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Bulletin N° 419 | Février 2020

 

IRAN: MASCARADE ÉLECTORALE AU TAUX DE PARTICIPATION HISTORIQUEMENT BAS DANS UN CONTEXTE DE RÉPRESSION EFFROYABLE

La nouvelle année ne marque décidément aucune pause dans la répression en Iran, bien au contraire. Début février, l’association de défense des droits de l’homme Hengaw a compté 36 exécutions au moins pour janvier. En 2019, il y en avait eu selon elle au moins 52 dans les provinces kurdes, Ilam, Kermanshah, Lorestan, Azerbaïdjan occidental et Khorasan. Chiffres terribles, pourtant en réduction de 26% par rapport à 2018, ce qui en dit long sur la situation du pays…

Alors que les autorités n’ont toujours livré aucun bilan officiel des morts de la répression ni des arrestations des manifestations de novembre et de janvier, de nombreux activistes kurdes arrêtés sont toujours emprisonnés et les condamnations pleuvent: jusqu’à des dizaines d’années de prison, parfois des coups de fouet, pour «trahison», «propagande contre la République islamique», «atteinte à la sécurité nationale», «insulte au Guide Suprême» ou «assistance à un parti kurde d’opposition». Beaucoup de condamnations dans des procès à huis-clos et sur la seule base d’«aveux» extorqués, ou pour une simple présence dans les manifestations. Des blessés meurent dans leur cellule faute de soins suffisants, les familles contraintes à des enterrements nocturnes. Certains se suicident en prison, comme Siamak Momeni, 18 ans. Des enfants ont été emprisonnés. Les familles ignorent le sort de leurs proches incarcérés. Une simple lettre ouverte peut suffire à recevoir 26 ans de prison, comme pour Abdolrasoul Mortazavi, signataire à l’été 2019 avec treize autres activistes d’une lettre demandant la démission du Guide Suprême. Arrêtés, huit ont été condamnés le 1er février à de lourdes peines de prison, au total 90 ans. Une autre lettre au contenu identique, signée par quatorze femmes, a également mené à des peines de prison.

La région kurde est quadrillée par les pasdaran (Gardiens de la révolution) et l’Etelaat (service de renseignement), qui arrêtent à tour de bras pour empêcher de nouvelles manifestations. HRANA a dans un rapport publié le 7 identifié 138 prisonniers politiques dont il détaille les conditions de détention. Le porte-parole de la Commission parlementaire pour la sécurité nationale, Hossein Naqavi Hosseini, a donné une estimation de 7.000 personnes arrêtées lors des manifestations de novembre (CHRI). Radio Farda a estimé le nombre de détenus à au moins 8.600 dans 22 provinces, tandis que les défenseurs des droits de l’homme confirmaient au moins 500 morts, dont la liste, régulièrement actualisée, est disponible sur Wikipedia en persan (->). Mais le Département d’État américain estime, pour sa part, qu’en novembre il y aurait eu jusqu’à 1.500 morts…

Les manifestants kurdes de novembre continuent à payer le prix. Selon HRANA, le 10, trois habitants de Kermanshah ont été condamnés à des peines de prison: Sohbatollah Omidi à cinq ans (dix ans selon l’Institut kurde de Washington, WKI), Khalil Asadi Bouzhani à trois ans et demi (six ans selon WKI), Mehdi Ebdali à un an, un quatrième, Mohieldin Asghari, ayant été acquitté. Toujours à Kermanshah, la féministe kurde Farzana Jalali a reçu un an de prison. À Marivan, où on demeure sans nouvelles du docteur incarcéré Omed Modarasi, le défenseur de l’environnement Goran Qurbani a été condamné à neuf ans d’emprisonnement, et le manifestant de novembre Pishtiwan Afsari a reçu neuf ans pour «propagande contre la République islamique». À Sanandadj, selon l'Association des droits de l'homme du Kurdistan (KMMK), l'activiste kurde Chia Mohammdai a reçu cinq ans de prison pour «assistance  à un parti kurde d'opposition», et à Bokan, le syndicaliste Hadi Tanumendi a été condamné à trois ans. À Sanandadj, l’enseignant syndiqué Iskander Lutfi a reçu deux ans, et à Mahabad, selon KMMK, le syndicaliste Hadi Tenomand, originaire de Bokan, a reçu trois ans et demi pour «appartenance à une organisation diffusant de la propagande». En fin de mois, Zainap Ismaeli, l’une des «Mères de la paix» à Dehgolan (Dewelan), dont le fils a été tué par Daech au Rojava en 2014 après avoir rejoint les YPG, a été arrêtée et mise au secret. Rien qu’en février, 19 militants kurdes ont été condamnés, tandis que des centaines d'autres demeurent en prison (WKI).

Il y a aussi eu des condamnations à mort, comme celles qui ont frappé le 26 à Téhéran les manifestants de novembre Amir Hossein Moradi, Saeed Tamjidi et Mohammad Rajabi. Elles ont été prononcées sur la base de confessions extorquées sous la torture ou parle chantage. Tamjidi et Rajabi, qui s’étaient réfugiés dans un pays voisin non précisé, ont été renvoyés en Iran fin décembre sur demande de Téhéran…

C’est dans ce contexte effroyable que se sont tenues le 21 février des élections législatives sans réel enjeu: neuf-mille candidats, et la quasi-totalité des «réformistes», avaient en effet été d’entrée de jeu éliminés par le Conseil des gardiens de la Constitution, contrôlé par le Guide Suprême, ce qui assurait la victoire des conservateurs – au point que le Président Rouhani a déclaré le 15 janvier à la télévision: «Ce n’est pas une élection. C'est comme si l’on avait un magasin avec 2.000 exemplaires d'un seul article». Plusieurs groupes réformistes avaient décidé de ne pas présenter de candidats, et selon un sondage de la chaîne publique News Network sur l'application Telegram, plus de 78 % des téléspectateurs interrogés ont déclaré qu'ils ne voteraient pas. La chaîne a censuré les résultats, mais un nouveau sondage a redonné les mêmes… (Radio Farda) Avant le vote, l’Etelaat a tenté de faire taire les journalistes, les convoquant pour les menacer ou faisant des descentes chez eux pour confisquer leur matériel informatique. Tout message trop critique pouvait mener à une inculpation.

Les autorités voulaient un taux de participation élevé, qui leur aurait permis de déclarer à l’étranger que les Iraniens soutiennent les institutions. Un journaliste a même spéculé que si le gouvernement avait choisi le mercredi précédent le vote pour commencer à parler de l’épidémie du coronavirus, c’est peut-être que cela donnerait une raison toute trouvée à la faible participation (Radio Farda). Au Kurdistan, un journaliste de Rûdaw a constaté que les bureaux de vote étaient quasiment vides – mais il était interdit de les photographier. Les horaires ont été étendus jusqu’à cinq heures supplémentaires, en raison d’une soi-disant «ruée des électeurs» vers les bureaux de vote, selon la télévision d'État (Reuters). En fin de journée, les officiels ont livré des déclarations contradictoires sur le taux de participation. Sur la base des chiffres compilés à 18 heures, l'agence Fars l’a estimé à 39-40% au niveau national et à 30% pour Téhéran. Aux législatives de 2016 il avait été de 62%. La participation semble avoir été plus faible dans les villes, et plus tard, le taux national a été officiellement établi à 42,57%, mais seulement 25% pour la capitale. C’est la participation la plus faible depuis l’établissement de la République islamique. Le soir même, le Guide Suprême l’a commodément attribuée à la propagande de l’étranger sur l’épidémie de coronavirus. De plus, l’absence de transparence rend les chiffres officiels invérifiables: selon les réseaux sociaux, la participation réelle serait de 20%…

Le taux de participation le plus faible a été relevé au Kurdistan d’Iran; les partis kurdes d’opposition en exil avaient tous appelé les Kurdes au boycott.

Parallèlement, les porteurs kurdes, ou kolbars, ont continué à payer un lourd tribut à la répression. Début février, on comptait déjà pour 2020 trois morts et vingt blessés. Si l’un d’eux, originaire de Saqqez, est mort de froid près de Baneh en début de mois quand son groupe s’est perdu dans une tempête de neige, d’autres ont été blessés ou tués par balles par les garde-frontières iraniens, parfois par les militaires turcs. Le 5, toujours à Baneh, un porteur s’est blessé dans une chute en fuyant les forces de sécurité, et un autre d’Oshnavieh (Shino) risque l’exécution pour «rébellion» alors qu’il transportait de l’alcool (WKI). Le 16, la chaîne kurde d’Irak Rûdaw a indiqué qu’à Nowsud un kolbar au moins avait été tué (quatre selon d’autres témoignages) et six autres blessés. Le même jour, deux autres ont été blessés près de Piranshahr et Marivan. Le 22 et le 25 au Hawraman, un puis deux autres kolbars se sont gravement blessés dans des chutes (WKI).

Les persécutions contre les minorités religieuses se poursuivent également. Le 14, HRANA a publié un rapport sur le sort d’une étudiante de Téhéran ayant eu le tort de se convertir au christianisme, Fatemeh (Mary) Mohammadi. Interdite d’études et emprisonnée à la sinistre prison d’Evin, après une première libération, elle a été de nouveau incarcérée après avoir été agressée et blessée au visage dans un bus par une autre femme lui reprochant de ne pas porter son voile correctement. Une fois au commissariat pour déposer plainte contre celle-ci, c’est elle qui a été arrêtée. Libérée sous caution, de nouveau arrêtée durant les manifestations de janvier, sévèrement battue et soumise à des sévices en prison, elle attend maintenant son procès pour «trouble à l'ordre public par la participation à une manifestation illégale». Le procureur a empêché sa libération conditionnelle en refusant sa caution. Ce n’est qu’un exemple des discriminations religieuses dans le pays. Depuis fin janvier, une nouvelle réglementation concernant la délivrance des cartes d’identité oblige les demandeurs à se déclarer adhérents d’une des religions reconnues par la constitution: musulman, chrétien, juif ou zoroastrien. Ceux qui ne cocheront pas la case correspondant à l’une de ces religions (quitte à mentir sur leur confession) ne pourront obtenir la carte. Sont atteints par cette mesure discriminatoire, les bah’ais, mais aussi les mandéens et les yarsans (une minorité de Kurdes méridionaux aussi appelée «Ahl-e Haqq»). Le formulaire de demande de carte d’identité comportait une case «Autre» jusqu’à janvier 2019, quand Javad Abtahi, député conservateur de Khomeinishahr (Ispahan), a obtenu son retrait du ministère de l’Intérieur. Selon lui, cette option «légitimait» des croyances religieuses non reconnues par la Constitution, «comme les baha’is», a-t-il dit… Cette nouvelle discrimination visant explicitement les baha’i s’ajoute à de nombreuses autres, comme l’interdiction de faire des études ou la confiscation de leurs terres, et constitue une violation flagrante aussi bien de la constitution iranienne, dont l’article 19 prévoit l’égalité entre citoyens quelles que soient leurs confession ou appartenance ethnique, que de la Déclaration universelle des droits de l’homme.

Enfin, les deux chercheurs Fariba Adelkhah et Roland Marchal, arrêtés en juin dernier, sont toujours emprisonnés en Iran, et le 18, les huit défenseurs de l’environnement incarcérés depuis janvier 2018, ont vu confirmées en appel leurs longues peines de prison, prononcées à partir de preuves totalement fabriquées. Un neuvième membre du groupe, le sociologue irano-canadien Kavous Seyed-Emami, était décédé à la prison d’Evin trois semaines après son arrestation dans des circonstances extrêmement suspectes. La BBC a publié des extraits de lettres adressées au responsable du système judiciaire d’alors, Sadegh Larijani, par une des membres du groupe, Niloufar Bayani, ancienne consultante du programme des Nations-Unies pour l’environnement (UNEP). Elle y témoigne de terribles conditions d’interrogatoire et de détention, incluant le harcèlement sexuel auquel elle a été soumise. Le 21, le CHRI a publié des lettres tout aussi effrayantes de l’universitaire australienne Kylie Moore-Gilbert, condamnée en juillet 2019 dans un procès à huis-clos à dix ans de prison pour «espionnage» et emprisonnée depuis septembre 2018 dans l’aile de la prison d’Evin gérée par les pasdaran (->).
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TURQUIE: LE HDP PARVIENT À TENIR SON CONGRÈS MALGRÉ LA RÉPRESSION TOUS AZIMUTS DU POUVOIR

Ce mois de février 2020 a vu la publication de plusieurs rapports sur la Turquie pour 2019. Le 14, le site turc indépendant Bianet a publié son bilan sur les violences faites aux femmes, dont 318 tuées durant 2019 et 1.699 les six dernières années (->). Voir aussi le dernier rapport mensuel (->). Le 17, le député CHP Sezgin Tanrıkulu a publié pour janvier son rapport mensuel sur les violations des droits de l’homme (->). La Fondation turque des droits de l’homme TİHV a quant à elle comptabilisé 149 interdictions de manifester dans 21 villes et un district en 2019, en violation de l’article 34 de la constitution turque qui autorise «réunions et marches de démonstration non armées et pacifiques sans autorisation préalable». En particulier dans la province de Van, le gouverneur a interdit continument toute manifestation depuis le 21 novembre 2016 à coups d’interdictions de 15 jours.

Déjà en janvier, l’association des journalistes contemporains (ÇGD) avait relevé dans son dernier rapport trimestriel l’aggravation des entraves à la liberté de la presse (->), rapport complet en PDF (en turc) ici.

Sur le plan économique, le 3, l’institut d’État de statistiques rkStat a fait état d’une inflation annuelle à 12,15%, avant d’indiquer le 10 que le nombre de chômeurs avait atteint 4,308 millions. L'économie turque rencontre de plus en plus de problèmes depuis le passage à un système présidentiel et de récents sondages suggèrent que même les électeurs de l'AKP sont mécontents…

À Istanbul, les habitants ont continué à exprimer leur opposition à l’ambitieux projet de canal Mer Noire-Marmara dans une marche organisée le 3 le long du trajet prévu. Le 12, la Cour constitutionnelle a rejeté la demande de suspension du projet déposée par le CHP, déclarant celui-ci conforme à la constitution et renvoyant le demandeur aux tribunaux administratifs. Le lendemain, un tribunal a ordonné la censure de trois articles rapportant l’achat de terres le long du futur canal par le gendre du président turc et actuel ministre de l’économie Berat Albayrak, dont celui sur Bianet en anglais…

Autre bilan 2019, celui de la révocation de maires HDP: ils sont 39, quasiment tous inculpés d’«appartenance à une organisation terroriste» et risquant parfois des décennies de prison. Le 7, l’organisation de défense des droits de l’homme Human Rights Watch (HRW), décomptant 23 maires arrêtés et 32 administrateurs nommés dans des municipalités HDP, a estimé que par ce moyen, le pouvoir AKP-MHP avait réussi à annuler dans les faits les résultats des élections municipales du 31 mars, violant de ce fait les droits des électeurs (->).

La traque du HDP s’est poursuivie durant les premières semaines du mois, le pouvoir cherchant manifestement à empêcher, ou au moins à rendre plus difficile, la tenue du congrès de ce parti, prévue le 23. Le 7, au moins 6 membres du HDP ont été incarcérés, dont des responsables HDP d’Istanbul. Le 14, le HDP a annoncé qu’au moins 99 de ses membres avaient été incarcérés à Ankara, Istanbul, Adana, Ağrı, Dersim (10 jeunes membres, majoritairement étudiants), Diyarbakır (dont son responsable provincial İrfan Söner), Kocaeli, Mardin, Mersin, Şanlıurfa et Van (dont le reporter Yunus Duman, de l’agence Mezopotamya). A aussi été incarcéré l’écrivain et homme politique kurde Mahmut Alinak, déjà arrêté huit fois auparavant. Au total probablement plusieurs centaines d’incarcérations. Le 17, jour où Ahmet Türk, ex-co-maire de Mardin et Necla Yıldırım, ex-co-mairesse de Mazıdağı, étaient acquittés des accusations leur ayant valu leur destitution, une nouvelle enquête était lancée contre le député HDP de Van Murat Sarısaç, déjà suivi depuis plusieurs jours par des individus en civil… Le 21, le co-président du HDP pour Şişli, Mutlu Öztürk et huit membres du parti, arrêtés le 13 à Istanbul pour avoir participé à la commémoration du septième anniversaire de la fondation du HDP, un événement parfaitement légal, ont été acquittés du chef d’accusation d’«organisation, direction et assistance à des réunions et manifestations illégales» et libérés… Ils avaient été initialement arrêtés pour «insulte à la République de Turquie» pour avoir scandé «Non à la guerre, paix maintenant».

Le 23, le HDP a pu tenir à Ankara son quatrième congrès, au cours duquel Mithat Sancar a été élu comme nouveau co-président du parti devant Sezai Temelli, et la co-présidente sortante Pervin Buldan a été réélue. Le simple fait de tenir ce congrès qui, au-delà de ses 1.018 délégués, a rassemblé plus de 20.000 membres dans la capitale turque, constitue une véritable victoire dans le contexte d’une répression aussi violente. Comme l’a déclaré Buldan après sa réélection: «Ils ont pris en otages des milliers de nos amis, mais nous sommes devenus des millions!». Par ailleurs, l’événement a eu un impact international, 28 pays, dont la France et plusieurs pays européens, et une trentaine de partis politiques et d’organisations de femmes du Moyen Orient ayant envoyé des délégations. Parmi les orateurs invités par le Congrès se trouvait notamment le président du groupe Gauche unie de l'Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe, Tiny Kox. Référant à la répression du pouvoir, Buldan a également déclaré: «Mais il y a quelque chose qu'ils ne peuvent pas voir: ils ont face à eux une alliance des opprimés: Cizre est alliée de Gezi. Istanbul et Diyarbakır sont alliées à İzmir et Hakkari».

Dès la fin du congrès, une enquête a été lancée contre le HDP pour «propagande pour une organisation terroriste», suite à la publication d’une photo montrant la projection lors d’une présentation de photos du leader emprisonné du PKK, Abdullah Öcalan. Une quinzaine de personnes ayant participé à la préparation de la présentation ont été incarcérées. Le même jour, la peine de dix ans de prison de l’ancienne vice-co-présidente du HDP Aysel Tuğluk, détenue depuis décembre 2016, a été confirmée en cassation.

Pour les autres nouvelles, mentionnons la situation toujours aussi terrible dans les prisons. Se référant aux données diffusées par l'Association des droits de l'homme (İHD), la députée HDP Züleyha Gülüm indique que, pour une capacité pénitentiaire de 220.000, la Turquie compte actuellement 280.000 prisonniers, avec 1.334 malades dont 457 gravement. 44 détenus malades sont décédés en prison durant la période 2017-2019. Sur ces 1.334 prisonniers malades, le seul que le président turc ait choisi de gracier pour raison sanitaire début février est Ahmet Turan Kılıç, l’un des condamnés à vie du massacre de Sivas, qui avait coûté la vie à 33 artistes et écrivains venus participer à la fête de Pir Sultan Abdal, et sont morts dans l’incendie de leur hôtel…

Déjà le 15 janvier, la prisonnière politique kurde Nurcan Bakir s’était suicidée. Détenue depuis 28 ans et transférée à Mardin en punition de sa participation à la grève de la faim de 2019, malade et jamais libérée malgré sa situation sanitaire et plusieurs demandes, elle avait préféré en finir… On sait que de nombreux prisonniers malades se voient refuser des soins, et le 29 janvier, un prisonnier de Tekirdağ, Hüseyin Polat, était mort dans sa cellule d’une hémorragie intestinale après avoir renvoyé en prison après une piqûre par «manque de place à l’hôpital». Début février, sur les sept musiciens incarcérés de Grup Yorum, deux étaient toujours en grève de la faim jusqu’à la mort depuis sept mois, la chanteuse Helin Bölek (libérée le 20 novembre mais toujours en jeûne chez elle) et le bassiste İbrahim Gökçek. Accusé de terrorisme sans aucune preuve, ce dernier ne pesait plus fin janvier que 40-45 kg, selon le député CHP Turan Aydoğan qui l’a visité… Le 5 février, l’Association des avocats progressistes (ÇHD) a annoncé que huit de ses dix-huit membres détenus, dont des avocats de Grup Yorum, étaient à leur tour entrés en grève de la faim. Le 13, la Commission des relations internationales du HDP a demandé dans une lettre ouverte à la communauté internationale d’agir immédiatement pour sauver les détenus de Grup Yorum, en danger de mort. Le 14, dans la première audience de l’affaire, la Cour pénale d’Istanbul a décidé dans un jugement provisoire de maintenir en détention Gökçek, alors en grève de la faim depuis 241 jours, tout en demandant l’avis de l’Institut médico-légal, et a renvoyé le procès au 26-27 mars. Mais le 24, après 252 jours de jeûne, l’institut Médico-légal a décidé de la libération de Gökçek, jugeant que son état ne permettait pas de poursuivre l’incarcération. Le musicien a été placé en résidence surveillée.

Les arrestations et condamnations de journalistes se sont aussi poursuivies. Le 13, le procureur d’Istanbul a requis quinze ans de prison contre l’ancien correspondant du journal allemand Die Welt, Deniz Yücel pour «propagande pour une organisation terroriste». Il avait notamment publié en 2015 une interview de Cemil Bayik, l’un des co-fondateurs du PKK. La prochaine audience est fixée au 2 avril. Le 14, en une rare bonne nouvelle, la romancière Aslı Erdogan a été acquittée d’«appartenance à une organisation terroriste» dans l’affaire du journal prokurde Ozgür Gündem, fermé par décret en 2016, avec lequel elle avait collaboré par soutien, ce qui lui avait valu 130 jours de détention. Libérée en décembre 2016 et n’ayant pu quitter la Turquie pour s’exiler en Allemagne qu’après la restitution de son passeport en septembre 2017, la romancière a indiqué à l’AFP qu’elle excluait de revenir en raison des risques d’un nouvel emprisonnement par un système politique «néo-fasciste».

Parmi les autres dénis de justice récents, on peut citer le lancement le 12 d’une enquête disciplinaire après l’attaque à la matraque sur leur campus par des vigiles puis des nationalistes d’une dizaine d’étudiants voulant assister à un symposium où intervenaient le président de l’université d’Ankara et le Vice-ministre de la Culture. Ce sont les étudiants attaqués qui sont visés par l’enquête… À Istanbul, un syndicaliste du chantier du nouvel aéroport, secrétaire d’un syndicat affilié au DISK, risque quinze ans de prison pour sa participation au Congrès (légal) des jeunes du HDP. Il avait participé activement à la lutte contre les mauvaises conditions de travail… Le 19, s’est tenue l’audience finale du «procès de Büyükkaya», du nom de l’île où onze défenseurs des droits de l’homme ont été arrêtés en 2017 durant une formation sur la sécurité numérique. Parmi eux, Taner Kılıç et Idil Eser, respectivement anciens président et directrice d’Amnesty International Turquie. Accusés d’être (à la fois!) membres de l’organisation Gülen, du PKK et du parti d’extrême-gauche DHKP/C, ils risquent jusqu’à quinze ans de prison pour, notamment, «appartenance à une organisation terroriste armée». La Cour a renvoyé le jugement au 3 avril sur demande de la défense.

L’expression de la culture kurde est toujours réprimée. Le 8, les deux musiciens Ilyas Arzu et Jiyan Savcı ont été incarcérés à Adana, leurs domiciles et le Centre musical Dem perquisitionnés. L’enquête a été déclarée confidentielle. Le 21, le HDP a annoncé qu’aucune des questions parlementaires qu’il avait soumises en langues maternelles, arabe, kurmancî, syriaque et zazakî, à l’occasion de la Journée internationale de la langue maternelle n’avait été traitée.

Enfin, le 23 au matin, un séisme de magnitude 5,9 a frappé les régions kurdes d’Iran et de Turquie, faisant au moins neuf morts et 70 blessés et détruisant 250 maisons dans la province de Van. Une seconde secousse, de magnitude 5,8, s’est produite en soirée, sans faire de victimes. Le dernier séisme, le 24 janvier, avait fait 41 morts.
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ROJAVA : DANS UN CONTEXTE SYRIEN DE PLUS EN PLUS COMPLEXE, VERS UNE DÉTENTE INTRA-KURDE?

Le 2 février, la présidence du Conseil national kurde en Syrie (Encûmena Niştimanî ya Kurdî li Sûriyê, ENKS), dans l’opposition à l’Administration du Nord-est Syrien (AANES), dirigée par la coalition TEV-DEM dominée par le PYD, a décidé après quatre ans de fermeture de rouvrir ses bureaux dans la zone contrôlée par celle-ci. Cette décision fait suite à l’initiative d’«unité kurde» lancée après l’invasion turque d’octobre 2019 par Mazloum Abdi, commandant des Forces démocratiques syriennes (FDS), et à l’annonce par l’AANES début janvier de la levée de toute restriction aux activités politiques de l’ENKS. La fermeture avait en effet été imposée par l’AANES. L’ENKS explique sa décision comme un engagement sur la voie du rétablissement de la confiance entre adversaires politiques, préalable à une tentative de résolution des divergences. Les FDS, a indiqué leur porte-parole Mustafa Bali à la chaîne kurde d’Irak Kurdistan-24, ont été encouragées dans leur initiative de réconciliation par des acteurs extérieurs comme le leadership du Kurdistan d’Irak voisin, notamment l’ancien président Massoud Barzani et son successeur Nechirvan Barzani, mais aussi de récentes initiatives française et américaine. Interviewé sur une autre chaîne kurde d’Irak, Rûdaw, le responsable des relations extérieures de l’ENKS, Kamiran Haco, qui est aussi le seul membre kurde du Comité constitutionnel syrien, a déclaré que, dans ces circonstances où «le temps ne joue pas en faveur des Kurdes», son organisation était prête à tenir «des discussions sérieuses» avec l’AANES: «Ce que les Kurdes devraient faire maintenant, c'est formuler un projet politique», a-t-il déclaré. Haco a également laissé entendre qu’une plus grande unité entre Kurdes du Rojava leur permettrait, avec l’appui des Français et des Américains, de mieux défendre leurs droits dans le processus de négociation constitutionnel en cours (Interview complète en anglais ici).

Depuis l’invasion d’octobre dernier, la Turquie et ses mercenaires djihadistes, malgré le cessez-le-feu qui a suivi et leur prise de contrôle d’une soi-disant «zone de sécurité», n’ont pas cessé leurs attaques. Rien ne semble pouvoir faire dévier le président turc de sa politique anti-kurde, même la décision des États-Unis, révélée en début de mois, de cesser le partage avec la Turquie des renseignements obtenus sur le PKK par leurs drones… (Reuters) Malgré une situation de plus en plus tendue à Idlib, les Turcs et leurs alliés syriens n’ont cessé d’attaquer de nouveaux villages kurdes à la limite de leur zone de contrôle, en particulier près de Tall Tamr sur le Khabour, et à l’Ouest de Tall Abyad / Girê Sipî. Dans les territoires syriens conquis, la Turquie se comporte en pouvoir colonisateur pilleur de ressources. C’est ce qu’elle avait fait à Afrin pour l’huile d’olive, volée aux agriculteurs kurdes et revendue en Turquie. Le député CHP de Hatay, Mehmet Güzelmansur, a demandé dans une question parlementaire combien d'huile d’Afrin avait ainsi été commercialisée en Turquie, mais s’est vu refuser une réponse en début de mois par le ministre de l'agriculture qui a argué d’un «secret commercial». Cependant, Güzelmansur a indiqué que selon l’institut d’État TurkStat, ce sont 44,5 millions de dollars d'huile d'olive qui ont ainsi été vendus. Ce qui inquiétait le député n’était pas tant le vol de l’huile aux Kurdes que les conséquences de sa mise sur le marché turc, qui a fait chuter les cours et causé des pertes énormes aux producteurs… La question de savoir à qui a profité ce pillage ne semble pas avoir été abordée.

Mais le pillage n’est qu’un aspect des exactions commises par les occupants. À Afrin, dont un millier d’habitants sont toujours portés disparus, les femmes ont été particulièrement visées durant les deux ans d’occupation djihadiste, avec des enlèvements, des assassinats et des viols. Encouragés par le silence et l’absence de réaction de la communauté internationale, les occupants, demeurés impunis, ont repris leurs exactions dans les territoires conquis en octobre. Des sources de Ras-al-Ain / Serê Kaniyê ont informé l’agence ANHA de dizaines d’enlèvements et d’agressions dans cette ville, mais aussi à Tall Abyad / Girê Sipî. Parmi les femmes victimes des mercenaires pro-turcs, l’une des plus connues est certainement la femme politique kurde Hevrin Khalaf, co-fondatrice du Parti du Futur Syrien, assassinée le 12 octobre 2019 par des membres du groupe Ahrar al-Charqiya après l’interception son véhicule sur l’autoroute M4, près de Tall Tamr. La mère de Khalaf, Souad Moustafa, a pris la parole le 6 février au parlement européen pour demander que les auteurs comme les commanditaires de ce crime de guerre soient arrêtés et amenés devant la justice internationale: «Je veux qu'Erdoğan soit tenu pour responsable de ce crime. Hevrin a consacré sa vie à l'unité et à la fraternité de tous les peuples de la région. Chaque responsable devrait être jugé pour son assassinat». Souad Mustafa s’est par contre opposée à des sanctions américaines contre la Turquie, qui feraient davantage souffrir le peuple que les véritables responsables, le gouvernement: «Un crime de guerre a été commis contre l'humanité, et la personne même qui a donné les ordres à ces militants doit être tenue pour responsable devant un tribunal juste», a-t-elle conclu.

Un autre acte de guerre des mercenaires pro-turcs visant des populations civiles, et donc potentiellement crime de guerre, a été révélé fin février: pénétrant le 24 dans la station de pompage d’Alok, dans la ville (contrôlée par la Turquie) de Ras al-Ain / Serê Kaniyê, ils en ont expulsé le personnel syrien avant d’arrêter les pompes, coupant ainsi l’eau à une région habitée par 460.000 personnes et des camps hébergeant des centaines de milliers de déplacés. Les villes d’Hassakeh, de Tall Tamr notamment, et le camp d’Al-Hol, où se trouvent des familles de combattants de Daech, ont été privés d’eau courante. Après les bombardements turcs d’octobre, la station ne fonctionnait déjà plus qu’à 20% de sa capacité… La situation est d’autant plus difficile que des centaines de familles chassées de la région d’Idlib par les combats entre régime et rebelles sont arrivées en cours de mois dans la zone contrôlée par l’AANES (Administration du Nord-Est Syrien), notamment à Manbij. Le commandant des Forces démocratiques syriennes (FDS), Mazloum Kobanê, avait en effet indiqué que cette zone leur était ouverte.

Dans ce contexte tendu, une délégation de représentants de partis kurdes s’est rendue à Hmeimim et Damas, où elle a rencontré des responsables gouvernementaux dont le président syrien, les Russes ayant servi d’intermédiaires. Les deux côtés ont assuré être prêts à engager un dialogue politique. Ilham Ahmed, co-présidente du Conseil exécutif du Conseil démocratique syrien (CDS), expression politique des FDS, a confirmé au journal Asharq al-Awsat que les pourparlers avec le régime avaient repris; il faut rappeler que les tentatives précédentes n’avaient guère connu de succès, essentiellement en raison de la rigidité du régime. Le 19, le porte-parole des FDS Kino Gabriel a nié que celles-ci aient combattu aux côtés des forces du régime contre les forces turques à Idlib, tandis que le commandant des FDS Mazloum Abdi réitérait sur Al-Arabiya qu’il ne pourrait y avoir «un simple retour à la Syrie d’avant 2011», et qu’il n’y avait «pas de solution sans les Kurdes» (WKI).

En milieu de mois, Adbi a également rencontré l’envoyé spécial américain James Jeffrey, arrivé par le Kurdistan d’Irak, pour discuter l’état de la lutte contre Daech. Fin janvier, une délégation du bureau de représentation de l’Union européenne au Kurdistan d’Irak s’était pour la même raison rendue au bureau de l’AANES à Suleimaniyeh. Autre point abordé, le sort des prisonniers de Daech détenus dans 17 camps par l’AANES, qui avec les États-Unis ne cesse de demander aux pays européens le rapatriement de leurs ressortissants pour qu’ils soient jugés dans leur pays d’origine. Si le 6, une délégation russe a bien réceptionné 35 orphelins de parents membres de Daech (AFP), les pays européens quant à eux, font toujours la sourde oreille. Après des mois d’impasse, l’AANES a annoncé début février qu’elle s’était finalement résolue à juger ses prisonniers sur place et qu’elle avait demandé à ce propos l’aide des pays membres de la coalition anti-Daech. Abdulkarim Omar, co-président de la commission des relations étrangères de l'AANES, a déclaré : «Il faut une solution internationale... C'était la base de notre relation avec la coalition internationale contre Daech […] Ces membres de [Daech] doivent être jugés, et la communauté internationale doit nous aider dans cette tâche, en poursuivant cette relation». Helsinki, où s’est tenue une réunion avec les représentants de l’AANES, a indiqué appuyer la création d’un tribunal spécial au Rojava pour juger les ex-combattants étrangers ou soupçonnés tels. En France, le collectif d’une centaine de familles regroupant notamment des proches des 300 enfants de djihadistes français détenus au Rojava a de nouveau demandé leur rapatriement le 14 (AFP). L’AANES a réitéré le 23 sa demande d’une assistance juridique internationale, tout en réaffirmant son engagement à garantir «un procès transparent et juste» pour les djihadistes qui seraient jugés localement.

Cependant, dans son 10e rapport sur la menace posée par Daech, publié le 4 février, le Secrétaire Général des Nations Unies a indiqué que l’organisation djihadiste avait tiré profit de l’invasion turque du Nord-Est syrien pour se réorganiser et poursuivre ses transactions financières… par la Turquie (->). Le 5, le Pentagone a indiqué que les FDS avaient déjoué plusieurs attaques de véhicules suicides en préparation contre les populations civiles de Qamishli, Hasakeh et Derik, ainsi qu’une attaque imminente le 1er janvier contre une base militaire commune avec des troupes américaines dans la province de Deir Ezzor. Deux djihadistes ont été capturés dans cette dernière action.

Enfin, le Parti de l’unité démocratique (PYD), qui domine la coalition dirigeant l’AANES, a tenu son huitième congrès les 24 et 25 février à Rmeilan avec le slogan: «Avec l'Union démocratique, nous vainquons l'occupation, développons une administration autonome et construisons une Syrie démocratique». Environ 600 délégués, dont certains venus du Kurdistan d’Irak voisin, étaient présents. À l’issue du congrès, Anwar Muslim, précédemment responsable de la région de l’Euphrate, a remplacé Shahoz Hassan comme co-président, tandis qu'Aysha Hisso conservait sa fonction de co-présidente. «Notre travail, depuis la fondation du parti, a été de construire une Syrie libre, démocratique et décentralisée», a déclaré Muslim.
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IRAK: ALLAWI PEINE À FORMER SON CABINET, KURDES ET SUNNITES CRAIGNENT D’ÊTRE EXCLUS DU POUVOIR

L’Irak ne parvient décidément pas à sortir de sa crise politique. Après la démission du Premier ministre Abdul-Mahdi en décembre, les partis chiites dominant le parlement sont entrés dans des disputes sans fin pour lui trouver un successeur. Parallèlement, les manifestations contre la corruption et l’absence de services et de travail se sont poursuivies malgré une répression de plus en plus sanglante. Après que le Président Barham Saleh a menacé d’en choisir un lui-même, le parlement a finalement réussi le 1er février, en un compromis de dernière minute, à désigner Mohammed Tawfiq Allawi. Chargé par le Président irakien de former son cabinet dans les 30 jours, il a d’abord déclaré qu'il le présenterait devant le Parlement avant la fin de la semaine, avant d’annoncer plus prudemment qu’il espérait finaliser celui-ci pour la fin du mois….

Les protestataires ont immédiatement exprimé leur rejet d’Allawi comme appartenant toujours à ce même personnel politique chiite qu’ils ne veulent plus voir au pouvoir. Moqtada Al-Sadr, dont l’alliance Sayrûn avait appuyé Allawi au parlement, a alors ordonné à ses supporters de se tourner contre les protestataires qu’il avait jusque là soutenus. À partir du 2, les «sadristes» ont violemment attaqué les manifestants dans tout le pays. Le 5, huit ont été tués par balles à Najaf et des centaines blessés, au point que même Allawi a menacé de démissionner devant ces violences «totalement inacceptables». Au Kurdistan, la Présidence a également demandé la fin des violences, une demande réitérée le 12 (Al-Monitor). Le 7, c’est le grand Ayatollah Ali Sistani qui a exprimé sa condamnation.

Pour désamorcer l’opposition, Allawi a commencé par prendre contact avec les protestataires, plutôt qu’avec les différentes alliances politiques. Dès lors, il s’est trouvé sur la corde raide, entre les protestataires qui poursuivaient leur rejet, les Kurdes et les sunnites qui lui reprochaient de ne pas les consulter, Sadr qui le menaçait le 11 de lui retirer son soutien s’il leur cédait trop, et enfin, le parlement dominé par des partis chiites auxquels reviendrait à la fin le pouvoir d’approuver ou non son équipe… Le 12, à Bagdad, manifestants et forces de sécurité se disputaient le contrôle des rues et ponts sur le Tigre…

Le 13, Sadr a édicté une «charte révolutionnaire» prétendant réguler les manifestations, dans laquelle il condamnait la «promiscuité» y régnant et appelait à la ségrégation des sexes. Indignées, les femmes ont organisé plusieurs marches pour affirmer leur rôle dans le mouvement, Sadr répondant en lançant des accusations de «promiscuité, ivresse et immoralité»…

Le 15, le Premier ministre du Kurdistan Masrour Barzani a, depuis la Conférence sur la sécurité de Munich, réitéré le soutien conditionnel d’Erbil au nouveau gouvernement en formation, tout en insistant sur l’importance de la coordination militaire Erbil-Bagdad dans la lutte contre Daech…

Kurdes et sunnites, inquiets de se retrouver exclus du pouvoir, ont pour faire pression esquissé une alliance anti-Allawi. Le 16, le Président (sunnite) du parlement, Mohammed al-Halbousi, a visité Erbil et Suleimaniyeh, avant de publier avec le chef du PDK Massoud Barzani un communiqué commun rappelant que le nouveau gouvernement devrait «représenter toutes les composantes de l'Irak, et sur la base du partenariat national» – c’est-à-dire, au-delà d’une participation de chaque communauté, en tenant compte de l’avis des partis sunnites et kurdes… Le même jour, des manifestants ont défilé avec des portraits de leur propre candidat au poste de Premier ministre, le pharmacien de Nassiriya 'Alaa al-Rikaby.

Parallèlement, Allawi a annoncé qu’il allait rapidement proposer son gouvernement au vote de confiance, ce qui paraissait une gageure vu les divergences au parlement: depuis l’assassinat ciblé du général iranien Qassem Soleimani, les chiites réclament le départ des troupes américaines, les Kurdes et les Sunnites posant au contraire comme condition le maintien de la coopération avec la coalition anti-Daech dirigée par les États-Unis… (AFP) Autre piétinement, le Comité chargé de formuler des amendements constitutionnels répondant aux demandes des protestataires semblait s’être enlisé, alors que son mandat de quatre mois allait prendre fin…

Le 17, la violence continuée qui avait fait au moins 200 blessés à Bagdad et Karbala, dont 59 à Bagdad durant les trois jours précédents, a suscité une nouvelle condamnation de l’UNAMI, suivie le lendemain par le secrétaire d'État adjoint américain David Schenker.

Le 22, ce sont les Kurdes de Suleimaniyeh qui ont pour la première fois manifesté contre la corruption et le manque de services et d’emplois à l’appel du parti d’opposition «Nouvelle Génération» de Sashwar Abdulwahid.

Le 23 février, le secrétaire d'État américain Mike Pompeo a appelé au téléphone Allawi pour lui rappeler la nécessité de coopérer avec les dirigeants sunnites et kurdes pour la formation du gouvernement… Le lendemain, les chefs de plusieurs partis kurdes, dont ceux participant au gouvernement régional, se sont rencontrés à Erbil pour élaborer une position commune. À l’issue de cette rencontre, ils ont posé trois conditions pour soutenir Allawi: respect des droits constitutionnels des habitants du Kurdistan, respect des engagements budgétaires, et normalisation de la situation sécuritaire dans les territoires concernés par l’article 140 de la constitution, c’est-à-dire les territoires disputés. Un accord aurait été trouvé avec Allawi sur la représentation kurde au sein du cabinet. Celui-ci comprendrait quatre ministres kurdes, dont trois choisis par les Kurdes eux-mêmes et un nommé par Allawi (Asharq Al-Awsat).

Le 25 février, de nombreux manifestants ont défilé à Bagdad pour renouveler leur opposition à l'ingérence étrangère (c'est-à-dire iranienne) et à la nomination d'Allawi. Les forces de sécurité ont de nouveau fait contre eux usage excessif de la force, tuant au moins deux personnes et en blessant des dizaines d'autres. Le même jour, Allawi a publié son programme de gouvernement, dont l’agenda comprenait des élections anticipées et des réformes. Mais ce document, qui ne mentionnait pas la Région du Kurdistan en tant qu'entité fédérale au sein de l'Irak, n’a pas convaincu les Kurdes, qui ont décidé de boycotter la session parlementaire devant l’approuver. D’abord prévue le 24, reportée au 27, elle a donc de nouveau été reportée faute de quorum, les sunnites l’ayant également boycottée. Les Kurdes ont conditionné leur soutien à des garanties sur leur budget et à un traitement conforme à la constitution de la Région du Kurdistan, dont le statut spécial implique selon eux qu’elle peut choisir elle-même les ministres qu’elle envoie à Bagdad… Une nouvelle session prévue le 28 a été annulée, toujours en raison du boycott sunnite et kurde. En fin de mois, l’incertitude dominait toujours sur le devenir d’Allawi, dont les soutiens s’effritaient rapidement…

Parallèlement et malgré toutes ces difficultés, les discussions ont continué entre Kurdistan et Bagdad. Le 5, les deux parties sont parvenues à un accord sur le budget 2020, Erbil devant y contribuer par la fourniture quotidienne de 250.000 barils de pétrole. Les responsables kurdes ont cependant indiqué attendre la formation du nouveau gouvernement pour entamer les transferts.

Durant tout le mois, l’organisation djihadiste Daech a poursuivi ses attaques dans les territoires disputés. En plus du vide sécuritaire créé par l’absence de coopération entre forces irakiennes et pechmergas kurdes, qui perdure depuis octobre 2017, Daech a aussi bénéficié récemment de l’interruption momentanée des opérations conjointes irako-américaines, qui n’ont repris que le 31 janvier. Le Pentagone a indiqué par ailleurs que la mort du «calife» de l’organisation, Al-Baghdadi, n’avait quasiment eu aucun impact sur les capacités de celle-ci. Plus que jamais, la menace djihadiste se fait donc pressante. Le Premier ministre du Kurdistan, Masrour Barzani, a d’ailleurs profité de la Conférence de sécurité de Munich pour attirer l’attention sur la persistance de ce danger et la nécessité d’une meilleure coordination internationale pour le combattre… Dès le premier jour du mois, les djihadistes ont kidnappé deux frères sur un faux point de contrôle installé entre les districts de Kifri et Touz Khourmatou (sud de Kirkouk), le deuxième enlèvement dans ce secteur en 48 heures… Deux personnes, fort probablement ces deux otages, ont été relâchés quelques jours plus tard contre une rançon de 70.000 US$. Si les pechmergas ont pu capturer un important leader dans cette zone le 3, les attaques n’en ont pas moins continué, avec l’enlèvement et le meurtre de deux civils le 4 à l’Ouest de Kirkouk. Plus au nord, c’est le camp de Makhmour qui a été attaqué le 2… Le 9 à l’aube, les pechmergas et Asayish (Sécurité) du Kurdistan ont lancé avec le soutien aérien de la Coalition une opération anti-Daech massive à Garmiyan, incluant justement la zone de Kifri, près de laquelle ils ont longuement affronté les djihadistes dont ils ont tué un nombre non précisé. Le 12 dans la nuit, des attaques de Daech sur des villages de la minorité religieuse kurde kakaï à l’Ouest de Khanaqin ont fait trois morts (un père et son fils, un pechmerga et un officier irakien), et dix blessés (Kurdistan-24). Le 17, les Asayish de Garmiyan ont libéré trois prisonniers détenus dans un tunnel et arrêté quelques-uns des responsables de leur enlèvement, djihadistes ou bandits. Le 23, deux agriculteurs ont été blessés par une bombe artisanale à Diyala. Le 24, trois civils ont été tués et un quatrième blessé dans une attaque dans la province de Salahaddine.

Le même jour, le ministre irakien de la Défense et le ministre des Peshmerga du Gouvernement régional du Kurdistan (GRK) se sont rencontrés à Bagdad pour coordonner les lignes de contrôle de leurs forces respectives et discuter coopération. Dans la nuit du 24 au 25, une opération irakienne a permis d’éliminer 39 djihadistes entre les provinces de Kirkouk et Salahaddine, dans des combats de plus de dix heures. Deux tunnels ont été découverts avec d’importantes quantités de munitions et d’armement (Kurdistan-24). La nuit du 25, des djihadistes à moto ont perpétré plusieurs attaques contre des villageois kurdes de Kirkouk, faisant quatre morts et trois blessés. Certains résidents ont ensuite accusé des tribus arabes de coopérer avec Daech pour les chasser de leurs terres. Le 28, deux membres de la sécurité irakienne ont été tués et un troisième blessé à Kirkouk. Le lendemain, deux civils ont été blessés par une bombe artisanale au Sud de Mossoul et au moins un membre des milices chiites tué près de Daqouq (Sud de Kirkouk). Daech semble aussi toujours présent à Hawija, où les forces de sécurité irakiennes ont dû lancer plusieurs raids.
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PROCÈS GEZI: ACQUITTEMENT ET RÉARRESTATION IMMÉDIATE D’OSMAN KAVALA

Le 18 février, l’ensemble des 230 accusés du «procès Gezi», à propos des manifestations de 2013 dans ce parc d’istanbul, ont été acquittés. Parmi eux, l’homme d’affaires, défenseur des droits de l’homme et philanthrope Osman Kavala, le seul d’entre eux à se trouver encore en prison, malgré un jugement de la Cour européenne des Droits de l’homme du 10 décembre prononçant sa «libération immédiate».

Le procureur avait requis contre lui et deux autres accusés, Mücella Yapıcı et Yiğit Aksakoğlu, des peines de réclusion à perpétuité. La Cour constitutionnelle turque avait pourtant rappelé dans un arrêt récent concernant le maintien en détention d’un autre accusé, le professeur Mehmet Altan, qu’il n’appartient pas aux tribunaux locaux de contester son autorité, mais qu’ils se doivent au contraire de «faire cesser la situation qui a conduit aux violations des droits» sur lesquelles elle s’est prononcée… La Cour constitutionnelle avait fait dans son arrêt référence à la décision de libération de la Cour européenne des Droits de l’homme (CEDH), ignorée également dans le cas d’Osman Kavala. L’avocat de Kavala avait donc contesté l’opinion du procureur sur la base de cet arrêt, qui devrait également s’appliquer à son client, sa situation étant similaire à celle d’Altan.

L’acquittement a semblé pour un temps rendre ce débat académique. Il démontre pourtant à quel point le leader du HDP, Selahattin Demirtaş, lui-même incarcéré sans jugement depuis bientôt quatre ans malgré un jugement de libération de la CEDH, peut avoir raison quand il déclare qu’«il n’existe plus de système judiciaire» en Turquie…

Mais le scandale le plus grave restait à venir. Le soir même du prononcé de son acquittement, Osman Kavala a été visé par un nouveau mandat émis par le procureur général d’Istanbul dans le cadre d'une enquête lancée sur la tentative de coup d'État du 15 juillet 2016. Ce coup de théâtre a suscité des réactions indignées de toutes parts. La Commissaire aux Droits de l'homme du Conseil de l'Europe, Dunja Mijatovic, a déclaré: «Il est difficile de ne pas noter une similitude entre cette nouvelle arrestation et ce qui s'est passé dans les affaires concernant Ahmet Altan, Selahattin Demirtaş et Taner Kılıç, dont je suis également les procès de très près».

Osman Kavala a été arrêté de nouveau le 19.

Le même jour, le Conseil des juges et procureurs (HSK) a autorisé une enquête contre les trois juges ayant rendu le verdict d'acquittement. Le 21, trente barreaux turcs, dont ceux d'Ankara, Adana, Bursa, Çanakkale, Diyarbakır, Gaziantep, Mardin et Şanlıurfa, qualifiant cette autorisation et cette enquête de tentatives d’intimidation des magistrats, ont appelé dans une déclaration commune à la démission collective du HSK, rappelant que de telles pressions sont totalement anticonstitutionnelles. Le 24, les Associations des barreaux de 25 provinces ont indiqué dans une déclaration commune qu’elles estiment que «l’ingérence du pouvoir exécutif dans le système judiciaire a atteint un niveau inacceptable».

Le 26, une campagne de soutien par l’envoi de lettres à Osman Kavala a été lancée. Il s’agit de lui écrire dans sa prison de Silivri à «Silivri Kapalı Ceza İnfaz Kurumu, 9 No'lu Cezaevi, A-7 / C 59, 34570 Silivri / İstanbul». Les organisateurs ont précisé que ceux qui n'ont pas la possibilité ou les moyens d'envoyer des lettres ou des cartes à Osman Kavala par la poste peuvent envoyer leurs messages à l'adresse électronique freeosmankavala@gmail.com pour qu’ils lui soient retransmis.
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LA PROPAGATION DU CORONAVIRUS EN IRAN INQUIÈTE DANS LE PAYS ET CHEZ SES VOISINS

La mort de deux personnes atteintes par le coronavirus en Iran le 19 a suscité l’inquiétude parmi la population, mais aussi dégradé encore davantage l’image du gouvernement. Beaucoup ont pris cette annonce comme l’admission par le régime que l’épidémie s’était déjà propagée à Qom, capitale religieuse du pays et destination de très nombreux pèlerinages. De plus, deux autres cas ont été signalés à Qom le lendemain, puis un autre à Arak, non loin, le 21. Les nombreux Iraniens ayant perdu toute confiance dans le régime notamment depuis sa tentative pour dissimuler sa responsabilité dans le crash de l’avion ukrainien ont commencé à soupçonner que le gouvernement aurait pu pareillement dissimuler la maladie afin d’obtenir un taux de participation aux élections plus élevé. Le Guide Suprême, Ali Khamenei, a d’ailleurs déclaré le 23 que les rapports des médias étrangers sur la propagation du coronavirus en Iran avaient justement pour but de dissuader les gens d’aller voter…

Le 24, le député de Qom Ahmad Amirabadi-Farahani a déclaré qu’il y avait déjà eu 50 morts dans sa circonscription et qu'il fallait mettre la ville en quarantaine. Il a révélé que l'épidémie avait déjà démarré trois semaines auparavant et qu’il y avait eu des morts dès le 13 février, mais que les responsables s’étaient tus. Selon lui, 250 patients ont été mis en quarantaine à Qom et 32 des décès sont survenus en quarantaine… Le 26, les chiffres du gouvernement, 19 morts et 139 diagnostiqués positifs, étaient largement considérés parmi la population comme très sous-estimés. Alors que le public commençait à demander la fermeture de certains lieux saints, certains religieux particulièrement superstitieux ont au contraire encouragé les fidèles à les visiter pour bénéficier de leur protection contre le virus! Cependant, deux femmes revenant de Qom ont été testées positives à Beyrouth. Alors que les autorités continuaient à affirmer qu’il n’y avait aucun cas à Mashhad, 7 pèlerins revenant de cette ville sur un groupe de 700 ont été testés positifs au Koweït : inévitablement, les Iraniens ont commencé à mettre en doute les déclarations officielles…

En Irak, le premier cas de coronavirus confirmé, à Najaf, aussi le 24, a également concerné un étudiant iranien, qui a été transféré à l'hôpital et mis en quarantaine…

Le 28, alors que ministère iranien de la santé communiquait 34 décès dus au coronavirus, la BBC en persan affirmait que selon les informations reçues de sources hospitalières, le vrai nombre était d’au moins 210. Le député de Rasht, Gholam Ali Jafazadeh Imanabadi, s’est emporté contre la dissimulation des autorités, déclarant: «Vous pouvez dissimuler les chiffres, mais vous ne pouvez pas cacher les cimetières»…

L’épidémie a commencé à se propager au Kurdistan iranien où, selon une carte semi-officielle, on comptait en fin de mois plus d’une dizaine de morts.

Les défenseurs des droits de l’homme ont commencé à s’inquiéter des conséquences de l’épidémie pour les prisonniers entassés dans les terribles prisons iraniennes où les conditions sanitaires sont déplorables.

Au Kurdistan d’Irak voisin, les autorités ont commencé par interdire le 1er février aux passagers en provenance de Chine d’entrer dans la Région. Le 4, les liaisons aériennes avec la Chine ont été suspendues, le consulat chinois à Erbil exprimant son «désappointement» devant cette décision. Le 20, bien qu’il n’y ait eu encore aucun cas de coronavirus en Irak ou au Kurdistan, le GRK a décidé de fermer ses frontières avec l’Iran – avec l’exception des citoyens de la Région alors en Iran, autorisés à rentrer, mais placés en quarantaine pour deux semaines. Plus tard le même jour, Bagdad a annoncé suspendre tous les vols entre Irak et Iran. Le 26, plusieurs événements publics prévus au Kurdistan ont été annulés, tandis que le ministère de la Santé irakien annonçait que quatre membres d’une même famille récemment revenus de Qom avaient été testés positifs. Le 28, les fêtes du prochain Newrouz ont été annulées.

En Turquie, le ministère de la Santé a annoncé la suspension des liaisons aériennes avec la Chine du 5 février jusqu’à la fin du mois et l’inspection avec une caméra thermique des passagers arrivant du Japon, de Taïwan, Hong Kong, Singapour, Corée du Sud et Malaisie. Cette mesure a rapidement été étendue à toutes les origines. Le 24, les frontières terrestres avec l’Iran ont été fermées, et le 25, les vols de la compagnie nationale turque THY avec l’Iran et la Chine ont été suspendus, sauf pour Téhéran. Le 26, tous les vols ont été suspendus sans limitation de durée. La Turquie a également installé des hôpitaux de campagne aux frontières avec l’Iran. Le ministre de la Santé a déclaré qu’il n’y avait pas encore de cas en Turquie, mais que l’épidémie «avait atteint les portes du pays».
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PARIS: UN COLLOQUE AU PALAIS DU LUXEMBOURG EN HOMMAGE À ABDUL RAHMAN GHASSEMLOU

Personnalité hors du commun, personnage à facettes multiples, le Dr. Abdul Rahman Ghassemlou était à la fois un universitaire et un homme politique. Après avoir joué un rôle important dans l’opposition au régime dictatorial de Reza Chah, il s’est ensuite opposé à la République islamique qui lui a succédé en 1979 quand celle-ci a confisqué la révolution populaire porteuse d’aspirations démocratiques. Secrétaire général du parti démocratique du Kurdistan d’Iran (PDKI), il prôna pacifiquement un statut d’autonomie pour le Kurdistan dans le cadre d’un Iran démocratique et laïc, et sut rassembler autour de ce mot d’ordre l’ensemble des partis politiques kurdes et nouer des liens avec des opposants laïcs iraniens en vue de la préparation d’une alternative démocratique au régime des ayatollahs.

Après le lancement du djihad contre les Kurdes iraniens par Khomeiny en août 1979, sous la direction d’Abdul Rahman Ghassemlou, la résistance kurde s’employa à nouer des alliances avec d’autres forces et personnalités démocratiques iraniennes et chercher des soutiens au niveau international. Défenseur d’un socialisme démocratique, Ghassemlou trouva rapidement sa place au sein de l’Internationale socialiste. Son rayonnement international, sa vision politique et sa capacité à rassembler les oppositions démocratiques à la République islamique ont fait de lui l’ennemi public numéro 1 de Téhéran. A la mort de Khomeiny, le nouveau président iranien Rafsanjani lui proposa des pourparlers en prétendant que le régime était disposé à régler pacifiquement la question kurde et à se démocratiser. C’est en voulant donner une chance au dialogue que le Dr. Ghassemlou, venu à Vienne (Autriche) pour ces «pourparlers de paix», fut assassiné par les «négociateurs» iraniens le 13 juillet 1989 en compagnie de deux de ses collaborateurs. Ce crime d’État n’a malheureusement pas été sanctionné. Les exécutants identifiés, munis de passeports diplomatiques, ont pu librement quitter l’Autriche pour regagner l’Iran où ils ont été félicités et promus. La justice autrichienne n’a pas cherché à identifier les commanditaires de ce terrorisme d’État au cœur de l’Europe, encore moins à les inquiéter.

Trente ans plus tard, les idéaux qui ont guidé le combat du Dr. Ghassemlou pour l’émancipation du peuple kurde et pour un Iran démocratique et laïc respectueux de sa diversité politique, culturelle et linguistique gardent toute leur actualité au Kurdistan, en Iran et au Proche-Orient. C’est pourquoi l’Institut kurde, dont il fut un ardent défenseur, a invité ceux qui ont bien connu le Dr. Ghassemlou à lui rendre un ultime hommage et à apporter leurs témoignages afin de transmettre aux nouvelles générations son message démocratique, ses valeurs humanistes et sa pensée politique.

Les interventions ont été réparties sur plusieurs tables rondes portant sur différentes périodes de la vie du Dr. Ghassemlou. Dans la première, consacrée aux années de formation et d’exil, sa fille, l’architecte Mina Ghassemlou, a apporté un témoignage bouleversant en s’adressant directement à son père devant l’assistance. Des compagnons politiques, anciens dirigeants du PDKI, des amis de jeunesse et des dirigeants politiques kurdes comme l’ancien président du Parlement du Kurdistan irakien Adnan Mufti ont également pris la parole. La seconde table ronde sur les «Années de résistance et les relations avec le monde kurde», modérée par le sénateur Rémi Féraud, a donné la parole à plusieurs responsables politiques kurdes d’Iran et de Turquie, ainsi qu’à Fatoş Güney, l’épouse du cinéaste Yilmaz Güney, dont Ghassemlou était devenu un ami. Également, l’ancien représentant du PDKI en Europe Aziz Mameli est revenu sur les responsabilités dans l’impunité des assassins de Ghassemlou en 1989. Modérée par Hamit Bozarslan, la table suivante a abordé Ghassemlou en tant que figure de l’opposition démocratique iranienne. Enfin, la journée a pris fin avec une dernière table ronde où se sont exprimées des personnalités ayant croisé Ghassemlou à l’international, journalistes ou chercheurs, responsables humanitaires ou personnalités politiques non-kurdes, comme Bernard Kouchner, cofondateur de Médecins sans Frontières et de Médecins du Monde, ancien ministre des Affaires étrangères, et Florence Veber, ancienne présidente d’Aide Médicale Internationale

L’ensemble des interventions peut être écouté sur le site de l’institut kurde (->). Leur version définitive fera l’objet d’une publication dans un prochain numéro hors-série de la revue Études Kurdes.
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