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Bulletin N° 426 | Septembre 2020

 

ROJAVA: L’ONU PUBLIE UN RAPPORT ACCABLANT SUR LES CRIMES DE GUERRE TURCS

La Commission indépendante internationale des Nations Unies sur la Syrie a publié le 15 septembre un rapport accablant de 25 pages (->) sur les crimes de guerre commis dans les régions kurdes syriennes occupées par la Turquie et ses mercenaires syriens islamistes.

De nombreuses organisations de défense des droits humains, dont Amnesty International et Human Rights Watch, avaient déjà tiré la sonnette d’alarme sur les cas de torture et de viols, d’enlèvements, de demandes de rançon, de disparitions, de déplacement de population et de nettoyage ethnique qui sont la marque de ces supplétifs de l’armée turque. Ce nouveau rapport rapporte des violations des droits humains systématiques et organisées et «décrit avec une autorité jusqu’alors inédite et en profondeur l’ordre de terreur imposé par la Turquie» (Le Monde), en particulier à Afrin, Serê Kaniyê / Ras al-Aïn et Tell Abyad / Girê Sipî. Le quotidien cite notamment le cas de prisonniers rassemblés de force pour assister au viol collectif et répété par ses geôliers d’une jeune fille kurde mineure… Le document «établit avec précision le caractère planifié, et spécifiquement ciblé, contre les Kurdes, des exactions commises par les milices islamistes pro--turques avec le soutien d’Ankara dans le nord de la Syrie» (Le Monde).

Ces exactions sont commises sous la responsabilité de l’État turc, puissance occupante, et par ses mercenaires. Les militaires turcs présents dans ces zones, et qui ne peuvent qu’en avoir connaissance puisqu’elles font depuis des mois l’objet de dénonciations mille fois répétées, n’ont jusqu’à présent manifesté aucune volonté de les faire cesser. Bien au contraire, lorsque la Commissaire aux Droits humains Michelle Bachelet a rappelé le 18 la Turquie au « respect du droit international», et a demandé le lancement immédiat d’une enquête indépendante sur ces abus, elle s’est vue opposer une fin de non-recevoir par Ankara, qui a indiqué « [rejeter] entièrement les allégations infondées […] et les critiques injustifiées de la Haute-Commissaire de l’ONU aux droits de l’Homme contre notre pays».

Le rapport fait aussi état du traitement inhumain auquel les garde-frontière turcs (dépendant de la gendarmerie) soumettent régulièrement les Syriens tentant de fuir la guerre civile: nombreux sont ceux à être battus et parfois même assassinés après leur arrestation, les plus heureux subissant nombre d’humiliations de la part des gendarmes turcs ou des groupes rebelles coopérant avec eux (Al-Monitor). Le 22, l’Observatoire syrien des droits de l’homme (OSDH) a rapporté l’enlèvement par des groupes soutenus par la Turquie de deux nouvelles victimes kurdes à Afrin. Dans cette dernière région, les mêmes gangs s’organisent pour s’approprier la récolte d’olives, dont le moment approche, comme ils l’ont fait les années précédentes…

En parallèle, les attaques et attentats des djihadistes de Daech se poursuivent. En début de mois, une cellule de sept membres a été démantelée à Şihîl (Deir Ezzor), et cinq bombes artisanales ont été désamorcées à Manbij. Des attentats utilisant des motos piégées ont frappé la région contrôlée par l’AANES (Administration autonome du Nord-Est syrien), comme le 14 à Diban (Deir Ezzor), où il y a eu un mort et deux blessés civils. Une autre moto a été désamorcée le lendemain à Hassakeh.

Le camp d’Al-Hol a connu de nouvelles évasions (WKI), tandis que des centaines de tentatives ont été déjouées. Plusieurs familles étrangères ont été transférées de Al-Hol vers le camp de Roj, récemment agrandi, pour y suivre un programme de déradicalisation. Celui-ci, destiné aux anciens membres de l’organisation exprimant des regrets et souhaitant se réinsérer, a reçu 76 familles depuis janvier (AFP). Le 22, l’Institut kurde de Washington (WKI) a rapporté qu’une femme irakienne, mère d’un enfant de sept mois, avait été retrouvée à Al-Hol étranglée avec du câble électrique, dernier meurtre d’une longue série dans ce camp surpeuplé. Le 25, les Forces démocratiques syriennes ont lancé avec le soutien de la coalition anti-Daech une nouvelle opération à la frontière syro-irakienne.

En France, 29 personnes ont été placées en garde à vue le 29 dans le cadre d’une enquête ouverte en janvier dernier sur un réseau de financement du terrorisme utilisant des cybermonnaies. Les organisateurs, deux Français probablement encore en Syrie, sont suspectés d’appartenir au groupe terroriste Hayat Tahrir al-Cham, affilié à Al-Qaïda. Parmi les gardés à vue, des familles ayant envoyé, semble-t-il de bonne foi, de l’agent à leurs proches internés en Syrie… (Le Parisien)

Les discussions d’unité entre partis kurdes des deux principales tendances du Rojava, organisées d’une part autour de la coalition TEV-DEM (au pouvoir), dominée par le parti de l’unité démocratique (PYD), récemment élargie dans le cadre du PYNK, et d’autre part de l’ENKS (Conseil national kurde), dans l’opposition, se sont poursuivies avec le soutien des États-Unis. Il semble que le grand déplaisir de la Turquie à la perspective d’une unité des Kurdes de Syrie ait provoqué quelques remous au sein de l’opposition syrienne au régime de Damas, où l’ENKS, contrairement au TEV-DEM, est représentée. Le 14 septembre, le président de la Coalition de l’opposition (Etilaf en arabe), Nasser al-Hariri, a annoncé qu’il démettait le représentant de l’ENKS au Haut Comité des Négociations (HCN, créé en 2015 en Arabie Saoudite), Hewas Egid, pour le remplacer par Abdullah Fahd, un Arabe. Hariri avait déjà accusé dans un tweet envoyé le 2 septembre à la Ligue Arabe les Kurdes du Rojava de chercher à diviser la Syrie, dénonçant les «accords avec des milices terroristes séparatistes» – des éléments de langage directement repris des discours d’Ankara. Il n’a cependant reçu aucune réponse de l’organisation, qui venait la semaine précédente de condamner les opérations militaires turques en Syrie et en Irak… Dans une vidéoconférence tenue avec le comité politique de l’Etilaf, la Présidence de l’ENKS a énergiquement protesté contre la décision d’Hariri, tandis que les États-Unis adressaient à celui-ci un message très ferme sur l’importance de la présence de l’ENKS au sein du HCN… L’ENKS a récemment suscité la colère turque à la fois pour ses discussions avec le PYNK et pour ses critiques de plus en plus marquées des violations des droits humains dans les zones syriennes sous contrôle turc. Début septembre, le Président de l’ENKS, Saud al-Mullah, avait déclaré que les factions soutenues par la Turquie perpétraient «sous les yeux de la Turquie […] des actes et pratiques terroristes, enlèvements, torture, meurtres et déplacements de population». Selon une déclaration de l'Etilaf, l’ENKS a appelé durant la réunion l'opposition syrienne à assurer le retour des personnes déplacées de leurs foyers par ces groupes (Kurdistan-24)…

Dans un contexte de tensions américano-russes croissantes sur le terrain (plusieurs incidents ont motivé un renforcement récent des contingents américains par des véhicules blindés Bradley), le représentant spécial pour la Syrie, James Jeffrey, est arrivé le 20 à Hassakeh pour des rencontres avec le chef des FDS, Mazloum Abdi, et les dirigeants de plusieurs partis de l’ENKS. Les États-Unis, qui tiennent par ailleurs le régime et son allié russe pour responsables du blocage des négociations inter-syriennes de Genève, poussent à une plus grande unité entre Kurdes du Rojava, moyen pour eux de contrer les avancées de Damas dans le Nord du pays. Il demeure pourtant des points de désaccord entre les deux camps kurdes, et en particulier la question du retour des «Rojava pechmerga» de l’ENKS sur le territoire syrien, où l’AANES est plus que réticente à les accepter… (Asharq Al-Awsat).

Finalement, après près de sept mois de négociations et malgré cette difficulté non encore résolue, la porte-parole du PYD, Sama Bekdash, a annoncé le 21 aux médias locaux du Nord syrien un accord sur une «référence kurde suprême» comprenant six points politiques, dont la définition d'une stratégie kurde, un travail commun pour le retour des civils déplacés par les invasions turques d'Afrin, Serê Kaniyê et Tal Abyad, la représentation des Kurdes en Syrie, et la manière de protéger leurs acquis dans le pays. Selon Bekdash, le «Comité suprême kurde» comprendra 16 membres du PYNK, 16 de l’ENKS, les huit autres étant des personnalités indépendantes désignées pour quatre d’entre elles par l’ENKS et pour les quatre restantes par le PYNK. Il reste à souhaiter que cet accord, contrairement à ceux négociés à Erbil et Dohouk en 2012 et 2014, puisse trouver ses modalités d’application, condition nécessaire à ce que la voix des Kurdes du Rojava soit entendue dans les négociations internationales. Un des points positifs est le soutien apporté à l’accord par les États-Unis et la France.

Tout le mois, l’insécurité s’est manifestée au Rojava qui a subi plusieurs attentats, notamment dans les territoires contrôlés par la Turquie et ses mercenaires. Le 12, une bombe a fait deux morts et douze blessés à Serê Kaniyê / Ras al-Ayn dans une attaque visant l’«Armée nationale syrienne» pro-turque (Ahval). Le lendemain, c’est Afrin qui a été touchée par une attaque à la voiture piégée qui a fait au moins trois morts et dix blessés civils près du QG d’une faction pro-turque. Selon l’OSDH, l’explosion a fait au moins sept victimes, dont un médecin du Croissant rouge turc, et trente blessés, dont des enfants. À Deir Ezzor, la co-présidente du Conseil militaire de Deir Ezzor, affilié aux FDS, Laila Al-Abdallah, a échappé à une nouvelle tentative d’assassinat, la quatrième au moins, quand des motocyclistes masqués ont ouvert le feu sur son véhicule, blessant un des passagers. Daech, qui continue à lancer des attaques de ce type, pourrait être responsable de celle-ci. Il est aussi possible que certains des attentats soient dus à des agents du régime cherchant à créer l’insécurité pour déconsidérer l’AANES auprès des habitants.

La multiplicité des acteurs présents sur le terrain est également source de tensions. Dans certains villages kurdes, les habitants se sont opposés à l’installation d’un poste russe «pour leur protection», menaçant de jeter des pierres sur leur convoi (VOA). En fin de mois, les Russes ont tenté sans succès de faire pression sur l’AANES pour qu’elle empêche les patrouilles militaires américaines près de Tell Tamer, menaçant de se retirer pour laisser la voie libre à de nouvelles attaques turques. À peu près au même moment, Russes et Turcs ont repris leurs patrouilles communes à Kobanê et près d’Idlib…

Mi-septembre, l’AANES a invité 150 leaders et notables locaux du Nord-Est syrien à un Forum à l’issue duquel a été lancé un appel à des réformes dans l’agriculture et le système éducatif, et à des discussions avec Damas «sans interférence extérieure» . Des représentants du Département d’État américain ont participé à cette réunion. Auparavant, la Russie avait initié une nouvelle médiation entre l'AANES et le régime syrien . Par ailleurs, un des responsables de l’AANES chargé des camps de personnes déplacées de Shahba, où se sont réfugiés 200.000 anciens résidents d’Afrin, a accusé Damas d’empêcher l’arrivée de l’aide médicale et des travailleurs humanitaires en exigeant le paiement de «taxes» au passage des points de contrôle. Séparée des autres territoires de l’AANES, cette zone est totalement encerclée au nord par l’armée turque et au sud par celle de Damas. Le Rojava a enregistré ses premiers cas de coronavirus à la fin du mois d'avril. Au 4 septembre, selon les chiffres de la coprésidente du Conseil de santé du Rojava, Jwan Mustafa, la région comptait 624 cas de contamination, 40 décès et 158 guérisons, ce qui provoque l’inquiétude à Shahba (Rûdaw).

Enfin, le 28, la semaine de négociations inter-syriennes menée à Genève sous l’égide des Nations Unies s’est terminée avec un accord minimum pour se rencontrer de nouveau à une date non encore spécifiée. Le médiateur spécial de l’ONU pour la Syrie, Geir Pedersen, a indiqué trouver encourageant que, pour la première fois, les participants aient interagi puis se soient séparés sans trop d’animosité et en exprimant la volonté de se revoir (VOA).

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TURQUIE: LES ATTAQUES RACISTES ANTI-KURDES SE MULTIPLIENT ; DEUX PAYSANS JETÉS D’UN HÉLICOPTÈRE MILITAIRE

Des travailleurs saisonniers kurdes de Mardin venus ramasser les noisettes dans une exploitation de Kocaeli (Sakarya), des femmes, accompagnées d’adolescents, ont déclaré à leur retour le 6 septembre, qu’après avoir travaillé deux semaines, ils avaient été insultés et frappés le 4 par leur employeur, ses proches, et des habitants du village (Bianet). Leurs agresseurs les ont traités de «bande de chiens», ont menacé de faire appel aux militaires (Ahval, Rûdaw) et menacés avec des bâtons, une faux et même une hache… Le gouverneur de Sakarya a d’abord nié l’événement, avant d’appeler certaines des victimes pour exprimer ses regrets. Le bureau du procureur de Kocaeli a ouvert une enquête. Après avoir déposé au tribunal, deux des auteurs ont été remis en liberté conditionnelle… Le HDP a déclaré qu'il comptait mettre l’affaire à l'ordre du jour du Parlement.

Le 11 au soir, une seconde attaque antikurde, cette fois contre les ouvriers d’un chantier à Afyon, a fait un mort, un travailleur kurde de 15 ans, et deux blessés: après une altercation causée par la poussière du chantier, un homme a dégainé un pistolet et tiré à bout portant sur deux frères. La police locale a expulsé de la ville les autres ouvriers avec la phrase: «Prenez votre mort et allez-vous en». Le 12 à Van, la police a empêché les députés kurdes d’assister aux funérailles, tandis que des militaires étaient déployés pour empêcher toute protestation. Dans un autre incident, un réfugié syrien de 16 ans a été tué, aussi le 11, à Samsun (WKI).

Également le 11 à Van, deux paysans kurdes d’une cinquantaine d’années ont été sévèrement battus par des militaires qui les auraient forcés à monter dans un hélicoptère avant de les jeter dans le vide depuis l’habitacle. L’un des deux hommes est demeuré dans le coma vingt jours avant de mourir à l’hôpital le 30 au matin. L’autre a fini par rentrer chez lui, choqué au point de balbutier des déclarations incohérentes. Il a cependant bien indiqué plusieurs fois se rappeler avoir été jeté dans le vide après avoir été battu par dix à vingt hommes. Le journal Al-Monitor a pu consulter le rapport médical publié le 17 septembre par l'hôpital public où les deux hommes ont été soignés. Il mentionne que l’homme a été admis après être «tombé d’une hauteur», et indique que le technicien médical d'urgence qui l'a amené a déclaré qu’il était «tombé d'un hélicoptère»… Les deux hommes avaient été emmenés par les militaires après un affrontement entre l’armée et le PKK près de leur village qui a fait trois morts dans chaque camp. Plusieurs députés HDP ont exigé une commission d’enquête parlementaire sur l'affaire, et les avocats des familles des deux victimes ont porté plainte contre les auteurs présumés pour homicide volontaire, torture et manquement aux devoirs. Le gouvernement nie ces allégations et a ouvert une enquête… contre les victimes, pour «aide et complicité avec une organisation terroriste». Officiellement, ils auraient fait une chute en fuyant leur arrestation…

Alors que la livre turque poursuit sa chute (0,11 € au 21 septembre) avec l’impact de la crise sanitaire et des tensions en Méditerranée orientale, le président turc persiste dans sa fuite en avant pour re-légitimer son pouvoir en cherchant de nouveaux ennemis, intérieurs et extérieurs: à l’intérieur, c’est toujours le parti «pro-kurde» HDP qui est criminalisé, tandis qu’à l’international, après la Syrie et la Libye, c’est maintenant en Azerbaïdjan, et contre les Arméniens, que M. Erdoğan a trouvé un conflit où envoyer «ses» djihadistes…

À l’intérieur, la crise sanitaire sert d’outil de répression à l’alliance AKP-MHP. Celle-ci a profité de la pandémie pour faire voter au parlement une série de lois lui permettant d’accroître sa mainmise sur la société, comme le récent amendement sur les barreaux. D’autre part, les interdictions de rassemblements pour cause sanitaire permettent d’interdire toute manifestation à l’opposition et toute protestation sociale. Même les journalistes couvrant les manifestations reçoivent des amendes pour non-respect de la distanciation sociale… Quant aux soutiens du pouvoir, ils sont évidemment exemptés de toute tracasserie, comme lors de la première prière collective à Sainte-Sophie le 24 juillet, où la police brillait par son absence (Al-Monitor).

Arrestations et condamnations se poursuivent sans fin. Le 3, Sedat Şenoğlu, porte-parole du HDK (Congrès démocratique du peuple), une formation créée en 2011 et dont une partie des membres est kurde, a été arrêté à Istanbul, en même temps qu’une quinzaine de membres du Parti socialiste des opprimés (ESP). Le 11, la députée HDP de Diyarbakir Remziye Tosun a été condamnée à dix ans de prison pour «appartenance à un groupe terroriste armé». L’appel qu’elle a interjeté lui permet pour l’instant de demeurer en liberté (AFP). Le 17, l’ancienne députée HDP, prisonnière et gréviste de la faim Leyla Güven a été incarcérée à Hakkari. Elle s’était rendue dans la région pour rencontrer les «Mères de la Paix», une initiative civile de femmes appelant à une résolution pacifique de la question kurde en Turquie, avant de lancer un appel en ce sens en conférence de presse. Une femme membre de l'initiative, Fatma Turan, a été arrêtée en même temps pour avoir insulté le président turc. Les deux femmes ont été libérées après avoir déposé (Ahval). Selon les données du ministère de la justice, les cas d’insulte au président ont augmenté de 30% en 2019: 26.115 personnes ont fait l'objet d'une enquête, quelque 5.000 personnes doivent passer en jugement et 2.462 sont déjà emprisonnées (Reuters).

Toujours le 17, à Diyarbakir, l’ancienne députée HDP Sebahat Tuncel, déjà détenue à Kocaeli en attente d’un procès en appel pour d’autres charges, a été condamnée à 11 mois et 20 jours de prison pour insulte au président, qu’elle avait qualifié de «misogyne» en 2016 (Ahval). La défense a plaidé la critique politique légitime relevant de la liberté d’expression, mais sans effet sur le verdict. Le 19, aussi à Diyarbakir, un responsable de jeunesse du HDP a été enlevé par trois hommes armés et retrouvé les yeux bandés dans un parc après avoir été menacé de mort. À Muş, quatre personnes ont été arrêtées pour avoir assisté aux obsèques d’un combattant du PKK tué en 2016 (WKI).

Parallèlement, le procureur de Diyarbakir a demandé au ministère de la Justice de lancer une «notice rouge» Interpol (un mandat international) contre l’ancien député HDP et maire de Diyarbakir Osman Baydemir, recherché pour «appartenance à une organisation terroriste» et qui se trouverait en Grande-Bretagne.

Le 25, dans la plus grande opération judiciaire antikurde depuis le début de l’année, le parquet d'Ankara a émis des mandats d’arrêt contre 82 personnes dans le cadre d'une enquête sur les violentes manifestations qui avaient éclaté en octobre 2014 pour protester contre le siège de Kobanê par Daech et la passivité du gouvernement turc. Les affrontements qui avaient suivi entre manifestants, groupes fondamentalistes et forces de sécurité avaient causé la mort d'au moins 37 personnes, en particulier dans les provinces kurdes. Parmi les personnes recherchées, 20 ont été placées en garde à vue, les autres ayant depuis gagné l’étranger ou rejoint la guérilla du PKK. Ayhan Bilgen, co-maire de Kars (élu en 2019), ainsi que plusieurs ex-députés et dirigeants du HDP, comme Sirri Süreyya Önder, Ayla Akat Ata, Altan Tan et Emine Ayna, et le porte-parole du HDP pour l’international Nazmi Gür, font partie des personnes arrêtées (AFP). Le parquet «n’a pas donné le détail des chefs d’accusation retenus pour chacune des 82 personnes visées, mais assure que les crimes et délits commis pendant les manifestations incluent meurtre, tentative de meurtre, vol, dégradations, pillages, destruction du drapeau turc et coups et blessures à l’encontre de 326 membres des forces de l’ordre et 435 citoyens», rapporte le quotidien turc Hurriyet. Le procureur a aussi annoncé son intention d’envoyer au parlement un récapitulatif des charges retenues contre sept élus du HDP, qui appartenaient au comité exécutif central de ce parti à l’époque, afin d’appuyer une demande de levée de leur immunité. Le même soir, un rassemblement de soutien au HDP s’est tenu à Istanbul avec 200 personnes. Déployée en force, la police n'est pas intervenue (AFP). Ce nouveau «coup de filet» a provoqué une série de condamnations, en Turquie comme à l’étranger. La coprésidente du HDP, Pervin Buldan, a rappelé que durant les manifestations de l’époque, 47 membres de ce parti avaient été tués, mais que leurs noms n’avaient pas été rendus publics.

Parallèlement, la situation dans les prisons turques continue de préoccuper les défenseurs des droits humains. Dans une série de tweets, l’épouse de Demirtaş, Başak Demirtaş, a déclaré en début de mois que leurs filles n'étaient pas autorisées à voir leur père en raison des mesures COVID-19, alors que le même gouvernement permettait à des foules énormes de se rassembler lors de rassemblements pro-gouvernementaux… Interrogé à ce propos lors d’une interview, Selahattin Demirtaş a déclaré qu'il ne serait pas juste qu'il fasse un scandale de ne pas pouvoir voir ses filles alors que, de la mort à la torture et de l'isolement aux problèmes de santé, «une tragédie humaine se déroule dans les prisons turques». Le 18, plusieurs étudiants condamnés à des peines de prison pour appartenance au PKK, qui étaient entrés en grève de la faim en juin pour protester contre les conditions sanitaires de détention, ont été transférés de Kirşehir à Kayseri sans que leurs familles en soient informées. Déshabillés de force à leur arrivée pour être fouillés malgré leur refus, ils ont été battus par les gardiens la nuit suivante (SCF). Ces fouilles à nu, qui, selon la loi turque, devraient être confiées à un médecin, sont pourtant couramment utilisées pour humilier les détenu(e)s.

Le 23, il a été rapporté que le prisonnier politique kurde Sinan Gencer, détenu depuis 15 ans, était mort de manière suspecte dans la prison de haute sécurité de Van. L’administration pénitentiaire a indiqué à sa famille qu’il s’était suicidé, mais celle-ci, selon ses derniers contacts avec Sinan, pense qu’il s’agit d’un mensonge. Mis à l’isolement depuis deux ans, il était récemment entré en grève de la faim (Kurdistan au Féminin). Le 28, trois responsables du HDP appartenant au groupe de 82 arrêtés le 25, dont le co-maire de Kars, Ayhan Bilgen, ont dû être hospitalisés après une intoxication alimentaire due aux repas fournis par la police. Les avocats des détenus ont déclaré que toutes les personnes arrêtées s’étaient plaintes de la mauvaise qualité de la nourriture. Un groupe de membres du HDP s'est rassemblé devant le poste de police d'Ankara en signe de protestation.

Dans ce contexte, le Président de la Cour européenne des droits de l'homme (CEDH) Robert Spano, qui s’est rendu en Turquie du 3 au 5, a été critiqué sur plusieurs points: il a rencontré le président turc, mais aucune personnalité d’opposition, ni de militants des droits de l’homme ou de familles des prisonniers d’opinion. Malgré l’invitation de Başak Demirtaş, il n’a rencontré aucun Kurde. Il n’a pas non plus évoqué publiquement les violations des droits humains dans le pays, et a accepté un doctorat honoris causa de l’Université d’Istanbul, qui a démis des centaines de ses enseignants pour des raisons politiques. Il avait pourtant reçu une lettre ouverte de l’un d’entre eux à ce propos: l’essayiste Mehmet Altan lui avait écrit: «Les personnes qui vous offrent ce diplôme sont celles qui nous ont démis, moi et mes collègues». Suffisait-il dans son discours de réception de rappeler que «la liberté académique est protégée par l’article 10 de la Convention européenne des droits de l’homme» et de déclarer qu’il acceptait cette distinction «au nom de la protection de la démocratie, des droits de l’homme et de l’État de droit»? Refuser le diplôme, comme le lui avait demandé le coprésident du HDP Mithat Sancar, aurait sans doute davantage frappé les esprits… et envoyé un message de fermeté au pouvoir.

Autre décision qui a choqué les défenseurs des droits humains, celle de la France, le 16, d’expulser vers la Turquie le militant associatif kurde Mehmet Yalçın, qui résidait près de Bordeaux depuis 2006. Alors que sa demande d’asile était en cours de traitement, la préfecture de Gironde l’a fait emmener par la police depuis son domicile vers un centre de rétention d’où il a été rapidement expulsé, ce qui «met sa vie en danger», a accusé son avocat bordelais (AFP). Il a été emmené par la police turque dès sa descente d’avion…

La Turquie ne se contente pas d’utiliser Interpol pour tenter de mettre la main sur les opposants réfugiés à l’étranger.Elle n’hésite pas à utiliser ses services de renseignements (Milli İstihbarat Teşkilatı, MIT) et même les communautés turques locales, pour agir sur place. En Autriche, où vivent 200 à 300.000 personnes d'origine turque, le ministre de l’Intérieur, Karl Nehammer, a annoncé le 1er septembre dans une conférence de presse télévisée l’arrestation d’un individu espionnant sur le sol autrichien pour le compte de la Turquie. Recruté par le MIT pour lui transmettre des informations sur des citoyens turcs vivant en Autriche ou des Autrichiens d’origine turque, il sera inculpé pour espionnage (Ahval). L’individu a été démasqué lors de l'enquête sur les affrontements ayant éclaté quand des ultranationalistes turcs membres des «Loups Gris» avaient attaqué fin juin à Vienne une manifestation pacifique kurde protestant contre l’attaque subie en Turquie par des touristes venus du Kurdistan d’Irak (Al-Monitor). Nehammer a également rappelé qu’entre 2018 et 2020, plus de 30 Autrichiens ont été incarcérés en Turquie avant que le MIT ne fasse pression sur eux pour les recruter. Le ministre a terminé son annonce par une déclaration très ferme: «Nous avons un message clair à adresser à la République turque: l'espionnage et l'ingérence turcs dans les libertés civiles n'ont pas leur place en Autriche».

Toujours en Autriche, Berivan Aslan, une femme politique autrichienne d’origine kurde et membre du parti Vert, a annoncé le 23 septembre avoir été mise sous protection policière en raison de menaces sur sa vie: «La presse turque et certains milieux tentent de présenter l'incident comme infondé, mais le plan d'assassinat est réel. J'[en] ai été personnellement informée […] par les services secrets autrichiens», a-t-elle déclaré à Ahval. Un ressortissant italien d’origine turque, Feyyaz Ö., admettant travailler pour le MIT, a indiqué aux autorités autrichiennes avoir reçu pour mission de tuer Aslan. Quel pourrait être le mobile ? S’étant intéressée aux minorités vivant en Autriche, celle-ci avait mis au jour à Vienne et dans plusieurs provinces du pays un réseau d'agents du MIT chargés de créer des troubles parmi les communautés turques et kurdes… Lors de son interrogatoire par les services antiterroristes autrichiens, Feyyaz Ö. A également admis être la source du faux témoignage ayant causé l’arrestation pour terrorisme de Metin Topuz, l’employé du consulat américain à Istanbul condamné à huit ans d’emprisonnement en juin dernier Aslan a déclaré que si Feyyaz Ö. avait finalement parlé, c’est qu’il pensait que ses employeurs l’auraient laissé tomber après l’assassinat…

Des documents secrets révélés en août dernier montrent que le MIT, les consulats et l’ambassade turcs en Grèce ont rassemblé de nombreuses informations sur des dizaines de Turcs soupçonnés d’adhérer au mouvement Gülen ou s’étant exilés pour échapper à des procès fabriqués… Sur le site Nordic Monitor, un article signé du journaliste turc en exil Abdullah Bozkurt, ancien responsable à Ankara du site Today’s Zaman, avait le 22 août présenté des fac-similés de plusieurs documents diffusés à la police turque dans tout le pays (->). Là encore, Ankara a réagi avec violence. Attaqué le 24 septembre devant son domicile à Stockholm et blessé à la tête, aux bras et aux jambes, Bozkurt a mis en cause le lendemain le pouvoir turc. «Des gulénistes ont également été attaqués aux États-Unis», a déclaré la journaliste Amberin Zaman, ajoutant que le MİT avait récemment été accusé de détenir des suspects dans des sites secrets pour les torturer. En Allemagne, les services de renseignement ont découvert que des imams de l’organisation religieuse turque DİTİB fournissaient à l'ambassade des rapports sur des dissidents turcs (Ahval).

Ankara compte bien poursuivre cet usage quasi-terroriste du MIT: alors que le président turc a annoncé récemment un accroissement des missions de l’agence à l’étranger, celle-ci s’est vu doter le 26 juillet dernier d’un siège flambant neuf de 80.000 m².

Enfin, de multiples sources font état du transfert vers l’Azerbaïdjan par la Turquie de combattants djihadistes syriens. Certains viennent d’Idlib, d’autres d’Afrin. L’OSDH a fait état de 300 combattants transportés d’Afrin le 24, appartenant principalement aux factions Sultan Mourad et Al-Amsha.. Le site américain Daily Beast a mentionné quant à lui le 29 la présence parmi ces djihadistes d’anciens combattants de Daech, dont un commandant. Ces derniers seraient embauchés par des sociétés turques de sécurité privée proches du MIT.

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IRAN: POURSUITE DE LA RÉPRESSION ALORS QUE LE PAYS S’ENFONCE DANS LA PANDÉMIE ET LA CRISE ÉCONOMIQUE

L’économie iranienne continue à subir de plein fouet l’impact de la politique américaine. Immédiatement après l’annonce par Washington le 20 septembre du retour des sanctions, le dollar a bondi de 2,5% contre le rial, atteignant 273.000 rials (contre seulement 160.000 au 20 mars dernier, début de l’année civile iranienne). Selon les prévisions du FMI, les exportations iraniennes, qui avant les sanctions américaines dépassaient les 100 milliards de dollars, atteindront à peine 46 milliards pour 2020; quant aux réserves de change iraniennes, elles tomberont à 85 milliards en fin d’année (une baisse de 19 milliards de dollars), puis à 69 milliards en 2021 (nouvelle chute de 16 milliards)… De plus, une part importante de ces réserves de change, bloquée à l'étranger, ne peut être utilisée que pour l’importation de biens autorisés. Pour la première fois, la balance commerciale iranienne est devenue négative (Radio Farda). Tout ceci présage de mois toujours plus difficiles pour la population, avec une forte inflation et des pénuries, alors que la pandémie continue sa progression galopante.

Pour le 1er septembre, l’Organisation des Moudjahidine du peuple d’Iran (OMPI) a calculé un nombre de décès dus au coronavirus dans 410 villes dépassant les 97.900. Le lendemain, on était à 98.300, dont 2.006 au Kurdistan et 4.300 au Lorestan, alors que le président iranien Hassan Rohani annonçait la rentrée scolaire pour le 6. Au même moment, Minou Mohraz, membre du comité scientifique du Centre de lutte contre le coronavirus, déclarait: «Les écoles sont le meilleur endroit pour transférer le coronavirus»… Le 14, l’OMPI annonçait plus de 102.600 décès dans 431 villes du pays, dont 4.573 au Lorestan, 2.029 au Kurdistan et 2.723 au Azerbaïdjan occidental, puis plus de 106.200 le 20, alors que la porte-parole du ministère de la Santé annonçait 183 décès et 3.097 nouveaux cas en 24 h, les chiffres les plus élevés respectivement en 40 et 108 jours… Les chiffres ont continué leur ascension ensuite, passant à 108.200 décès le 24, à plus de 110.000 le 27, et le 30 septembre à plus de 112.000 dans 444 villes. Au total, selon les calculs de l’OMPI, septembre a connu à lui seul plus de 14.000 décès… L’ancien ministre de la Santé Mostafa Moyneh a pointé la proportion plus élevée par rapport à la moyenne mondiale de victimes au sein de la communauté médicale, l’attribuant au «manque de moyens de base de protection, à la détection tardive ou la dissimulation de la circulation du coronavirus dans le pays» (NCRI). Pour mémoire, au 29 septembre, le nombre officiel de décès du coronavirus était de 25.779, des chiffres toujours plus contestés…

Les porteurs transfrontaliers kurdes, connus sous le nom de kolbars, continuent à être la cible de tirs meurtriers de la part des gardes-frontières iraniens et turcs. L’organisation de défense des droits humains Hengaw a indiqué dans son rapport mensuel publié le 1er septembre que cinq d’entre eux avaient été tués et 26 autres blessés durant le mois d’août. De plus, le chef des garde-frontière iraniens, Ahmad Ali Goudarzi, a annoncé le 31 août durant une visite au Kurdistan d’Iran son intention de créer une «frontière intelligente» en déployant des dispositifs de surveillance, drones, capteurs etc, tout au long des 1.000 km de frontière avec le Kurdistan d’Irak. Ces mesures risquent fort d'aggraver encore la situation des kolbars, sans parler des risques accrus pour les pechmergas des groupes d’opposition basés au Kurdistan d’Irak (Rûdaw). Parallèlement, quatre nouveaux kolbars ont été tués la première semaine du mois, trois à Sardasht lors d’une embuscade tendue à un groupe, et un quatrième près de Piranshahr. D’autres ont été blessés, notamment deux à Khoy et à Nowsud, et un autre près de Kermanshah. Un autre porteur de 57 ans s’est tué dans une chute près de Marivan. En fin de mois, deux autres porteurs ont été arrêtés près de Baneh et leurs chevaux abattus, un autre a été arrêté à Marivan, et deux autres blessés à Chaldoran (Chaldiran) et Baneh. Enfin, les autorités turques ont réclamé 1.650 $ à la famille d’un kolbar tué il y a dix jours en échange de son corps (WKI). Selon le réseau des droits humains au Kurdistan (KHRN), au moins 7 kolbars ont perdu leur vie dans des attaques des soldats turcs et iraniens entre le 23 août et le 23 septembre (RojInfo). Mais dans la dernière semaine du mois, d’autres porteurs encore ont été blessés à Baneh et à Sardasht, et l’organisation des droits humains Hengaw a estimé le 29 que jusqu’à présent, 50 d’entre eux avaient été tués et 150 blessés depuis janvier… (WKI)

Parallèlement, la terrible répression de toute forme de contestation s’est poursuivie. Déjà, le 25 août, pour le 32e anniversaire des exécutions de masse des prisonniers politiques, des familles de victimes qui s’étaient rassemblées près du cimetière de Khavaran à Téhéran pour se remémorer leurs proches, avaient rapidement été dispersées par la police. Rappelons que l’actuel chef de l’institution judiciaire, Ibrahim Raïssi, a appartenu à la sinistre «Commission de la mort» qui décida des exécutions en 1988 (Radio Farda). Le 2 septembre, Amnesty International a publié un rapport accablant sur l’«épouvantable répression» à laquelle ont été soumis des centaines de détenus arrêtés suite aux manifestations de novembre 2019 (anglais: -> ou français:  ->). Le rapport dénonce une utilisation généralisée de la torture (coups, coups de fouet, décharges électriques, simulacres d'exécution, simulacre de noyade, violences sexuelles, administration par la force de substances chimiques, privation de soins médicaux…). Ces méthodes ont été utilisées pour extorquer les aveux ayant permis de condamner leurs victimes (téléchargement du rapport au format PDF : ->). Suite à la publication de ce rapport, 22 organisations de défense des droits humains ont adressé en commun le 9 une lettre ouverte aux dirigeants du monde entier dans laquelle elles demandent que soit créé lors de la prochaine session (la 45e) du Conseil des droits humains des Nations-Unies un Comité restreint chargé d’enquêter sur ces faits. Il s’agit pour les signataires de mettre fin à la culture de l’impunité «qui a conduit les autorités [iraniennes] à croire qu'elles peuvent commettre des crimes au regard du droit international et d'autres violations graves des droits de l'homme sans répercussion au niveau national ou international» (Radio Farda).

Malheureusement, le régime poursuit arrestations, condamnations et exécutions… Selon le rapport de Hengaw, au moins quatre Kurdes ont été exécutés en août à Sanandaj, Borujerd et Rasht, tous pour meurtre. Quatre autres Kurdes ont été arrêtés, Soliman Karimpûr et Xelîd Mohammedzad à Mahabad, Baized Chopan à Naghadeh et Sabir Salihi à Sanandaj (WKI). Par ailleurs, la prisonnière politique kurde Zeynab Jalalian, emprisonnée depuis treize ans à Khoy pour appartenance au PJAK, transférée fin avril à Waramin près de Téhéran après passage à Ouroumieh et Kermanshah, a été re-transférée fin juin à Kerman, où elle a été mise à l’isolement (Rojinfo).

Le 2, le champion de lutte Navid Afkari a été condamné à mort pour l’assassinat d’un employé de sécurité à Shiraz durant les manifestations de 2018. Pour le CHRI, il s’agit de terroriser la population pour qu’elle demeure docile, car Navid, comme ses deux frères, a été torturé puis condamné malgré des preuves qu’il n’a pu commettre ce meurtre: «Les condamnations à mort prononcées par un système judiciaire qui ignore les preuves, nie les droits de la défense et torture ses détenus pour obtenir de faux «aveux» ne sont rien d'autre que des meurtres», a déclaré Hadi Ghaemi, le directeur du CHRI. Navid Afkari a été pendu le 12 malgré de nombreux appels internationaux à annuler l’exécution (Rûdaw).

Le 10, le prisonnier politique kurde Shakir Behrozi a été condamné à mort à Ouroumieh pour «appartenance à un parti kurde d’opposition» et «action armée contre l’État». Accusé de l’assassinat d’un pasdar, il a été condamné hors la présence d’un avocat sur la base d’aveux extorqués par la torture. Demeuré sept mois pechmerga du PDKI, Behrozi avait quitté ce parti avant de rentrer en Iran. Alors qu’il avait reçu l’assurance de ne pas être inquiété, il avait été arrêté en mars dernier (Hengaw), puis accusé d’appartenir au Komala. Comme dans le cas de Navid Afkari, il n’a pu commettre le meurtre dont on l’accuse: au moins dix personnes ont signé un témoignage commun selon lequel il se trouvait avec elles dans un magasin au moment du meurtre (Kurdistan au Féminin).

Le 16, la Cour suprême iranienne a rejeté la demande de révision de la condamnation à mort du prisonnier politique kurde Heydar Qorbani, prononcée le 28 janvier pour «rébellion armée contre l’État». Qorbani avait été arrêté à Kamyaran après que plusieurs pasdaran avaient été tués près de la ville. Détenu et torturé plusieurs mois par l’Etelaat, il avait été condamné fin 2019 à 90 ans de prison et 200 coups de fouet pour complicité de meurtre. Là encore, il a été condamné sans qu’aucun élément ne puisse l’incriminer (Rûdaw). En fin de mois, Amnesty International a demandé l’annulation de sa condamnation puis publié une déclaration selon laquelle «sa condamnation est basée sur des aveux obtenus sous la torture lors de sa disparition forcée» (WKI).

Enfin, on demeure sans nouvelles de deux Kurdes, Farid Pazhohi, arrêté à Minivan en août 2018, et Jaffar Hassanzadeh, arrêté en août dernier. À Bokan, des officiers de l'Etelaat ont enquêté pour la cinquième fois en un an sur le directeur d'un centre de langue kurde, Amir Payada, auquel ils reprochent ses activités. Par ailleurs, le 18, des pasdaran ont ouvert le feu sur trois bergers kurdes près d'Oshnavieh, tuant Hassan Khandanpour, 26 ans, et blessant les deux autres, qui ont été transférés dans un hôpital de Naghadeh. À Piranshahr, Sardar Menapour a été arrêté et accusé d’«appartenance à un parti kurde d'opposition», et le 23 à Mahabad, deux frères ont été arrêtés et accusés de «coopération avec des partis politiques kurdes» (WKI).

Le 19, l'avocate des droits de l'homme Nasrin Sotoudeh, emprisonnée depuis 2018 à la prison d’Evin pour une peine de 38 ans et en grève de la faim depuis le 11 août dernier pour demander la libération des prisonniers politiques iraniens dans le contexte de la pandémie de COVID, a vu son état s’aggraver et a dû être hospitalisée en urgence. Sa famille s’est vue interdire de la visiter, et son mari, Reza Khandan, a indiqué au CHRI le 20 que son état cardiaque était préoccupant. Le CHRI a exprimé son inquiétude et appelé les autorités à autoriser les visites. Elle a notamment été accusée d’«incitation à la prostitution» pour avoir plaidé contre le port obligatoire du hijab. Le 23, malgré son état de faiblesse préoccupant, elle a été renvoyée à Evin, peut-être à la clinique de la prison. Le 26, son mari a annoncé que Sotoudeh avait interrompu sa grève de la faim.

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IRAK: REPRISE DES POURPARLERS ENTRE BAGDAD ET ERBIL

Depuis sa nomination en mai dernier, le nouveau Premier ministre irakien Mustafa Al-Kadhimi doit naviguer entre les difficultés de tous ordres: hostilité sur le sol irakien entre États-Unis et Iran, déficit historique dû à la chute du prix du pétrole, mouvement de contestation populaire anti-corruption, insoumission des milices pro-iraniennes Hashd al-Shaabi, pandémie de coronavirus… Malgré la fermeté affichée du nouveau gouvernement, les milices Hashd, qui bénéficient de nombreux soutiens à tous les niveaux de l’administration, ont poursuivi leurs attaques anti-américaines, les élargissant même à d’autres cibles occidentales: le 15 septembre, on a appris trois attaques menées en moins de 24 h, visant successivement un véhicule de l'ambassade britannique qui revenait de l'aéroport de Bagdad, un convoi de la coalition anti-Daech, puis un n-ième tir de roquettes sur l’ambassade américaine (intercepté par son système de défense aérien). Ces actions visent aussi à affaiblir le Premier ministre, qui a annoncé vouloir lutter contre ces milices tout en menant des réformes anti-corruption – des déclarations qui lui ont valu par contre une certaine neutralité et une position d’attente des protestataires irakiens.

La Région du Kurdistan est elle aussi confrontée au coronavirus, et se trouve de manière similaire prise en otage en raison de son enclavement géographique dans une lutte se déroulant sur son sol: celle qui oppose le PKK et l’État turc. Même si l’Iran pèse d’un poids croissant, la frontière économique principale du Kurdistan d’Irak demeure la frontière turque. C’est ce qui explique que le Président du Kurdistan ait accepté l’invitation de son homologue turc, lancée d’ailleurs semble-t-il en réponse à la visite du président français en Irak… Cette visite à Ankara, menée le 4 septembre et qui a donné lieu à des discussions avec les dirigeants turcs, dont le président Erdoğan, sur la coopération économique et politique, alors que la Turquie poursuivait ses opérations au Kurdistan, a été critiquée aussi bien au Kurdistan qu’en Turquie.

Si, le 9, le Pentagone a annoncé une réduction de moitié des effectifs américains en Irak pour atteindre 3.000 soldats, en parallèle, les États-Unis ont clairement indiqué qu’ils réagiraient par eux-mêmes, et fortement, si le gouvernement irakien ne parvenait pas à faire cesser les attaques visant leurs troupes. Ils ont aussi menacé de frapper le pays au portefeuille en cessant d’appuyer ses demandes d’aide financière internationale… C’est sans doute ce qui a poussé les Hashd al-Shaabi à se désolidariser le 24 des «activités militaires illégales contre des intérêts civils nationaux ou étrangers» accomplies en leur nom… (L’Orient-Le Jour) Le 26, Mike Pompeo aurait menacé de «tuer chaque membre du Kataib Hezbollah» si les Américains devaient se retirer en raison de leurs attaques… (ISHM) Selon des rapports non confirmés, les Américains auraient également indiqué à Al-Kadhimi qu’ils étudiaient la possibilité de déplacer leurs diplomates à Erbil, au Kurdistan d’Irak (WKI). Le 30, comme en réponse à ces déclarations, six roquettes ont précisément frappé une zone proche de l’aéroport international d’Erbil, qui héberge un petit contingent de troupes de la Coalition internationale. Les forces de sécurité du Gouvernement régional du Kurdistan (GRK) ont déclaré que les tirs venaient d’un véhicule situé dans le village de Sheikh Amir, à l'est de Mossoul, contrôlé par la brigade 30 des Hashd al-Shaabi. L’armée irakienne a déclaré avoir arrêté les auteurs (ISHM).

Parallèlement, les discussions se sont poursuivies entre le GRK et le gouvernement fédéral. Le 6, une délégation du GRK dirigée par le Vice-premier ministre Qubad Talabani est arrivée à Bagdad pour rencontrer Al-Kadhimi. Les discussions ont porté sur la part du budget fédéral destinée au GRK, le partage des revenus pétroliers, le contrôle des postes-frontières, et les projets de développement d’infrastructures. Le 8 septembre, une source anonyme du GRK ayant participé aux négociations a déclaré que Bagdad avait accepté de continuer à régler au GRK les salaires de ses fonctionnaires, soit 320 milliards de dinars, jusqu'à ce que le Parlement approuve le budget 2021. Cet accord est conforme à celui obtenu en août, selon lequel Bagdad versera sa part au GRK jusqu’à la fin de l’année en échange d’un retour sous contrôle fédéral des postes-frontières et de 50% des recettes douanières du Kurdistan… Le 10, c’est Kadhimi qui a conduit une délégation au Kurdistan pour une visite de deux jours de ses différentes provinces. À Erbil, le Premier ministre irakien a rencontré entre autres le Premier ministre du GRK Masrour Barzani, et le leader du PDK Massoud Barzani (ISHM). Les discussions ont aussi porté sur les territoires disputés et le mécanisme de sécurité commun entre les forces fédérales et les peshmerga. Le 20, une nouvelle délégation kurde, comprenant des responsables des ministères GRK des Finances et de la Planification, a fait le déplacement à Bagdad pour poursuivre des discussions plus techniques concernant les budgets 2021-2023.

Aussi bien au Kurdistan que dans le reste de l’Irak, la pandémie de coronavirus a poursuivi sa propagation avec un rebond dû à la levée des restrictions précédentes. Par ailleurs, le 30 août, des milliers de pèlerins s’étaient rassemblés à Kerbala pour commémorer l'Achoura, sans mesures sanitaires suffisantes (RFI). Le 1er septembre, le gouvernement irakien a annoncé 3.404 nouveaux cas et 81 décès en 24h; le 3, le GRK a annoncé 588 nouveaux cas en 24h (267 dans la province d'Erbil, 204 à Dohouk, 89 à Suleimaniyeh et 28 à Halabja) et 23 décès. À ce moment, on comptait 30.535 malades et 1.148 décès dans la Région du Kurdistan. Les chiffres de nouveaux cas aux niveaux national et du GRK ont continué à augmenter en parallèle: 264.684 cas, dont 4.314 dans les dernières 24h le 7 en Irak, puis 303.059 malades le 16 avec 8.248 décès. Le 29, on dépassait 350.000 cas et 9.000 décès, alors que le directeur de la santé publique Riyadh Al-Halfi, déclarait que l'Irak n'avait pas encore atteint le pic de l'épidémie et était encore dans la première vague… Au Kurdistan, on était le 17 à 680 nouveaux cas et 29 décès, le nombre de morts le plus élevé enregistré en une journée depuis le début de l’épidémie, pour un total de 1.446 morts sur 38.661 cas depuis le début de celle-ci (Kurdistan-24).

Le 30, le ministère kurde de la Santé a annoncé 673 nouveaux cas et 24 décès, 11 à Suleimaniyeh, 8 à Dohouk et 5 à Erbil, pour un total de plus de 47.000 cas et 1.749 décès… La banque du sang d’Erbil a lancé un appel aux donneurs parmi les patients guéris de la COVID, spécialement pour du plasma du groupe A, qui pourrait permettre de sauver un malade grave (Kurdistan-24).

Comme si la situation de l’épidémie et les violences des milices pro-iraniennes ne suffisaient pas, les djihadistes de Daech ont ajouté les victimes de leurs attaques au bilan de ce mois. Le 3, ils ont lancé une attaque nocturne contre un cantonnement de garde-frontières à Anbar, près de la frontière saoudienne, faisant cinq morts (Kurdistan-24), et une attaque suicide contre la police fédérale a fait deux blessés à Hawija (Kirkouk). La nuit du 13, une autre attaque, non revendiquée, mais attribuée à Daech, a visé les gardes d’une raffinerie près de Kirkouk, dont cinq ont été blessés. Près de Kirkouk, des djihadistes ont été visés par une frappe aérienne irakienne. Dans la ville même, la voiture d’un universitaire sunnite a été frappée par une bombe artisanale (WKI). Le 27, une source sécuritaire a rapporté qu’au moins trente villages kurdes kakaïs de la région de Khanaqin (Diyala) avaient été abandonnés en raison des attaques de Daech visant particulièrement cette communauté. Le 28, une autre source sécuritaire a rapporté que plus de trente familles avaient quitté le village de Hitawîn (Diyala) suite à ces attaques.

Dans les territoires disputés, les Kurdes sont toujours confrontés aux tentatives d’éviction menées par d’anciens colons arabes installés à l’époque du régime de Saddam Hussein. Le 13, plus de 500 membres de tribus arabes ont attaqué le village kurde de Palkana, au Nord-Est de Kirkouk. L’armée irakienne, stationnée non loin, est intervenue pour empêcher des affrontements directs. Le 21, quatorze partis politiques kurdes ont tiré la sonnette d’alarme dans une conférence de presse commune à propos des nouvelles tentatives d’arabisation à Kirkouk. En l’absence du PDK, qui n’est pas revenu à Kirkouk depuis sa reprise par les forces fédérales irakiennes en octobre 2017, les participants ont dénoncé la politique hostile aux Kurdes du gouverneur actuel de la province, Rakan Al-Jabouri, nommé par Bagdad après la révocation du Dr. Nejmeddine Karim, et les tentatives d’arabisation, qui visent particulièrement le district de Daqouq, au sud de la province, et la ville de Sargaran, à l'ouest de la ville (Rûdaw).

Le 25, le Premier ministre kurde, Masrour Barzani, a averti que les tensions augmentaient dans les territoires disputés, dénonçant les tentatives «systématiques» et de plus en plus violentes par des colons arabes d’expulser de leurs habitations des familles kurdes d'une manière «menaçant la paix et la stabilité». Certains agriculteurs kurdes, qui ont refusé de partir, disent que leurs champs de blé sont incendiés durant la nuit par des inconnus. Dans un effort apparent pour apaiser les inquiétudes des Kurdes, le ministère irakien de la Justice a publié le 23 un décret déclarant nuls et non avenus tous les contrats agricoles signés à l'époque du régime ba’thiste pour «modifier la démographie des territoires disputés». Si les Kurdes ont accueilli ce décret favorablement, ils attendent surtout de voir quelle sera son application concrète, car localement, les milices armées sont souvent toutes-puissantes. La situation de tension risque aussi de favoriser les attaques de Daech (VOA).

Enfin, les opérations militaires turques anti-PKK sur le sol du Kurdistan d’Irak continuent à provoquer des dégâts matériels et des victimes civiles dans les régions frontalières. Malgré les demandes répétées de Bagdad et d’Erbil pour qu’Ankara y mette fin, et l’annonce turque qu’elles étaient terminées, on semblait plutôt s’orienter en fin de mois vers leur intensification et l’entrée de troupes turques au sol dans de nouvelles zones. Selon le rapport préparé par une commission parlementaire du Kurdistan, au moins 504 villages ont été évacués depuis le lancement des attaques turques en mai. À plus long terme, la commission a estimé que depuis 1992, moment d’une première incursion turque, rien que dans la province d’Erbil, ce sont des centaines de personnes qui ont été tuées et des dizaines de milliers déplacées en conséquence des frappes tant turques qu’iraniennes. Les pertes matérielles, quant à elles, sont estimées à des dizaines de millions de dollars (Rûdaw).

Les militaires turcs ne montrent dans leurs opérations aucun respect pour les vies civiles des résidents des zones où ils opèrent. Le 7, ils ont même ouvert le feu sur des agriculteurs du district de Bradost, avant de lancer le lendemain de nouvelles frappes d'artillerie sur le district d’Amedi (Dohouk). Le 9, Le ministre turc des affaires étrangères a justifié implicitement la poursuite des opérations en affirmant que le PKK «transformait le Kurdistan d’Irak en son bastion». La nuit du 12, de nouvelles frappes par des hélicoptères Apache ont touché les villages de la région de Batifa (Zakho) en appui aux militaires engagés dans d’intenses affrontements avec le PKK; elles ont provoqué des incendies qui ont détruit champs et vergers. Dans ce district frontalier de la Turquie, 13 villages sur 27 ont été touchés par les récents bombardements, selon le maire (Rûdaw). Le jeudi 17, des jets turcs ont frappé trois villages près de la région de Barwari (Dohouk). Le 18, le ministère turc de la défense a annoncé que deux soldats turcs avaient été tués et un troisième blessé dans des tirs de roquettes du PKK sur une base du Kurdistan d’Irak. Le ministère a également annoncé le chiffre (invérifiable indépendamment) de 71 combattants du PKK tués depuis le 13 juillet (Reuters).

Le 20, la destruction d’un véhicule transportant trois membres du PKK au Sinjar a donné lieu à des interprétations contradictoires. Si la sécurité irakienne a parlé d’un drone turc, d’autres sources ont attribué l’explosion à une bombe. Roj News, proche du PKK, a indirectement accusé le PDK, qui contrôle la zone, en déniant la présence d’un drone turc, tandis qu’un commandant yézidi de pechmergas locaux accusait au contraire le PKK de chercher ainsi à empêcher le retour des personnes déplacées pour conserver son contrôle sur la région… (ISHM) En fin de mois, la chaîne kurde Rûdaw a indiqué que l’armée turque avait installé de nouveaux postes militaires près de Zakho, tandis que de nouvelles frappes touchaient le secteur de Batifa (WKI). Les opérations turques au Kurdistan d’Irak semblent bien loin de devoir s’arrêter rapidement…

Pour terminer sur une note moins militaire, mentionnons que le parlement du Kurdistan a adopté en milieu de mois dans le cadre de la loi sur les droits des patients médicaux un nouveau texte sur l’avortement, qui légalise celui-ci sous de strictes conditions. Il demeure limité aux cas où la poursuite de la grossesse met en danger la vie de la mère, et doit être validé par une commission de cinq médecins. Plusieurs organisations féministes locales ont critiqué les limitations de cette loi, notamment l’absence de mention des grossesses non désirées comme dans les cas de viol, et rappelé le danger de crime d’honneur qui fait qu’une femme peut être assassinée parce qu’elle est enceinte.

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