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Bulletin N° 394 | Janvier 2018

 

ROJAVA – INVASION TURQUE D’AFRÎN: LA COMMUNAUTÉ INTERNATIONALE NE RÉAGIT PAS

En début de mois, les Forces démocratiques syriennes (FDS) ont poursuivi leur avance contre Daech sur la rive Est de l’Euphrate, prenant la ville d'Al-Sabha dans la nuit du 31 au 1er et menant ensuite de violents combats contre les djihadistes dans la région de Shaitat pour les villes de Abou Hammam et Haijin. Le 4, les YPG, principale composante des FDS, ont publié un bilan 2017 faisant état de 7.027 djihadistes éliminés et 1.397 autres capturés, contre la perte de 968 de leurs combattants. Parmi les prisonniers, une dizaine de Françaises, incluant la recruteuse Émilie König, dont l’avocate a transmis au président Macron une demande de transfert pour jugement en France, ce qui a déclenché dans ce pays un débat houleux. Le 5, les FDS ont annoncé la prise de Khara'ij ou Gharanij, véritable forteresse sur l’Euphrate qui a nécessité une semaine de combats.

Après l’établissement d’un commandement commun Russes-FDS contre Daech, Sipan Hemo, commandant les YPG, a été invité en Russie par le ministère de la Défense. C’est de Moscou qu’il a salué le 1er janvier la déclaration du Secrétaire d’État américain selon laquelle Washington défendrait les FDS contre toute attaque du régime ou des forces pro-iraniennes. Les discussions avec les Russes ont aussi concerné une éventuelle invitation des autorités de la Fédération du Nord Syrien au «Congrès pour le dialogue national syrien», prévu à Sotchi au 29-30 janvier.

Le Régime de Damas a poursuivi ses bombardements de la Ghouta orientale de Damas, où sont piégés selon l’ONU 390.000 civils. L'Observatoire syrien des droits de l'homme (OSDH) a annoncé que le 8, plus de 190 frappes aériennes y avaient fait 103 morts dont 23 femmes et 24 enfants. Le 22, les bombardements avaient fait 219 victimes civiles depuis le début du mois, dont 21 les deux derniers jours; l’opposition et les secouristes «casques blancs» ont accusé le gouvernement d’avoir utilisé du chlore (Reuters), provoquant des symptômes d’asphyxie chez 20 civils. L’armée syrienne a aussi repris une vingtaine de localités à Idlib, dernière province contrôlée par l'opposition, pourtant «zone de désescalade» (AP).

Mais l’événement décisif du mois, c’est l’affaire de la «Force frontalière», qui a offert à la Turquie le prétexte qu’elle cherchait pour attaquer le Rojava… Le 30 décembre, l’agence kurde Hawar avait annoncé la constitution d’une nouvelle force de contrôle des frontières de 30.000 combattants, pour moitié membres des FDS et pour moitié nouvelles recrues. Ce projet, confirmé le 14 par le colonel Dillon, porte-parole de la coalition, a été violemment dénoncé par Damas («atteinte flagrante à la souveraineté et l'intégrité du territoire syrien»), Moscou («partition du pays»), Téhéran («ingérence»), l’opposition syrienne… et Ankara. Le Président turc a dénoncé la «constitution d’une armée terroriste à notre frontière», ajoutant que la Turquie devait «tuer [celle-ci] dans l'œuf». Malgré les tentatives d’apaisement du Pentagone, l’armée turque a ouvert le 15 un passage dans le mur frontalier face à Afrîn, provoquant le 17 un appel du PYD au Conseil de sécurité de l’ONU, et le 18, des manifestations de milliers d’habitants du Rojava, puis le 19, elle a commencé à pilonner la région d’Afrîn depuis le Hatay. Le lendemain, M. Erdoğan a annoncé dans un discours télévisé le déclenchement d’une opération terrestre et aérienne: «L'opération Afrîn a commencé de facto sur le terrain. […] Ensuite, ce sera Manbij». Baptisée «Rameau d'Olivier», l’opération implique aux côtés de l’armée turque de nombreux groupes rebelles, islamistes ou djihadistes pour la plupart: le PYD a dénoncé «un soutien clair aux terroristes de Daech» et appelé la coalition à «prendre ses responsabilités».

La Turquie n’aurait pu lancer une telle agression en territoire syrien sans l’accord de la Russie, maîtresse de l’espace aérien. Celle-ci, après s’être déclarée «préoccupée», a annoncé avoir retiré ses troupes d’Afrîn «pour empêcher d'éventuelles provocations et exclure toute menace contre la vie et la santé des militaires russes». Pour les YPG, «la Russie [est] responsable de ces attaques au même titre que la Turquie». Une source anonyme des Affaires étrangères turques a confirmé le 21 un «feu vert» russe, probablement négocié lors de la récente visite à Moscou des chefs de l’état-major et des services de renseignement turcs. Le 22, le Conseil démocratique syrien (CDS, émanation politique des FDS) a révélé que Damas avait juste avant l’attaque posé un ultimatum aux FDS: remettre leurs positions au régime ou affronter seules la Turquie (Bloomberg View). Les FDS ayant refusé, la Russie a retiré sa protection aérienne. Le régime de Damas, malgré ses menaces d’«abattre tout appareil turc s'aventurant dans son espace aérien», s’est bien gardé d’intervenir, jouant toutefois sur deux tableaux en permettant le passage par son territoire d’approvisionnements militaires et de renforts pour les FDS.

Pour les YPG, la seule option était la résistance; Heve Mustafa, membre du conseil municipal d’Afrîn, a déclaré: «Nous ne permettrons pas une occupation turque du territoire syrien». À Afrîn, les habitants, qui se préparaient à l’attaque depuis des semaines, se sont réfugiés dans des abris souterrains lorsque les bombardements ont débuté (AFP).

Face à cette agression d’une région n’ayant jamais combattu que Daech et servant de refuge à plus d'un million de civils, dont de nombreux déplacés, la communauté internationale, indifférente ou soucieuse de ses liens avec Ankara, a laissé faire, exprimant ses «préoccupations» sans prendre aucune sanction ni même oser condamner. La Grande-Bretagne, le département d'État américain, et M. Mattis, ont tous estimé que la Turquie avait un «intérêt légitime» à assurer la sécurité de ses frontières, tout en appelant Ankara à «faire preuve de retenue». Le discours français, un peu différent, n’a pas au final abouti à davantage d’action: la ministre des Armées a appelé la Turquie à cesser une attaque nuisant à la lutte contre Daech, et le 22, la France a demandé une réunion du Conseil de sécurité des Nations Unies. Mais celle-ci, tenue à huis-clos, a pris l’allure d’«une réunion pour rien»: aucune condamnation, aucune déclaration commune… Le 24, un député LREM, Paul Molac, malgré une question posée en session parlementaire: «Allons-nous abandonner les Kurdes?», n’a pas réussi à obtenir une condamnation du gouvernement, le ministre des Affaires étrangères l’ayant renvoyé à la réunion convoqué le 25 à Vienne par l’ONU. Il en a été de même pour les questions posées au Sénat par Patrick Kanner, président du groupe socialiste et républicain, et Olivier Léonhardt, pour le groupe du Rassemblement démocratique et social européen, qui, après avoir demandé si le gouvernement allait «demander le retrait de l’armée turque et l’arrêt immédiat de l’intervention à Afrin», n’ont obtenu que des réponses générales et convenues, appelant à une «solution politique»…

Il y a eu des condamnations: celle du Vice-président du Parlement européen, le cypriote Takis Hadjigeorgiou, soutenu par un groupe de députés; en France, le socialiste Julien Dray a déclaré sur France-info: «On ne demande que de la retenue au gouvernement Erdogan ; alors qu’il est en train d’assassiner. […] Il suffit de donner aux combattants kurdes […] une protection aérienne pour empêcher l'aviation […] de bombarder les populations civiles». Le 30, 21 sénateurs de toutes appartenances ont publié une déclaration appelant le gouvernement français à soutenir «nos alliés kurdes syriens» et à «élever la voix et à user de toute son influence au conseil de sécurité de l'ONU et en Europe pour exiger le retrait de l'armée turque et l'arrêt immédiat de l'intervention […]», ajoutant: «Il est temps de briser le silence assourdissant de la communauté internationale face à cette guerre d'agression».

En Allemagne, une polémique a éclaté autour des fournitures à la Turquie, alliée au sein de l’OTAN, de tanks «Léopard-2», que des vidéos ont montré participant à l’attaque. La Turquie en a reçu 354 entre 2006 et 2011. Norbert Röttgen, Président de la commission des Affaires étrangères au Bundestag et proche d’Angela Merkel, a appelé à une interdiction des livraisons d’armes à la Turquie «en raison de la situation des droits de l'homme et du démantèlement des règles de l'Etat de droit en Turquie». Le 25, le chef de la diplomatie allemande, Sigmar Gabriel, a annoncé avoir demandé à l'Otan l'ouverture de discussions à propos de l’opération turque. Le 29, la Turquie a confirmé l’usage des chars allemands en Syrie. En fin de mois, aucune décision de suspension des ventes d’armes n’avait été prise.

Les Kurdes ont réagi, au Kurdistan comme dans la diaspora. Le 21, le PKK et plusieurs organisations proches ont appelé à la «résistance» en Turquie contre l'invasion d'Afrin. Le 22, les députés kurdes d’Iran ont protesté et ont dénoncé le silence des Nations Unies et des autres organisations internationales (IFP News). À Strasbourg, des centaines de Kurdes ont manifesté le 23 devant le Conseil de l’Europe, en présence notamment de plusieurs députés HDP. Le 26, le chanteur Şivan Perwer a lancé une chanson appelant les Kurdes à s'unir contre l’opération turque. Le 27 à Cologne, une manifestation kurde de près de 20.000 participants a été dispersée par la police en raison de nombreux symboles du PKK, interdits.

Au Kurdistan d’Irak, le dirigeant de l’UPK Mala Bakhtyar a visité le 22 le bureau du PYD à Sulaimaniyeh pour exprimer son soutien, regrettant que la géographie ne permette pas de déployer des pechmergas en soutien à «la résistance sacrée» d’Afrîn. Le 23, une manifestation s’est tenue devant les bureaux de l'ONU à Erbil, et le même jour, 11 députés du PDK ont demandé une session d’urgence du Parlement – tout comme Goran et le Groupe islamique (Komal) du Kurdistan (NRT). Asmahan Dawoodi, membre de la Représentation au Kurdistan d’Irak du Conseil national kurde de Syrie (ENKS), pourtant dans l’opposition au PYD, a dénoncé un «deal» entre «Turquie, Russie et États-Unis au prix du sang des Kurdes», appelant les Kurdes à défendre «leur terre» (Rûdaw). Le 29, des centaines de personnes ont manifesté à Sulaimaniyeh. Le 30, le Parlement kurde a condamné l’attaque et appelé l’ONU et la communauté internationale à la faire cesser. Goran a boycotté la session, exigeant des mesures plus concrètes: réouverture des passages entre Kurdistan et Rojava, expulsion des unités turques présentes au Kurdistan. Le Parlement a cependant décidé d’ouvrir le passage pour l’aide médicale et humanitaire. Sur le plan militaire, une trentaine de combattants étrangers commandés par un Britannique de Manchester (Huang Lei, nom kurde Sîpan), venus au Rojava pour combattre Daech, ont gagné Afrîn depuis l’Euphrate en traversant les territoires tenus par le régime. De petits groupes de jeunes Kurdes d’Irak ont aussi commencé à arriver (Iraqi News).

Préparée par un intense pilonnage d’artillerie et de nombreuses frappes aériennes, l’opération turque implique, à côté de l’armée turque, des centaines de rebelles (de source turque, 25.000), concentrés à l’avance en Turquie. Les YPG, décrétant la mobilisation générale, se sont retirés devant eux avant de lancer des contre-attaques systématiques, les empêchant de conserver leurs gains, détruisant même des blindés au lance-roquettes. L’armée turque s’est vengée par des bombardements indiscriminés sur les civils, les plus nombreuses victimes de l’opération à ce jour. Le 22, par exemple, les bombardements ont frappé plus d’une centaine de cibles, dont une base aérienne, avec 72 appareils, une référence aux 72 militaires turcs tués dans l’opération «Bouclier de l’Euphrate». Les attaquants ont disputé aux YPG jusqu’en fin de mois le stratégique Mont Barsaya, dominant Azaz côté syrien et Kilis côté turc, qui a changé plusieurs fois de mains, pour demeurer le 30 entre celles des YPG. En réponse, les frappes se sont intensifiées, faisant toujours plus de victimes civiles. Le 29, les bombardements s’intensifiaient encore: selon les FDS, les Turcs ont lancé près de 700 roquettes et obus du 20 au 29, et ont utilisé le 27 des obus au napalm autour de la ville d’Afrîn (VOA). Alors que les militaires turcs assuraient le 30 avoir pris «le maximum de précautions pour ne pas blesser de civils», tout en annonçant avoir «neutralisé 649 terroristes», l’OSDH déclarait que les bombardements turcs avaient tué 68 civils dont 21 enfants. Selon Ursula Mueller, secrétaire générale adjointe de l'ONU pour les Affaires humanitaires, les combats ont déplacé plus de 15.000 personnes.

Concernant les pertes militaires, alors que les Turcs annonçaient 5 militaires tués et 41 blessés, Redur Khalil, responsable des relations internationales des FDS, a déclaré que les auxiliaires syriens des Turcs ne cessaient de se rendre et que la Turquie tentait de communiquer secrètement avec les FDS pour récupérer les corps de centaines de soldats tués (VOA). Par ailleurs, les FDS ont déclaré la mort de 43 combattants, dont 8 femmes des YPJ.

Donnant à son agression des accents de «lutte nationale», le Président turc s’était vanté de terminer l’attaque «en peu de temps», mais en fin de mois, les Turcs et leurs alliés n’avaient pris que quelques villages sur les 381 de la région assiégée, un bilan ridicule devant la disproportion des forces en présence. L’opération a surtout permis à l’intérieur d’assurer le soutien à Erdoğan des ultranationalistes du MHP, et donné prétexte à un nouvel élargissement de la répression, visant selon les termes d’Erdoğan «quiconque s'oppose à cette lutte nationale» (voir l’article sur la Turquie). Frustré de ce maigre résultat militaire, le Président turc s’est alors tourné vers la ville de Manbij, située sur un terrain moins montagneux et vers laquelle les troupes turques pourraient avancer à partir d’Azaz, lui apportant un succès plus facile. Problème: des soldats américains y sont déployés. Le 25, dans une interview sur la chaîne turque A Haber, le vice-Premier ministre turc Bekır Bozdağ a averti les États-Unis qu’une confrontation entre les deux pays était possible: «Ceux qui soutiennent les organisations terroristes seront pris pour cible», des paroles inédites entre alliés dans l’OTAN. Le 26, le Président turc a parlé de pousser vers l'est «jusqu'à la frontière irakienne ». Le 27, le chef de la diplomatie turque Mevlüt Çavuşoğlu, a exigé que les Américains quittent Manbij, une demande rejetée le lendemain par le général Joseph Votel, chef du Central Command américain: loin d’être sur le départ, les États-Unis renforcent leur présence avec 2 bases en cours d’installation, l’une à Tabqa, près de Raqqa, l’autre à al-Tanf, à la frontière irakienne – toutes deux dans des territoires contrôlés par les FDS.

Au fil des discours, s’est par ailleurs dessiné le véritable projet d’Erdoğan: sous couvert de sécuriser sa frontière sud, il s’agit d’annexer durablement la région en en expulsant les Kurdes et en y installant des populations qui lui seraient soumises: une invasion pure et simple accompagnée d’une entreprise de nettoyage ethnique. Reprenant le discours des ba’thistes syriens des années 60, le Président turc a ainsi qualifié les Kurdes d’arrivants tardifs, promettant de rendre la région à ses «vrais propriétaires», les Arabes!

Dernière conséquence de l’agression turque et du «deal» Erdoğan-Poutine qui l’a permise, l’échec du Congrès de Sotchi. Finalement invités par les Russes malgré les réticences turques, les Kurdes du PYD ont platement décliné: comment participer à une réunion dont les garants politiques, la Turquie et la Russie, se sont entendues sur Afrîn contre les Kurdes? Quand à l’ENKS, l’opposition kurde au PYD, elle n’avait pas été invitée, les Russes n’ayant pas apprécié selon ses représentants sa demande de placer la question kurde sur l’agenda… Cette absence des Kurdes scelle un échec déjà annoncé par le boycott du Comité des négociations syriennes (CNS), représentant les principaux groupes d'opposition, vu l’attitude du régime à la réunion de Vienne. Réduit aux partisans du régime et à l’opposition «tolérée», Sotchi, malgré la présence de Staffan de Mistura, s’annonce comme une autre «réunion pour rien».

TURQUIE: L’INVASION D’AFRÎN, PRÉTEXTE À UN NOUVEL ÉLARGISSEMENT DE LA RÉPRESSION

Le déclenchement le 20 janvier de l’invasion d’Afrîn a éclipsé la situation intérieure, caractérisée dès le début du mois par la poursuite de la répression contre le parti pro-kurde HDP et la société civile, incluant journalistes et universitaires. Après le 20, celle-ci s’est encore élargie, touchant tous ceux osant protester contre une opération militaire qui a scellé le rapprochement entre islamistes de l’AKP et ultranationalistes du MHP, apportant à  la machine judiciaire aux ordres du Président de nouveaux prétextes d’incarcérations.

Janvier a commencé avec le triste anniversaire du massacre de Roboskî, où 34 jeunes (dont 19 enfants) avaient été tués le 28 décembre 2011 par l’armée de l’air turque sur la frontière avec le Kurdistan irakien. Le 1er, Aycan Irmez, députée HDP de Şırnak, a soumis au Parlement une proposition d'enquête détaillant notamment les dissimulations d’information sur l’affaire des services secrets turcs (MIT).

Le 3, une autre députée et vice-coprésidente du HDP,  Aysel Tuğluk, déjà en prison pour terrorisme, a été condamnée à 18 mois supplémentaires par un tribunal de Kocaeli pour «violation de la loi sur les réunions», et le co-président emprisonné du HDP, Selahattin Demirtas, qui encourt déjà 142 ans d'emprisonnement pour «séparatisme» et «liens avec le PKK», s’est vu infliger une amende de 15.000 livres turques (3.980 USD) pour «insulte au Président» (qui réclamait 50.000 livres). La députée HDP de Şırnak, Leyla Birlik, a été condamnée pour le même motif à 21 mois. Le lendemain, le député HDP İdris Baluken a reçu 16 ans et 11 mois pour «appartenance à une organisation terroriste», un chef d’accusation utilisé contre des dizaines de milliers de personnes, dont 10 autres députés HDP. Par ailleurs, la députée HDP/BDP de Diyarbakır Nursel Aydoğan a reçu 1 an et 3 mois, celui de Van Adem Geveri 1 an et 6 mois, et le coprésident du BDP Sebahat Tuncel, 2 ans et 3 mois. Le 5, le HDP, dénonçant l’usage de la machine judiciaire à des fins politiques, a dénié toute valeur légale à ces actes d’accusation «fondés sur des allégations infondées et des mensonges éhontés, [et] préparés par des procureurs depuis emprisonnés comme suspects [de gülenisme]». Pour le HDP, l’objectif de ces arrestations est d’éliminer le HDP de la vie politique et «détruire un mouvement politique constituant le seul espoir de démocratie pour la Turquie».

Le 7, le député HDP d’Urfa, Osman Baydemir, a été placé en garde à vue durant 14 heures avant d’être relâché. Le 9, la députée HDP Leyla Zana, lauréate du Prix Sakharov 1995 du Parlement européen, a été privée de son mandat par un vote du Parlement turc. Elle avait déjà subi cette sanction en 1994 avant d’être emprisonnée 10 ans, pour avoir ajouté une phrase en kurde à son serment de prise de fonction. L’usage du kurde lui est de nouveau reproché lors de sa prestation de serment de novembre 2015, ainsi que d'avoir changé la formulation du serment et d'avoir été trop souvent absente. Le président du Parlement européen, Antonio Tajani, a jugé cette sanction «inacceptable».

Le 11, un tribunal de Diyarbakir a confirmé en appel la condamnation du député HDP de Hakkari, Abdullah Zeydan, à 8 ans, 1 mois et 15 jours de prison, annulée il y a trois mois par un tribunal de Gaziantep. Zeydan est détenu depuis 2016 dans la même prison d’ultra-haute sécurité d’Edirne que le coprésident du HDP, Selahattin Demirtaş. Celui-ci, visé par 96 procédures judiciaires, incarcéré depuis plus d’un an, a le 12 pour la première fois pu comparaître en personne devant le tribunal de Bakirköy, à Istanbul, pour «insulte au Président». Le juge a répondu à sa demande de remise en liberté conditionnelle que celle-ci devait être formulée par écrit pour être «examinée dans le détail» et a renvoyé le procès au 17 mai. Le lendemain, le tribunal pénal de Çatak (Van) a condamné le député HDP Botan Lezgin à deux ans de prison et 3300 $ d’amende pour avoir «insulté un fonctionnaire» en 2015 lors d'une campagne électorale (WKI): Lezgin avait critiqué le gouverneur d’un district ayant menacé les électeurs ne votant pas AKP… Le 17, Selahattin Demirtaş a remporté une petite victoire: il a été acquitté de l’accusation d’insulte au ministre de l'Intérieur. Le 30, l'un de ses principaux avocats, l’ancien député HDP de Şırnak Hasip Kaplan, a été condamné à 3 ans, 1 mois et 15 jours de prison pour «propagande terroriste».

Les procès ont aussi visé journalistes et responsables de la société civile. Le 16, cinq journalistes ayant accepté d’être symboliquement rédacteurs en chef du journal pro-kurde (désormais fermé) Özgur Gundem ont été condamnés à des peines de 18 à 45 mois de prison pour «propagande pour un groupe terroriste»: Ragip Duran, Ayşe Duzkan, Huseyin Bektas et Mehmet Ali Celebi à 1 an et 6 mois, Huseyin Akyol à 3 ans et 9 mois. Les avocats ont également payé cher la poursuite de leur travail. Selon le député CHP Senal Sarihan, 572 d’entre eux ont été arrêtés depuis le début de l'état d'urgence, dont 488 ont subi des violences en garde à vue et 79 emprisonnés. Cependant, dans l’affaire d’Amnesty International (arrestation en juillet dernier des participants à un séminaire juridique de l’organisation), son président, Taner Kilic, a été libéré mercredi après avoir été inculpé de terrorisme. Mais d’autres audiences sont encore à venir…

Enfin, dans un discours du 7, le Président turc a critiqué l’université Boğaziçi, l’accusant de travailler contre les «valeurs turques» – signifiant par là les «valeurs islamiques», ce qui fait craindre une nouvelle phase de la répression des universitaires.

Après le 20, tous ceux dénonçant l’invasion d’Afrîn ont été massivement visés: le 21, une manifestation a été interdite à Diyarbakir, et l’après-midi, la police a empêché une autre manifestation à Kadiköy (quartier asiatique d'Istanbul), interpelant 7 personnes (AFP). Le 22, 35 mandats d’arrêt ont été émis pour «propagande terroriste» contre des personnes ayant exprimé sur les réseaux sociaux leur opposition à l’opération, dont 24 ont été arrêtées, tandis que le procureur général de Van ouvrait une enquête contre 4 députés HDP ayant appelé à manifester et qu’un procureur d'Istanbul faisait de même contre 57 personnes. Le lendemain, 42 personnes étaient arrêtées dans tout le pays, , toujours suite à des publications sur les réseaux sociaux, dont le responsable du HDP à Izmir, Cerkez Aydemir (Anadolu). Par ailleurs, 19 personnes ont été arrêtées dans les provinces de Van, Igdir, Muş, et à Mersin. Le 23 au soir, on comptait déjà 91 arrestations en 2 jours, un nombre qui a bondi  le 29 selon le ministère de l’Intérieur à 311 gardes à vue – dont plusieurs responsables locaux HDP. Le 30, suite à la publication le 22 d’un communiqué de l’Union des médecins de Turquie (TTB), mentionnant que l’offensive d’Afrîn posait «un problème de santé publique», 11 membres du bureau du TTB, dont son président Rasit Tükel, ont été visés par des mandats et 8 arrêtés pour entre autres «légitimation des actions d'une organisation terroriste». L'une des principales associations de médecins de Turquie avec 83.000 membres, la TTB a indiqué avoir reçu des menaces après que le président turc ait qualifié le 28 ses membres de «traîtres». Le ministère de la Santé a demandé que la justice démette ses responsables.

Le 29, Leyla Guven, responsable du DTP, a été arrêtée pour avoir critiqué et appelé à manifester contre l’opération, et sa détention prolongée le 31.

Le 30, le footballeur allemand d’origine kurde Deniz Naki, qui avait appelé à manifester contre l’attaque d’Afrîn à Cologne,  a été suspendu à vie par la Fédération turque de football (TFF) et puni d’une amende de 72.000 $. Protégé depuis le 9 par la police allemande après avoir été visé par des coups de feu en voiture, il vit caché. Toujours le 30, après que le HDP ait publié un communiqué condamnant l’invasion et critiquant le gouvernement pour sa collaboration avec les milices djihadistes, un de ses bureaux à Istanbul a été attaqué par des partisans d’Erdoğan, qui ont saccagé les lieux et écrit des slogans racistes sur les murs.

Les médias d’État ont comptabilisé plus de 150 arrestations et des enquêtes ont été lancées contre 7 députés HDP. De plus en plus, la ligne AKP se rapproche des thèmes chers aux ultranationalistes du MHP, donnant corps à l’interprétation d’une véritable «synthèse islamo-fasciste» telle qu’elle avait commencé à apparaître lors de la campagne pour le référendum constitutionnel d’avril dernier. Le responsable des relations extérieures du HDP, Hisyar Ozsoy, a d’ailleurs décrit l’invasion d’Afrîn comme un moyen pour renforcer le soutien des nationalistes à Erdoğan en vue de sa prochaine campagne présidentielle. Déjà, le 8, le leader du MHP, Devlet Bahceli, avait annoncé que ce parti ne présenterait pas de candidat et soutiendrait M. Erdoğan dans ces élections à l’issue desquelles le nouveau président assumera les importants pouvoirs attribués par les modifications constitutionnelles décidées par ce référendum à la validité fort douteuse. Mais le pouvoir manipule simultanément les symboles nationalistes et islamistes. Ainsi le 27, le président AKP du parlement turc, Ismail Kahraman, déjà connu pour avoir en 2016 pris position pour le retrait de toute référence à la laïcité dans la constitution, a qualifié à la télévision l’attaque sur Afrîn de djihad… Au moment du lancement de l’attaque, le Diyanet, la plus haute autorité islamique du pays, a ordonné aux imams des 90.000 mosquées de Turquie de lire durant leurs prêches du vendredi la 48e sourate du Coran, al-Fath, et de faire prier les fidèles pour la victoire des armes turques – une mesure condamnée par le HDP. Le député HDP Nimetullah Erdogmus, lui-même lettré islamique, a fait remarquer que ce verset faisait en fait référence  à l’accord de paix du Hudaybiyyah et que l’utiliser de cette manière était en détourner le sens: le pouvoir met à présent ouvertement l’islam au service d’un projet fascisant.

Durant ce mois, en parallèle avec l’attaque d’Afrîn, des opérations militaires se sont poursuivies contre le PKK en Turquie comme au Kurdistan d’Irak. Le 31 décembre, avait été annoncée la création de 30 zones rurales de sécurité dans 5 districts de la province de Tunceli (Dersim) en prévision d’opérations militaires. Le 7, le ministère de l’Intérieur a annoncé l’arrestation de 17 militants de cette organisation dans tout le pays. Le 8, le gouverneur de Bitlis a annoncé l’imposition du couvre-feu sur 13 villages en prévision d’une opération anti-PKK, une mesure aussi imposée le 9 «jusqu'à nouvel ordre» par le gouverneur de Diyarbakir à 69 villages des districts de Lice et Kulp pour la même raison, tandis qu’il était levé après 6 jours d’imposition sur 7 villages de la région de Hizan (Bitlis). Le 14, les médias turcs ont annoncé qu’un soldat avait été tué et 3 autres blessés par un missile à Cukurca (Hakkari), près de la frontière du Kurdistan irakien. Le 16, les zones de sécurité du Dersim ont été soumises à couvre-feu et interdites d’accès. Le 20, le journal pro-AKP Yeni Safak a annoncé la «neutralisation» par l’armée au cours de la semaine précédente de 20 combattants du PKK lors d'opérations dans les provinces de Bitlis, Mardin et Diyarbakir et au Kurdistan d’Irak, où l’armée de l’air a par ailleurs annoncé le 23 avoir mené des frappes. Le 27, une bombe artisanale a explosé dans une poubelle de Diyarbakir sans faire de victimes. Dans la nuit du 28 au 29, de nouvelles frappes ont visé Qandil, près du village de Dashtewani, et le 31 des troupes au sol sont entrées dans la région de Bradost, au Nord-Est d'Erbil (à environ 20 kilomètres de Soran), interdisant l’accès aux paysans. Le PKK a déclaré que ces prises de positions pourraient préluder à une attaque de plus grande ampleur contre Qandil.

KURDISTAN IRAKIEN: BAGDAD MAINTIENT SON EMBARGO SUR LA RÉGION KURDE

Début janvier, plus de trois mois après le référendum d’indépendance du 25 septembre, aucune négociation n’avait encore commencé entre le gouvernement irakien et le Gouvernement régional du Kurdistan (GRK). C’est que le Premier ministre irakien Haider Al-Abadi, qui a quasiment placé le Kurdistan sous embargo en ordonnant la fermeture de ses aéroports aux vols internationaux, considère que le temps joue en sa faveur. Il a posé comme condition à la levée de l’interdiction l’acceptation par le GRK de ses exigences sur deux points principaux: le contrôle par Bagdad de tous les postes-frontières kurdes – dont les aéroports – et celui des exportations pétrolières, qui devraient exclusivement passer par la société d’État SOMO. Les Kurdes, eux, seraient prêts tout au plus à accepter une gestion commune des postes-frontières… Bagdad pose aussi comme condition au démarrage de discussions l'«annulation» des résultats du référendum, alors qu’Erbil propose leur «gel». Et Abadi entend soumettre le paiement des fonctionnaires du GRK à ses propres conditions, essentiellement un audit de leurs listes qui permettrait à Bagdad de décider qui payer. Enfin, le projet de loi de budget 2018 de l’Irak a provoqué la fureur des Kurdes: il prévoit la réduction du pourcentage du GRK à 12,6% du budget total, alors que sa part constitutionnelle est de 17%, et – peut-être de manière plus grave encore – ne mentionne jamais la «Région du Kurdistan», pourtant reconnue dans la Constitution de 2005.

C’est dans ce contexte très défavorable au Kurdistan que Bagdad a proposé le 1er janvier l’ouverture de discussions «techniques» au travers d’un «Haut comité» irako-kurde de 7 membres, 5 choisis par Bagdad et 2 du Kurdistan, qui proposerait aux désaccords des solutions en accord avec la constitution, abordant aussi la procédure de paiement des fonctionnaires. Le porte-parole du GRK, Safîn Dizayî, s’est félicité de cette proposition. Le 4, une délégation des ministères GRK de l'éducation et de la santé a remis au comité d’audit des listes de fonctionnaires provenant du système biométrique du GRK.

M. Abadi a également su jouer des divisions entre Kurdes, en recevant le 4 à Bagdad une délégation de trois partis d'opposition: Goran et le Groupe islamique (Komal), qui ont quitté le GRK en décembre, et la Coalition pour la démocratie et la justice (CDJ), récemment créée par l'ancien Premier ministre (UPK) Barham Salih, leur promettant de nouveau le paiement des salaires… Une source kurde a qualifié cette réunion de tentative de «diviser pour régner».

Plusieurs réunions ont ensuite pris place. Le 9, M. Abadi a ordonné à l'armée irakienne de reprendre les pourparlers de sécurité avec les Kurdes; le 13, la première rencontre politique depuis le référendum a réuni à Bagdad deux délégations dirigées par les ministres de l'Intérieur kurde et irakien; puis le 20, Abadi a reçu à Bagdad les Premier et Vice-premier ministres du GRK, Nechirvan Barzani et Qubad Talabani, avant de les rencontrer de nouveau le 30 à Davos. Aucune de ces rencontres n’a fait avancer la situation. Après la réunion du 13, le ministre GRK des Transports a parlé d’un projet d’accord sur la gestion conjointe des postes-frontières et aéroports, ceux-ci supervisés par l'aviation civile irakienne, et le 17, M. Abadi qualifiait les discussions de «très satisfaisantes», tandis que Rûdaw annonçait qu’un dépôt de 450 milliards de dinars (380 millions de dollars) destiné au paiement des fonctionnaires du GRK avait été placé sur un compte spécifique fin décembre par la Banque centrale, la décision de payer revenant au Premier ministre. Puis le 20, le gouvernement réitérait ses conditions: retour des aéroports, frontières et production pétrolière kurdes sous «autorité fédérale complète». Le 29, une autre source (Massoud Haydar, député Goran membre de la Commission des finances) a annoncé l’envoi au GRK de 250 milliards de dinars pour payer les fonctionnaires des ministères de la Santé et de l'Éducation dont les listes étaient en cours d’audit…

La production pétrolière kurde a provoqué plusieurs controverses entre Bagdad et Erbil: M. Abadi a déclaré le 2 que le Kurdistan avait exporté en octobre 450.000 barils/jour, et entre octobre et décembre pour 1,68 milliards de dollars, soit 80% des salaires de ses fonctionnaires (IraqiNews.com). Le porte-parole du GRK a réfuté ces chiffres le 4, déclarant que chacun savait qu’après la perte de Kirkouk, les revenus avaient diminué de moitié, et le 8, Nechirvan Barzani a renvoyé M. Abadi aux rapports d’audit des firmes internationales Deloitte et Ernst and Young, qui n’ont relevé aucune irrégularité de janvier à juin 2017. Contractée par le GRK sur demande de la Banque Mondiale, Deloitte doit ensuite auditer la période 2014-2016 (incluant celle d’après mai 2014, quand le GRK a commencé ses ventes, 4 mois après avoir cessé de recevoir sa dotation du budget fédéral), puis examinera juillet-décembre 2017. Le Parlement irakien a lancé sa propre enquête sur les ventes du GRK. Le 15, une délégation du ministère irakien du pétrole, dont le Directeur de la SOMO, est arrivée à Erbil pour discuter d’un mécanisme d’exportation contre une part du budget fédéral. Le 24 à Davos, M. Abadi a déclaré que le GRK avait accepté de remettre son pétrole à Bagdad, mais Nechirvan Barzani l’a démenti dès le lendemain…

Concernant le budget 2018 du Kurdistan, le blocage est demeuré total. Les demandes des députés kurdes de Bagdad, recoupant en partie celles du Président irakien Fouad Massoum (il avait pointé dans un courrier à Abadi les dérives inconstitutionnelles du projet), n’ont reçu aucune réponse. Ils demandaient entre autres le rétablissement des 17% au Kurdistan, la mention dans la loi de «Région du Kurdistan» au lieu d’«Autorités provinciales», un budget pour les pechmergas et l’annulation de la baisse de 3,8% des salaires des fonctionnaires irakiens pour financer les Hashd al-Shaabi. Mais le 9, Abadi a refusé toute modification, demandant au Parlement un vote en l’état. L’absence de participation du GRK à l’élaboration du projet violant aussi la constitution, les partis kurdes ont refusé le 17 de voter le budget, espérant obliger le gouvernement à limiter selon la loi ses dépenses à un douzième du budget total chaque mois… Le blocage s’est perpétué jusqu’au 31, quand les députés kurdes ont décidé de boycotter les futures sessions pour protester. Le Fonds monétaire international a décidé de n’octroyer aucun prêt à l'Irak tant que la part du budget du Kurdistan ne passait pas de 6,6 à 10 milliards.

Autre facteur de tension Bagdad-Erbil, la situation dans les territoires «disputés», repris mi-octobre par armée et milices chiites Hashd al-Shaabi. Dans la ville mixte kurdo-arabo-turkmène de Touz Khourmatou, malgré le remplacement partiel le 1er janvier des Hashd par les Forces spéciales de la police irakienne, les Kurdes, visés par des attaques en octobre dernier, ont déclaré le 2 qu’ils ne reviendraient pas sans la présence de pechmergas pour les protéger (NRT). Le 8, après que des tirs de mortiers aient fait 12 blessés en ville, provoquant la fermeture des écoles, le député turkmène Jasim Mohammed Jaafar a accusé des «bandes kurdes» et demandé l’envoi de troupes fédérales. Ce même jour, le Parlement a voté la création d'une Commission d’enquête multiethnique sur les événements d’octobre. Dans l’intervalle, le conseil municipal, réuni le 10 en l'absence de ses membres kurdes et arabes, a démis le maire kurde Shalal Abdul. Le 13, des unités antiterroristes et des forces de réaction rapide, soutenues par des véhicules blindés, ont été déployées en ville où elles ont entamé une recherche des armes illégales (Xinhua). Le 14, le maire par intérim, Lis Mahmoud, a exhorté les habitants déplacés à revenir, leur promettant protection et indemnisations. Le 17, un membre du Conseil provincial de Kirkouk, Azad Jabari (UPK), a déclaré que la sécurité de Kirkouk et de Touz Khourmatou allait être confiée à la police fédérale, sous l’autorité du Ministre de l’intérieur, l’armée devant être redéployée à Mossoul. Le 31, la Commission d’enquête sur Khourmatou attendait pour commencer son travail un vote du Parlement, demandé par les députés kurdes pour donner plus de poids à ses conclusions.

A Kirkouk, le gouverneur par intérim Said Rakan al-Jabouri est toujours accusé d’avoir repris la politique d’arabisation. Le Conseiller provincial Kaka Rash Sadiq a montré en conférence de presse un ordre illégal ordonnant le retour de tribus arabes dans les villages kurdes de Daquq  et de Sargaran. A Sargaran, le maire, Luqman Hussein, a accusé Bagdad de soutenir les chefs tribaux arabes cherchant à expulser les Kurdes de plusieurs villages. Le 23, un ordre du gouverneur, basé sur une loi d’époque ba’thiste et donnant aux résidents des quartiers «Kurdistan» et «Newroz» de Kirkouk sept jours pour partir, a été annulé après la forte réaction du député kurde Mohammed Othman. D’autres pressions s’exercent au quotidien sur les Kurdes de la ville, y compris des meurtres par balles. Le 16, l’organisation New media a déclaré que 178 journalistes avaient dû se cacher ou s’enfuir en raison de menaces sur leur vie, et les directeurs de certaines des 500 écoles kurdes de Kirkouk, dépendant du ministère GRK de l’Éducation et servant près de 100.000 élèves, ont témoigné que police et sécurité irakiennes retiraient les drapeaux kurdes des murs des écoles et avaient même emprisonné certains d’entre eux.

La nomination par le Conseil provincial d’un nouveau gouverneur permettrait une amélioration de la situation des Kurdes de Kirkouk. PDK et UPK ont récemment pu trouver un accord sur un candidat. Après Rizgar Ali, proposé par l’UPK, mais refusé par le PDK qui l’accusait d’appartenir au groupe qui a «vendu» Kirkouk à Bagdad, l’accord s’est fait le 9 sur Khalid Shwanî, ancien député UPK au parlement de Bagdad et membre du Bureau politique de ce parti. Mais la nomination nécessite une réunion du Conseil provincial. Son président par intérim, Rebwar Talabani, a tenté sans succès 4 fois de convoquer celui-ci: les conseillers PDK, craignant pour leur sécurité, refusent de revenir en ville. Pour les élections législatives dans la province, les différents partis kurdes, à l’exception notable du PDK, se sont réunis le 7 pour discuter la mise en place d’une liste commune. Le PDK a refusé de tenir réunion dans une ville «occupée», puis a annoncé le 15 qu’il boycotterait les élections dans la province afin de ne pas «légitimer l’occupation militaire».

Par ailleurs, bien que le Premier ministre irakien ait proclamé la défaite de Daech le 9 décembre, le groupe poursuit ses attentats dans la province, suite au vide sécuritaire laissé par le retrait des peshmergas. Il a revendiqué le 4 l’assassinat fin décembre d’un colonel de la police irakienne et de son fils, et pourrait être derrière certains enlèvements anti-kurdes attribués aux Hashd... Le 14, le maire par intérim de Touz Khourmatou a annoncé une opération conjointe anti-Daech entre pechmergas et soldats irakiens au Mont Hanjira, près de la ville. Le 15, après qu’un double attentat à Bagdad ait fait 27 morts et 64 blessés, Abadi a renouvelé sa promesse de «démanteler les cellules djihadistes dormantes».

On peut certes relever quelques éléments de détente Erbil-Bagdad. Le 8, le ministre irakien de l'Intérieur, Qasim al-Araji, a mis fin aux enquêtes visant les responsables de la sécurité de Kirkouk et de Khourmatou ayant participé au référendum, déclarant selon un député kurde n’avoir pas été informé de ces poursuites; promettant de reprendre le paiement des salaires des policiers kurdes suspendus depuis mi-octobre, il a aussi ordonné le retour des gardes-frontières kurdes mutés dans le sud du pays vers leurs lieux de service antérieurs. Le 27, le ministre GRK de la Santé Rekawt Hamarashid, a déclaré avoir reçu du ministère irakien de la Santé 11 camions de médicaments et attendre d’autres envois en 2018 (Rûdaw). Tout ceci ne change pas le tableau général qui reste au blocage. Mais M. Abadi pourrait être contraint à plus de souplesse en raison de sa mauvaise posture électorale: la grande «Alliance de la victoire» qu’il avait annoncée le 14 s’est effondrée en deux semaines avec les retraits des chefs et milices Hashd al-Shaabi... Par ailleurs, l'un des plus grands blocs sunnites du Parlement irakien, la «Coalition des forces irakiennes», a demandé le 17 le report des législatives d’au moins un an, jusqu’au retour des déplacés de la guerre contre Daech. Chi’ites et Kurdes sont au contraire partisans du maintien de la date prévue, qui n’a pu être votée que le 22 après plusieurs sessions houleuses. La date des élections provinciales reste à décider.

La situation vis-à-vis des élections irakiennes n’est guère meilleure côté kurde. PDK et UPK avaient appelé à la création d’une liste unitaire entre tous les partis du Kurdistan, mais une réunion le 11 n’a pu trouver d’accord, et les Kurdes aborderont les élections en ordre dispersé. Le 1er janvier, la Commission électorale du Kurdistan a confirmé le 1er pouvoir organiser les élections générales de la Région pour mi-avril (Rûdaw). Goran a demandé un audit des listes électorales, ce que le GRK a accepté, et qui pourrait permettre d’en retirer jusqu’à 100.000 noms en double ou de personnes décédées. Le 5, malgré des dissensions internes, le mouvement New Generation a élu président dans son premier congrès son fondateur Shaswar Abdulwahid. Le même jour, le président en exercice de l’UPK, Kosrat Rasoul, est rentré d’Allemagne, où il était soigné depuis 2 mois. Le 10, Barham Salih a été élu à la tête de la CDJ, jurant de combattre la corruption. Au 11 janvier, date limite pour enregistrer les alliances auprès de la Commission électorale irakienne, Goran, le Groupe islamique du Kurdistan (Komal), et la CDJ ont annoncé leur alliance, baptisée Nîshtîman («Patrie»), qui sera dirigée par l'ancien président du Parlement kurde, Yousif Mohammed (Goran). Nîshtîman présentera des candidats au Kurdistan et dans les territoires disputés, incluant Kirkouk. L’Union Islamique du Kurdistan (Yekgirtû), elle, fera cavalier seul. Le 16, Yekgirtû a annoncé son retrait du GRK en raison de l’absence de réponse à ses demandes de réforme. Après l’échec de leur projet de large coalition entre tous les partis kurdes, UPK et PDK feront liste commune, mais sont en désaccord sur la date: si l’UPK accepte celle fixée en novembre par le Parlement d’Erbil, septembre 2018, soit quatre mois après les élections irakiennes, le PDK préférerait l’avancer avant celles-ci, espérant une participation plus élevée. Le 21, New Generation a demandé la fixation rapide et définitive de la date, avertissant qu’un report déclencherait une nouvelle crise et qu’il appellerait alors à la grève. L’UPK a fixé la date de son prochain congrès au 5 mars, mais n’a pas réussi malgré plusieurs réunions à élire une direction intérimaire chargée de mener le parti jusque là.

Il est tout à l’honneur du Parlement du Kurdistan d’avoir, dans ce contexte difficile, voté le 16 une loi d’amnistie qui permettra de libérer, après enquête au cas par cas, plus d’un millier de détenus sur les 6.000 que compte le Kurdistan, à l’exclusion de ceux convaincus de crimes terroristes ou d’assassinats de femmes (NRT).

Enfin, le 29, le Parlement irakien a levé les sanctions contre les banques de la Région du Kurdistan, mais pas l'interdiction des vols internationaux…

IRAN: LA RÉPRESSION S’AGGRAVE ENCORE APRÈS LES PROTESTATIONS

Les manifestations contre le régime entamées le 28 décembre ont gagné Téhéran et Meshhed, 2e ville du pays, dans les jours suivants, se propageant aussi au Kurdistan, alors que 3 partis kurdes, le PJAK, le PDKI, et le Komala, appelaient à les rejoindre. De nombreuses vidéos publiées durant le week-end des 30-31 ont montré des manifestants affrontant les forces de l’ordre dans les rues des villes et villages kurdes. Au moins 9 manifestants ont perdu la vie lors des protestations à Téhéran, Ispahan et dans les villes du Kurdistan. Selon l’opposition, le nombre de détenus dans le pays a dépassé le millier, avec, selon le vice-gouverneur de Téhéran, 450 arrestations en 3 jours pour cette seule ville. À Sineh (Sanandadj), Kermanshah et Dehloran, de nombreuses personnes sont descendues dans les rues le 1er et ont affronté la police. Selon des sources locales, l’armée a tué 2 manifestants à Sineh et en a blessé 75 autres. À Kermanshah, les manifestants ont attaqué le QG de la police et les affrontements se sont poursuivis toute la nuit. Le 3, après 6 jours de manifestations qui ont fait 22 morts et conduit à des centaines d’arrestations, des pasdaran (Gardiens de la Révolution) ont été déployés dans les trois provinces d’Hamadan, d’Isfahan, et du Lorestan, tandis que les partis kurdes réitéraient leur soutien aux protestations et appelaient la communauté internationale à soutenir les «revendications légitimes» de la population. Depuis la Syrie, le Conseil national kurde (ENKS) a également fait une déclaration de soutien, rejoint le 6 par l’administration kurde du Rojava.

Toujours le 3, le PDKI a annoncé que ses pechmergas avaient tué au moins 6 membres des forces de sécurité iraniennes dans la province de l'Azerbaïdjan occidental. Les pasdaran ont confirmé la perte de 3 combattants, et le 6, le ministre des Renseignements, Mahmoud Alawi, a menacé durant leurs funérailles les «contre-révolutionnaires» de représailles sévères. Le déploiement des pasdaran n’a pas suffi à arrêter les manifestations et le 5, il y avait encore de nombreux protestataires dans les rues à Téhéran, Ispahan, Tabriz, Kermanshah et dans les provinces centrales d'Arak, Kashan, Tabriz, Qezwîn, Nishapor, Rasht et Takistan…

Le 9, après plus d'une semaine de manifestations, le régime a déployé ses forces de sécurité dans la plupart des villes protestataires, où la tension restait élevée, et arrêté plus d'un millier de manifestants, notamment des étudiants. L'Association des droits de l'homme du Kurdistan a publié les noms de 43 étudiants kurdes détenus et d'au moins un étudiant kurde disparu de Kermanshah. Certains dirigeants ont cherché à rejeter la cause des troubles sur l’étranger, accusant la CIA et les groupes d'opposition réfugiés au Kurdistan irakien d’avoir organisé les manifestations – accusations rejetées par le Gouvernement régional du Kurdistan.

Le sort de nombreux manifestants incarcérés a suscité de l’inquiétude durant le reste du mois: le 14, on a appris que deux manifestants auraient été torturés à mort en prison. Saro Ghahremani, un Kurde de 24 ans, est mort à la prison de Sanandaj, et et Ali Poladi, 26 ans, à la prison de Chalus, dans le nord du pays. Accompagnés de membres des services de Renseignement, les pasdaran ont poursuivi leur campagne d'arrestations contre militants kurdes et manifestants. Avec des centaines d’entre eux déjà incarcérés, de nouvelles arrestations ont eu lieu à Kermanshah, Orumiyeh, Mahabad, Sanandaj, Mariwan et Bokan. Le PKDI et le Komala ont publié une déclaration commune appelant la communauté internationale et les organisations de défense des droits de l'homme à réagir. Mais les inquiétudes ne concernent pas que les manifestants arrêtés dernièrement. La répression continue aussi à toucher tous les prisonniers politiques arrêtés avant le déclenchement des protestations de décembre, comme Zanyar et Luqman Muradi, deux cousins arrêtés à Marivan en juillet 2009. Accusés d’implication dans l’assassinat du fils de l’imam de Marivan, ils risquent d’être exécutés à tout moment. Le 16, un chanteur de mariage kurde originaire de la région d’Ourmia, Payman Mirzada, a été condamné à six mois de prison pour avoir chanté des chansons nationalistes pro-kurdes lors d'un mariage en décembre 2017. Le 26, le «Réseau international des droits de l'homme du Kurdistan iranien» a lancé une alerte concernant Ramin Hussein Panahi. Blessé par balles et arrêté le 23 juin 2017 à Sanandaj après avoir rencontré des citoyens kurdes pour les informer sur les Droits de l’homme, Panahi s’est vu dénier tout traitement médical. Faussement accusé selon son avocat d’avoir sorti son arme, condamné à mort le 25 octobre 2017 pour «Actes contre la sécurité nationale» et appartenance au Komala par le «Tribunal révolutionnaire» de Sanandaj, il est en danger d'exécution imminente. Après 124 jours et 23 demandes à différentes branches gouvernementales – des Pasdaran aux Services secrets – sa famille ne sait toujours pas où il se trouve ni quelles sont ses conditions de santé. En réponse aux demandes répétées d’informations de sa famille, les autorités ont arrêté et condamné à des peines de prison de 5 à 9 ans plusieurs de ses proches. Le 26 octobre 2017, la mère et la sœur de Ramin ont été informées par les autorités qu'il attendait son exécution, et qu'elles seraient informées après celle-ci. Le 29, son avocat, Hossein Ahmadiniaz, a annoncé son intention de faire appel.

Après le tremblement de terre de magnitude 7,3 qui avait frappé la province de Kermanshah en novembre dernier, faisant 620 morts et plus de 12.000 blessés et provoquant d’importants dommages aux infrastructures, un nouveau séisme de magnitude 4,4 a frappé cette même province le 6 à 18h22, blessant 21 personnes. C’est la région de Sarpole Zahab, déjà la plus touchée par la secousse de novembre, qui a encore été frappée. Puis le 11, un séisme supplémentaire de magnitude 5,6 s’est produit côté irakien, à l’ouest de Mandali. Ces nouvelles secousses viennent accroître la détresse des habitants de la région qui se sentent abandonnés par les autorités. Le 19, un député de la province de Kermanshah, Farhad Tajari, a déclaré au Parlement que «soixante-sept jours après le séisme [de novembre], seulement 40% des personnes touchées par le tremblement de terre ont reçu des abris de fortune, insuffisants contre le froid». Selon les médias locaux, 5 enfants de 4 mois et une jeune fille de 17 ans sont morts de froid et de maladie entre novembre et début janvier dans le village de Nawafar. A Kermanshah, selon l'Association des droits de l'homme du Kurdistan, plusieurs personnes déplacées après le séisme, dont un enfant de deux ans, sont décédés faute d'aide du gouvernement.

Le 9, le gouverneur d’Azerbaïdjan occidental, Mohammed Mehdi Shahriari, a annoncé que les kolbars (porteurs kurdes transfrontaliers) allaient recevoir des cartes à puce visant à permettre la réglementation de cette occupation semi-légale. Cette mesure devrait concerner 50.000 personnes sur les 70.000 kolbars, dont la nouvelle carte remplacera la licence actuelle, introduite en 2016. Les kolbars, expression de la pauvreté générale des provinces kurdes du pays, sont régulièrement pris pour cibles et assassinés par les forces frontalières… Deux d’entre eux sont encore morts courant janvier: l'un abattu par les gardes-frontières alors qu'il se trouvait dans son véhicule à Sardasht, le deuxième tué par une avalanche…

Tandis que se déroulaient les manifestations de la première semaine du mois, l’ONG Human Rights Activists News Agency a publié son rapport 2017 qui dresse pour cette année le bilan de la répression en Iran. Selon ce document, le pays a exécuté 446 personnes en 2017 – dont 31 lors d’exécutions publiques, 50% de ces exécutions étant liées à la drogue.

FRANCE: HOMMAGE AUX 3 MILITANTES KURDES ASSASSINÉES EN 2013, NOUVELLES RÉVÉLATIONS SUR L’IMPLICATION DU MIT

La visite du Président turc à Paris le 5 janvier ne pouvait pas tomber à un plus mauvais moment: c’est le 9 janvier 2013 en effet qu’étaient assassinées à Paris les trois militantes Kurdes Sakine Censiz, Leyla Şaylemez, Fidan Dogan («Rojbîn») et ce alors même que des pourparlers étaient en cours entre le MIT et le PKK dans le cadre d’un «processus de paix». Cette visite à ce moment et la réception prévue de M. Erdoğan à l’Élysée sont apparues à beaucoup comme autant de provocations. Le PCF a dénoncé dans un communiqué «un nouvel outrage à l'égard des familles des victimes et des Kurdes qui subissent une impitoyable guerre meurtrière», et le député de La France insoumise Jean-Luc Mélenchon a déclaré dans un tweet que le président turc n'était «pas le bienvenu à Paris».

S’exprimant dans une Conférence de presse également tenue le 5, Sylvie Jan, représentante de la Coordination Nationale de Solidarité avec le Kurdistan a déclaré: «Ce crime d’État ne doit pas sombrer dans l’oubli. Un prochain rendez-vous y contribuera: les 15 et 16 mars à Paris, une session du tribunal permanent des peuples se tiendra pour évoquer les crimes de guerre commis par la Turquie entre 2015 et aujourd’hui après la fin des pourparlers de paix». L’avocat des familles des victimes, Me Antoine Comte, déclarant: «L’affaire n’est pas terminée», a exigé que la France poursuive la procédure «jusqu’au bout» pour identifier les commanditaires de ce triple assassinat, puisque la participation des services secrets turcs, le MIT, est avérée. Nursel Kiliç, représentante du mouvement des femmes kurdes en Europe, a rappelé que le dossier d’enquête contenait des éléments incriminant clairement l’État turc et donc le Premier ministre de l’époque, Recep Tayyip Erdoğan.

Le lendemain, alors même que le Président turc se trouvait à Paris, une manifestation à la mémoire des 3 militantes a rassemblé plus de 10.000 personnes réclamant la vérité et la justice pour leur assassinat. Le 7 à Diyarbakir, durant sa conférence régionale, le Parti démocratique des peuples, la composante kurde du HDP, a également marqué son hommage aux 3 femmes en s’ouvrant par une minute de silence, y adjoignant un hommage à 3 autres femmes politiques kurdes, Sêvê Demir, Fatma Uyar et Pakize Nayır, assassinées en janvier 2015 à Silopi par les forces de sécurité turques: blessées par des tirs, elles n’avaient pu être emmenées à l’hôpital malgré les demandes du HDP et étaient mortes faute de soins à quelques jours des commémorations de l’assassinat des 3 militantes tuées en France 2 ans plus tôt…

C’est le jour même de l’anniversaire du triple assassinat de Paris, le 9 janvier, que le PKK a diffusé la vidéo de l’opération ayant permis de capturer en août 2017 à Dokan, au Kurdistan d’Irak, 2 officiers du MIT. Il a surtout diffusé une 2e vidéo qui donne la parole aux 2 officiers et dans laquelle ils déclarent que l’assassinat des 3 militantes de Paris avait été planifié par le service et avait été approuvé «à haut niveau». Selon l’un des deux officiers, Erhan Pekçetin, une telle décision risquant de conduire à des tensions diplomatiques aurait nécessité un accord au niveau politique et n’aurait pu être prise par le seul directeur du MIT…

Le 11, une plaque rendant hommage aux 3 militantes a été dévoilée au 147 Rue Lafayette, lieu de leur assassinat, en présence d’Hélène Bidard, adjointe à la Maire de Paris, Anne Hidalgo, et la représentant, Rémi Féraud, sénateur, ancien maire du 10e arrondissement, et Alexandra Cordebard, son successeur. «Nous continuerons d’exiger que la justice soit rendue aux côtés de leurs familles et des associations du mouvement kurde» a twitté  Hélène Bidard.

Depuis l’assassinat de 2013, d'autres menaces d'attentats visant des figures du mouvement kurde en Europe ont été révélées.

LIVRES REÇUS

Jean-Paul Tillement, Au Kurdistan irakien avec les réfugiés de la plaine de Ninive, 93 p., Fiacre, 2017, et À la rencontre des chrétiens de Syrie, Carnet de voyage à Pâques, du 4 au 12 avril 2015, 79 p., Fiacre, 2016.

Jean-Paul Tillement, professeur émérite de médecine et consultant en recherche de médicaments, s’est rendu au Kurdistan d’Irak et, auparavant, en Syrie, pour des missions d’information auprès des Chrétiens d’Orient qui ont eu énormément à souffrir de la terreur de l’organisation djihadiste Daech (acronyme arabe de «État islamique en Irak et au Levant»). Il rapporte dans le dernier de ces deux ouvrages, qu’il est venu présenter à l’Institut kurde, la manière dont les Chrétiens tentent de poursuivre leur vie dans les camps où ils ont dû s’établir après avoir fui les djihadistes. Il rapporte notamment la manière dont le Père Najeeb a pu sauver les précieux manuscrits de sa bibliothèque en les chargeant la nuit du 7 au 8 août 2014 dans un camion avec lequel il a quitté Mossoul quelques heures avant l’arrivée des djihadistes. Mais il raconte aussi sa visite des Yézidis à Lalêch, et celle qu’il a faite du parlement d’Erbil, et livre en général sa vision du Kurdistan irakien. Dans son livre de 2016, il donne son carnet de voyage et de séjour en Syrie, notamment à Damas, en compagnie d’une trentaine d’autres volontaires, un voyage organisé pour observer sur place et faire connaître en France et en Europe la situation des diverses Églises chrétiennes du pays. Les deux ouvrages présentent aussi les activités de l’association «SOS, Chrétiens d’Orient», avec laquelle les séjours ont été organisés, et dont le cofondateur Pascal Blanchard a rédigé les deux préfaces.
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Olivier Piot, Le peuple kurde, clé de voute du Moyen-Orient, Les petits matins, 2017

Olivier Piot, grand reporter, auteur de nombreux articles sur le Moyen-Orient et l’Afrique dans Le Monde Diplomatique, Géo et Le Monde, avait déjà publié chez le même éditeur en 2012, avec le photographe Julien Goldstein, un ouvrage sur les Kurdes, Kurdistan, la colère d'un peuple sans droits, préfacé par l’ancien ambassadeur de France Bernard Dorin. Les deux auteurs y dressaient, au fil de leurs séjours dans les différentes parties du Kurdistan, s’étalant de 2007 à 2012, un état de la réalité quotidienne de ce peuple, «témoignant de ses problèmes économiques et politiques, des multiples discriminations dont il est l'objet et du déni de son identité».

Dans Le peuple kurde, clé de voute du Moyen-Orient, préfacé par l’ancien consul de France à Erbil, Frédéric Tissot, il explique dès le départ qu’il ne s’agissait pas pour lui «d’écrire une nouvelle histoire du peuple kurde», mais plutôt de tenter de partir de la situation des Kurdes pour apporter une perspective longue de l’évolution récente du Moyen Orient. Ce peuple se trouve en effet bien au cœur des bouleversements qui secouent la région depuis un peu moins d’une décennie – d’où l’idée de «clef de voute», cet élément architectural qui maintient le bâtiment, mais qui est aussi la clef de sa stabilité : s’il cède, tout s’effondre… Il s’agit de mieux faire comprendre la situation actuelle et d’esquisser le futur – notamment dans un des derniers chapitres, «Les Kurdes dans la reconstruction du Moyen-Orient».

On ne peut que saluer l’idée de placer en fin d’ouvrage une traduction en turc du sommaire, de la préface, de l’introduction et de la conclusion. Concernant la traduction en arabe des mêmes éléments qui suit le texte turc, elle n’a malheureusement pas été insérée dans l’ouvrage avec un logiciel gérant correctement l’écriture de cette langue, ce qui fait que le texte n’est guère lisible (lettres non jointes et affichées dans l’ordre latin). Espérons qu’un accès web à un résumé corrigé, ou même une nouvelle édition, permettra de pallier cette déficience.