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Bulletin N° 413 | Août 2019

 

ROJAVA: LA ZONE DE SÉCURITÉ PEUT-ELLE EMPÊCHER UNE INVASION TURQUE?

Le 1er août s’est tenu à Nur-Sultan (nouveau nom d’Astana, capitale du Kazakhstan), la 13e conférence sur le conflit syrien, rassemblant la Russie, l’Iran et la Turquie, ainsi que des délégations du régime de Damas et de l’opposition syrienne soutenue par la Turquie. L’Administration autonome du Nord-Est syrien, dominée par les Kurdes du PYD (Parti de l’unité démocratique) et partenaire militaire de la coalition anti-Daech dirigée par Washington, n’y avait pas été conviée. La discussion a essentiellement porté sur la région d’Idlib, dernier bastion rebelle du pays, maintenant totalement surpeuplé, dont l’armée de Damas, soutenue par la Russie, fait le siège depuis des mois avec d’intenses bombardements. Ankara, de son côté, souhaite y éviter une offensive massive, qui précipiterait des millions de réfugiés sur son territoire, qui en héberge déjà plus de trois millions: avec la crise économique, leur présence est devenue un véritable problème de politique intérieure. La Turquie a obtenu de Damas un cessez-le-feu, à condition que les rebelles reculent à 20 km de la ligne de désescalade et retirent leurs armes lourdes et moyennes. Trêve fragile: le régime a souvent auparavant rompu ses engagements, et la Turquie, qui avait promis de désarmer les rebelles «modérés», n’y est pas parvenue…

Le sommet a très largement échoué. Les participants n’ont pu trouver d’accord sur le mode de fonctionnement du Comité devant élaborer la future constitution syrienne, dont la mise en place a dû être retardée. Les négociateurs n’ont pas non plus réussi à apaiser durablement la situation sur le terrain: dès le 3, les rebelles «modérés» qu’ils espéraient séparer des djihadistes ont refusé de quitter la région.

Le seul «accomplissement» de Nur-Sultan est une déclaration finale qui, réaffirmant la volonté des trois pays participants de défendre «l’unité et l’intégrité territoriale» de la Syrie, condamne explicitement l’Administration autonome: les signataires y «rejettent toute tentative pour créer de nouvelles réalités sur le terrain sous le prétexte de combattre le terrorisme, incluant les initiatives de pouvoir autonome illégitime», et «s’opposent aux agendas séparatistes visant à saper la souveraineté et l’intégrité territoriale de la Syrie ainsi qu’à menacer la sécurité nationale des pays voisins», allusion transparente à la Turquie. Le président turc, obsessionnellement opposé à l’Administration autonome, y a certainement joué un rôle, et Damas, qui veut récupérer les territoires du Nord syrien, ne pouvait qu’approuver. Il s’agissait aussi de dénoncer la présence américaine dans le nord du pays. Mais la dénonciation de l’Administration autonome est bien le seul point sur lequel les participants du sommet sont parvenus à s’entendre, et le consensus ne va guère au-delà, tant les intérêts divergent sur le terrain. Le 5, Damas, accusant Ankara de ne pas avoir respecté ses engagements, a repris l’offensive sur Idlib, non sans avoir profité de l’arrêt momentané des hostilités pour renforcer sa ligne de front… Le 8, l’armée syrienne a commencé à progresser au sol. Le 19, elle a bombardé l’avant-garde d’un convoi turc de 28 véhicules arrivé près du village de Khan Sheikhoun, au sud d’Idlib (province de Hama). Damas a accusé Ankara d’avoir tenté de fournir armes et munitions aux rebelles. La tension est rapidement montée, le ministre turc des Affaires étrangères avertissant le 20 la Syrie de «ne pas jouer avec le feu». Mais le 23, une fois les rebelles retirés de Khan Sheikhoun, l’armée syrienne a encerclé à Morek, à une dizaine de kilomètres au sud, le principal poste d'observation turc… D’autres postes turcs ont essuyé des tirs les jours suivants. La position de la Turquie en Syrie devenait de plus en plus délicate, et le 27, alors que l’armée syrienne poursuivait son avance vers le nord, M. Erdoğan a fait une visite «surprise» à Moscou pour tenter de sauver les meubles…

Parallèlement, à Afrîn, où l’occupation et les déprédations turques se poursuivent, les combattants kurdes continuent à harceler régulièrement les militaires turcs et leurs supplétifs djihadistes. Le 6, des sources kurdes ont indiqué que durant la semaine précédente, militaires turcs et djihadistes avaient mis le feu à des milliers d’oliviers, rappelant que depuis l’invasion de 2018, ils ont brûlé plus de 14.000 hectares de terres agricoles… Le 9, le ministère turc de la Défense a annoncé qu’une attaque aux missiles antitanks sur une de ses bases depuis la région de Tell Rifaat avait blessé deux soldats, et que la Turquie avait «riposté». De leur côté, les Forces de libération d’Afrin (FLA) ont revendiqué avoir blessé ou tué le 8 au soir plusieurs soldats turcs sur une base du district de Shera ou Sherawa, en riposte à des tirs turcs ayant tué un des leurs (Rûdaw, NRT). Suite à ces accrochages, l’armée turque a pilonné le secteur à l’arme lourde, blessant cinq membres d’une même famille, dont un enfant (RojInfo). Le 10, les FLA ont annoncé avoir tué à Al-Bab dans une attaque de nuit huit djihadistes de Jabhat al-Shamiya. Le 19, le ministère turc de la Défense a indiqué avoir de nouveau riposté à des tirs dans la région de Tell Rifaat.

Les tirs indiscriminés de l’armée turque, qui concernent depuis des mois, voire des années, la Région du Kurdistan d’Irak, forçant à évacuer de nombreux villages, visent aussi le Kurdistan de Syrie. Le 13 août, RojInfo a rapporté la situation du petit village de Tirbê Spî, tout près de la frontière, non loin de Derbasiya (canton de Qamishlo). Certains agriculteurs n’ont pu cultiver leurs champs depuis quatre ans, les tirs visant même parfois des enfants… D’autres accusent l’armée turque d’avoir incendié leurs champs. Le co-président du Conseil des agriculteurs de Tirbê Spî, Kamiran Umer, estime que 2.500 hectares ont cessé d’être exploités en raison de cette situation...

En plus de la menace turque, le Nord-Est syrien connaît, selon un récent rapport du Pentagone, une résurgence plus qu’inquiétante de Daech. Le 6, selon l’OSDH, un attentat à la voiture piégée à al-Qahtaniya (Hassaké) revendiqué par l’organisation djihadiste a blessé un policier et tué cinq personnes, dont trois enfants (AFP). Le 11, Daech a promis d’intensifier ses attaques dans une vidéo montrant des scènes de décapitation et de tirs à bout portant contre des prisonniers présentés comme des combattants kurdes kidnappés… Le 13, les YPG ont annoncé la perte le 5 août d’une combattante près de Shadadi (Hassaké), Vejîn Zagros, indiquant aussi avoir tué trois djihadistes dans une opération spéciale près de Hassaké. Le 18, un attentat à la voiture piégée a tué un policier kurde (Asayish) à Qamishlo et fait deux blessés, dont un grave. Le 26 au soir, une autre voiture piégée a explosé près d’une église à Tabqa, tout près de Raqqa, faisant un mort civil et neuf blessés. Les Asayish ont pu empêcher l’explosion d’un autre véhicule. Au même moment, les FDS ont annoncé la capture d’un djihadiste et la mort d’un autre dans une opération sur un village de Deir Ezzor.

À noter que, le 3 août, le commandement général des FDS a envoyé à tous les commandants de ses unités militaires un ordre mettant fin à tout recrutement de personnel de moins de 18 ans. C’est l’application de l’accord signé à Genève le 29 juin entre les FDS, l’Administration autonome et les Nations-Unies pour arrêter l’incorporation d’enfants.

Le mois a aussi été dominé par les discussions au long cours entre Turquie et États-Unis, accompagnées d’une véritable guerre de communiqués: si les discussions avec les Américains échouaient, les Turcs créeraient eux-mêmes la «zone de sécurité», avec l’aide des rebelles syriens prêts à participer à l’offensive… Les Américains rétorquaient être prêts à protéger de toute attaque leurs partenaires des FDS, tout en disant prendre en compte les inquiétudes d’Ankara, comme l’a déclaré le 1er du mois le représentant spécial américain pour la Syrie, James Jeffrey.

Parallèlement, les diplomates des deux pays ont poursuivi leurs discutions sur l’éventuelle création d’une «zone de sécurité» séparant l’armée turque des combattants kurdes. Selon la presse turque, la Turquie exigeait de contrôler entièrement une zone de 30 km de profondeur côté syrien, dont devraient se retirer les FDS. Les Américains refusaient une profondeur aussi importante. Parallèlement, l’armée turque a massé des dizaines de milliers d’hommes le long de la frontière… Le 6, le nouveau chef du Pentagone, Mark Esper, a qualifié d’«inacceptable» toute offensive turque contre les combattants kurdes et prévenu que Washington empêcherait toute «incursion unilatérale». Le même jour, Aldar Khalil, un membre de l’Administration autonome, a déclaré que celle-ci était prête à accepter une zone de sécurité de cinq kilomètres de profondeur, tout en y refusant une présence turque et en demandant une surveillance par des observateurs internationaux. Ces deux points ont selon Khalil été refusés par Ankara, de même que la participation directe des Kurdes aux discussions.

Le 7, Turcs et Américains ont annoncé dans deux communiqués séparés avoir décidé de créer rapidement un «centre d'opérations conjointes», situé en Turquie, qui coordonnera la mise en place de «la zone de sécurité» devant recevoir à terme les Syriens actuellement réfugiés en Turquie. Le 8, Khalil s’est félicité de l’accord américano-turc, tandis que Damas le rejetait «catégoriquement» comme une «agression flagrante» contre sa souveraineté. Le 12, une délégation américaine est arrivée à Ankara pour poursuivre les discussions, et rapidement, une accord a été annoncé pour la création d’une «zone de sécurité» dans le Nord-Est de la Syrie. Le 14, le Pentagone a indiqué que l’accord serait implémenté par étapes. À noter que l'ex-patron des forces américaines en Syrie et ancien chef du CentCom, le général Joseph Votel, maintenant à la retraite, a publié dans le magazine The National Interest une tribune où il s’oppose au contrôle par Ankara de la «zone de sécurité». Dans ce texte, cosigné avec une experte de la Turquie à l'université George Washington, Gönül Tol, Votel rappelle que «Les zones de sécurité […] sont habituellement conçues pour être neutres, démilitarisées et focalisées sur des objectifs humanitaires»… (AFP)

Le 16, le commandant en chef des FDS, Mazloum Abdi, a déclaré dans une interview donnée à l’agence Hawar que les discussions sur la «zone de sécurité» avaient en fait commencé dès que le président Trump avait annoncé le retrait américain en décembre 2018. Abdi a indiqué que les FDS avaient demandé à leurs partenaires américains de jouer les médiateurs entre eux et l’État turc «pour résoudre le problème par le dialogue et non la guerre», puis avaient participé dès le début aux discussions de manière indirecte. Interrogé sur le fait de savoir si les FDS accepteraient des vols de reconnaissance de l’aviation turque au-dessus de leur zone, Abdi a répondu qu’«elles ne l’avaient pas accepté et ne l’accepteraient pas car de tels vols mettraient aussi en danger les autres zones tenus par les FDS». Le ministère turc de la Défense avait annoncé le 14 des vols de drones au-dessus de la «zone de sécurité». Concernant le retour de réfugiés syriens, Abdi a déclaré que les anciens résidents de ces territoires pouvaient revenir (Bianet).

Le même jour, la Russie, réitérant son soutien à Damas pour la récupération des tous les territoires perdus durant la guerre civile, a indiqué que «les tentatives pour isoler le Nord-Est de la Syrie sont une source de préoccupation» et a appelé au dialogue entre Damas et l’Administration autonome. Le 27, cette dernière a annoncé le retrait d’unités des YPG de plusieurs positions situées près de la frontière turque, le démantèlement de diverses petites fortifications de terre et le retrait d’armes lourdes. Ces opérations, commencées le 24 à Ras el-Aïn / Serê Kaniyê , se sont poursuivies le 26 à Tell Abyad / Girê Spî. Le commandement militaire américain au Moyen-Orient (CentCom) a confirmé sur Twitter les retraits et destructions de fortifications, photos à l’appui, ajoutant que cela démontrait «l'engagement des FDS à soutenir l'application du mécanisme de sécurité» (AFP). Parallèlement, l’opposition à une éventuelle invasion turque demeure forte; le Conseil de Girê Spî (Tell Abyad) a indiqué son rejet des menaces turques et des manifestations se sont déroulées dans plusieurs villes du Rojava.

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TURQUIE: ÉCONOMIE EN BERNE ET OPPOSITION CROISSANTE À ERDOĞAN; NOUVELLES ATTAQUES CONTRE LA LIBERTÉ DE L’INFORMATION

Les chiffres récents de l’économie turque n’incitent guère à l’optimisme. D’après l’Institut des statistiques TurkStat, l’inflation en juillet a été de 1,36% par rapport au mois précédent, 16,65% pour l’année. Mais certains chiffres sectoriels sont pires: l’inflation des coûts de transports atteint 4,46% en un mois; et annuellement 18,21% pour la nourriture. Pour le chômage, il était en mai de 12,8% pour les plus de quinze ans, soit plus de quatre millions, une augmentation de plus d’un million en un an. Il est de 23,3% chez les jeunes de 15 à 24 ans. Par ailleurs, la production industrielle a baissé en juin de 3,9% par rapport à juin 2018 et de 3,7% par rapport au mois précédent. Parmi les trois index sectoriels, c’est celui de la production manufacturière qui s’est le plus contracté, avec 4,6%. Les conséquences politiques pourraient être très défavorables pour M. Erdoğan…

Indice d’une opposition croissante au régime de plus en plus autoritaire institué par le Président turc, 43 barreaux turcs ont indiqué qu’ils n’assisteraient pas à la cérémonie d’ouverture de l’année juridique le 2 septembre. Le 21 août, vingt membres de la Cour suprême d’appel sur 380 ont fait de même. Depuis la tentative de coup d’État de juillet 2016, la cérémonie est convoquée au complexe présidentiel d’Ankara en raison des craintes de M. Erdoğan pour sa sécurité. L’un des membres de la Cour suprême a anonymement déclaré à Bianet ne pas souhaiter assister à une cérémonie placée «sous la surveillance du président d’un parti politique».

Le 5, le gouvernement a de nouveau autorisé les visites au leader du PKK emprisonné, Abdullah Öcalan. Ses avocats, qui l’ont rencontré le 7, ont publié ses déclarations exprimant son inquiétude devant la persistance d’une politique militariste de la part des autorités, et sa proposition de contribuer à une solution politique pour la «question kurde». Après ses avocats, son frère Mehmet Öcalan a aussi pu lui rendre visite. Par ces autorisations, le pouvoir, confronté à des difficultés politiques, cherche à donner une impression d’assouplissement, mais celui-ci se révèle illusoire dès que l’on considère l’ensemble du tableau: tout le mois, se sont poursuivi opérations musclées, arrestations, limogeages d’élus HDP et même assassinats extra-judiciaires à la frontière.

Le 1er août, neuf militants kurdes ont été arrêtés dans un raid de police à Izmir. Le 2, plusieurs membres du personnel médical de l’hôpital de Cizre, dont un médecin, ont été arrêtés pour avoir soigné en 2015 des blessés arrivés sur les lieux alors qu’ils étaient de service, dont un enfant de 10 ans: ils sont accusés d’assistance au PKK… L’Association médicale de Turquie TTB et la Fondation pour les droits de l’homme TİHV ont toutes deux condamnés ces arrestations (Bianet).

Le 6, le site de gauche Duvar a annoncé le lancement de l’«Initiative pour libérer Demirtaş», autour du hashtag #FreeDemirtas. Le leader du HDP est maintenant emprisonné depuis trois ans. Participent à cette initiative notamment le journaliste Can Dundar, l’avocate défenseuse des droits de l’homme Eren Keskin, le parlementaire allemand Cem Özdemir, la co-présidente du parti allemand Die Linke Katja Kipping, ou encore la députée européenne néerlandaise Kati Piri. Un autre hashtag utilisé par les participants est #FreeThemAll, en référence à l’ex-coprésidente du HDP Figen Yüksekdağ et aux milliers de membres du HDP attendant leur procès en prison. La prochaine audience du procès de Demirtaş se tiendra le 18 septembre.

Quant au mathématicien Tuna Altınel, placé en liberté provisoire le 30 juillet après 81 jours d’incarcération, il n’en a pas fini avec la justice turque: toujours poursuivi pour avoir servi de traducteur en février 2019 dans une réunion de l’association des «Amitiés kurdes de Lyon», il doit attendre en Turquie la prochaine audience de son procès le 19 novembre, son passeport lui ayant été confisqué. Il demeure aussi poursuivi comme signataire de la pétition des «Universitaires pour la paix», affaire dont l’audience se tiendra le 26 décembre (Le Monde). Bien que la Cour constitutionnelle ait jugé que les condamnations des signataires avaient violé leurs droits, de nombreuses universités refusent toujours de les réintégrer. Une pétition contestant la décision de la Cour constitutionnelle, intitulée «La Cour constitutionnelle ne peut légitimer le terrorisme», a même été lancée avec (comme par hasard) 1.071 signatures: ce nombre vaut signature des ultranationalistes, car il renvoie à la bataille de Mantzikiert (Malazgirt) qui par la défaite des Byzantins ouvrit l’Anatolie aux Turcs seldjoukides… Le 12, la Dr. Anıl Özgüc a annoncé sa démission de l’Université Aydın d’Istanbul, son nom ayant été ajouté sur la pétition sans son consentement (Bianet). Parmi les 1071 signataires, d’autres universitaires ont aussi indiqué qu’il s’agissait de faux: Şerif Eskin, Ercan Eyüboğlu, Mehmet Gürlek, Ahmet Yıldız et Alev Erarslan (Evrensel).

Le 8, dix-neuf étudiants de l’Université technique METU ont été inculpés de «participation à des assemblées et marches illégales» et de «refus de dispersion» pour avoir participé à la neuvième Marche LGBT de leur université. La première audience aura lieu le 12 novembre. Le jour de la parade, la police avait attaqué le défilé, utilisant balles de caoutchouc et gaz poivre, avant d’arrêter 21 étudiants et un enseignant. Depuis 2011, la présidence de l’université tente chaque année d’empêcher la parade en coupant l’électricité des bâtiments concernés ou en appelant la police, puis lance des enquêtes contre les organisateurs (Bianet).

Le 9, la police a lancé un raid contre le bureau du HDP à Muş, incarcérant plusieurs de ses membres, dont les deux co-présidents locaux Ferhat Çakı et Muhlise Karagüzel. Le même jour, d’autres arrestations ont eu lieu à Bitlis, Tatvan et dans le district Bağlar de Diyarbakir. À Gaziantep, dix personnes ont été incarcérées suite à leurs messages sur les réseaux sociaux. Deux d’entre elles ont été inculpées de «propagande pro-PKK». Condamnant ces arrestations, le HDP a indiqué qu’elles avaient concerné au total 21 personnes, conseillers municipaux, co-présidents de districts et membres d’assemblées de jeunes.

Le 19, le ministre de l’Intérieur a indiqué que 418 personnes avaient été incarcérées dans une opération menée dans 29 provinces, quelques heures après le limogeage des maires métropolitains HDP de Diyarbakir, Mardin et Van…

Le 29, la cour constitutionnelle a rejeté la demande de la famille du journaliste arménien assassiné Hrant Dink d’interroger certains responsables étatiques de l’époque. Après l’assassinat en 2007 du rédacteur-en-chef du journal Agos, la Cour avait rendu un verdict de non-lieu pour 24 personnes, dont certains accusés du procès du réseau ultranationaliste Ergenekon, comme l’ancien Vice-gouverneur d’Istanbul Ergün Güngör et le responsable du MIT Özel Yılmaz. Ce sont eux dont la Cour refuse toujours d’autoriser l’interrogatoire…

Sur le front de l’information, les autorités ont poursuivi leurs efforts de censure, lançant notamment une attaque massive contre les sites web d’actualités. Le 2, le site Bianet a indiqué qu’un tribunal d’Ankara avait prononcé le blocage de l’accès à 136 sites – dont Bianet ! – suite à une requête de la gendarmerie datée du 16 juillet. Bianet avait déjà subi des blocages, mais ils ne concernaient que certains articles. Là, c’est l’ensemble du site qui a été bloqué, soit 200.000 articles et rapports. L’Union des journalistes de Turquie (TGS), TİHV et l’Association des droits de l’homme İHD ont publié des communiqués dénonçant une nouvelle atteinte à la liberté de la presse et aux droits de l’homme. Les bâtonniers d’Istanbul, Izmir, Ankara et Diyarbakır ont également dénoncé cet ordre de blocage, de même que la Fédération internationale et la Fédération européenne des journalistes (->), qui ont porté le cas devant la plate-forme du Conseil de l’Europe pour la protection du journalisme. Une pétition en ligne a été lancée (->). Harlem Désir, représentant «Médias» de l’OSCE (Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe) a dénoncé le blocage, tout comme Reporters sans Frontières (->), Amnesty International (->) et l’International Press Institute (->). Cependant, la justice a indiqué le même jour l’annulation de l’ordre de blocage du site «Bianet», ajoutant qu’il avait été placé sur la liste des sites bloqués «par erreur» (le Figaro).

Le 9, les avocats de l’Association pour les études juridiques des médias ont saisi le Conseil d’État pour demander la suspension du nouveau «Règlement sur les diffusions radio, télévisées et volontaires sur internet», entré en vigueur le 1er août 2019. Celui-ci confie au Conseil suprême de la radio et de la télévision (RTÜK) l’autorité pour superviser les contenus internet. Pour l’association, «devoir demander une autorisation et payer des droits pour annoncer des nouvelles est une violation de la constitution de la Turquie». La crainte est aussi que «la langue peu précise» dans laquelle est rédigé le texte permette de «l’utiliser à des fins de censure et avec de mauvaises intentions». Le barreau d’Ankara aussi a contesté ce même texte le 6.

Le 16, le reporter de l’Agence Mezopotamya Ergin Çağlar a été incarcéré à Mersin sous l’accusation d’«appartenance à une organisation terroriste». Le 19, sa collègue Ziyan Karahan a été incarcérée à Diyarbakir. Selon son avocat, on lui a dit qu’elle était incarcérée «en raison de [ses] activités journalistiques» (Bianet). Le 20, l’écrivaine et activiste pacifiste Ayşegül Tözeren, éditorialiste pour le quotidien de gauche Evrensel a également été incarcérée à Istanbul après un raid policier chez elle. Placée en liberté conditionnelle le 23, elle a interdiction de quitter le pays. Le 30, quatre anciens responsables du quotidien de gauche BirGün ont été poursuivis pour «assistance à une organisation terroriste comme non-membres». Ils avaient rendu compte en 2016 de messages Tweeter diffusés sous le pseudonyme de «Fuat Avni» qui rendaient publiques des informations sensibles sur la politique de censure des autorités.

Par contre, la plainte criminelle déposée le 8 juillet par l’Association pour les études juridiques des médias contre la fondation SETA a été classée sans suite. Après que SETA avait publié un rapport visant les journalistes travaillant pour des médias étrangers, l’association avait demandé la condamnation de la fondation pour «incitation du public à l’inimitié et à la haine», «enregistrement de données personnelles» et «encouragement à commettre des crimes». Mais le rapport a été jugé «dans les limites de la liberté d’expression», ce qui a provoqué l’ironie du co-directeur de l’association: ce même procureur, qui ne cesse d’inculper des journalistes ne faisant que leur métier, défend la liberté d’expression des institutions et médias pro-gouvernementaux…

Le 29, devant les membres de l’Association des journalistes audiovisuels, le Président turc a déclaré: «Nous voulons une Turquie plus pluraliste avec une presse plus libre»… Explicitant son propos, il s’en est pris à la couverture médiatique des protestations du parc Gezi, faite selon lui de «nouvelles fabriquées», et aux médias internationaux, coupables de «propagande anti-turque»… On aura compris que pour M. Erdoğan, «presse libre» signifie presse libre de lui être favorable.

Les acteurs culturels trop critiques ont appris à leurs dépens ce qu’il en coûte de parler – ou de chanter – trop fort: le 27 août, Şahinkaya a écrit à Bianet depuis la prison de Van que les membres du groupe musical Grup Yorum qui y sont emprisonnés atteignaient leur 102e jour de grève de la faim. Sur les 18 membres du groupe, 11 sont emprisonnés. Parmi eux, Bahar Kurt jeûne depuis 77 jours, Helin Bölek depuis 70 jours, İbrahim Gökçek 71 jours et Barış Yüksel 72 jours… Depuis la prison pour femmes d’Izmir, Sultan Gökçek a indiqué avoir été brutalisée pour avoir demandé ses livres, et a déposé une plainte criminelle contre ses gardiens après un début d’étranglement. Elle n’a pu témoigner de cette agression à l’audience, à laquelle elle assistait à distance, car le son du système vidéo avait été coupé.

Autre conflit, celui autour du barrage d’Ilisu, dont les vannes ont été fermées le 18 juillet, entamant ainsi le remplissage. Les protestations pour la défense de la cité médiévale d’Hasankeyf, qui sera noyée avec de nombreux villages kurdes, se sont poursuivies malgré les attaques de la police contre les manifestants, comme le 6 août, puis le 13, date ou plusieurs protestataires membres du HDP ont été arrêtés. Le 26, le gouverneur de Batman a annoncé l’interdiction d’accès à la ville à compter du 8 octobre. La Coordination Hasankeyf a qualifié cette décision de «bouclage de destruction», avant de décider d’organiser une série d’actions le 14 septembre. Il ne s’agira toutefois pas d’actions violentes, mais de jouer de la musique ou mener une activité en signe de solidarité avec la ville menacée (Bianet).

Concernant les opérations militaires, après avoir lancé le 27 mai au Kurdistan d’Irak l’opération «Griffes» contre le PKK, l’armée turque en a lancé la deuxième phase, «Griffes-2», le 13 juillet. Les affrontements se sont poursuivis tout le mois d’août, marqués comme d’habitude par des revendications croisées entre les deux camps sur les pertes infligées à l’adversaire…

Le 2, côté turc, dans la région d’Hakkari, des soldats ont ouvert le feu sur trois jeunes bergers qui avaient franchi la frontière pour rechercher des bêtes passées au Kurdistan d’Irak. Le plus jeune, âgé de 14 ans, est mort rapidement, les soldats n’ayant rien fait pour l’assister ni chercher des secours. Selon un autre rapport, les jeunes rapportaient des marchandises de contrebande lorsqu’ils ont été visés par des tirs d’hélicoptère. Déjà en 2011, une frappe aérienne turque à la frontière irakienne avait tué 34 civils près du village frontalier de Roboski (Şırnak). Ces véritables exécutions extrajudiciaires ne sont jamais poursuivies par la justice turque… Le même jour, le ministère turc de la Défense a indiqué sans spécifier de date avoir «neutralisé» cinq combattants kurdes dans la province de Dohouk au Kurdistan d’Irak. Selon de nombreux témoignages locaux, ces frappes ont fait de nombreuses victimes civiles sans aucune relation avec le PKK.

Le 3, le PKK a annoncé avoir tué quatorze soldats turcs dans une attaque-surprise le 1er août sur leurs positions près d’Uludere (Şırnak), puis six autres le lendemain. Six combattants kurdes ont été tués dans ces affrontements (eKurd). La Turquie n’a pas confirmé ses propres pertes. Le 5, RojInfo a annoncé des affrontements à Khwakurk au Kurdistan d’Irak entre PKK et militaires turcs, au cours desquels plus de dix soldats auraient été tués. Le 6 au matin, le ministère turc de la Défense a de nouveau annoncé avoir «neutralisé» quatorze combattants kurdes dans une frappe aérienne à Khwakurk, avant d’annoncer le 8 la neutralisation de deux dirigeants du PKK en Irak et, dans une attaque séparée, de trois autres membres de l’organisation côté turc à Hakkari.

Le 8 août également, Al-Monitor est revenu sur l’assassinat du vice-consul turc Osman Kose. Celui-ci avait été abattu le 17 juillet dernier dans un restaurant d’Erbil, capitale du Kurdistan d’Irak, par un tueur muni d’un pistolet avec silencieux. C’est le premier assassinat depuis 1994 d’un diplomate turc en poste, et c’est la première attaque de ce type au Kurdistan d’Irak. Elle pourrait bien constituer une réponse à la mort le 27 juin de Diyar Gharib Muhammad, l’un des sept membres du Comité central du PKK, natif de Sulêmanî, tué dans son véhicule près de Qandil par une frappe aérienne turque. Selon Bahoz Erdal, responsable au PKK des missions spéciales, Kose, bien qu’officiellement diplomate, coordonnait au sein du MIT (services secrets turcs) les opérations de renseignement contre le PKK à Qandil. Il avait donc joué un rôle déterminant dans la préparation de la frappe ayant conduit à la mort de Gharib Muhammad. Bien que le PKK ait nié être impliqué dans l’attaque, les déclarations de son auteur, Mazlum Dağ, arrêté le 21 juillet, pointent vers l’existence de membres «dormants» du PKK au Kurdistan d’Irak. Al-Monitor se demande si l’affrontement militaire PKK-Turquie n’entre pas dans une nouvelle phase, caractérisée par une plus grande importance de la guerre du renseignement, dans un contexte où l’armée turque possède maintenant des outils dotés de capacités de frappe plus précises comme drones armés et missiles à longue portée…

Le 16 au matin, une nouvelle frappe aérienne turque visant les monts Qandil a selon des sources locales provoqué des incendies autour de plusieurs villages en contrebas (Kurdistan 24). Rûdaw a notamment rapporté la destruction de plusieurs vergers et fermes près du village de Sangasar (entre Ranya et Qele Dize, non loin du lac de Dokan). Le ministère turc de la Défense a confirmé des frappes visant des abris et des caches d’armes du PKK. Le PKK a dénié la neutralisation de centaines de ses combattants depuis fin mai. Le 19, plusieurs maisons ont été détruites et trois civils blessés dans une nouvelle frappe sur Sangasar. La télévision turque a indiqué que cinq membres du PKK avaient été neutralisés. Le lendemain, une frappe aérienne a détruit un véhicule du PKK près du village de Babire (Dohouk), déjà partiellement évacué par ses habitants suite aux bombardements turcs. Côté turc, le gouvernorat de Sirnak a annoncé le 21 qu'un soldat avait été tué et trois blessés dans des affrontements avec le PKK (AFP). Puis trois soldats turc ont été tués le 22 près de Silopi, non loin des frontières syrienne et irakienne.

Le 24 août, le ministère turc de la Défense a annoncé le lancement dans la région de Sinat-Haftanin (ou Batifa), au nord de la province de Dohouk au Kurdistan d’Irak, de la phase 3 de l’opération «Griffes». Le lendemain, il a annoncé quasi-simultanément des frappes sur Zirebar (district d’Aqrê au Kurdistan d’Irak), un village déjà partiellement évacué par ses habitants, et la mort de trois soldats dans des affrontements dont il n’a pas précisé l’endroit. Sept autres soldats ont été blessés dans les mêmes affrontements. Toujours le 25, a été annoncée la «neutralisation» de neuf autres militants kurdes dans le secteur de Batifa. Le 30, cinq zones côté turc dans la province de Hakkari ont été déclarées «zones spéciales de sécurité». Il s’agit du centre de Hakkari, de Çukurca, Şemdinli, Yüksekova et Derecik. L’entrée dans ces zones a été interdite pour quinze jours.

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TURQUIE: NOMBREUSES PROTESTATIONS DANS TOUT LE PAYS APRÈS LE LIMOGEAGE DE NOUVEAUX MAIRES HDP

Le gouvernement turc continue à poursuivre de sa vindicte les maires HDP ayant emporté les élections du 31 mars dernier au Kurdistan de Turquie. Le 13 août, Medeni Özer, co-maire du district d’Edremit, et Faruk Demir, co-maire de celui de Çaldıran (Province de Van), ont été tous deux démis pour «liens avec le PKK» et remplacés par un administrateur pro-AKP (Turkey Purge). Puis le 19 au matin, les maires de Diyarbakir, Adnan Selçuk Mizrakli, de Mardin, Ahmet Türk, et de Van, Bedia Özgökçe Ertan, ont subi le même sort, à chaque fois remplacés par le gouverneur de la province, nommé par Ankara. Malgré les conditions particulièrement iniques de la campagne électorale où les télévisions publiques ont accordé 53 heures d’antenne au tandem AKP-MHP, 14 au CHP, et rien au HDP, M. Mizrakli avait obtenu 63% des voix, M. Türk 56%, Mme Ertan 54%. Des milliers de Kurdes sont descendus dans les rues de toute la Turquie pour protester. À Diyarbakir, des centaines de personnes rassemblées devant la mairie ont été dispersées par des canons à eau, et deux ont été légèrement blessées (AFP). À Van, la police a violemment attaqué des centaines de protestataires rassemblés devant la mairie. Des députés HDP se sont rassemblés pour protester à istanbul, Ankara et Diyarbakir. À Istanbul, le rassemblement a été empêché d’accéder à la place Taksim, et sept responsables du HDP ont été incarcérés (Bianet). Dans des opérations de ratissage lancées simultanément dans tout le pays, 418 personnes, pour la plupart membres ou sympathisants du HDP, ont été incarcérées.

Le MHP, allié ultra-nationaliste de l’AKP, a exprimé sa satisfaction, mais le CHP (opposition kémaliste) a condamné la décision, son vice-président Veli Agbaba, la qualifiant de «fasciste», tandis que le maire CHP d’Istanbul, Ekrem Imamoğlu, élu grâce au vote kurde, la déclarait «inacceptable». L’ancien président turc Abdullah Gül et l’ancien Premier ministre Ahmet Davutoğlu, pourtant membres de l’AKP, ont aussi manifesté leur opposition à une décision «contraire à l’esprit de la démocratie» (Reuters). De manière générale, la condamnation a été massive. 28 barreaux dans tout le pays ont publié un communiqué commun: «Le fait que trois maires élus, dont la nomination avait été approuvée par le Conseil électoral suprême (YSK), ont été démis de leurs fonctions par une ‘décision administrative’ cinq mois après et sur la base d'enquêtes […] non encore achevées, démontre une fois de plus la tutelle de l'exécutif sur le pouvoir judiciaire». L’Association des avocats contemporains (ÇHD), l'Union des chambres des ingénieurs et architectes turcs (TMMOB), Avocats pour la démocratie, l'Association des droits de l'homme (İHD) et la Fondation turque des droits de l'homme (TİHV) ont publié des déclarations sur les destitutions. Se référant dans leur déclaration commune à l'article 38 de la Constitution selon lequel nul ne peut être considéré comme coupable avant sa condamnation par un tribunal, İHD et TİHV ont qualifié la décision de «violation absolue de la Constitution». À l’issue d’une réunion d’urgence du HDP, son co-président Sezai Temelli a déclaré aux journalistes que la décision était un «coup d’État civil», un «nouveau 12 septembre» (date du coup d’État de 1980) (Bianet).

Les protestations ont duré jusqu’à la fin du mois, malgré de nombreuses attaques de la police, à Ankara, Istanbul, Dersim, Diyarbakir, Van, Erzurum et Bitlis (WKI). Le ministre de l’Intérieur, Suleyman Soylu, a défendu sa décision: «Ceux qui prétendent qu’être élu apporte l'impunité pour les crimes terroristes ont tort»… À Diyarbakir, la police a bloqué toutes les rues menant à la mairie métropolitaine et empêché une déclaration publique de Sezai Temelli. À Mardin, cinq journalistes de différents médias couvrant les protestations ont été incarcérés et n’ont été relâchés qu’après plusieurs jours, après avoir subi des fouilles à nu et des violences physiques. Le 21, la police a dispersé de nouveaux rassemblements. À Diyarbakir, où au moins deux-cents personnes s’étaient rassemblées, sept ont été arrêtées. S’exprimant devant la presse étrangère, le ministre Soylu a accusé le HDP d’être responsable de la situation: «Le principal problème c'est l'attitude du HDP qui a défié l'État en nommant comme maires des gens qui font déjà l'objet de poursuites judiciaires»…

L’administrateur nommé à Van, le gouverneur Mehmet Emin Bilmez, a informé les membres du conseil municipal de la dissolution de celui-ci et de la suppression des prochaines réunions prévues… par SMS! Le 22, vingt-six avocats qui protestaient contre les destitutions ont été attaqués et frappés par les policiers, qui ont également insulté les journalistes couvrant l’événement, et le député HDP Erol Katırcıoğlu a été séparé du groupe et emmené de force. Le bâtonnier d’Izmir, Özkan Yücel, et un groupe de l’association, arrivés après l’incident, ont été empêchés d’approcher. Le même jour, le ministère de l’Intérieur a démis huit conseillers municipaux HDP des districts d’Edremit, Çaldıran et Tuşba, et le gouverneur de Batman a démis les moukhtars ou chefs de village de Çay, Korik, Bağlar et Kösetarla, sous prétexte de poursuites ou d’enquêtes en cours contre eux, les remplaçant par des administrateurs. En deux jours, plus de 500 membres et sympathisants du HDP qui protestaient ont été arrêtés, a affirmé à l'AFP une source de ce parti.

Une vidéo montrant les violences policières contre des protestataires réfugiés dans un café à Van a provoqué un tel scandale que même un député AKP d’Istanbul, Mustafa Yeneroğlu, s’est ému, qualifiant ces images d’«horribles». Une autre vidéo largement diffusée sur Internet montre un policier d’Istanbul tirant des balles de caoutchouc à bout portant dans la tête d’un manifestant désarmé. À Ankara, les policiers ont maintenu au sol et menotté dans le dos un enfant de douze ans avant de l’emmener. Le président de l’Association des avocats contemporains ÇHD a rappelé l’illégalité de cette pratique pour un enfant (Bianet).

Le 23, le Président turc a défendu les destitutions en accusant les maires démis de s’être mis «au service du terrorisme» (AFP).

Le 24, deux députés CHP, Ilhan Cihaner et Ali Seker, se sont rendus à Diyarbakir pour visiter Mizrakli, puis ont gagné Mardin le lendemain pour rencontrer Ahmet Türk. Le 26, une délégation du HDP s’est rendue dans les locaux du CHP pour rencontrer son président Kemal Kılıçdaroğlu et discuter les destitutions, la constitution et la réforme judiciaire. Le HDP a publié ensuite une déclaration indiquant l’accord des deux partis pour considérer les actes du pouvoir comme un «Coup politique» et défendre ensemble les principes démocratiques.

Par ailleurs, après les interrogations exprimées à la télévision par Ahmet Türk, le maire démis de Mardin, sur les dettes laissées à la municipalité par l’administrateur et gouverneur Mustafa Yaman, un scandale impliquant les dépenses indues de certains des administrateurs AKP entre 2016 et 2019 a commencé à émerger, notamment suite à une investigation du journaliste Tunca Öğreten de la Deutsche Welle. Le 26 à Van, plus de 80 protestataires ont été arrêtés, dont 38 ont ensuite été déférés au tribunal. Le 27, 189 personnes, universitaires, journalistes, personnalités politiques et juristes, ont signé une déclaration s’opposant aux destitutions (->). À Diyarbakir, les présidents de plusieurs organisations professionnelles ou syndicats, DİSK, KESK, TTB et TMMOB, ainsi que le maire de Dersim Fatih Mehmet Maçoğlu, ont participé à un sit-in de protestation.

Les protestations se sont poursuivies jusqu’au 28, alors que le département des opérations spéciales de la police arrêtait l’ancien député HDP Selim Sadak à Diyarbakir.

Le 28, le Président turc, parlant aux journalistes à bord de l’avion le ramenant de Moscou, a de nouveau justifié les destitutions en accusant les maires démis d’avoir «envoyé les impôts à Qandil», les «transformant en balles». Le soir, les trois maires démis, qui intervenaient sur la chaîne de télévision privée Halk, proche du CHP, ont indiqué leur intention de saisir la justice pour contester leur limogeage. La maire de Van, Bedia Özgökçe Ertan a notamment déclaré, répondant au président turc: «Avoir envoyé de l'argent à Qandil n'est pas l'une des accusations portées contre moi. […] Elle ne figure pas dans le résumé de la procédure communiqué par le parquet»… (Bianet)

Le 31, le maire CHP d’Istanbul, Ekrem Imamoğlu, s’est à son tour rendu à Diyarbakir, où il a rencontré le maire démis de la ville, Adnan Selcuk Mizrakli, et celui de Mardin, Ahmet Türk. Critiquant de nouveau les destitutions, il a qualifié la décision d’Ankara d’«imprudence», déclarant aux journalistes: «Il ne peut y avoir de démocratie ni d'État de droit quand des responsables élus quittent leur poste sans avoir été désavoués par les urnes». Imamoğlu s’est aussi rendu sur la tombe de Tahir Elci, le bâtonnier de Diyarbakir et militant kurde, assassiné par balles en pleine rue en 2015 dans des conditions extrêmement suspectes alors qu’il était censé être protégé par la police.

Le même jour, les programmes des «Rassemblements pour la Paix» prévus le 1er septembre à Istanbul, Diyarbakir, Ankara et Izmir ont été publiés. Les gouverneurs de trois provinces ont interdit plusieurs slogans ou pancartes contenant le mot «administrateur» ou «coup d’État»…

Les réactions ont aussi été négatives à l’étranger. L’organisation de défense des Droits de l’homme Human Rights Watch a dénoncé les destitutions sur son site dès le 20 août (->), déclarant qu’elles violaient les droits des électeurs. Le Conseil de l’Europe a également réagi, par l’intermédiaire d’Anders Knape, président du Congrès des pouvoirs locaux et régionaux, qui a exprimé sa préoccupation sur le site de l’institution, rappelant que le Congrès avait déjà dans le passé exprimé sa préoccupation devant «le recours excessif aux procédures judiciaires contre les élus locaux en Turquie» . La porte-parole de l’Union européenne pour les Affaires étrangères, Maja Kocijanic, a appelé à l’annulation des destitutions, et Mme. Kati Piri, rapporteure du Parlement européen sur la Turquie, a déclaré que l’AKP, n’ayant pas pu l’emporter par les élections, obtenait maintenant ce qu’il voulait «par des moyens antidémocratiques et totalement illégaux»... Plusieurs groupes parlementaires européens ou partis politiques nationaux ont condamné les destitutions, dont en France les partis socialiste et communiste.

Le 21, le Département d’État américain a qualifié la décision de limogeage des trois maires HDP d’«évidemment préoccupante». À Genève, des Kurdes se sont rassemblés devant le Palais des Nations avec des banderoles portant les mots «Non au coup d’état contre les municipalités kurdes» et on scandé: «Dictateur Erdogan, retirez vos mains de nos mairies».

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IRAK: DÉSACCORDS PERSISTANTS SUR LE BUDGET; INTENSIFICATION DES ATTENTATS DJIHADISTES

Le premier ministre irakien rencontre des difficultés pour faire appliquer ses décisions concernant les milices chiites Hashd al-Shaabi soutenues par l’Iran, dont il a décrété l’intégration dans l’armée et le retrait de certains territoires. Le 5 août, des membres de ces milices et leurs partisans ont manifesté dans la province de Ninive, bloquant la route Mossoul-Erbil et jetant des pierres au convoi de l’armée irakienne devant les remplacer (ISHM). Le 6, Falih Fayadh, Conseiller national à la sécurité, mais aussi chef du Conseil des Hashd al-Shaabi, a annoncé que la sécurité de Ninive serait assurée conjointement par les Hashd, l’armée irakienne et la police locale, puis le 10, il a demandé deux mois de délai pour l’intégration des Hashd dans l’armée. Les habitants de Mossoul, sunnites, sont eux en faveur du retrait.

Concernant les relations avec les Kurdes, l’histoire récente, et particulièrement la tentative génocidaire de l’Anfal, ressurgit régulièrement dans l’actualité avec la découverte de nouvelles fosses communes. Le 1er août, la Fondation irakienne des martyrs a annoncé le début de l’exhumation d’une d’elles dans le désert de Samawa. Elle contient jusqu’à cent-trente corps de Kurdes assassinés sous le régime ba’thiste, majoritairement femmes et enfants. Deux autres fosses découvertes non loin seront exhumées prochainement.

Autres points d’accrochage entre Bagdad et Erbil, les territoires contestés et les questions budgétaires. Le 3, une délégation du Gouvernement régional du Kurdistan (GRK) est venue à Bagdad discuter la normalisation de la situation à Kirkouk. Les Kurdes demandent le retour à une administration civile avant les élections provinciales d’avril 2020. Le 4, le représentant pour l’Irak du Secrétaire général des Nations Unies a demandé à Erbil et Bagdad de coopérer pour rétablir la sécurité au Sinjar, faisant écho à la même demande de la Prix Nobel yézidie Nadia Mourad. Concernant le budget 2020 et les livraisons de pétrole du GRK à Bagdad prévues au budget 2019, malgré plusieurs réunions à haut niveau initiées dès l’installation du nouveau GRK, l’accord reste à trouver… Le Premier ministre irakien a en partie les mains liées par certains partis de sa coalition, qui refusent tout compromis – ainsi que le retour des pechmergas à Kirkouk. Le GRK argumente que l’arrêt du versement du budget fédéral par le gouvernement Maliki en 2014 l’a obligé à exporter son pétrole sans coordination avec Bagdad (Al-Monitor). Le 19, Jutyar Adil, porte-parole du GRK, a rappelé que Bagdad amputait toujours le budget de la Région d’un montant supérieur à la valeur des 250.000 barils quotidiens que le GRK devrait livrer à Bagdad (seulement 5440 milliards de dinars sur un budget officiel de 12.840 milliards). Le 22, un membre de la Commission des finances du parlement irakien, Abdulhadi Sadawi, a pourtant imputé au GRK la responsabilité d’une partie du déficit budgétaire du pays, prévu à 72.000 milliards de dinars pour 2020. Le 24, Jabar Yawar, Secrétaire général du Ministère des pechmergas, a fait remarquer que les fonds envoyés par Bagdad ne couvraient toujours pas les soldes des pechmergas (NRT).

Dans d’autres domaines, la relation est moins conflictuelle. Ainsi pour l’enseignement supérieur, le ministère irakien concerné a annoncé le 2 la prochaine reconnaissance officielle de neuf universités kurdes d’Irak. Selon Mohammed Shakir, membre de la Commission de l’éducation du parlement irakien, l’absence de reconnaissance actuelle ne résulte pas d’un quelconque problème de niveau, mais d’un manque de coordination lors de leur ouverture. Cette situation, qui handicape les diplômés voulant poursuivre des études ou obtenir des bourses à l’étranger, va donc se résoudre (Kurdistan-24).

Concernant la politique intérieure de la Région du Kurdistan, l’Union patriotique du Kurdistan (UPK) a annoncé avoir choisi Jafar Mustafa Ali (Cheikh Jafar) pour occuper le poste de Second vice-président de la Région, attribué à ce parti, tandis que Goran (Mouvement du Changement) a désigné Mustafa Said Qaidi pour celui de Vice-Président. Il reviendra au Président Nechirvan Barzani d’émettre le décret officialisant leurs fonctions (WKI).

Concernant la sécurité, les attaques de Daech ont connu une ampleur inquiétante durant tout le mois, en particulier dans les régions disputées quittées par les pechmergas en 2017, où les forces irakiennes n’arrivent pas à assurer la sécurité. Le 1er août, la chaîne Rûdaw a annoncé que des djihadistes avaient tué la nuit précédente quatre membres des Asayish (sécurité kurde) dont un officier, et grièvement blessé deux civils, dans une attaque sur un point de contrôle près de Kifri, dans la région de Garmiyan, au sud de Kirkouk. L’attaque a commencé avec des tirs de mortiers sur le village, puis des snipers ont pris le point de contrôle pour cible. Enfin, un véhicule des unités anti-terroristes envoyé sur les lieux a sauté sur une mine posée par les djihadistes, et deux de ses passagers ont été tués. Le 5, le Secrétaire général des Nations Unies, Antonio Guterres, a dans son rapport au Conseil de sécurité indiqué que Daech possédait encore 300 millions de dollars de ressources financières (ISHM). Le même jour, les forces de sécurité irakiennes ont annoncé le lancement de la troisième phase de l’opération «Volonté de victoire» à Diyala et Ninive (Ninawa). Dans la région de Kifri, où le Premier ministre irakien est arrivé lui-même tôt lundi pour superviser l’opération, les pechmergas et les forces de sécurité irakiennes ont lancé une opération simultanée (Rûdaw). Dans la région de Makhmour, au sud d’Erbil, une frappe aérienne de la coalition anti-Daech a tué six djihadistes, dont les troupes au sol ont ensuite trouvé les corps. Le 6, la police irakienne a annoncé avoir arrêté cinq djihadistes de Daech à Mossoul (Kurdistan-24), mais le même jour dix bombes artisanales ont visé des militaires et des civils à Rumaila (champ pétrolier près de Bassora), Diyala, Anbar et jusqu’à Bagdad… (ISHM) Le 7, quatre djihadistes ont été tués à Diyala, et les Hashd ont indiqué avoir sécurisé 147 villages. Cependant, le 8, une nouvelle attaque au mortier dans la province a fait deux morts civils et deux blessés (ISHM). Le 9, la Sécurité militaire irakienne a annoncé avoir tué dans leur cachette à Diyala quatre djihadistes infiltrés. D’autres frappes aériennes de la coalition ont tué un nombre non spécifié de djihadistes dans la région de Kanous (Ninive), puis deux dans l’opération au sol qui a suivi, dans laquelle il semble qu’un conseiller américain ait trouvé la mort (Kurdistan-24).

Les 11 et 14 août, des bombes artisanales ont explosé à Kirkouk et Diyala, tandis que des djihadistes comme des militaires irakiens étaient tués au combat. Le 12, une unité contre-terroriste irakienne opérant en coordination avec l’aviation de la coalition a tué dix djihadistes à Anbar, dont deux portaient des gilets explosifs. Le même jour, un point de contrôle irakien au sud de Daqouq (Kirkouk) était attaqué, deux membres de la police fédérale tués et deux autres blessés. Le ministre des Pechmergas a indiqué dans une conférence de presse que l’augmentation des attaques montrait que Daech s’était réorganisé (WKI). Le 14, une autre bombe artisanale a blessé deux policiers à bord de leur véhicule à l’ouest de Daqouq, et les djihadistes ont attaqué un point de contrôle entre Hawija et Dibis, à l’ouest de Kirkouk. Ce même jour, des avions irakiens ont tué quatre djihadistes, dont un expert en explosifs.

Par ailleurs, terrifiés par la menace djihadiste, une délégation d’habitants de Daqouq s’est rendue à Bagdad pour demander la protection du gouvernement. Accompagné par le député Dilan Ghafour, le groupe a visité le ministère de l’Intérieur et rencontré le président irakien. Daech semble viser particulièrement les quinze villages kakaïs de cette zone. Ghafour a indiqué que le Président irakien avait créé un comité devant visiter ces villages et lui faire un rapport (Rûdaw). Beaucoup d’habitants kurdes de cette région ont quitté leur village dernièrement.

Le 15 au soir, les pechmergas ont repoussé une attaque lancée des Monts Hamrin, au sud du district de Khanaqin (Diyala), sur Kani Masi (Kurdistan-24). Le 17 au soir, des tirs de mortier ont frappé un village au nord de Khanaqin, sans faire de victimes. Le 18, une frappe aérienne a détruit une voiture piégée à Anbar. Le 20, deux bombes artisanales ont blessé quatre militaires irakiens au Nord-Est de Baqouba (Diyala), et une nouvelle frappe aérienne a tué six djihadistes à Ninive. Le 22, la Diyala a de nouveau connu une attaque au mortier, et six djihadistes, dont quatre kamikazes, ont été tués. Le 24, les Forces de sécurité irakienne ont annoncé le lancement de la phase cinq de l’opération anti-Daech «Volonté de victoire». La phase précédente avait notamment permis de détruire 31 installations des djihadistes, dont des tunnels, et de saisir ou de faire exploser 72 bombes (ISHM). Le même jour, une nouvelle attaque a tué cinq miliciens du Hashd à Daqouq, où les djihadistes, après avoir tiré sur des civils dans un stade de football, ont attaqué les miliciens à la roquette (un autre compte-rendu rapporte six morts, dont un policier). Les victimes civiles sont majoritairement des Turkmènes chiites. Daech a ensuite revendiqué plusieurs attaques dans cette province sans mentionner celle-ci en particulier.

Le 25, les forces de sécurité irakiennes ont annoncé avoir tué quatre djihadistes et en avoir arrêté deux autres à Anbar. Le 27, l’antiterrorisme irakien a annoncé que l’un des leaders de Daech, connu sous le pseudonyme d’Abou Mouslim, avait été tué à Anbar avec deux autres dirigeants dans une frappe aérienne vers le 13 du mois. À Diyala, le 26, Daech a attaqué un point de contrôle irakien près de Khanaqin, tuant deux soldats, et à l’ouest de Baqubah, une bombe a tué un policier et en a blessé un autre; le 27, une bombe a grièvement blessé un civil près d’une ferme, et des tirs de mortier ont visé un village du sous-district de Mouqdadiyah, de nouveau visé le lendemain par une bombe qui n’a pas fait de victime. Enfin, le 29, Daech a blessé trois policiers à Jalawla (Diyala) et attaqué à la bombe à Ninive une patrouille irakienne dont deux membres ont été blessés (ISHM).

Concernant les territoires disputés, les partis kurdes ont rejeté le 8 août la décision du parlement de Bagdad d’y tenir les élections provinciales du 1er avril 2020. Particulièrement à Kirkouk, ils craignent que, cela ne prive les Kurdes déplacés de leurs droits électoraux et n’ancre dans le paysage démographique la politique d’arabisation en cours. En effet, la loi prévoyant l’établissement des listes électorales à partir des cartes de rationnement, les Kurdes pour lesquelles elles ont été transférées dans d’autres provinces ne pourront voter. Inversement, selon les chiffres officiels du ministère irakien du Commerce, durant les sept derniers mois, les cartes de rationnement de plus de 37.000 Irakiens arabes d’autres provinces ont été transférées vers Kirkouk, ce qui leur permettrait de voter, en contravention du décret interdisant tout changement ayant pour but de modifier l’équilibre démographique d’une province. Le 25, la chaîne kurde Kurdistan 24 a annoncé avoir eu accès à des documents montrant que 600 familles arabes des provinces de Salahaddin, Al-Anbar, Maysan, et Bagdad, avaient accédé à la résidence à Kirkouk durant les six derniers mois…

Les partis kurdes demandent donc soit un corps électoral basé sur le recensement de 1957, datant d’une période antérieure à la politique d’arabisation de Saddam Hussein, soit l’application de l’article 4 de la loi électorale, qui permet au Conseil des ministres d’exclure une province des élections. De son côté, le leader du Front Turkmène, Arshad Salehi, a accusé les partis kurdes d’avoir installé à Kirkouk jusqu’à 600.000 Kurdes d’Erbil, Suleimaniyeh, voire de pays voisins! S’il est vrai que des dizaines de Kurdes victimes de déportation sous Saddam Hussein ont regagné leurs foyers depuis 2003, le chiffre donné par le leader turkmène soutenu par Ankara est très largement exagéré. Pour les Kurdes, la solution définitive et conforme à la Constitution irakienne de 2005 serait l’application de l’article 140. La province n’a pas connu d’élection depuis 2005 (Rûdaw)…

Le 13, les partis kurdes de Kirkouk ont décidé de contester juridiquement la loi fixant les élections provinciales, le même jour où le Directeur adjoint de la Commission électorale irakienne a déclaré craindre que de nombreuses personnes déplacées ne puissent y voter, faute de pouvoir se rendre dans les bureaux de vote de leurs villes d’origine avec des cartes électorales à jour (ISHM).

Dans tout le Kurdistan, les frappes turques se sont poursuivies tout au long du mois, faisant régulièrement des victimes civiles. Dans 25 villages de Dohouk, on trouve des maisons abandonnées, et une dizaine de villages chrétiens du district de Kani Masi ont même été totalement évacués. Selon le responsable du district, les frappes turques sont quasiment quotidiennes (Rûdaw). À plus large échelle, ce sont des centaines de villages qui ont été abandonnés par leurs habitants depuis mai. Le 12, le président du PDK, Massoud Barzani, a indiqué que le GRK tentait par la voie diplomatique d’obtenir l’arrêt des frappes continuelles sur son territoire de la Turquie et de l’Iran contre le PKK et le PDKI. Sans préciser le contenu des discussions en cours, il a insisté sur le fait qu’elles ne mèneraient pas à des combats entre «frères kurdes», laissant entendre que le GRK n’utiliserait pas la force pour expulser les Kurdes visés par ces frappes en échange de leur arrêt (ISHM). Le 20, quelques heures après que des frappes turques ont blessé trois villageois près des Monts Qandil, le porte-parole du GRK a de nouveau appelé la Turquie comme le PKK à éviter tout tort aux habitants du Kurdistan d’Irak.

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GÉNOCIDE YÉZIDI : LE 3 AOÛT DÉSIGNÉ «JOUR DU SOUVENIR» PAR LE PARLEMENT DU KURDISTAN

Le parlement kurde a annoncé le 1er août qu’il débattait de la désignation du 3 août comme «Jour du souvenir du génocide des Yézidis» perpétré par Daech. La loi devrait passer durant la session prévue le samedi suivant, justement le 3 (Kurdistan-24). Le même jour, l’organisation de défense des droits des Yézidis Yazda a organisé une commémoration de cet événement, qui a réuni responsables irakiens et étrangers. Le Secrétaire général du Conseil des ministres Mahdi al-Alaq a indiqué que, sur soixante-sept fosses communes de Yézidis découvertes après le retrait de Daech, dix-sept ont maintenant été ouvertes, essentiellement par l’UNITAD, l’organisation des Nations-Unies chargée d’enquêter sur les crimes commis par Daech. Alaq a également annoncé que le ministère irakien de l’Enseignement supérieur avait autorisé l’ouverture prochaine de la première université à Sinjar (Shingal), ainsi que d’un musée et surtout d’un hôpital qui sera spécialisé dans le traitement des femmes et des enfants victimes de kidnapping et de torture (Rûdaw).

Selon le responsable du Bureau de sauvegarde des femmes yézidies du GRK, Hussein Koro, qui intervenait dans une conférence de presse distincte, sur 6.417 femmes yézidies enlevées par Daech, seulement 3.509 ont été sauvées. Koro a indiqué posséder des informations sûres selon lesquelles un certain nombre de ces femmes et enfants se trouvaient au camp d'Al-Hol au Rojava. Une équipe envoyée sur place n’a pu obtenir de s’assurer de leur présence, et encore moins de les ramener… Le 3, depuis Stuttgart, où elle se trouvait à l’invitation du Conseil des Yézidis d’Allemagne, l'ancienne captive de Daech et Prix Nobel de la paix Nadia Mourad a appelé ceux-ci à rentrer au Sinjar: «Aujourd’hui, plus de 90.000 sont revenus […]. Il faut que davantage rentrent pour faire échouer le plan de Daech de les en chasser». Elle a également reproché aux autorités irakiennes et kurdes de n’avoir pas agi pour aider les survivantes, demandant notamment un dédommagement. À noter que la résolution adoptée le même jour par le Parlement kurde demande aussi que le gouvernement fédéral verse des réparations aux familles des victimes «selon la constitution irakienne». Nadia Mourad a remercié le Parlement du Kurdistan pour cette résolution.

Le 30 août, la police locale a découvert au Sinjar une nouvelle fosse commune de Yézidis assassinés par Daech, contenant au moins six victimes (ISHM).

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DJIHADISTES EMPRISONNÉS AU ROJAVA: LES OCCIDENTAUX FUIENT LEURS RESPONSABILITÉS

L’Administration autonome du Nord-Est syrien ne cesse de demander aux pays occidentaux d’assumer leurs responsabilités vis-à-vis de leurs ressortissants djihadistes. Les camps situés sur son territoire retiennent plus de 70.000 prisonniers, dont 10.000 étrangers, répartis en 2.000 femmes et 8.000 enfants, avec 370 Français, dont 250 enfants. Le journal Le Monde a compté quant à lui 800 hommes occidentaux, 700 femmes, et près de 1.500 enfants. Ces camps sont maintenant tellement surchargés que les conditions de vie y sont devenues totalement indignes. Comment mettre fin à la radicalisation dans une telle situation? Alors que des gardes ont été attaqués ou poignardés, de plus en plus d’observateurs estiment que ces camps sont devenus de véritables bombes à retardement. Pourtant, les pays d’origine sont toujours aussi réticents à récupérer leurs ressortissants devenus djihadistes, et ils ne veulent pas non plus de leurs proches, femmes ou enfants. La communauté internationale ne fournit pas non plus à l’administration kurde les moyens financiers qui permettraient l’installation de camps mieux équipés.

Le 12 août, la rapporteure spéciale des Nations Unies sur les exécutions extrajudiciaires, sommaires ou arbitraires, Agnès Callamard, a adressé une lettre de six pages au gouvernement français où elle accuse celui-ci de double langage: alors que le pays prétend s’opposer à la peine de mort, il a accepté de transférer treize Français membres de Daech en Irak où ils ont été promptement condamnés à mort. Callamard a affirmé qu’un tel transfert constituait une violation du droit international. La France a défendu sa décision en argumentant que les djihadistes devaient être jugés au plus près des lieux où ils avaient commis des crimes (ISHM), et le ministère français des Affaires étrangères a donné une réponse très critique à ce courrier en parlant d’«allégations non étayées» et «relevant de la pure spéculation»: «Les allégations formulées par Agnès Callamard ne reposent sur aucun échange préalable avec les autorités françaises, comme le prévoient pourtant les procédures spéciales du Conseil des droits de l’Homme. Elles ne sont nullement étayées, relèvent de la pure spéculation et n’engagent qu’elle».

Le Centre d’analyse du terrorisme, dont une analyste s’est rendue cet été en Syrie pour s’informer sur la présence de commanditaires d’attentats commis en France, a appelé au rapatriement de ceux-ci pour qu’ils soient présents dans les procès qui doivent se tenir pour ces attentats. Mais plus généralement, la mission du CAT a aussi témoigné des difficultés que rencontrent les Kurdes pour «organiser la détention et le jugement des combattants étrangers. Ils manquent à peu près de tout, de preuves les concernant, de ressources financières ; ils n’ont pas les fonds nécessaires à ce stade pour créer des prisons pour les femmes. Ils manquent aussi d’expertise juridique. Depuis peu, ils soutiennent le projet d’un tribunal international sur place, mais ce n’est pas possible en l’état» (L’Express). Si un jugement sur place doit avoir lieu, alors il conviendrait d’assister l’Administration autonome pour ce faire.

Comme le souligne le Huffington Post, un tribunal international se crée par une résolution spéciale du Conseil de sécurité de l’ONU, comme ce fut fait dans les cas de l’ex-Yougoslavie et du Rwanda. En 2014, la résolution 2170, qui crée la Coalition contre Daech, «demande instamment à tous les États de coopérer (…) aux efforts faits pour trouver et traduire en justice» les combattants de Daech et d’autres organisations terroristes. Les États membres de la coalition ont donc la base juridique pour mettre en place un tribunal international spécifique, d’autres options étant d’étendre la compétence de la Cour pénale internationale de La Haye ou de créer une Cour mixte sur le modèle du Cambodge après le génocide des Khmers Rouges, composée de juristes locaux et internationaux…

Le 19, en tout cas, l’Administration autonome du Nord-Est Syrien a remis quatre orphelins de combattants djihadistes à une délégation du gouvernement allemand venue sur place (AFP). Selon une source locale, le «Centre d’information du Rojava», l’Allemagne pourrait reprendre sur son territoire plus d’une centaine d’enfants nés en Syrie de parents allemands et suspectés d’être venus dans le pays pour soutenir Daech. Ensuite des hommes et des femmes en plus grand nombre encore seraient rapatriés. En juillet dernier, un tribunal allemand avait ordonné le rapatriement d’une femme avec ses trois enfants, que le ministère des Affaires comptait rapatrier sans leur mère. La famille de la mère avait alors déposé plainte (Rûdaw).

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IRAN: MENACES GLAÇANTES DU RÉGIME AUX OPPOSANTS, NOMBREUSES CONDAMNATIONS D’ACTIVISTES KURDES

Le début du mois d’août a été marqué par le scandale qu’ont causé les déclarations glaçantes de Mostafa Pour-Mohammadi fin juillet. L’actuel conseiller du chef du pouvoir judiciaire iranien Ebrahim Raisi, et ancien ministre de l'Intérieur et de la Justice, a défendu le 24 juillet dans une interview au magazine Mosalas les exécutions extrajudiciaires de 1988, durant lesquelles 30.000 prisonniers politiques ont été envoyés à la potence hors de tout cadre légal. Non content d’approuver ce crime contre l'humanité, qualifié d’acte de guerre légitime, Pour-Mohammadi a déclaré être prêt à poursuivre les exécutions. Au-delà de l’organisation des Mujahedin-e Khalq, nommément citée, ce sont tous les porteurs de contestation qui sont visés. Pour-Mohammadi siégeait à l’époque aux côtés d’Ebrahim Raissi dans la «Commission de la Mort» de Téhéran, instituée par une fatwa de l’Ayatollah Khomeiny, qui avait ordonné les exécutions. L’interview, mise en ligne par le magazine et sous-titrée en anglais par des activistes, est visible sur internet (->). Dans son raidissement face aux sanctions américaines, le pouvoir iranien a ainsi envoyé un message effrayant montrant jusqu’où il était prêt à aller dans sa répression de toute contestation. Le 5 août, le Centre pour les droits de l’homme en Iran (CHRI) a condamné ces déclarations et appelé Raisi à les désavouer. Le CHRI appelle aussi le chef du pouvoir judiciaire à s’engager à ne pas reprendre ces pratiques pour réduire au silence les opposants politiques, et demande au Rapporteur spécial des Nations-Unies sur les exécutions extrajudiciaires, sommaires ou arbitraires, ainsi qu’à tous les gouvernements, de condamner publiquement les déclarations de Pour-Mohammadi.

Par ailleurs, de nouveaux incendies criminels se sont produits dans les régions kurdes d’Iran entre fin juillet et début août. Selon le KMMK, dans la région de Kermanshah, à Dalahu, le feu a brûlé quatre jours sans que les autorités ne fassent la moindre tentative pour le combattre. La réaction est venue des volontaires locaux et des défenseurs de l’environnement. Le 3, un incendie important a frappé Javanrud tandis que 50 ha étaient dévastés près de Sardasht (WKI).

Les kolbars, ces porteurs kurdes transfrontaliers, continuent à payer de leur vie leurs tentatives pour survivre économiquement. Selon le KMMK, depuis le début de l’année, près de 50 ont été tués et près de 100 blessés. L’association Hengaw a quant à elle indiqué début août que durant le mois de juillet sept kolbars avaient été tués et vingt blessés. Deux ont été blessés le 31 juillet côté irakien, non loin du poste-frontière d’Haji Omran, face à Piranshahr (KMMK). Le même jour, un autre s’est blessé dans une chute au Hawraman, et un autre dans une embuscade des garde-frontières près de Kileh Shin (entre Saqqez et Baneh). À Nowdeshah (en face de Halabja), un kolbar a été blessé par des tirs des garde-frontières, et le 7, deux autres ont été blessés près de Sardasht et un tué à Piranshahr. Le 10, les pasdaran ont ouvert le feu sur un groupe de kolbars près du poste-frontière de Khoy, tuant l’un d’eux et en blessant un autre. Le 11, un homme a été tué près d’Oshnavieh lorsque les pasdaran ont ouvert le feu sur son véhicule. Un autre kolbar, capturé, a été torturé. Le 21, les forces de sécurité ont blessé un kolbar dans une embuscade tendue à un groupe près de Sardasht. Un autre a été blessé le même jour d’une balle dans la jambe à Ouroumieh. Le 25, un autre a été tué près de Baneh et un grièvement blessé par balle près de Khoy. Enfin, le 27, des gardes-frontières ont attaqué un groupe près d'Oshnavieh et tué un Kurde de 32 ans nommé Mohamadi Hamizadeh (WKI).

Par ailleurs, une vague d’arrestations a visé les activistes kurdes, dont selon la Kurdistan Human Rights Association (KMMK), 270 ont été arrêtés depuis le début de l’année, et parallèlement de nombreuses condamnations ont été prononcées. Six personnes ont été arrêtées en début de mois: trois à Marivan, un à Piranshahr et deux à Oshnavieh (Shino). À Marivan, la défenseuse des droits des femmes Parwin Adawai a été arrêtée, puis le 2, l’Etelaat (Service de renseignement) a arrêté deux personnes supplémentaires, Hamdi et Shaho Kawan. À Oshnavieh, les deux Kurdes arrêtés, Aso Garmiani et Majid Darî ont été accusés d’«assistance aux partis kurdes d’opposition» et condamnés à des peines de prison allant de trois mois à quatre ans. Depuis le début de l’année, ce sont plus de 250 Kurdes qui ont été arrêtés par le régime. À Ouroumieh, cinq prisonniers politiques kurdes sont entrés en grève de la faim pour protester contre leurs conditions de détention, de même que le chanteur Peyman Mîrzadeh, après avoir reçu cent coups de fouet pour «propagande contre la République islamique» (WKI).

Le 6, l’Etelaat a lancé des raids aux domiciles de plusieurs activistes de Kamyaran et a arrêté sept d’entre eux. Le 9, l’activiste kurde Sirun Abbasi a été arrêté dans un tel raid à Dehgolan après avoir appelé à la démission du Guide suprême Ali Khamenei. À Rabati, près de Sardasht, deux Kurdes ont été incarcérés par l’Etelaat sans inculpation (WKI).

Le 18, l’Assemblée générale des Nations Unies a publié un rapport sur la situation des Droits de l’homme en Iran (->). Rédigé par le rapporteur spécial Javaid Rehman, ce rapport discute les multiples violations du régime, dont sa persécution des minorités. Le rapport précise que les Kurdes représentent la moitié des détenus politiques iraniens et sont les premiers à subir des exécutions politiques. Le rapport traite également de l'interdiction de la langue kurde dans l’éducation et exprime l’inquiétude de l’auteur face aux persécutions touchant les enseignants de langue kurde. Il mentionne notamment Zara Mohammadi, arrêtée le 23 mai 2019 pour avoir organisé des cours privés de kurde à Sanandaj (WKI).

D’autres activistes kurdes ont été arrêtés ensuite. À Sanandaj, Zanyar Zamran, arrêté en décembre dernier, a été condamné à trois mois d’emprisonnement pour «propagande contre la République islamique». Toujours à Sanandaj, un activiste de Kamyaran, Omed Assadi, a été condamné à un an d’emprisonnement pour «propagande pour un parti kurde d’opposition». À Sardasht, un homme d’affaires kurde, Sabir Bapiri, a été blessé par des tirs des forces de sécurité sur sa voiture (KMMK). Le 20, l’Etelaat a arrêté lors de raids sur leurs domiciles les activistes kurdes Mohsen Saiedpour et Akbar Gawili. Ce dernier avait déjà été emprisonné pour raosons politiques (KMMK).

Le 28, l’Institut kurde de Washington (WKI) a indiqué que trois Kurdes de Sanandaj visitant la ville de Damawand avaient été arrêtés simplement parce qu’ils portaient les vêtements traditionnels kurdes…

Au-delà du Kurdistan d’Iran, la répression a aussi touché de nombreuses femmes, notamment pour avoir retiré leur voile en public. Le 7, la Human Rights Activists News Agency (HRANA) a annoncé que trois activistes femmes avaient été condamnées le 31 juillet à Varamin à 55 ans de prison. La HRANA a par ailleurs annoncé le 14 la publication d’un ouvrage rédigé par des défenseurs des Droits de l’homme téléchargeable sur son site (->). Le 19, le CHRI a indiqué que, depuis janvier 2018, trente-deux personnes ont été arrêtées pour de tels actes de désobéissance civile contre l’obligation du port du hijab, et au moins douze ont été condamnées à des peines de prison de six mois à trente-trois ans. Par ailleurs, plusieurs études concernant les sentiments de la population par rapport à l’obligation du voile montrent qu’une proportion de plus en plus importante de celle-ci considère qu’il s’agit d’un choix personnel et que le hijab ne devrait pas être rendu obligatoire. Ainsi les enquêtes menées par l'Association iranienne de sondage des étudiants en 2006 et 2014, et publiées par l'administration Rouhani en 2018 (->), montrent que 49,2% de la population est de cette opinion. Un rapport publié en mars 2018 par le Centre parlementaire de recherche (->) a également conclu à une désaffection croissante par rapport au voile et suggère une révision de la loi. Mais depuis sa publication, rien n’a changé. Les tribunaux assimilent le refus du port du voile à la prostitution et prononcent des condamnations pour, entre autres, «encouragement à la corruption et à la prostitution», «publications de matériaux indécents sur les médias sociaux» ou «commission publique d’actes interdits».

Le 27, Saba Kord Afshari a été condamnée à un total de vingt-quatre ans de prison pour plusieurs charges suite à sa participation à des protestations à Téhéran. Elle risque de purger concrètement la peine la plus importante, soit quinze ans, pour avoir retiré son voile en public, ce qui lui a valu l’accusation de «répandre la prostitution» (HRANA). Malgré l’arrestation de sa mère, aussi présente lors des manifestations, Afshari a refusé selon des groupes de défense des Droits de l’homme d’enregistrer des aveux en vidéo. Trois autres femmes avaient la veille reçu chacune six ans d’emprisonnement.

Le 24, l’écrivain et réalisateur Kiumars Marzban, arrêté lors d’un raid sur son domicile de Téhéran le 26 août 2018 et détenu depuis à la prison d’Evin, a été condamné pour plusieurs charges à un total de vingt-trois ans de prison. Il devrait purger la peine la plus longue parmi celles qui lui ont été infligées, soit onze ans. Le même jour, la journaliste Marzieh Amiri a reçu dix ans et six mois d’emprisonnement après avoir été arrêtée à Téhéran avec plusieurs activistes durant la manifestation du 1er mai (HRANA).

Des chercheurs aussi ont été visés par la répression du régime, particulièrement ceux en lien avec l’étranger. À Téhéran, un anthropologue kurde ayant la double nationalité iranienne et britannique, Kamil Ahmadi (Kameel Ahmady), auteur notamment d’une étude de 2015 sur les mutilations génitales féminines (->), complétée en 2017 (->), a été arrêté, puis condamné selon son épouse à un mois de prison. Son arrestation fait suite à celle d’une autre anthropologue, Farida Adelkhah, vivant en France et travaillant également sur les femmes iraniennes. Adelkhah, arrêtée début juin pour «espionnage» alors qu’elle visitait sa famille, est toujours en détention dans la sinistre prison d’Evin, dans le nord de Téhéran…

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IN MEMORIAM: DÉCÈS DE ŞERAFETTIN GÜRBÜZ

Notre ami et collègue Şerafettin GÜRBÜZ est décédé le lundi 5 août 2019 à Paris à l’âge de 57 ans.

Né en 1962 à Pertek dans la province de Dersim, il était ingénieur géologue de formation. Fuyant la répression de masse qui sévissait au Kurdistan de Turquie dans les années 1980, il était venu se réfugier en France. Après avoir suivi des cours de français à l’Institut, plutôt que de reprendre en France un travail d’ingénieur comme il aurait pu le faire, il avait préféré rejoindre en 1991 l’équipe de l’Institut kurde et en était devenu un pilier. Assurant la réception des visiteurs, accueillant, serviable, courtois il était aimé et apprécié de tous à l’Institut et de ses amis de passage. Par ailleurs il réalisait la revue de presse du bulletin mensuel de l’institut, et assurait de plus une grande partie de la logistique, de la maintenance et des fournitures nécessaires au fonctionnement quotidien des bureaux. Il préparait aussi les réunions culturelles du samedi, les expositions de peinture et de photographie, et assurait l’accueil des invités lors des colloques organisés par l’Institut.

Souffrant depuis quelques mois de violents acouphènes qui lui rendaient la vie difficile, il a décidé de se donner la mort. Il laisse derrière lui une fille et un fils.

Conformément au testament qu’il a laissé ses obsèques ont eu lieu au Kurdistan, dans son village natal de la province du Dersim, en présence de sa famille et d’une foule nombreuse.

Une réunion s’est tenue à sa mémoire le samedi de 15h à 19h à l’Institut kurde à l’intention de ses collègues, de ses proches, de ses amis et de tous ceux qui l’ont connu et apprécié. Elle a rassemblé plus de 300 personnes, dont certaines venant d’autres pays européens. L’Institut a également reçu de très nombreux messages de sympathie de personnalités et de partis du Kurdistan. Homme discret et courtois, «Şeref» a choisi de partir sans se complaindre, sans importuner ses amis et proches, dans une vieille tradition kurde de «savoir-mourir». Nous ne pouvons penser à lui sans émotion.

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