 2 policiers ont été blessés et 1 terroriste tué. Le lendemain, 3 membres d’un commando-suicide venus de Syrie ont été arrêtés en ville grâce à la coopération avec les forces de sécurité kurdes. Le 11, une frappe aérienne a permis d’éliminer 4 djihadistes près de Dibis. Le 14, une attaque près du district de Rashad a fait 1 mort et 3 blessés parmi les policiers fédéraux. Une autre attaque a visé le 19 le poste de police du village de Yangija, à Touz Khourmatou. Puis le 20, les policiers ont été de nouveau attaqués dans les vallées de Zeghaiton et Rokhana, avec 2 blessés graves. Une nouvelle attaque sur Rokhana le 26 a provoqué des affrontements de plusieurs heures où 2 soldats irakiens ont été tués. Le 21, un soldat a été tué et un autre blessé dans une attaque près de Daqouq,. D’autres attaques ont visé des policiers à Khanaqin. Alors que la Sécurité kurde (Asayish) est toujours interdite de port d’arme dans la ville, certains responsables kurdes ont suggéré leur transfert vers la Sécurité fédérale… Enfin, le 27, les forces spéciales des peshmerga ont pu mettre en fuite 5 djihadistes à moto qui tentaient d’enlever 3 bergers près de la vallée de Ghara.

Par ailleurs, la situation au Sinjar (Shingal) demeure catastrophique, et une grande partie des habitants yézidis du district ne veulent pas y revenir. L’accord de sécurité passé en 2020 entre Bagdad et Erbil n’est toujours pas mis en œuvre. Une réunion tenue sur place le 28 février entre le maire et des représentants de Bagdad et des Nations Unies a fixé comme objectif sa mise en œuvre complète à la mi-2022. D'ici là, toutes les forces de sécurité devraient être relocalisées en dehors de la ville. Le 16, le commandement militaire de la province de Ninive a imposé sur le district un couvre-feu nocturne de durée indéfinie, tandis que la tension s’accroissait entre l’armée irakienne et les Unités de protection du Sinjar (YBŞ) après que des inconnus aient lancé des grenades assourdissantes sur un point de contrôle militaire le 11. Les troupes irakiennes, qui accusent les YBŞ d'être les auteurs de l’attaque, ont réitéré leur demande au groupe armé de quitter le Sinjar. En fin de mois, le Gouvernement régional du Kurdistan (GRK) a indiqué qu’il parrainerait une grande conférence sur le génocide des Yézidis, organisée sur place par plusieurs organisations yézidies, et qui se tiendrait en mai.

Enfin, la guerre en Ukraine a commencé à faire sentir ses effets sur le Kurdistan en provoquant des hausses de prix pour la farine, l’huile et l’acier, dont une partie est importée de Russie et d’Ukraine. Plusieurs ministres du GRK ont cependant assuré que le Kurdistan ne risquait pas de pénurie de blé.

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TURQUIE : RÉPRESSION DU NEWROUZ, POURSUITE DE LA CRIMINALISATION DU HDP

Le déclenchement par Moscou le 24 février dernier de l’invasion et de la guerre en Ukraine pose de nombreux problèmes au pouvoir turc. Il y a d’abord les problèmes économiques. La Turquie est en effet très dépendante du blé russe: en 2020-2021, 78% des importations de blé turques provenaient de Russie, et 9% d’Ukraine. Le pire est qu’il s’agit d’une dépendance  récente, en grande partie due à la destruction  dans le années 1990 de 3400 villages kurdes et de l’économie agro-pastorale du Kurdistan qui fournissait la Turquie en céréales et en viande. …La guerre a réduit considérablement les échanges commerciaux turcs avec la Russie et avec l’Ukraine. Déjà confrontés à une inflation annuelle de plus de 60%, les consommateurs turcs risquent de devoir payer encore plus cher pain, farine et pâtes alimentaires (France Info). La société russe Gazprom fournit aussi à la Turquie 34% de son gaz et 10 % de son pétrole. Depuis le début du conflit, la livre turque, qui avait déjà plongé de 45% en 2021, a encore chuté de 5% (Le Monde).

Enfin, le secteur touristique turc, déjà durement frappé par deux ans de pandémie, ne peut se passer des touristes russes, qui avaient été 4,21 millions en 2021 (contre 3 millions d’Allemands et… 2,6 millions d’Ukrainiens). Contrairement à ses alliés de l’OTAN, Ankara n’a  pas imposé de sanctions à Moscou, et n’a notamment pas interdit son espace aérien aux avions russes… on voit aussi toujours des yachts d’oligarques dans les marinas d’Istanbul.

Au-delà des conséquences économiques, la guerre russo-ukrainienne place Ankara dans une situation géopolitique difficile. La Turquie a en effet de bonnes relations avec Kiev, à qui elle a fourni des drones Bayraktar qui se sont révélés fort efficaces contre l’armée russe (le 2, l’Ukraine a indiqué en attendre une nouvelle livraison), mais elle est aussi très vulnérable face à la Russie en Syrie, en particulier dans la région d’Idlib… M. Erdoğan a donc condamné l’invasion russe, la qualifiant d’«inacceptable», mais la Turquie a attendu cinq jours pour annoncer, le 28 février, et sur l’insistance de Kiev, qu’en application de la Convention de Montreux (1936), elle interdisait le passage du Bosphore et des Dardanelles à tous les bâtiments de guerre, qu’ils soient issus de pays «riverains ou non de la mer Noire»… Ce délai a permis le passage de plusieurs navires russes maintenant engagés dans l’invasion. Par ailleurs, la Convention stipule que l’interdiction ne s’applique pas aux navires regagnant leur port d’attache. Moscou souhaitait faire passer en Mer Noire quatre autres navires positionnés à Tartous (Syrie). Ankara n’a autorisé le passage que de celui qui était bien basé en Mer Noire (Le Monde).

La situation présente aussi quelques avantages pour Ankara. Jouant les équilibristes, M. Erdoğan tente de se placer en position de médiateur. Il a ainsi reçu le 29 à Istanbul des délégations russe et ukrainienne venues négocier sur le sol turc une possible fin de conflit. Simultanément, il profite du retour en grâce auprès de l’Union européenne que lui vaut sa position au flanc sud de l’OTAN… La nouvelle situation géopolitique créée par l’invasion russe de l’Ukraine pourrait lui profiter indirectement sur le plan de sa politique intérieure comme sur celui de son implication en Syrie, en lui donnant les mains plus libres pour réprimer à l’intérieur et attaquer les Kurdes de Syrie…

Réprimer les Kurdes à l’intérieur, le pouvoir turc ne s’en est pas privé ce mois-ci. Pour la fête de Newrouz, le 21 mars, il a notamment voulu interdire dans tout le pays de mener la célébration en habits kurdes! Comme on pouvait s’y attendre, les Kurdes ont bravé l’interdit. Du Dersim à Diyarbakir, en passant par Istanbul, ils sont sortis  de chez eux en habits traditionnels littéralement par millions, par des températures glaciales, pour célébrer la fête. Dès le début du mois, les partis kurdes, et principalement le HDP, avaient annoncé leur intention de célébrer malgré les restrictions posées par le gouvernement le Newroz dans tout le pays, sous un nouveau slogan: «C'est le moment de la victoire» (WKI).

À Aydın, la police a arrêté plusieurs musiciens pour avoir chanté et joué des «chansons interdites». À Diyarbakir, des centaines de Kurdes qui portaient des vêtements aux couleurs du drapeau kurde ont été interdits d’accès aux célébrations sur la place principale. Des images circulant sur les médias sociaux ont montré la police utilisant des canons à eau pour disperser une foule massive. Les attaques policières, commencées le matin, se sont poursuivies tout au long de la journée; plusieurs personnes ont été battues par la police à l’extérieur de la place.  Malgré cette violente répression, les célébrations ont réuni en un record historique près d’un million de personnes, arrivées dès le 21 au matin . Au moins 298 Kurdes, dont 74 enfants, ont été arrêtés et incarcérés dans la ville, a indiqué le Barreau de Diyarbakir, qui a appelé à leur libération immédiate, rappelant l’illégalité de l’incarcération de mineurs. Les femmes et les personnes LGBT ont été particulièrement discriminées, à leur arrivée sur le site puis tout au long de la journée. Le matin, les policiers ont fouillé brutalement femmes et personnes LGBT; plus tard un groupe armé de couteaux a attaqué le groupe LGBT, tentant de brûler les drapeaux arc-en-ciel et même de lyncher une personne (Rûdaw). Des célébrations ont également pris place à Ankara, Gaziantep, Adana, Izmir, Van, Hakkari et Batman. Des images de personnes dansant et de chanteurs se produisant sous la neige ont circulé sur les médias sociaux. Selon l’Agence Mezopotamya, des feux de Newrouz ont été allumés dans 36 endroits différents en Turquie.

La municipalité d’Istanbul (CHP, opposition kémaliste) avait quant à elle autorisé un rassemblement sur la place Yenikapı (Le petit journal). Malgré le froid, il a réuni plus de 500.000 personnes. Les Kurdes sont arrivés sur la place aux premières heures du 20 au matin, portant leurs vêtements traditionnels colorés. Tenant des cartes postales «Joyeux Newrouz» et des drapeaux du HDP, ils ont dansé et scandé Bijî Newroz («Vive Newrouz!»). Dans un discours prononcé lors de la célébration, Mithat Sancar, co-président du HDP, a déclaré: «Ce gouvernement se maintient grâce à ses politiques de guerre : guerre contre les Kurdes, guerre contre les femmes, guerre contre les jeunes, guerre contre les travailleurs, et guerre contre la nature», avant de promettre de mettre fin à ces politiques de répression (Rûdaw).

Mis à part les tentatives de répression du Newrouz, le gouvernement a poursuivi sa politique de répression antikurde, et notamment son harcèlement judiciaire des élus HDP.  Le 1er mars, le parlement a levé l'immunité de la députée HDP de Diyarbakir Semra Güzel, prenant prétexte de la publication d’une photo montrant celle-ci en compagnie d’un membre du PKK. Celle-ci avait été prise en 2014 durant le processus de paix avec cette organisation, alors que Güzel participait à une délégation HDP venue encourager les pourparlers du PKK avec le gouvernement. Le HDP a quitté la session parlementaire en protestation tandis que 313 députés approuvaient la décision. Güzel risque l’emprisonnement pour «appartenance à une organisation terroriste». Le 9, les porte-parole du HDP pour les affaires internationales, Feleknas Uca et Hişyar Özsoy, ont rappelé que déjà 13 députés HDP ont perdu leur immunité dans ce qui n’est qu’«une longue suite d’attaques contre le HDP et la démocratie parlementaire». Leur communiqué rappelle également que: «[…] ces rencontres du HDP avec des dirigeants et des membres du PKK ont eu lieu à la demande officielle du gouvernement turc dans le cadre des négociations de paix. Au cours de cette même période, le gouvernement turc a encouragé les familles kurdes à rencontrer leurs proches membres du PKK pour les convaincre de soutenir un règlement pacifique et de rentrer chez eux». En fait, indiquent-ils, «Les dirigeants du HDP sont criminalisés en raison de leur rôle actif dans le processus de paix, un rôle que le gouvernement leur avait demandé de remplir» (HDP Europe)…

Par ailleurs, arrestations, inculpations et condamnations de membres d’organisations kurdes, culturelles ou politiques, se sont poursuivies. À Van, les responsables du Conseil HDP des jeunes ont ainsi été arrêtés. Le 18, Meryem Soylu, 79 ans, a été condamnée à Diyarbakir à six ans et trois mois de prison pour «appartenance à une organisation terroriste». La justice lui reproche son activité au sein de de l’organisation de femmes kurdes Kongra Jinên Azad (KJA), et de l’Association des proches de martyrs (MEBYA-DER), une association de solidarité avec les personnes dont des proches ont été victimes de la répression de l’État. Elle a été condamnée notamment pour avoir participé aux funérailles et aux cérémonies de deuil de combattants de la guérilla kurde tombés au combat. Par ailleurs, une procédure pour «appartenance à une organisation terroriste» a également été engagée contre des membres de l’Association des avocats pour la liberté (ÖHD). Ce sont ces avocats qui avaient représenté MEBYA-DER dans plusieurs procès concernant la profanation par les forces de répression de tombes de combattants kurdes… (RojInfo) Enfin, la police a arrêté 21 femmes affiliées à des mouvements kurdes pour avoir organisé un événement à l'occasion de la Journée internationale de la femme à Mardin le 16 mars. Parmi les personnes arrêtées figurent plusieurs membres importants du HDP, la présidente de l'organisation de femmes Rosa, Adalat Kaya, et l'ancienne co-maire du district de Sur, Filiz Buluttekin (WKI).

Enfin, on appris ce mois-ci le décès d’un nouveau prisonnier politique kurde. Incarcéré à Diyarbakir depuis 11 ans, Bedri Çakmak était atteint d’un cancer de l’estomac mais malgré un rapport médical indiquant qu’il ne pouvait rester incarcéré, les autorités turques ont refusé de le libérer jusqu’à la phase finale de sa maladie en 2021. Il est décédé quelques mois seulement après sa libération. Au moment de celle-ci, il ne pesait plus que 35 kg. La Fédération Med des associations de solidarité juridique avec les familles des détenus et des condamnés (MED TUHAD-FED), qui a rendu public son décès, a accusé sur Twitter le gouvernement de porter la responsabilité de celui-ci (Kurdistan au Féminin).

C’est aussi ce mois-ci que la Cour d’appel de Diyarbakir a annulé un jugement accordant une indemnisation financière à la famille de Kemal Kurkut, un jeune homme abattu par la police lors du Newrouz 2017. Il s’agit d’un véritable déni de justice, puisque Kurkut ne présentait clairement aucun danger grave lorsqu’il a été tué. Le gouverneur de la province avait à l’époque soutenu l’action de la police, affirmant qu’il y avait suspicion d’attentat suicide. Mais les photos prises par le journaliste Abdurrahman Gök, publiées dès le lendemain, avaient montré un Kurkut torse nu, ne pouvant donc porter de gilet explosif… Gök avait ensuite été inculpé pour «appartenance à une organisation terroriste», et les deux policiers inculpés des tirs mortels avaient été acquittés en janvier 2020…

Toujours au chapitre de la répression, la Cour pénale d’Istanbul a décidé de maintenir en prison le mécène turc Osman Kavala, accusé de «tentative de renverser le gouvernement» pour avoir soutenu les manifestations du parc Gezi  à Istanbul en 2013, et détenu depuis octobre 2017. À Adana, au moins dix personnes ont été arrêtées pour avoir critiqué le gouvernement sur les médias sociaux. Enfin, le 30 a démarré le procès de l’analyste militaire et politicien d’opposition Metin Gurcan, accusé d’espionnage. Militaire à la retraite, Gurcan est aussi un membre fondateur du parti d'opposition DEVA («Démocratie et Progrès»), dirigé par l'ancien Vice-premier ministre Ali Babacan. Il a également collaboré au site d'information Al-Monitor avec des articles portant sur des questions militaires. Arrêté chez lui à Istanbul le 29 novembre, accusé d’avoir divulgué des secrets d'État à des diplomates étrangers, il risque la prison à vie (ABC News).

Enfin, on peut se demander si le tandem au pouvoir AKP-MHP ne commence pas à ressentir une certaine «inquiétude pré-électorale»? Le 31, le parlement a voté une loi abaissant le seuil nécessaire pour qu’un parti fasse son entrée à l’Assemblée de 10 à 7%. Selon de récents sondages, le soutien du MHP dans l’opinion a justement baissé de 11,1% à environ 7%... (Reuters)

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IRAN: LE MOUVEMENT DE RÉSISTANCE «QUÊTE DE JUSTICE» (DADKHAHI) S’AMPLIFIE SUR LES RÉSEAUX SOCIAUX

Quelques jours avant le début du conflit en Ukraine, tous les négociateurs tablaient sur une issue rapide des discussions de Vienne sur le nucléaire iranien – échec ou succès d’ailleurs, mais en tout cas, une conclusion autour de fin février. Mais le 24 février est intervenue l’invasion russe de l’Ukraine, et le temps s’est arrêté. Partenaire dans les discussions qui se tiennent, directement, avec le Royaume-Uni, l’Allemagne, la France, la Chine, et, de manière indirecte, avec les Etats-Unis, la Russie a fait connaître de nouvelles exigences, stoppant de fait les discussions: le ministre russe des affaires étrangères, Sergey Lavrov, a exigé des États-Unis l'assurance que les sanctions occidentales contre la Russie n'interféreraient pas avec les futurs échanges commerciaux russo-iraniens.

En Iran, les médias pro-régime décrivent la situation ukrainienne en reprenant les termes russes: «opération militaire spéciale». Quant aux responsabilités, dans son discours du 1er mars, le Guide Suprême Ali Khamenei a été clair: elles sont dans «les politiques déstabilisatrices des États-Unis» et les ingérences de l’Occident. Il n’est pas question d’imputer à l’allié russe le retard encouru dans la levée des sanctions qui frappent le pays. Khamenei a d’ailleurs réussi le tour de force de ne pas même mentionner la Russie dans son discours consacré à la guerre en Ukraine! Les Iraniens ne sont pas dupes : «Sur les réseaux sociaux, l’un des rares espaces où les Iraniens peuvent toujours s’exprimer librement, ils sont nombreux à faire part de leur aversion pour Vladimir Poutine et de leur admiration pour le peuple ukrainien» (Le Monde).

L’Iran et la Russie n’ont pourtant pas exactement les mêmes intérêts: l’Iran veut avant tout la levée des sanctions pour pouvoir reprendre ses exportations de pétrole, mais celles-ci aideront l’Occident à diminuer sa dépendance au pétrole russe… Inversement, les États-Unis craignent que la Russie ne puisse utiliser ses relations commerciales avec l’Iran pour contourner les sanctions. Enfin, le facteur temps est critique pour l’Occident, qui s’inquiète du taux d’enrichissement de l’uranium déjà obtenu par l’Iran: «L’Iran a régulièrement nié avoir l'intention de fabriquer une arme nucléaire», note le New York Times, «mais il a enrichi de l'uranium à 60%, un niveau qui n'a aucune utilité civile, et a créé de l'uranium métal qui serait nécessaire pour fabriquer une bombe». Le pays ne serait plus qu’à quelques semaines d’obtenir la bombe – même si la rendre opérationnelle prendrait beaucoup plus de temps… Pourtant, les négociateurs européens ayant trouvé «inacceptables» les demandes russes, les négociations ont été suspendues le 11. Un diplomate s’exprimant au nom des trois capitales européennes – Paris, Berlin, Londres – signataires de l’accord de 2015 a parlé de «prise en otage» russe.

Mars est aussi le mois de la Journée internationale des femmes, le 8. À cette occasion, le Center for Human Rights in Iran (CHRI) a rendu hommage aux femmes qui luttent dans le monde entier. En particulier en Iran, des femmes courageuses, avocates, militantes, journalistes ou mères de victimes de la violence d'État, malgré les violations systématiques des droits humains et les discriminations dont elles sont victimes, n’hésitent pas à réclamer justice, liberté, égalité et libertés civiles fondamentales pour tous les Iraniens. Elles sont souvent emprisonnées pour leur activisme (IHR). Certaines, comme les «Mères du Parc Laleh» ou les «Mères de Khavaran», initiatrices du mouvement Dadkhahi («Quête de Justice»), recherchent les assassins de leurs enfants, victimes de l’État alors qu’ils manifestaient. Ce mouvement de plus en plus actif fédère aussi d’anciens prisonniers politiques, des parents de prisonniers politiques exécutés dans les années 1980, et des parents de certains des 176 passagers tués à bord de l'avion ukrainien abattu par les pasdaran en janvier 2020 (CHRI).

Parallèlement, le pouvoir tente de faire taire les femmes prisonnières politiques en les soumettant à des conditions de vie inhumaines: elles sont privées de soins médicaux, empêchées de parler à leurs enfants, transférées loin de leurs proches, ou encore placées à l’isolement durant de longues périodes… (IHR) Le 8 mars, l’organisation de défense des droits humains Hengaw a annoncé qu’en 2021, les autorités avaient arrêté au Kurdistan d’Iran 35 femmes dont 12 ensuite condamnées à des peines de prison.

Les femmes ne sont pas les seules à subir les abus carcéraux, et les prisons iraniennes demeurent de véritables lieux de torture en particulier pour les nombreux prisonniers politiques. Le 3, le directeur exécutif du CHRI, Hadi Ghaemi, a dénoncé la privation de soins délibérée dont ils sont victimes, citant entre autres les noms de Sepideh Qoliyan, Soheila Hejab, Zeinab Jalalian, Arsham (Mahmoud) Rezaee, et Abbas Vahedian Shahroudi, et ajoutant craindre pour leur vie. Ces craintes sont renforcées par le fait qu'au moins deux prisonniers politiques, Baktash Abtin et Adel Kianpour, sont déjà décédés dans les geôles de l'État iranien au cours des premiers mois de l'année 2022, après s'être vu refuser des soins médicaux urgents. Le CHRI a exhorté la communauté internationale à faire pression sur l’Iran pour obtenir la fin des privations de soins, et l’hospitalisation des cas les plus urgents. La liste des prisonniers en danger pour raison médicale s’allonge chaque semaine. Le 10, le CHRI a fait parvenir une lettre à Michelle Bachelet, Haut-Commissaire des Nations Unies pour les droits de l'homme, demandant son intervention à propos du refus de soins et du maintien en prison de la jeune journaliste free-lance Sepideh Qoliyan. Le courrier précise que «la législation iranienne prévoit une telle libération; l'article 502 du code de procédure pénale iranien stipule que la peine d'un détenu peut être suspendue si l'incarcération risque d'aggraver sa maladie physique ou mentale», avant de noter que, en contradiction avec la loi, «Le refus de soins médicaux est couramment utilisé par la République islamique comme moyen de punir les prisonniers politiques». Cette pratique devient encore plus scandaleuse lorsque le pays est frappé aussi durement par la pandémie de COVID-19. Ainsi le poète Baktash Abtin, incarcéré arbitrairement, vient-il de mourir de cette maladie à la prison d’Evin, et selon le témoignage de son frère Mehdi, Sepideh Qoliyan vient de contracter cette maladie…

Par ailleurs, les forces de répression du régime continuent à assassiner les porteurs transfrontaliers, ou kolbars, non armés, en les abattant systématiquement dans la montagne. Rien qu’en février, 17 d’entre eux ont ainsi été tués, ont sauté sur des mines ou sont morts dans des accidents. Début mars, l’un d’eux a été blessé près de Mariwan, tandis qu’un autre  mourait de froid près de Sardasht. Un autre a perdu un œil et une jambe à cause d’une mine à Baneh… Le 8, trois kolbars ont été blessés à la frontière de Nowsud par des soldats qui leur ont tiré dessus sans sommation, et ont dû être hospitalisés. Le 9 mars, 4 autres porteurs, blessés quand leur voiture s’est retournée sur la route Paveh-Nowsud, ont également dû être hospitalisés.. La semaine suivante, 2 nouveaux accidents ont fait 11 blessés à Rawansour et Paveh, tandis que les garde-frontières faisaient au moins 5 nouveaux blessés près de Kangavar, Nowsud, et Sardasht. Trois autres kolbars se sont blessés en faisant une chute dans un ravin près de Nowsud et Salas-e Babajani. Enfin, l'organisation Hengaw pour les droits humains a rapporté que des pasdaran (gardiens de la révolution) ont tué le 13 dans leur véhicule une femme de 70 ans et son fils de 30 ans près de Dalahu (WKI).

Cette année encore, les autorités iraniennes ont tenté d’empêcher les Kurdes de fêter Newrouz. Des dizaines de Kurdes avaient été arrêtés en 2021 pour avoir célébré Newrouz en chantant des chansons kurdes et en arborant le drapeau kurde. Dès le début du mois, militants, responsables communautaires et enseignants du Kurdistan d’Iran ont été avertis de ne pas participer à des célébrations autres que celles «organisées par l'État». Des mesures de sécurité strictes ont été mises en place, et notamment le déploiement de pasdaran (Gardiens de la révolution islamique).

Cependant, malgré les efforts du régime, des dizaines de milliers de Kurdes ont bravé les interdictions et célébré le Newrouz. Plusieurs partis kurdes en exil au Kurdistan irakien avaient d’ailleurs appelé à participer aux célébrations (WKI). Au moins 60 personnes ont été arrêtées par les forces de sécurité à Sanandaj et Piranshahr, selon l'organisation des droits humains Hengaw. Neuf civils, dont les trois organisateurs, ont été arrêtés immédiatement après avoir participé aux célébrations du Newroz dans un parc pour enfants à Sanandaj. Les forces de sécurité iraniennes ont empêché les personnes d'assister à l'événement et ont perturbé la célébration (Rûdaw). Une jeune fille de 14 a été arrêtée avant d’être libérée le lendemain. Dans le village de Ney (Marivan), forces de sécurité, militaires et forces anti-émeute ont mené un raid pour empêcher la cérémonie. Selon une source informée, elles ont attaqué la population et ouvert le feu sur la foule, blessant plusieurs personnes. Les agents du Renseignement et des pasdaran avaient convoqué d’avance 61 habitants de Ney pour empêcher les célébrations. À Oshnavieh, les forces spéciales et la police anti-émeute ont dispersé la foule en utilisant des gaz lacrymogènes et des tirs au plomb (KurdPA).

Arrestations et condamnations ont aussi continué ce mois-ci. Le 1er mars, Amnesty International a lancé un appel à «Action urgente» concernant sept prisonniers politiques kurdes en danger d’exécution (->). (https://www.amnesty.org/en/documents/mde13/5281/2022/fr/). Anwar  Khezri,  Ayoub  Karimi,  Davoud  Abdollahi,  Farhad  Salimi,  Ghassem  Abesteh,  Kamran Sheikheh et Khosrow Basharat, affiliés à un groupe sunnite, ont tous été tous déclarés  coupables  de «corruption sur terre» (ifsad fil Arz) et condamnés à mort à l’issue d’un procès manifestement inique au cours duquel le juge a interdit à leur avocat de prendre la parole, tandis qu’ils affirment que les «preuves» utilisées pour les condamner leur ont été arrachées par la torture. L’ONG appelle à demander par écrit au chef du judiciaire iranien, Gholamhossein Mohseni Ejei, de renoncer aux exécutions.

À Ouroumieh, l’activiste kurde Fairoz Mosalou, emprisonné pendant presque 3 ans sans procès à Kotol (Qutur), a été condamné à mort le 7 pour moharebeh («inimitié contre Dieu»), «guerre contre l'État» et «appartenance à un parti kurde» (WKI, KurdPA). Le 23, le CHRI a indiqué que la militante des droits humains et anciennement prisonnière de conscience Narges Mohammadi avait annoncé sur Twitter dans un message taggé en persan «Désobéissance civile» (nafermani madani) qu’elle refuserait pacifiquement de se rendre à la prison pour y purger la peine de 8 ans à laquelle elle avait été condamnée au terme d’un procès ayant duré… 5 mn. Narges Mohammadi a déjà passé la majeure partie des 13 dernières années (de 2009 à 2013 et de 2015 à 2020) derrière les barreaux pour avoir défendu pacifiquement ses droits. Avec un courage extraordinaire, elle n’a jamais plié devant les autorités ni renoncé à faire entendre sa voix, même en incarcération, comme lorsqu’elle a organisé un «sit-in» dans le quartier des femmes de la prison d'Evin pour condamner le meurtre de centaines de manifestants par les forces de sécurité lors des manifestations de novembre 2019, ou l'exécution du lutteur Navid Afkari (CHRI). Narges Mohammadi est la porte-parole du Defenders of Human Rights Center fondé par la prix Nobel de la Paix Shirin Ebadi, qui lui avait d’ailleurs dédié son prix.

Par ailleurs, le Renseignement (Etelaat) a rejeté la demande de Zara Mohamadi, qui souhaitait bénéficier d'une libération temporaire pour célébrer le Newrouz. La jeune femme purge une peine de cinq ans de prison pour avoir enseigné la langue kurde. À Ouroumieh, deux Kurdes ont été condamnés à des peines de deux à trois ans de prison pour «appartenance à des partis interdits» et tentative de «perturber la sécurité nationale», et à Khoy, un Kurde de Turquie, Hatem Odemiz, a été condamné à mort pour «appartenance au PKK» (WKI).

Enfin, le Centre de coopération des partis politiques kurdes d’Iran (CCIKP) a dénoncé le 15 l’attaque de missiles lancée par les pasdaran sur Erbil,  au Kurdistan d’Irak et a appelé la communauté internationale à «arrêter la République islamique». En 2018, les pasdaran avaient déjà lancé une frappe de missiles balistiques sur le siège du CCIKP au Kurdistan irakien, faisant 16 morts et des dizaines de blessés.

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AFRIN : LE BILAN TERRIFIANT DE QUATRE ANS D’OCCUPATION TURCO-DJIHADISTE DU CANTON KURDE

Quatre ans après la brutale invasion par Ankara et ses mercenaires et supplétifs djihadistes du canton kurde d’Afrin, le bilan est proprement terrifiant. Vous trouverez ci-dessous, en traduction française, deux articles qui donnent une idée de la situation.

Le premier, publié (en anglais) sur le site web de l’Observatoire syrien des droits de l’homme (OSDH), donne un tableau général des violations commises par les occupants (lien vers l’article originel : https://syriahr.com/en/243613).

Le second, publié sur son site (en kurde kurmancî) par la chaîne de télévision kurde d’Irak Rûdaw, se concentre sur la question des changements démographiques introduits par les occupants, montrant le nettoyage ethnique antikurde à l’œuvre de par la volonté turque (lien vers l’article originel : https://www.rudaw.net/kurmanci/kurdistan/1803202215).

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1) L'occupation turque d'Afrin quatre ans après | Près de 7 500 enlèvements et arrestations et 2 300 autres violations commises par les forces turques et leurs factions supplétives

Plan systématique pour modifier la démographie d'Afrin et destruction toujours en cours du patrimoine historique syrien

18 mars 2022

Aujourd'hui, 18 mars, les Syriens marquent le quatrième anniversaire de l'occupation de la ville d'Afrin et des districts qui en dépendent (ou «canton d'Afrin») dans la campagne nord-ouest d'Alep par les forces turques et leurs factions supplétives et leurs mercenaires. Ces forces ont lancé en janvier 2018 une opération militaire de grande envergure qu'elles ont appelée «Rameau d'olivier» et ont pris  le contrôle total du canton le 18 mars 2018.

Depuis quatre ans, le canton a connu des dizaines de crises humanitaires et un chaos sécuritaire qui se détériore chaque jour, où les violations et les explosions sont régulièrement documentées. Depuis le premier jour de l'invasion turque à laquelle ont participé les factions de la salle d’opérations du «Rameau d'olivier», l'Observatoire syrien des droits de l'homme (OSDH) a surveillé et suivi tous les développements et documenté toutes les violations contre la population d'Afrin, y compris les incidents de pillage et de sabotage des propriétés privées et publiques, qui ont tous été couverts par l'OSDH à travers des articles et des rapports quotidiens.

Chiffres et détails

L'invasion turque, les violentes opérations militaires et les crimes odieux commis par les factions ont forcé plus de 310.000 civils, soit 56% des résidents originels, à fuir leurs terres et leurs maisons. En conséquence, les résidents ont perdu leurs propriétés qui ont été reprises par les factions soutenues par la Turquie. La situation des résidents qui ont choisi de rester n'a pas été meilleure, car ils ont subi une répression absolue et des violations flagrantes des droits de l'homme, notamment des enlèvements et des arrestations arbitraires dans le but de percevoir des rançons, ainsi que des incidents quotidiens et continus de saisie de récoltes, de maisons, de magasins et de voitures. Par toutes ces violations, les factions soutenues par la Turquie tentent de forcer les derniers habitants à quitter Afrin dans le cadre du plan turc de changement démographique systématique.

Depuis le 20 janvier 2018, l'Observatoire syrien des droits de l'homme (OSDH) a documenté la mort de 639 civils kurdes à Afrin, dont 95 enfants et 86 femmes, dans des explosions d'engins explosifs improvisés et de voitures piégées, des frappes aériennes et des bombardements terrestres par les forces turques et des exécutions, tandis que d’autres sont morts sous la torture dans des prisons gérées par des factions soutenues par la Turquie.

De même, l’OSDH a documenté, depuis le début de l'occupation turque d'Afrin jusqu'au soir du 17 mars 2022, l'enlèvement et l'arrestation de plus de 7.497 civils kurdes d'Afrin, dont 1.300 sont toujours emprisonnés, tandis que les autres ont été libérés, après que la plupart d'entre eux ont payé les fortes rançons exigées par les factions de l’«Armée nationale syrienne» soutenue par la Turquie.

Selon les statistiques de l’OSDH, plus de 4.180 familles provenant de différentes provinces syriennes ont été installées à Afrin, après avoir été forcées de quitter leurs terres, dans le cadre du plan turc visant à modifier la démographie d'Afrin. En vertu d'accords russo-turcs, Afrin a été cédée aux Turcs en échange de la prise de la Ghouta orientale par le régime syrien. L'OSDH a continuellement mis en garde contre le plan turc de changement démographique systématique à Afrin, dès le premier jour de l'occupation turque, durant laquelle plus de la moitié de la population du canton d'Afrin a été contrainte de quitter ses foyers, tandis que des milliers de familles d'autres provinces ont été installées dans le canton à leur place. Tout cela s'est déroulé au vu et au su de la communauté internationale qui a semblé indifférente et a gardé le silence.

Crimes odieux et violations flagrantes

En quatre ans d'occupation turque d'Afrin, l’OSDH a documenté plus de 2.318 violations différentes, auxquelles s'ajoutent les enlèvements et les arrestations arbitraires. Voici plus de détails sur ces violations:

  • 647 incidents de saisie de maisons et de magasins par des membres et des commandants des factions soutenues par la Turquie dans la ville d'Afrin et les districts affiliés. Les maisons saisies appartenaient à des personnes qui ont été forcées de se déplacer du canton d'Afrin en raison de l'opération «Rameau d'olivier» et à d'autres qui ont refusé de se déplacer.
  • 364 incidents de saisie de terres agricoles appartenant à des personnes déplacées de la ville d'Afrin et des districts affiliés.
  • 202 incidents de vente par la force des maisons des personnes déplacées qui avaient été saisies auparavant par les factions soutenues par la Turquie. Les maisons ont été vendues à bas prix, notamment en dollars américains.
  • 385 incidents d'imposition de taxes aux civils par les factions et les conseils locaux en échange de l'autorisation de cultiver leurs terres et de récolter.
  • Les prélèvements étaient des parts de la récolte et des bénéfices ou des sommes d'argent versées en dollars américains et en lires turques.
  • 720 incidents d'abattage d'arbres fruitiers par des factions de l’«Armée nationale» soutenue par la Turquie dans le but de les vendre comme bûches de chauffage, et des dizaines de milliers d'arbres fruitiers ont été abattus.

Destruction du patrimoine historique de la Syrie

Afrin est connue pour ses sites archéologiques datant de différentes époques, dont les plus importants sont les suivants :

  • La ville de Nebi Huri qui est située à près de 23 km de la ville d'Afrin.
  • La forteresse de Sam'an qui est située à 20 km au sud de la ville d'Afrin. Ce site contenait l'église Mar Sam'an qui était la plus grande église du monde.
  • Jabal Al-Sheik Barakat.
  • Jabal Barsaya.
  • La ville archéologique d'Ain Dara qui abrite de nombreux monuments et un temple contenant plusieurs statues.

Ces sites, ainsi que de nombreux autres sites archéologiques autour d'Afrin, ont fait l'objet de fouilles et d'excavations par des factions soutenues par la Turquie au cours des dernières années. De nombreux reliques, antiquités et objets ont été volés sur le site archéologique de Nebi Huri, connu sous le nom de «Hagioupolis» ou «Khoros », qui remonte à 280 avant J.-C. (époque hellénistique).

De plus, les excavateurs ont utilisé de lourdes pelleteuses et des engins de terrassement lors des travaux d'excavation et de creusement, à la recherche de trésors enfouis pour les vendre à l'étranger. De nombreux sites ont été détruits, notamment les suivants :

  • La colline de Marania dans le district de Sheikh Hadeed.
  • La colline archéologique de Laq dans le district de Sharran.
  • La colline archéologique de Shourba dans le district de Ma'batli. La colline archéologique d'Abdalu.
  • Le périmètre et les zones environnantes de l’«amphithéâtre romain» près de la forteresse de Nebi Huri dans le district de Sharran, dans la campagne d'Afrin.
  • La colline d'Aqrab dans le village de Jalmeh.
  • La colline Al-Sheikh Abdulrahman dans le quartier de Jendires.
  • La colline archéologique de Dodi dans le village de Maydanki dans le district de Sharran. Les collines de Marsawa et Ain Dibaybah dans la ville d'Afrin.
  • Le site archéologique de Be'r Al-Jouz dans le quartier de Ma'batli.
  • La colline Qarat Tabbah dans le district de Sharran. La colline Qah Waqqah dans le district de Raju.
  • La colline de Haloubiyah dans la ville d'Afrin.
  • La colline de Faraq qui se trouve près du district de Jendires et près de la rivière Afrin.

Depuis quatre ans d'occupation de la ville d'Afrin et des districts environnants, les forces turques et leurs factions supplétives syriennes ont fait des ravages et commis une pléthore de crimes odieux en violation de toutes les conventions et chartes internationales et des lois sur les droits de l'homme, dans un contexte d'inaction «honteuse» et «suspecte» de la communauté internationale qui ne fait preuve d'aucune volonté de mettre un terme à ces graves violations, malgré les avertissements répétés de l’OSDH sur la situation humanitaire épouvantable dans la région.

L'Observatoire syrien des droits de l'homme (OSDH) renouvelle son appel à la communauté internationale pour qu'elle intervienne immédiatement et fasse pression sur le gouvernement turc et ses factions supplétives pour qu'ils mettent fin à leurs violations à Afrin, et pour qu’elle mette fin à l’occupation turque et obtienne le retour en toute sécurité des résidents autochtones qui ont été contraints de se déplacer au cours de la récente opération militaire.

    

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18/03/2022 – Rûdaw – 650.000 Arabes et Turkmènes ont été implantés dans la région d’Afrin

Quatre ans se sont écoulés depuis l'occupation d'Afrin. Depuis ce moment jusqu’à aujourd’hui, la Turquie a systématiquement modifié la démographie d'Afrin et implanté 650.000 Arabes et Turkmènes dans la région.

Après 4 ans d'occupation, l'armée turque et ses milices syrienne ont changé complètement la démographie de la région y compris le centre de la ville d’Afrin dans l’Ouest du Kurdistan, où le pourcentage des Kurdes était environ 98%.

Des centaines de milliers d'Arabes et de Turkmènes ont été implantés dans la région d’Afrin et 60% de ses habitants d’origine ont été déplacés et ont dû émigrer par la force des armes.

Selon les informations obtenues de plusieurs sources dans la région par Rûdaw Media Network, le changement démographique d’Afrin peut maintenant être décrit de la manière suivante : avec 650.000 Arabes et Turkmènes implantés par l’armée turque et ses milices arabes, la déportation forcée de la population kurde a fait diminuer celle-ci à 250 000 ou 300.000 Kurdes à Afrin, soit aujourd’hui 35 % de la population. Aujourd'hui, plus de 100.000 Kurdes sont devenus des personnes déplacées dans le district de Shehba où se trouvent 5 camps.

Avocat auprès de Barreau d’Afrin, Me. Ednan Murad a déclaré au réseau de Rûdaw Media que le taux de changement démographique n'est pas le même dans tous les villages et districts, mais que dans tous les cas la solution est d'aider les habitants d’Afrin pour qu’ils retournent dans leurs foyers. Me. Ednan Murad a ajouté : « La démographie est modifiée de manière planifiée à Afrin. La population de certains villages est maintenant devenue à 100% arabe. Dans certains villages, 90% des Kurdes sont restés sur leur sol natal. Dans certains endroits, les maisons évacuées sont occupées à 100% par des Turcs et des Arabes. Par conséquent, si notre peuple obtient la possibilité de retourner chez lui, cela obligera à suspendre le plan de changement démographique ».

Après l'occupation de la région par les Turcs, environ 300 000 habitants d’Afrin ont quitté leur région. Certains d'entre eux sont arrivés à Alep, Kobanê ou Cizre. Certains des réfugiés arrivent en Turquie, au Kurdistan d’Irak (Bashur) et également dans différents pays d’Europe. Il y a aussi environ 100 000 migrants déplacés dans la région de Shehba, dans des camps ou des villages du district.

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