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Bulletin N° 405 | Décembre 2018

 

ROJAVA: DONALD TRUMP ANNONCE LE RETRAIT DE SES TROUPES ET ABANDONNE LE ROJAVA À LA VINDICTE D’ERDOĞAN

Le mois de décembre a été marqué par l’annonce surprise le 19 par le Président Donald Trump du retrait de Syrie des troupes américaines. Cette décision, prise semble-t-il lors d’une conversation téléphonique avec le Président turc et sans consulter ses conseillers, a pris de court jusqu’aux responsables du Pentagone, provoquant la démission quasi-immédiate du Secrétaire à la défense Jim Mattis puis de l’envoyé américain auprès de la coalition anti-Daech Brett McGurk. De nombreux responsables politiques américains ont qualifié cette décision de trahison des Forces démocratiques syriennes (FDS), les alliés de Washington contre Daech sur le terrain, maintenant isolés face aux menaces d’invasion turques. Un titre du journal suisse Le Courrier résume bien ce sentiment: «Trump sacre le Sultan»… Le Pentagone, dont les responsables avaient dernièrement multiplié les mises en garde contre un retrait trop rapide, s'est refusé à tout commentaire. En France, la ministre des Armées Florence Parly, a estimé le 21 que Daech n’avait pas été totalement éradiqué et que la coalition avait «encore du travail à accomplir» (AFP).

Les FDS ont déclaré le lendemain qu’un retrait américain permettrait à Daech de «se reconstruire»… Mais malgré le danger existentiel que leur fait courir cette décision, elles ont indiqué vouloir poursuivre la lutte contre Daech dans l’Est syrien où l’organisation est maintenant acculée dans une poche à la frontière irakienne. Leur porte-parole, Mustafa Balî, a précisé que «la décision américaine [n’avait] pas encore d'impact sur le terrain», ajoutant cependant qu’en cas d'attaque turque, l’offensive s’arrêterait (AFP).

À Afrîn, tout juste sortie de violents combats entre plusieurs factions djihadistes toutes soutenues par la Turquie, les YPG ont attaqué 2 bases: celle de la faction «Sultan Mourad» à Zere (2 combattants tués), puis l’Armée syrienne libre le 1er à Babila (3 combattants tués). Le lendemain, s’est ouvert à Amouda le «Forum international sur le nettoyage ethnique et les changements démographiques à Afrîn», 3 jours de témoignages sur les exactions (Rûdaw). Le 13, le ministère turc de la Défense a annoncé la mort d’un militaire touché par des tirs depuis Tell Rifaat, peut-être pour justifier une attaque sur le Rojava, les FDS n’ayant pas revendiqué d’action. Le 16, l’explosion (non revendiquée) d’une voiture piégée au marché al-Hal d’Afrîn, près d'une position de combattants pro-turcs, a tué au moins 4 d’entre eux et 5 civils, et fait selon l'Observatoire syrien des droits de l'Homme (OSDH) plus de 20 blessés (AFP). Le même jour, s’est tenue à Derîk, sous l’égide de la coalition anti-Daech, une réunion entre le PYD, les YPG et une délégation des «Rojava pechmergas», entraînés et équipés par le Kurdistan d’Irak, qui avaient participé aux combats contre Daech avec le PDK. Le PYD, qui n’a jamais accepté la présence de cette force au Rojava, a rejeté leur proposition de prendre position à la frontière turque (Rûdaw). Le 29, des snipers des YPG ont tué près de Jendairis, à la frontière turque, 3 combattants de la «Légion al-Sham» (AMN).

Les menaces turques contre le Rojava, encore amplifiées après l’annonce de Trump, ont été reprises par les djihadistes pro-turcs de l’opposition syrienne. Le 30 novembre, Ahmad Osman, commandant de la brigade «Sultan Mourad», avait déjà annoncé les préparatifs d’une attaque sur l’Est de l’Euphrate, accusant le «PKK [de] faire semblant de combattre Daech [alors qu’] en réalité il n’y a aucune présence de Daech à Raqqa, Hassaké et Tell Abyad», ajoutant: «Le seul problème est la présence de troupes américaines dans la région» (Ahval). Le 12 décembre, le Président turc avait annoncé une offensive «dans les prochains jours […] pour sauver l'Est de l'Euphrate de l'organisation terroriste séparatiste», tandis que Youssef Hammoud, le porte-parole de la coalition syrienne pro-turque, al-Jaish al-Watani (l’«Armée nationale»), indiquait que des entraînements supervisés par des officiers turcs avaient commencé… (AFP) Le 15, la Coalition nationale de l’opposition syrienne a exprimé son soutien à une opération turque «en collaboration avec l’Armée syrienne libre» (Asharq al-Awsat), tandis que la responsable de la diplomatie européenne Federica Mogherini demandait à la Turquie de «s'abstenir de toute action unilatérale»… Cependant, le 20, M. Erdoğan a de nouveau promis d’éliminer les djihadistes et les milices kurdes du Nord de la Syrie (AFP). Mais le lendemain, il a annoncé reporter l’attaque aux «prochains mois», le temps que la décision de retrait américain prenne effet sur le terrain. La Turquie a poursuivi la concentration d’unités militaires et de djihadistes de l'opposition syrienne le long de la frontière du Rojava. Selon l’OSDH, «quelque 35 chars et autres armes lourdes, transportés à bord de porte-chars, ont traversé […] le poste-frontière de Jerablous»; une centaine de véhicules militaires sont arrivés à al-Bab (Hürriyet), des canons lourds ont été positionnés à Kilis, et d’autres troupes tout le long de la frontière, jusqu’à Sanliurfa (AFP). Des accrochages se sont produits au nord d’Alep entre FDS et rebelles pro-turcs, et le 24 M. Erdoğan a repris ses menaces (AFP).

La pression turque est particulièrement intense sur la ville stratégique de Manbij, où se trouvent avec les combattants du Conseil militaire de la ville, affilié aux FDS, des militaires américains et français. Malgré le début en novembre de patrouilles conjointes américano-turques et la mise en place début décembre par les militaires américains de postes d'observation le long de la frontière, des djihadistes soutenus par la Turquie ont attaqué des positions FDS près de la ville. Le 4, les YPG ont annoncé avoir arrêté en juillet quatre membres de cellules dormantes de Qiyam, un mouvement soutenu par les services secrets turcs (MIT) et responsable depuis des mois d’attentats et assassinats au Rojava. Des bombes artisanales, des armes et des munitions ont été saisies.

Le 7, la Turquie a demandé aux États-Unis le démantèlement de ses postes d’observation frontaliers, une demande implicitement rejetée le 11 par le Pentagone, qui a annoncé que leur mise en place était terminée (AFP). Par ailleurs, la Turquie accuse toujours les Américains de ne pas réellement appliquer la «feuille de route» pour Manbij négociée en mai 2018, qui prévoyait, outre les patrouilles conjointes turco-américaines, le départ des YPG. Le 14, M. Erdoğan a déclaré «Soit vous nettoyez la ville et faites sortir [les YPG], soit nous entrons également dans Manbij». Le 26, Cherfan Darwich, porte-parole du Conseil militaire de la ville, a déclaré: «Les patrouilles de la coalition sont toujours en place, rien n'a changé», ajoutant: «Nous sommes prêts à repousser toute attaque» (AFP).

À l’annonce du retrait américain, le CDS a pris diverses initiatives diplomatiques pour assurer la sécurité du Rojava. Le 21, ses 2 co-présidents Riad Darrar et Ilham Ahmed ont été reçus à Paris par des conseillers du Président français, auxquels ils ont exposé leurs inquiétudes et demandé un soutien diplomatique et militaire. Ilhan Ahmed a déclaré ensuite au journal français Le Monde avoir demandé que les militaires français demeurent au Rojava, au moins pour l’instant, et que la France fasse pression sur la Turquie, son alliée au sein de l’OTAN, pour éviter une attaque qui ferait courir des risques à toute l’Europe si elle permettait aux prisonniers djihadistes des Kurdes de s’évader. Selon Reuters, les diplomates français auraient indiqué discuter avec les Américains sur la nécessité de poursuivre la lutte anti-Daech. Le CDS a également demandé l’établissement d’une zone d’exclusion aérienne au-dessus des territoires qu’il contrôle (Kurdistan 24), reprenant une idée lancée le 4 par le représentant américain pour la Syrie, James Jeffrey. Rappelant la zone d’exclusion créée en 1991 au-dessus du Kurdistan d’Irak, celui-ci avait suggéré un dispositif identique au-dessus du Nord-Est syrien, qui pourrait être confié aux Nations Unies (Rûdaw).

Le président français Emmanuel Macron ayant déclaré le 23 «regretter profondément» la décision américaine, estimant qu'un allié «se doit d'être fiable », la Turquie a mis en garde le 25 la France contre tout soutien aux FDS (AFP). Le 27, la ministre française de la Défense a déclaré que «la mission de ses troupes déployées en Syrie n’avait pas changé», ajoutant que la batterie d'artillerie lourde «Force Wagram» continuait depuis l’Irak à appuyer l'offensive des FDS contre les dernières poches djihadistes près de Hajin. Des photos de militaires français patrouillant entre rebelles pro-turcs et combattants pro-FDS à Manbij sont apparues sur Internet. Le 30, le Représentant du Rojava en France, Khaled Issa, a rencontré François Hollande pour «examiner la situation en Syrie». L’ancien président a déclaré souhaiter que la communauté internationale prenne position pour faire cesser des menaces turques qui risquent d’entraîner une recrudescence du terrorisme au-delà de la Syrie (RojInfo).

Les Kurdes se sont également tournés vers Damas: dès le 21, les FDS ont indiqué être prêtes à remettre Manbij au régime s’il leur garantit une certaine autonomie (Spoutnik). Le même jour à Moscou, une délégation des FDS a demandé l’envoi de forces régulières et non de milices chiites pro-iraniennes, comme celles envoyées à Afrîn avant l’invasion turque. Suite à ces contacts, l’opposition syrienne pro-turque s’est inquiétée que le départ américain n’aboutisse à un retour du régime dans les zones tenues par les Kurdes et a demandé à Washington de se coordonner avec elle (AFP). De son côté, le Conseil national kurde de Syrie (ENKS), proche du PDK irakien et dans l’opposition au PYD au Rojava, n’en a pas moins appelé la communauté internationale à «empêcher une invasion turque à l’Est de l’Euphrate», une position semble-t-il due aux crimes perpétrés à Afrîn depuis l’invasion turque (Kurdistan 24). La presse turque pro-AKP (Hürriyet, Daily Sabah) a cependant préféré insister dans plusieurs articles publiés le 27 sur les divergences entre ENKS et PYD.

Le 25, l’armée syrienne est entrée dans la zone séparant Manbij à l’Ouest des zones tenues par les rebelles pro-turcs. Selon des sources pro-turques, un convoi comprenant une quarantaine de transports de troupe, deux chars, des camions et des véhicules blindés a pris position à l'entrée de la ville d'Arimah. Le 27, des bruits ont couru sur la possibilité d’une médiation égyptienne, après une visite à Manbij d’officiers du Renseignement de ce pays… L’éventualité d’une nouvelle invasion turque en Syrie semble inquiéter plusieurs pays arabes (Kurdistan 24). Le 28, l’armée syrienne a affirmé être entrée dans Manbij, une information démentie aussi bien par l’OSDH que des responsables locaux et le Centcom (Commandement central américain). La Turquie a exprimé sa colère en déclarant que «les terroristes n’ont pas le droit de faire appel à qui que ce soit», et le président turc a exprimé des doutes sur la présence effective de militaires syriens: «Ils ont peut être hissé leur drapeau mais il n'y a aucune certitude sur ce qui se passe là-bas» (AFP). Le 31, les YPG ont indiqué avoir accepté le retour de l’armée syrienne à Manbij «pour se concentrer sur la lutte contre Daech» (Spoutnik).

Par ailleurs, après l’annonce initiale, l’orientation américaine semble avoir évolué. Le 23, Donald Trump parlait déjà d’un départ «lent et extrêmement coordonné» avec la Turquie, et si le Pentagone n’a pas encore arrêté de positon officielle, plusieurs officiers ont suggéré que les FDS conservent les armes fournies pour lutter contre Daech. Le 30, le sénateur républicain Lindsey Graham a indiqué après un déjeuner avec le Président que celui-ci était d’accord pour «ralentir» le retrait et avait promis de discuter avec les Turcs à propos de la création d’une zone tampon…

Malgré toutes ces incertitudes, les FDS ont poursuivi leur offensive contre Daech. Les combats ont été particulièrement acharnés, les djihadistes acculés étant les combattants les plus aguerris de l’organisation. Début décembre, les Jaysh al-Thwar («Armée des rebelles»), une unité FDS arabe ayant déjà combattu à Kobanê en 2014, ont repoussé une attaque lancée le 30 novembre sur 3 fronts près de Hajin, Baghouz et Soussa (WKI). Le 4, le commandant FDS Redur Xelîl a annoncé la prise avec le soutien aérien et d’artillerie de la coalition de plusieurs quartiers de Hajin, où se sont ensuite déroulés de violents combats. Selon l’OSDH, entre le 4 et le 6, les FDS ont «libéré plus de 1.000 civils, majoritairement des femmes et des enfants» (AFP). Le 7, neuf civils dont 6 enfants ont été victimes d’une frappe aérienne. Le 9, après une contre-offensive de Daech qui lui a permis de reprendre une grande partie de Hajin, les FDS ont amené en renfort 500 combattants, portant leur effectif total à 17.000, et ont le 10 pris le contrôle de l’hôpital central de Hajin, où s’étaient retranchés les djihadistes, ainsi que la ville de Hawama (Kurdistan 24). Le 12, après avoir repoussé plusieurs contre-attaques à la voiture piégée, elles tenaient 70% de la ville, les combats se poursuivant autour de poches djihadistes, dans les quartiers Est et à Baghouz au Sud. Le 12, les FDS ont annoncé avoir «libéré le centre-ville et la grande mosquée» et avoir tué 71 djihadistes. Le 14 enfin, l’OSDH a annoncé la prise de la ville, les djihadistes étant désormais confinés à ses lisières et dans un réseau de tunnels (AFP). Le 23, alors qu’une contre-attaque était repoussée et que des combats se poursuivaient autour d’al-Chafaa, Soussa et Baghouz, les FDS ont annoncé avoir aidé à fuir plus d'un millier de civils retenus par Daech et tué au total 97 djihadistes. L’OSDH a estimé que depuis dix jours, plus de 5.500 personnes avaient fui les combats, «majoritairement des familles de djihadistes», parmi lesquels tentaient de se dissimuler des combattants. Le 25, les FDS ont annoncé en avoir repéré 262 parmi les civils. Le 27, l’OSDH a estimé que 11.500 civils avaient fui depuis la prise de Hajin, 15.000 depuis septembre, et que les FDS détenaient 700 combattants (AFP).

Le sort des prisonniers, dont 584 femmes et 1.250 enfants, continue de préoccuper leurs pays d’origine… Le 26, un tribunal belge a ordonné le rapatriement sous 40 jours de six enfants belges sous peine d'une astreinte de 5.000 € par jour et par enfant. La Belgique avait justifié son inaction par l'absence de représentation consulaire en Syrie, mais le juge a estimé pour contacter les responsables du camp de al-Hol, à quelques kilomètres de la frontière irakienne, où se trouvent les enfants et leurs mères, l’État pouvait recourir si nécessaire «au personnel diplomatique et/ou consulaire d'un autre État de l'UE». Un représentant de la Fédération du Nord Syrien avait de Bruxelles dénoncé en octobre l’inaction des pays européens (AFP).

TURQUIE: DEMIRTAŞ MAINTENU EN PRISON, LES GRÈVES DE LA FAIM S’ÉTENDENT, ARRESTATIONS MASSIVES

L’ex co-président du HDP (Parti démocratique des peuples, «pro-kurde») et candidat à la présidentielle Selahattin Demirtaş demeurera en prison. C’est la décision le 4 décembre de la Cour d’appel devant laquelle Demirtaş avait contesté sa condamnation du 7 septembre à 4 ans et 8 mois pour «propagande terroriste». Sa libération avait déjà été refusée une première fois le 30 novembre, alors que la Cour européenne des Droits de l’homme (CEDH) l’avait exigée «dans les plus brefs délais»… La Turquie a joué habilement: en jugeant cette affaire séparément des autres et en demandant une condamnation courte, elle a obtenu un verdict rapide, et le rejet de l’appel met techniquement fin à la détention provisoire, qui aura duré 2 ans. Ainsi peut-on maintenir Demirtaş en prison sans s’opposer formellement à la CEDH… Accusé par ailleurs d’«activités terroristes», il risque toujours 142 ans de prison, un moyen de l’éliminer définitivement de la scène politique.

Le 12, pour sa première audience depuis la décision de la CEDH, au complexe pénitentiaire de type F de Sincan, à une heure d'Ankara, diplomates étrangers et journalistes ont été de nouveau interdits d’entrée (AFP). L’accusation repose sur des déclarations datant de 2016 et 2017 et alors publiées dans la presse. Selon le témoignage de la juriste Margaret Owen, Demirtaş, se qualifiant d’«otage politique», a accusé le juge et le procureur d’être incapables de le juger équitablement: «Vous avez traité comme vraies des preuves falsifiées et fabriquées. […] Ces mensonges sont démontrés dans le dossier de la CEDH». Ses avocats, plaidant l’illégalité des procédures, ont formellement demandé la récusation des magistrats et le transfert du cas à d’autres. Le procureur n’a répondu qu’en quelques mots au dossier de 100 pages de la défense, avant que, sans surprise, la Cour ne décide du maintien en détention de l’accusé tandis que sa demande de récusation était transmise à une Cour d’appel. Le procès a été ajourné au 23 janvier.

Le procès Demirtaş apparaît d’autant plus scandaleux que la djihadiste de Daech Ayşenur İnci, pour laquelle était pourtant offerte une récompense de 326.000 €, a été relâchée 3 jours après son arrestation au poste-frontière de Habur! (Ahval, Cumhuriyet)

Durant ce mois, la grève de la faim entamée le 8 novembre dernier par Leyla Güven dans sa prison en protestation contre l’isolement du dirigeant du PKK emprisonné Abdullah Öcalan et la répression dont sont victimes les Kurdes est devenu un véritable mouvement collectif parmi militants et prisonniers kurdes. Mis au secret dans sa prison de l’île d’Imralı, en violation de la Convention des Nations-Unies contre la torture, Öcalan n'a pu rencontrer ses avocats depuis avril 2011 et a été privé de visites de sa famille depuis septembre 2016… Des militants du bureau HDP d’Erbil avaient rejoint le mouvement le 20 novembre, puis le 27, Sebahat Tuncel, co-présidente du Parti des régions démocratiques (DBP), composante régionale du HDP, et 14 autres femmes prisonniers politiques sont entrées en grève de la faim à leur tour. Furieuses, les autorités arrêtent les jeûneurs pour «appartenance à une organisation terroriste» où les mettent à l’isolement s’ils sont déjà incarcérés.

Le 3 décembre, la co-présidente, Pervin Buldan, et 10 parlementaires du HDP ont annoncé un jeûne protestataire de deux jours au Parlement, en solidarité avec 9 jeûneurs du parti arrêtés la veille à Mersin.

Le mouvement s’est aussi propagé à l’étranger. Le 7, alors que Leila Güven était en grève de la faim depuis 30 jours, une cinquantaine de personnes ont rejoint le jeûne dans les locaux du CDKF (Conseil démocratique kurde en France), Rue d’Enghien à Paris, en solidarité avec des milliers de prisonniers kurdes déjà en grève de la faim dans les prisons turques. D’autres jeûnes ont commencé à Strasbourg, Bordeaux, Marseille, Toulouse et Montpellier, et ailleurs en Europe (Allemagne, Grèce, Chypre, Autriche, Angleterre). Tous protestent aussi contre l’inaction des gouvernements de l’Union européenne face à la répression menée par Erdoğan et l’AKP en Turquie, et demandent des sanctions contre la Turquie, la libération des prisonniers politiques, incluant Öcalan, une solution politique négociée à la question kurde en Turquie, et le retrait du PKK de la liste des organisations terroristes. En France, plusieurs partis politiques de gauche (PCF, Parti de Gauche, NPA…) ont apporté leur soutien à ces revendications. Le 11, le centre démocratique kurde de Bordeaux, basé à Cenona, a entamé la grève (Sud-Ouest).

Le 17, Sebahat Tuncel, co-présidente du Parti démocratique des Régions (DBP), emprisonnée depuis novembre 2016 dans la prison de type F de Kocaeli, a été mise à l’isolement pour dix mois pour être entrée en grève de la faim (RojInfo). Le 18, au 41e jour de la grève de la faim de sa Coprésidente, le DTK a lancé un appel à la soutenir.

Parallèlement, le gouvernement turc a encore amplifié arrestations et condamnations de responsables HDP pour réduire ce parti au silence et l’empêcher de franchir la barre des 10 % aux élections locales de mars prochain… Le 4 décembre, l’appel de l’ancien vice-coprésident du HDP Sırrı Süreyya Önder, condamné en première instance à 4 ans et 6 mois de prison, a été rejeté, et il a été incarcéré (Ahval). Le 5, la Cour suprême a confirmé la sentence de 7 ans et 6 mois contre l’ancien député HDP Idris Baluken, arrêté en 2016 pour «appartenance à une organisation terroriste» , et dont les avocats avaient fait appel (WKI). Le 9, la police a arrêté 47 personnes dans un raid sur le bureau HDP d’Urfa, et a aussi arrêté le responsable HDP de Mersin, Havva Tekin. Le 10, les anciens parlementaires HDP Osman Baydemir et Leyla Birlik ont été condamnés à Şırnak à 18 mois de prison pour avoir «enfreint la loi sur les meetings et manifestations» durant les manifestations de 2015 ayant suivi l’imposition des couvre-feux au Kurdistan de Turquie (Ahval, Mezopotamya). Le même jour, lors de raids impliquant parfois des centaines de véhicules blindés sur les locaux du HDP à Ankara, Diyarbakir, Batman et Van, la police a arrêté au moins 53 grévistes de la faim, 25 à Diyarbakir (dont une femme de 80 ans), 29 à Batman et 14 à Van, pour la plupart des femmes (VOA, Kurdistan 24). À Ankara, 12 personnes ont été incarcérées, dont des journalistes. À Van, Yadisen Karabulak, co-présidente HDP de la province, a été condamnée à 15 mois d'emprisonnement pour avoir cliqué «J'aime» sur un message Facebook: «propagande terroriste».

Le 17, 8 étudiants kurdes ont été arrêtés à Dersim pour liens avec des partis kurdes. A Urfa, Mustafa Bayram, co-maire du district de Halfeti, démis en 2016 et remplacé par un «administrateur», a été condamné à 9 ans et 4 mois de prison pour «appartenance à une organisation terroriste», en même temps que 4 co-accusés qui ont reçu de 8 à 9 ans de prison. Le 19, la police a arrêté des membres et soutiens du HDP à Iğdır, dont l’ancien député Kıznaz Türkeli et l’ancienne co-maire (démise) de la ville, Şaziye Önder. Six personnes ont été relâchées, mais 3 autres, dont le responsable régional HDP, ont été inculpées d’«appartenance à une organisation terroriste» (Ahval). Le 24, à Lice (Diyarbakir), l'armée a arrêté dans des raids 3 activistes kurdes. Dans 2 districts de la province de Van, l’arrestation de 12 personnes a provoqué des manifestations en ville.

La répression contre les journalistes, les universitaires et plus généralement tous les membres de la société civile s’étant opposés aux abus du pouvoir s’est également poursuivie. Le 5, le journaliste Rojhat Doğru, arrêté à Istanbul, a comparu par vidéo-conférence devant le tribunal de Diyarbakir. Il est accusé d’«appartenance à une organisation terroriste» suite à une interview de membres du PKK faite 2 ans auparavant pour la chaîne kurde irakienne Gali Kurdistan, dont il avait posté des éléments sur Facebook (CPJ, Mezopotamya). Le même jour, le journaliste Kamil Demirkaya a été arrêté en Roumanie suite à une demande d’extradition de la Turquie qui l’accuse d’appartenir au mouvement güleniste. Le 14, la Cour a refusé l’extradition.

Le 6, Hasan Cemal, journaliste au site T24, a été interrogé par un procureur suite à une accusation d’«insulte au Président». Le même jour, a débuté le procès de Kamil Tekin Sürek, avocat et journaliste du site Evrensel, pour la même accusation suite à un article intitulé «La dictature fasciste». À la seconde audience du procès de 14 employés du journal «pro-kurde» Özgürlükçü Demokrasi, la Cour a décidé le maintien en prison de 5 des accusés (CPJ). Enfin, le procureur général d’Istanbul a émis un nouveau mandat contre le journaliste Can Dündar, exilé en Allemagne. Il est cette fois inquiété pour les manifestations de Gezi en 2013…

Les 1.128 «Universitaires pour la Paix» qui avaient osé signer début 2016 une pétition contre les «opérations de sécurité» lancées à l’été 2015 au Kurdistan de Turquie (2.000 morts civils et un demi-million de déplacés) et pour la reprise des négociations continuent à payer leur courage. Ils ont pour la plupart perdu leur poste, leurs passeports leur ont été retirés, et plus de 500 d’entre eux ont été condamnés pour «propagande terroriste». Le 11, l’un des meilleurs neurologues de Turquie, le Dr. Gencay Gursoy, 79 ans, ancien président de l’Association médicale de Turquie, a été condamné à 2 ans et 3 mois de prison. Il avait déjà été démis de son poste universitaire après le coup d’État de 1980. La Cour a refusé de réduire sa peine car il n’a «montré aucun signe de remords» (Kurdistan 24). Le 19 décembre, 8 scientifiques signataires ont été condamnés, dont le Dr. Sebhem Korur Financi, experte médico-légale mondialement reconnue et spécialiste de la prévention de la torture, ancienne présidente de l'Institut de médecine légale d'Istanbul et actuellement présidente de la Fondation turque des droits de l'homme. D’autres condamnés sont le Dr. Ayşe Erzan, militante de longue date de la paix et des droits des femmes, et le Dr. Azdemir Aktan, ancien président de l’Association médicale de Turquie, démis de son poste d’enseignant à l’Université Marmara…

Enfin, l’obsession anti-kurde du pouvoir turc s’amplifie toujours davantage. La chanteuse kurde d’Iran Yalda Abbasi, originaire du Khorassan, a été arrêtée le 6 à l’aéroport d’Istanbul où, accompagnée de sa mère, elle venait d’arriver pour se produire lors d’un événement culturel. Elle s’était déjà rendue en Turquie à de nombreuses reprises (Kurdistan 24). Le 16, le site Ahval, créé par des journalistes turcs en exil, a rapporté qu’à Elaziğ, l’administration pénitentiaire refusait aux détenus des livres en kurde pour raison de «sécurité intérieure». Des prisonniers se plaignent aussi de tortures dans leurs lettres; une cinquantaine d’entre eux se trouve en isolement, incluant des personnes âgées ou malades. L’avocat Abdullah Zeytun, président du bureau de Diyarbakir de l’Association des droits de l’homme İHD, a confirmé l’existence de tortures dans quasiment toutes les prisons turques, ajoutant que les visiteurs de prisons de l’Association, témoins possibles, y étaient interdits d’accès.

Le 25 décembre, la Turquie a protesté auprès de Google à propos d’une carte du Kurdistan postée sur Google Earth par un utilisateur, et a demandé son retrait «urgent». Google a obtempéré dès le lendemain, justifiant le retrait par une «violation des termes de service» (Rûdaw). Le même jour, un père d’une quarantaine d’années et son fils de 16 ans ont été victimes à Sakarya d’une attaque raciste par un ultra-nationaliste turc qui leur a tiré dessus quand ils lui ont dit qu’ils étaient Kurdes. Le père a été gravement blessé et son fils est mort sur le coup.

Dans ce contexte particulièrement difficile, le HDP continue à préparer les élections locales de mars. Le 5, sa co-présidente Pervin Buldan a déclaré sur le site d’information Artı Gerçek que le parti voulait mettre fin au pouvoir des «administrateurs» non élus dans l’Est du pays et chasser du pouvoir dans les villes de l’Ouest l’AKP et son allié d’extrême-droite MHP. Pour accomplir cet objectif, a-t-elle indiqué, le HDP serait prêt à soutenir certains candidats d’opposition du CHP (kémalistes) ou de İYİ («Bon parti», scission du MHP refusant l’alliance AKP), qui discutent la possibilité d’un candidat commun pour les mairies d’Istanbul et d’Ankara. «Nous regarderons le profil des candidats», a expliqué Buldan (Ahval). Le même jour, Ahmet Türk, 75 ans, vétéran du mouvement kurde et ancien maire de Mardin démis il y a 2 ans au profit d’un «administrateur», a annoncé qu’il se représenterait. En juin 2014, il avait obtenu 52% des voix, 15 points devant son concurrent AKP. Emprisonné durant 3 mois après son limogeage, il avait été libéré pour raison de santé, une décision pour laquelle Erdoğan avait publiquement critiqué son propre ministre de la Justice, déclarant: «Türk peut marcher» (Kurdistan 24).

Le HDP a poursuivi avec courage ses critiques du pouvoir, dénonçant par exemple le 18 les menaces d’Erdoğan contre le Rojava, l’exhortant à abandonner sa position anti-kurde «irrationnelle» et appelant l’opinion nationale et internationale à «ne pas garder le silence» à ce propos. Après l’annonce du retrait américain de Syrie le 19, le co-président du HDP a appelé la Turquie à faire de même.

Le 24, selon Arti Gerçek, plusieurs partis kurdes de Turquie se sont rencontrés pour discuter la possibilité d’une alliance lors des prochaines élections locales. Étaient présents, outre le HDP, le Parti socialiste du Kurdistan (PSK), le Parti démocratique du Kurdistan – Nord (PDK-Bakur), le Parti de la liberté du Kurdistan (PAK), le Parti liberté et socialisme (OSP) et le Mouvement Azadî. Le député HDP de Diyarbakir İmam Taşçıer a indiqué que la co-présidente du parti Pervin Buldan participerait aux réunions suivantes (Ahval).

À l’international, la Turquie se trouve de nouveau sur la sellette aux États-Unis, où selon le New York Times et le Wall Street Journal, les procureurs fédéraux ont engagé une enquête sur les lobbyistes pro-turcs. L’affaire concerne l’ancien Conseiller à la sécurité Michael Flynn, qui n’a pas respecté l’obligation de se faire enregistrer comme lobbyiste pro-turc jusqu’à ce qu’il doive quitter la Maison Blanche en raison de ses relations avec la Russie. Avant l’élection de Donald Trump, Flynn aurait participé à un plan visant à faire enlever le prédicateur turc Fethullah Gülen, qui vit en exil en Pennsylvanie, pour le renvoyer de force en Turquie… Dès 2016, Flynn avait écrit et publié de nombreux rapports anti-Gülen visant à le faire apparaître comme un «danger stratégique pour la sécurité des États-Unis». Puis en milieu du mois, on a appris que la société Greenberg Traurig avait depuis octobre dernier reçu de la Turquie 850.000 dollars pour tenter d’empêcher le Congrès de prendre des sanctions contre Ankara suite à la détention du pasteur Brunson. Elle a engagé plusieurs cabinets – pas davantage enregistrés comme lobbyistes – dont les membres ont multiplié les rencontres avec des congressistes. D’autres lobbyistes ont travaillé pour Gülen – mais avant sa brouille avec Erdoğan – comme Kemal Öksuz, ancien Président du «Conseil Turquoise des Américains et Eurasiens», arrêté fin août en Arménie puis extradé vers les États-Unis, qui a plaidé coupable d’avoir menti sur l’origine de fonds utilisés pour payer des voyages à des congressistes, et devrait être condamné en février. Le 17, un des associés de Flynn, l’Américano-Iranien Bijan Rafiekian, a été inculpé de lobbying illégal pour la Turquie par un Grand Jury en même temps que le Président du Turkey-US Business Council (TAIK), Ekim Alptekin. Les deux hommes sont accusés d’avoir cherché à obtenir l’extradition de Gülen tout en dissimulant l’origine turque des fonds (530.000 dollars) qu’ils avaient reçus pour ce faire. Parmi les activités de Flynn, la publications de plusieurs articles visant à discréditer «Mollah Gülen» en le comparant à Ben Laden ou Khomeiny (Al-Monitor)…

Enfin, les opérations militaires turques contre les combattants kurdes se poursuivent, en Turquie comme au Kurdistan d’Irak voisin. Les 3 et 4, selon l’agence d’État Anatolie, des frappes aériennes au Kurdistan ont permis de «neutraliser» au moins 5 combattants du PKK et de détruire des caches d’armes. Mais selon les témoins locaux, ces frappes continuelles ont obligé à fermer 10 jours l’école du village de Shiransa (Zakho), les instituteurs craignant pour leur vie… Le 7, la Turquie a annoncé avoir neutralisé 8 combattants kurdes, puis le 13 au soir, l’armée de l’air turque a bombardé plusieurs villages du Sindjar et le camp de réfugiés de Makhmour, y tuant quatre femmes, dont une de 73 ans et une adolescente de 14 ans. Le lendemain, le ministère irakien des Affaires étrangères a convoqué l’ambassadeur turc à Bagdad pour lui remettre une note de protestation contre des violations répétées et inacceptables de l’espace aérien irakien (Reuters). Une frappe similaire avait déjà fait plusieurs morts dans le camp l’an dernier. Le 15, les funérailles des victimes ont rassemblé des centaines d’assistants. Dans un tweet du 16, Nadia Murad a indiqué avoir rencontré le ministre turc des Affaires étrangères et lui avoir demandé d’arrêter de bombarder le Sindjar afin de permettre la reconstruction et le retour des Yézidis (Kurdistan 24). Le 17, de nouvelles frappes turques ont touché la région de Bradost. Le 18, la Ligue arabe a condamné à son tour les frappes turques en Irak, qualifiées de violation du droit international; son porte-parole, Mahmoud Afifi, a rappelé qu’Ankara avait ignoré les précédentes condamnations, démontrant ainsi «son mépris des pays arabes»… (Spoutnik)

IRAK: À BAGDAD COMME À ERBIL, FORMATION DIFFICILE DE NOUVEAUX GOUVERNEMENTS

Le 2 décembre, près de deux semaines après l’assassinat par des tireurs inconnus de Wissam al-Gharawi, un jeune religieux chiite qui avait joué un rôle important dans l’organisation des protestations précédentes, des centaines de manifestants ont de nouveau parcouru les rues de Bassora en réclamant travail, services de base et meilleures conditions de vie. Parmi eux, de nombreux enseignants et des jeunes (Kurdistan 24). Le 4, les manifestations ont repris, certains portant des «gilets jaunes» similaires à ceux utilisés en France. Plusieurs manifestants ont été arrêtés, avant d’être libérés le 6. Le 14, des vidéos tournées à Bassora sont apparues sur Internet, montrant des affrontements devant le bâtiment du Conseil provincial entre manifestants opposés au candidat en cours de désignation au poste de gouverneur, et forces de sécurité qui ont utilisé des bombes lacrymogènes et selon d’autres sources, des tirs à balles réelles pour les disperser… Le 21, les forces de sécurité ont eu de nouveau recours à des balles réelles pour disperser les manifestants encore rassemblés devant le Conseil provincial, et dont certains avaient tenté d’y pénétrer (Kurdistan 24).

À Bagdad, les discussions ont continué pour compléter le gouvernement. Début décembre restaient encore à désigner 8 ministres: Défense, Intérieur, Enseignement supérieur, Culture, Immigration, Planning, Education et Justice, dont chacun doit être approuvé individuellement par les députés. Mais ceux-ci n’arrivent pas à s’entendre, en particulier pour les importants portefeuilles de l’Intérieur et de la Défense. Depuis 2003, le premier va traditionnellement à un chiite, le second à un sunnite. Le Parlement irakien est dominé par deux blocs: celui incluant l’alliance Sayrûn de Moqtada al-Sadr, et Bina, la coalition pro-iranienne de Hadi al-Amiri. Pour la Défense, le candidat pro-iranien proposé par le Premier ministre est refusé par Sadr, qui exige la nomination d’indépendants. Pour l’Intérieur, différentes factions sunnites s’opposent… Ainsi, le 4, le Parlement n’a pu obtenir d’accord sur les 8 noms proposés par le Premier ministre. Pour l’Intérieur, Falih al-Fayyadh, le candidat du Premier ministre, appartenant à l’alliance pro-iranienne Fatih de Hadi al-Amiri, a là encore rencontré l’opposition de Sayrûn. Alors que plusieurs blocs, incluant les Kurdes, ont boycotté la réunion, d’où un nombre de présents de seulement 168 sur 329, de véritables bagarres entre députés ont obligé à ajourner la session jusqu’au 6 (ISHM). Le 7, les discussions ont encore échoué, et se sont interrompues sans fixer de nouvelle date (Sumeria News). Le 12, selon Rûdaw, le désaccord s’est encore aggravé entre blocs sunnites à propos de la Défense…

Le 14, le Président du Parlement Mohammed al-Halbousi s’est rendu à Erbil pour discuter de ces difficultés, des relations Bagdad-Erbil et de Kirkouk avec le Premier ministre du Gouvernement régional du Kurdistan (GRK) Nechirvan Barzani. Il a aussi rencontré le chef du Conseil de sécurité du Kurdistan, Masrour Barzani, et le Président du PDK Massoud Barzani. Il a ensuite déclaré en conférence de presse être en faveur pour Kirkouk d’une gouvernance partagée entre GRK et gouvernement fédéral, et pour le budget 2019 d’une révision augmentant la part du Kurdistan. Un Comité présidé par le nouveau ministre irakien des Finances, Fouad Hussein, ancien directeur de cabinet de Massoud Barzani, sera mis en place pour «protéger les droits de la Région du Kurdistan» (Kurdistan 24). La visite d’Halbousi arrivait le lendemain de l’annonce d’une décision conjointe kurdo-arabe de mener en 2020 un recensement général qui pourrait aider à «répartir les ressources plus équitablement». Le 22 cependant, députés kurdes et sunnites ont persisté dans leur refus du budget 2019, et le 23, le Vice-président kurde du Parlement, Bachir Haddad (PDK), rejetant le projet de budget, a demandé le report de la discussion à début 2019 (Rûdaw): les Kurdes comme les sunnites demandent toujours une réévaluation de leur part. Bagdad a proposé au Kurdistan 8,2 milliards de dollars contre l’exportation de 250.000 barils de pétrole kurde par jour et des justificatifs des dépenses faites de 2004 à 2018, des conditions que les Kurdes ont refusées.

Le 17, le Premier ministre Abdul Mahdi a dans une lettre proposé aux députés d’approuver d’abord 5 ou 6 des portefeuilles restants afin que ces ministères puissent commencer à «servir le public», et de remettre à plus tard la décision pour la Défense et l’Intérieur. Le 18, le Parlement a bien confirmé la nomination de 3 nouveaux ministres: Enseignement supérieur, Culture et Planification, mais a rejeté les candidats pour l’Éducation et les Migrations, demandant au Premier ministre de nouvelles propositions sous 48 h (Rûdaw). L’UPK, qui avait présenté un candidat pour la Justice, a d’abord menacé de boycotter la session, le candidat du Premier ministre étant un indépendant soutenu par le PDK, puis a annoncé le 22 abandonner sa demande afin de permettre une complétion plus rapide du gouvernement. Le 24, les ministres de l’Éducation et des Migrations ont enfin été approuvés, mais le 30, la ministre de l’Éducation a dû démissionner après des accusations de liens avec Daech de membres de sa famille! (ISHM).

Au Kurdistan également se pose la question du futur gouvernement. Bien que vainqueur des élections régionales, le PDK, sans majorité absolue au Parlement, doit négocier avec l’UPK et Goran. Le 3, après une réunion de son Conseil de direction, il a annoncé avoir choisi comme candidat à la présidence de la Région (actuellement désactivée) le Premier ministre sortant Nechirvan Barzani, et comme candidat pour le remplacer le chef du Conseil de sécurité du Kurdistan, son cousin Masrour Barzani (Kurdistan 24). Si l’UPK a annoncé «respecter» ces choix, le mouvement «Nouvelle Génération» les a au contraire critiqués, accusant le PDK de vouloir «monopoliser le pouvoir» (Rûdaw). Le porte-parole de l’UPK, Saadi Pira, a aussi annoncé que le poste de Vice-premier ministre, qui devrait revenir à ce parti, serait choisi par son Bureau politique. Goran, s’il accepte de participer au gouvernement, devrait obtenir la présidence du Parlement.

Turkmènes comme Yézidis ont demandé des postes ministériels. Fin novembre, les partis turkmènes, qui disposent d’un quota de 5 sièges au parlement kurde, avaient présenté des demandes communes au PDK: n’ayant pas obtenu de poste ministériel à Bagdad (ils y ont 3 députés, tous venus de Kirkouk), ils ont demandé 1 poste au parlement et 1 au GRK; le futur Conseiller du Premier ministre pour les minorités pourrait être un Turkmène (Kurdistan 24). Le 9, le chef spirituel des Yézidis, Tahsin Beg a aussi demandé un ministre, appelant le PDK à agir pour aider les déplacés yézidis, reconstruire le Sindjar et libérer des Yézidis encore détenus par Daech.

Le 11, PDK et UPK, après réunion commune de leurs Bureaux politiques, ont annoncé la création d’un Comité conjoint pour négocier avec les autres partis. Le 12, le PDK a rencontré une délégation de Goran. Selon Rûdaw, Goran aurait demandé pour entrer au GRK les postes de Vice-président et de Vice-premier ministre. Selon les sources de Rûdaw, le KDP aurait offert à l’UPK la Présidence du Parlement et, au choix, le vice-Premier ministre ou le Vice-président, le poste non choisi par l’UPK allant à Goran. Mais le 25, UPK et PDK n’étaient toujours pas parvenus à un accord entre eux, alors que les discussions se poursuivaient avec les autres partis. L’UPK a aussi demandé au PDK de revenir à Kirkouk pour permettre l’élection d’un nouveau gouverneur…

Le 4, les Asayish (Sécurité) ont fermé les bureaux du parti Tavgarî Azadî (ou «Mouvement pour une société libre») appartenant à la mouvance PKK, dans la province de Suleimaniyeh, indiquant qu’il n’avait pas l’autorisation de fonctionner dans la Région du Kurdistan. Dénonçant cette décision, Tavgarî Azadî a répondu qu’il avait bien obtenu en 2014 la permission du Ministère de l’Intérieur irakien et a annoncé un dépôt de plainte devant la Cour fédérale. Créé en octobre 2014, ce parti a obtenu en décembre 2017 l’autorisation de la Haute commission électorale irakienne de participer aux élections de mai dernier. Faisant liste commune à Kirkouk avec «Nouvelle Génération», il a obtenu un siège au Parlement de Bagdad (al-Monitor). Les premières fermetures de bureaux avaient eu lieu fin novembre, à Suleimaniyeh mais aussi Qala Diza, Raparin, Koya et Kifri. Le KCK (Groupe des Communautés du Kurdistan, organisation rassemblant les partis de la mouvance) a critiqué «les pressions de pouvoirs extérieurs» -- en l’occurrence la Turquie. Depuis plus d’un an, Ankara a en effet interdit les liaisons aériennes avec l’aéroport de Suleimaniyeh, accusant les autorités locales de soutenir le PKK… Le 7, un responsable de cet aéroport a d’ailleurs critiqué Bagdad pour son inaction dans ce dossier. Ankara a accueilli favorablement la fermeture comme un «pas dans la bonne direction», bien qu’«insuffisant» (Kurdistan 24), et le 24, Ankara a prolongé son interdiction de vol de 3 mois.

Dans un tout autre domaine, l’Irak est confronté depuis des semaines à d’importantes inondations. Le 4, le Conseil des ministres, après avoir reçu un bilan de la situation, notamment pour les provinces de Mossoul (Ninawa) et Salahaddine, a décidé d’accorder des compensations financières aux victimes; le 6, l’Agence humanitaire de l’Union Européenne a publié son propre rapport sur ces inondations (ISHM). Le Kurdistan est aussi concerné: le 8, les responsables des barrages de Dokan et Derbandikhan ont annoncé que le niveau des retenues était monté d’un mètre en 2 jours, se plaignant le 10 que le GRK n’avait pas répondu à leurs appels… (Rûdaw). À Dohouk, 3 barrages menaçaient de s’effondrer le 12, et plusieurs routes à Suleimaniyeh ont dû être fermées.

Concernant Daech, deux ans après la proclamation de victoire d’al-Abadi le 9 décembre 2017, il y a toujours des attaques djihadistes, même si les derniers chiffres de la violence, publiés le 2 décembre par la mission ONU en Irak (UNAMI) indiquent un progrès. Avec «seulement» 41 tués et 73 blessés, novembre est le mois le moins meurtrier en 6 ans (ISHM). Pourtant, après 143 attaques depuis mi-novembre, les habitants de 31 villages du district de Khanaqin ont dû fuir leurs maisons… Un chef de village (moukhtar) s’est plaint à Rûdaw le 13 que la police fédérale irakienne, officiellement responsable de la sécurité de la région depuis le départ des peshmergas, n’était jamais présente la nuit. 300 djihadistes opéreraient dans la région.

La coalition anti-Daech a annoncé le 3 une frappe aérienne entre Kifri et Touz Khourmatou, en soutien d’une opération au sol coordonnée entre armée irakienne et peshmergas (WKI). Le 8, les Asayish de Suleimaniyeh ont annoncé l’arrestation de plusieurs membres d’une cellule qui tentaient d’entrer au Kurdistan pour y commettre des attentats ainsi qu’à Kirkouk et Diyala. Le 13, 21 prisonniers djihadistes se sont évadés d’une prison située à Suleimaniyeh, mais gérée par le gouvernement fédéral. Ils ont été repris. Le Ministre irakien de la justice a nié l’évènement, parlant de «nouvelle fabriquée».

Le soir du 22, à 21 h, des hommes armés ont attaqué un point de contrôle à Khanaqin, tuant un policier, et un attentat à la bombe a visé des Asayish, sans faire de victimes, provoquant le déploiement de peshmergas. Le 24, c’est un village près de Touz Khourmatou qui a été, toujours de nuit, attaqué par des djihadistes se faisant d’abord passer pour des miliciens chiites. Après avoir rassemblé les habitants, ils ont enlevé 3 jeunes gens dont l’un a pu finalement s’enfuir (Rûdaw). Suite à ces attaques sur les provinces de Diyala, Kirkouk et Mossoul (Ninawa), un raid kurdo-irakien a été lancé au sud de Touz le 25 avec le soutien aérien de la coalition. Le même jour, les djihadistes ont attaqué plusieurs villages près de Rashad (Kirkouk, non loin de Hawija), enlevant au moins 19 personnes, dont un moukhtar. D’autres ont attaqué un village près de Daqouq et enlevé 3 Kurdes (Kurdistan 24). Selon la chaîne NRT, 6 autres personnes ont été enlevées dans des villages au sud de Kirkouk, dont 1 s’est échappée. Toujours le 25, un attentat au véhicule piégé à Tell Afar a fait 3 morts et au moins 13 blessés dans un marché.

Dans les territoires disputés, les Kurdes luttent toujours pour conserver leur propriété face à des arrivants arabes revenant reprendre les terres autrefois reçues de Saddam Hussein, comme à Talaban, le village d’origine du fondateur de l’UPK Jalal Talabani. Le 4, plusieurs centaines d’agriculteurs kurdes et turkmènes se sont rassemblés devant le bureau du gouverneur intérimaire de Kirkouk, Rakkan al-Jabouri, pour protester contre sa reprise de la politique d’arabisation (Rûdaw). En contradiction avec l’article 140 de la constitution de 2005, qui interdit l’installation à Kirkouk d’Irakiens originaires d’autres provinces, Jabouri a attribué cartes d’identité, de rationnement et permis de résidence à des personnes venues de Diyala, Mossoul ou Salahaddin.

Le 17 décembre, institué «Jour du drapeau» pour les Kurdes d’Irak par un vote du parlement d’Erbil en juin 2014, les unités anti-terroristes irakiennes de Kirkouk sont intervenues pour retirer le drapeau kurde hissé par les militants du Parti communiste au-dessus de leur bâtiment, défiant l’interdiction (Rûdaw).

Dernier cas de limogeage d’un Kurde à Kirkouk, Nasih Shwani, directeur depuis 3 ans du Département jeunesse et sports de la province. Remplacé le 24 par le ministère par un Arabe de 60 ans, selon lui sans aucune compétence sportive, il a annoncé qu’il allait contester cette décision.

Cependant, la situation politique de Kirkouk pourrait évoluer. Le 10, députés kurdes, arabes et turkmènes de Kirkouk à Bagdad ont annoncé un accord sur les modalités d’organisation d’élections au Conseil provincial, programmées pour le 22 décembre. Alors que l’Irak n’a pas organisé de recensement depuis 1987, ce vote permettra de mieux connaître le poids des différentes communautés et pourrait aider à résoudre les différends entre Bagdad et Erbil sur la gestion de la province. La dernière élection du Conseil provincial remonte à 2005 (al-Monitor).

Le 19, la Cour fédérale, saisie par le Président irakien Barham Salih, a annulé les 14 décrets d’attribution de terres à des Arabes pris depuis octobre 2017 par al-Jabouri, ordonnant que les disputes soient résolues selon l’article 140 de la Constitution. Le même jour, une membre du Conseil provincial a indiqué à Rûdaw que la Commission d’intégrité avait lancé un mandat d’arrêt contre Jabouri pour 8 cas de corruption concernant plus de 100 millions de dollars. Le gouverneur a fui à Bagdad, y faisant appel. À Kirkouk, les partis kurdes, excepté le PDK, réunis le 24, ont dans une conférence de presse demandé au PDK de revenir afin de permettre la réactivation du Conseil provincial et l’élection d’un nouveau gouverneur. Le PDK, qui a déclaré n’avoir même pas été invité, campe sur sa position: refus de participer à toute réunion en ville tant que celle-ci demeurera «occupée».

Enfin, le 26, le Président du Conseil provincial, Rebwar Talabani (Union Islamique, Yekgirtû), a été condamné in absentia à 6 mois de prison par un tribunal de Kirkouk pour 63.000 € de «dépenses illégales». Son parti, ainsi que le président du PDK Massoud Barzani, l’ont soutenu, dénonçant une condamnation «complètement politique». Le lendemain, Talabani a annoncé son intention de faire appel, demandant à la Cour fédérale d’enquêter sur les juges impliqués, qu’il accuse d’avoir pris leur décision suite à des pressions politiques. C’est la 3e affaire judiciaire lancée contre Talabani depuis qu’il a quitté Kirkouk pour Erbil après le 16 octobre 2017. Les accusations précédentes concernaient son soutien à la levée du drapeau kurde près du drapeau irakien devant les bâtiments publics de la province (l’accusation a été invalidée par la Cour fédérale) et une accusation d’«abandon de poste» pour avoir quitté la province, pour l’instant suspendue en attendant le jugement en appel. Le 31, une partie du Conseil provincial s’est réunie pour démettre Talabani et le remplacer par son vice-président. Talabani a déclaré la réunion «illégale», lui-seul comme président en exercice ayant la capacité de provoquer une telle réunion. Une nouvelle réunion devrait se tenir le 8 janvier (Rûdaw).

Dans la ville de Sindjar, des miliciens chiites ont attaqué dans la nuit du 24 une base de pechmergas yézidis appartenant à la «Force Ezdikhan» de Haider Shesho. 30 pechmergas ont été enlevés, puis libérés le lendemain. Selon les attaquants, les «Ezdikhan» n’ont pas d’autorisation officielle des forces de sécurité irakiennes… Le 25, le maire de Sindjar, Mahma Khalil, a annoncé sa décision de rattacher celle-ci à la Région du Kurdistan, invoquant l’article 140. Mais le 27, le maire intérimaire nommé par Bagdad après le 16 octobre 2017, Fahad Hamid Omar, des commandants de milices chiites et de milices yézidies de la mouvance PKK et des représentants d’arabes sunnites et chiites du district du Sindjar se sont réunis pour mettre en place un Comité d’administration du district. Shesho a qualifié ce Comité d’«illégal», déclarant ne reconnaître que l’autorité du Conseil provincial de Ninive. D’autres leaders yézidis ont appelé Bagdad et Erbil à créer, comme cela a été fait pour Halabja, une nouvelle province dans la plaine de Ninive, à laquelle serait rattaché le Sindjar (Rûdaw).

IRAN: LES ASSASSINATS DE KOLBARS, SUJET TABOU EN IRAN

En un an, le rial iranien s’est effondré, passant de 40.000 à 120.000 pour 1 US$ sur le marché libre, ce qui a fait tripler le prix des biens d’importation, alors que les salaires n’ont quasiment pas augmenté durant la même période. Même les marchandises importées à prix subventionnés se retrouvent en vente au détail à des prix bien plus élevés… Le Centre de recherche du parlement iranien a calculé que le nombre de personnes vivant sous le seuil de pauvreté, fixé à 28 millions de rials pour une famille de 4 (environ 200 € au noir ou 420 € au taux officiel), avait augmenté de 11% dans la région de Téhéran entre le printemps et l’été, et de 22% depuis le printemps 2017. Et, toujours selon le Centre de recherche, la situation est encore pire dans les campagnes, où davantage de gens sont passés sous le seuil de pauvreté. Les nombreuses manifestations et grèves de 2018 ont aussi frappé l’économie, et alors que les difficultés économiques semblent devoir encore s’aggraver, les désordres risquent de faire de même (Radio Farda).

Les provinces frontalières du Kurdistan d’Iran demeurent parmi les régions les plus sinistrées économiquement du pays. À Bijar, au Nord-Est de Sanandadj, les employés municipaux chargés du nettoyage des rues se sont mis en grève en début de mois: ils n’ont pas perçu leurs salaires depuis plusieurs mois. La grève a provoqué une accumulation de déchets dans plusieurs quartiers. Par ailleurs, les meurtres des porteurs kurdes transfrontaliers, les kolbars, n’ont fait qu’augmenter en nombre, au fur et à mesure que la crise économique contraint de plus en plus d’habitants à se tourner vers ce travail, leur seule solution pour survivre. Selon l’association de défense des droits de l’homme Hengaw, le mois de novembre avait déjà été l’un des plus terribles, avec 8 tués et 17 blessés par les forces de répression, garde-frontières ou Gardiens de la révolution (pasdaran). Dans le dernier incident de ce mois, un kolbar avait été tué et un autre blessé le 28 dans les montagnes près de Piranshahr, tandis que 2 autres étaient portés disparus. Selon la loi, les gardes-frontières ne peuvent pourtant utiliser leurs armes que s'ils pensent que l'intrus est armé et dangereux, et ils doivent respecter une procédure précise: donner d’abord une sommation orale, puis tirer en l'air, et enfin seulement viser la partie inférieure du corps du suspect… Ces obligations demeurent théoriques; la réalité, c’est l’assassinat sans sommation.

Le 4 décembre, les garde-frontières ont de nouveau ouvert le feu dans deux événements distincts, blessant 2 nouveaux kolbars. Un autre a aussi été blessé près de Sardasht, selon l’Association des droits de l’homme du Kurdistan (KMMK), et le 5, un autre a été tué par balles près d’Ouroumieh (WKI). Le 14, un kolbar de Baneh est décédé des suites de ses blessures, et un autre a été tué par balles dans les forêts près de cette ville. Selon le KMMK, le même jour, un autre est mort dans une avalanche. Le 16, Hengaw a signalé qu’un autre encore avait été grièvement blessé près de Piranshahr et deux autres arrêtés. Ces meurtres paraissent ne jamais connaître de pause. Le 25 décembre, KMMK a indiqué que pour l’année 2018, 70 porteurs avaient été tués et 101 blessés, tout en rapportant 4 nouveaux meurtres dans la semaine précédente dans des embuscades près de Piranshahr et Sardasht.

Le régime se montre extrêmement sensible à la moindre critique concernant ces meurtres, n’hésitant pas à arrêter ceux qui osent mettre en question sa politique par rapport aux kolbars. Ainsi, selon KMMK, un mollah kurde du district de Baneh du nom de Said Baqî a été arrêté le 2 par l’Etelaat (service de Renseignements) pour avoir dénoncé les tirs des garde-frontières le vendredi précédent dans son prêche à la mosquée de son village de Tarkhan-Awa. Dans la ville de Marivan, les forces de sécurité du régime ont empêché le 18 les étudiants de l'université de Peyamê Nûr de tenir un séminaire sur les kolbars. Mardi, à la suite d'appels d'activistes kurdes, la plupart des commerçants de la ville de Baneh ont mené une grève générale contre les meurtres de kolbars (WKI).

Par ailleurs, le metteur en scène Rahim Zabihi, qui était en train de préparer un film sur la vie des kolbars, a trouvé une mort plus que suspecte le 7 près de Baneh dans sa voiture en compagnie de son frère, l’acteur de théâtre Kaywan Zabihi. Il n’avait été relâché que deux jours auparavant. Les deux hommes ont été retrouvés brûlés dans leur voiture, où ils auraient été ligotés. Selon une source désirant demeurer anonyme pour raisons de sécurité, Zabihi avait envoyé son film au bureau local du ministère de la Culture et de l’orientation islamique, qui avait réagi extrêmement négativement et l’avait fait convoquer à de nombreuses reprises par la police et l’Etelaat. Les obsèques des 2 frères ont été suivies le 9 à Baneh par des centaines de personnes venues de tout le Kurdistan d’Iran, notamment des artistes et des activistes. Le chef de la police de la province du Kurdistan a déclaré que l’assassin, qui avait avoué et attribué son acte à un différend financier, avait été arrêté, mais selon l’association Hengaw, d’autres sources accusent les autorités, se basant sur l’affaire du film en préparation (Kurdistan 24)…

D’autres arrestations ou condamnations ont été rapportées durant ce mois, concernant notamment des défenseurs des droits des travailleurs. Le 9, le militant kurde Omed Assadi, arrêté en août 2018 par l’Etelaat, a été condamné à un an de prison par un tribunal islamique de Sanandadj. Il devra aussi payer une amende de 2.400 dollars avoir tenté de défendre les droits des travailleurs. À Ilam, 15 ouvriers d’une raffinerie ont été condamnés à 76 coups de fouet pour avoir «menacé la sécurité nationale»: ils avaient fait grève en mai dernier. Le 18, les forces de sécurité ont arrêté l’activiste Behnam Ibrahim Zada dans un raid sur son domicile durant lequel elles ont aussi confisqué son smartphone et son ordinateur portable. Selon une source anonyme, il avait été condamné in absentia à 18 mois de prison par un tribunal de Kermanshah. Zada a déjà passé 5 ans en prison pour ses activités de défense des droits des travailleurs. Parallèlement, 4 Kurdes de Marivan et 2 d’Ouroumieh ont aussi été arrêtés et mis au secret par l’Etelaat. Le 20, à Kamyarn, 2 autres activistes, Mihredar Saboury et Omed Ahmadi, ont été condamnés à 1 an de prison pour avoir participé au 1er mai (WKI).

PARUTIONS RÉCENTES

Chez Tallandier, par Boris James et Jordi Tejel Gorgas, vient de paraître dans la série «Cent questions» un ouvrage traitant des Kurdes: Les Kurdes, un peuple sans État. En près de 400 pages, il aborde tant l’Histoire du peuple kurde que la géopolitique de la région, au travers de questions simples, comme «Qui sont les pechmergas?», ou encore «Quel rôle joue la diaspora kurde?».

L’une des dernières parutions dans cette collection était aussi d’intérêt, quoique plus indirect, pour les lecteurs s’intéressant aux Kurdes, puisqu’il s’agissait, signé par Dorothée Schmidt, de La Turquie en 100 questions, sorti en février 2017, qui entre autres contient les questions: «Que veulent les Kurdes de Turquie?», ou encore: «La Turquie joue-t-elle un double jeu avec Daech?»…