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Bulletin N° 365 | Août 2015

 

KURDISTAN D’IRAK : CRISE POLITIQUE AUTOUR DU MANDAT PRÉSIDENTIEL

Alors que le mandat présidentiel, déjà prolongé de 2 ans, devait expirer le 19 août, le 1er août, la Cour de Cassation du Kurdistan d’Irak, constatant qu’aucune solution ni compromis à la crise politique n’avaient pu être atteints par les parlementaires et les partis politiques, a déclaré qu’elle trancherait elle-même la question si cette dernière lui était soumise et que « sa conclusion serait décisive », selon le porte-parole de la Cour, Omed Muhsin.

 

Les débats n’ont en effet pas avancé d’un pouce, le Parti démocratique du Kurdistan de Massoud Barzani demandant à ce que le président soit reconduit dans ses fonctions deux années supplémentaires, en avançant que la situation de guerre et la crise des réfugiés ne permettaient pas la tenue d’élections dans le pays. Les partis opposants, surtout l’UPK et Gorran, refusent cette reconduction, qu’ils qualifient d’anticonstitutionnelle, mais peinent à trouver un candidat de poids pour succéder à Massoud Barzani. Aussi, ils tentent de modifier la loi électorale qui, actuellement, énonce que le président est élu au suffrage direct : quatre partis opposants au PDK souhaitent au contraire que le président soit dorénavant désigné par le Parlement.

 

Les réunions, rencontres et débats se sont succédés sans relâche tout l’été, mais sans grand résultat non plus et le 4 août, alors que le bruit courait qu’un accord avait pu être atteint, Imad Ahmed, un porte-parole de l’UPK, déclarait à Reuters qu’aucune des réunions entre les partis politiques n’avait abouti à approuver l’extension du mandat présidentiel, comme certaines agences de presse l’avaient annoncé, et que la position de l’UPK, à cet égard, ne changeait pas : le parlement devait désigner le président et approuver le gouvernement.

 

Pour sa part, le parti Gorran a affirmé qu’à l’expiration du mandat présidentiel, le 19 août, le président du parlement du Kurdistan, Youssif Muhammad Sadiq (membre de ce parti), devait prendre la présidence en interim à partir du 20 août, jusqu’à la tenue de nouvelles élections. Mais si cette disposition peut paraître légale, on voit mal ce politicien de carrière, qui n’a jamais été Peshmerga ni assumé une quelconque fonction militaire, diriger un pays en guerre et surtout ses armées, d’autant que les forces des Peshmergas sont issus à une écrasante majorité des partis du PDK et de l’UPK.

 

Le 10 août, Massoud Barzani a de nouveau appelé à la tenue d’élections qui trancheraient la question du nouveau président par la voix des urnes, si les négociations politiques n’aboutissaient à rien. Concernant la réforme constitutionnelle et la question d’un régime parlementaire ou présidentiel, le président kurde a insisté sur la nécessité d’un référendum, en accusant, dans une déclaration publiée sur le site Internet de la présidence, les partisans d’un changement de régime de ne chercher « que leurs propres intérêts ». Il assure par ailleurs que ses récentes tournées diplomatiques aux États-Unis et en Europe lui ont donné bon espoir en ce qui concerne la question de l’indépendance, mais que la crise politique actuelle peut compromettre le processus. Enfin, si le régime actuel de la Région du Kurdistan est parlementaire, le fait que le président soit élu au suffrage universel lui semble « préférable « .

 

Le 12 août, Barham Salih, ancien Premier Ministre du Kurdistan et un des dirigeants de l’UPK, a pour sa part exprimé  sur NRT TV, une chaîne kurde, des vues pessimistes sur la crise politique que traverse le Kurdistan, estimant qu’elle n’était que « le sommet de l’iceberg », si l’on prenait en compte la récession économique et le manque de budget auxquels la Région doit faire face et que l’actuel système de gouvernement n’était pas adapté à la situation : « Il faut donner autorité au Ministre des Peshmerga et au chef d’état-major pour refondre les forces Peshmergas et en faire une institution nationale. Les militaires de la Région sont actuellement partagés en deux forces distinctes, chacune sous le contrôle des deux partis principaux, l’Union patriotique du Kurdistan et le Parti démocratique du Kurdistan. » La même réforme doit s’appliquer aux Asayish (services de renseignement et de sécurité). Le ministre de l’Intérieur doit former une institution nationale à partir des différents bureaux, tout aussi affiliés politiquement aux deux grands partis.

 

 

De leur côté, les minorités religieuses s’inquiètent d’une instabilité politique qui met en danger la seule région où ils bénéficient d’un asile sûr leur garantissant la liberté de culte. Six de leurs députés ont ainsi diffusé une déclaration invitant tous les partis politiques à s’entendre avant le 19 août, sinon à laisser Massoud Barzani rester au pouvoir. Ils demandent aussi aux 5 partis politiques majeurs de ne pas laisser les petits partis en dehors des discussions.

 

Finalement, au fur et mesure que la date limite du 19 août approchait, et qu’il devenait clair qu’aucune solution ne serait trouvée, l’UPK et Gorran se sont dit respectivement prêts à des élections anticipées. L’agence Shafaaq News a fait état, le 16 août, d’une source « proche de Gorran » indiquant que Nawshirwan Mustafa, son leader, se présenterait à la présidence. Selon cette même source, les trois autres partis opposés au PDK sur cette question, l’UPK et les deux partis islamistes n’envisageraient pas de présenter un candidat pour affronter Massoud Barzani. Il est vrai que l’UPK, fortement divisée en factions internes et personnalités rivales peinerait à s’accorder sur un candidat, et les partis religieux, qui servaient surtout aux votes protestataires contre les grands partis, vont peut-être pâtir d’une méfiance envers les mouvements islamistes, bien que leurs dirigeants se soient engagés contre Daesh.

 

Mais en attendant la tenue de ces élections, la question du pouvoir intérimaire se pose dans les mêmes termes : le président sortant doit-il continuer d’exercer ses fonctions jusque-là, ? C’est ce qu’a recommandé le 18 août le Conseil consultatif (Shura) du Kurdistan dont les avis rendus n’ont cependant pas force de lois, comme l’a rappelé Yousif Sadiq, le président du parlement qui revendique pour lui-même cet intérim. Selon ce Conseil, « si les partis politiques ne parviennent pas à un accord, Massoud Barzani devrait rester président deux années supplémentaires. »

 

Au contraire, le parti Gorran a déclaré le 19 août, que le mandat présidentiel prenait fin ce jour même et que le président du Parlement assumerait ce rôle pour 60 jours jusqu’aux élections. Youssef Sadiq  a convoqué les députés à une réunion d’urgence, espérant peut-être que le parlement approuverait sa prise de fonction, mais le quorum de 56 députés n’a pu être atteint, 53 parlementaires étant présents. Bien que le président du Parlement ait retardé la session d’une heure, espérant des venues de dernière minute, seuls 24 députés du parti Gorran, 18 de l’UPK, 6 du Groupe islamique et 5 de l’Union islamique du Kurdistan ont siégé à l’assemblée. Les députés du PDK et les représentants des chrétiens et des Turkmènes ont boycotté la session, ainsi que quelques petits partis et 5 membres de l’Union islamique.

 

Une des raisons pour lesquelles la réunion a échoué semble être l’obstination de Youssef Sadiq à ouvrir la session le mercredi 19, alors que de nombreux députés souhaitaient la repousser jusqu’au dimanche suivant. Le chef des communistes au Parlement a fustigé cette attitude, parlant de « politiques en crise d’adolescence ». 

 

La même critique a été formulée par le chef de fil de l’Union islamique au Parlement, alors que l’ajournement de la session était appuyée par les  États-Unis, la Grande-Bretagne et les Nations Unies, et il semble que Nawshirwan Mustafa, le leader de Gorran l’avait aussi accepté.

 

Plus important qu’une session parlementaire avortée, la réunion à Erbil de 16 partis politiques la veille, le18 août, pour débattre de la prolongation de la présidence pour une durée de deux ans, avaient aussi pour participants Brett H. McGurk, le représentant des États-Unis en Irak et Frank Baker, l’ambassadeur de Grande-Bretagne. La teneur des « conseils » américains et britanniques aux Kurdes a été ensuite dévoilée au journal Rudaw par le Secrétaire général du Parti socialiste du Kurdistan, Muhammad Hadji Mahmoud : il a été suggéré de repousser les réformes politiques et constitutionnels pour deux ans et de permettre à Massoud Barzani de rester président durant ce temps.

 

« Les représentants américain et britannique nous ont, durant la réunion, conseillés et avertis. Ils nous ont dit que ce n’était pas le bon moment pour des réformes, alors que le Kurdistan affrontait l’État islamique et qu’il ne pouvait guère faire face à d’autres problèmes […] les représentants des États-Unis et du Royaume Uni ont dit que si les Kurdes se laissaient distraire par des problèmes internes, ils n’auraient plus leur soutien dans la guerre contre l’État islamique. »

 

 

Le 30 août, une autre réunion cette fois entre les cinq principaux partis kurdes s’est déroulée à huis clos pour tenter de trouver une solution à l’impasse politique. Selon Fouad Hussein, le chef du cabinet présidentiel, il s’agissait de débattre de trois options possibles concernant le choix des modalités de la prochaine élection présidentielle  : un référendum, un vote parlementaire soit aux deux-tiers soit à la majorité. » Fouad Hussain a indiqué qu’une autre réunion doit se tenir le 6 septembre pour résoudre cette question. Si aucun accord n’est atteint, la question sera tranchée par des élections anticipées.

 

TURQUIE : VERS DES ÉLECTIONS ANTICIPÉES DANS UN CLIMAT DE TENSION

Alors que le processus de paix semble gravement compromis au Kurdistan de Turquie, Selahattin Demirtas, le co-président du HDP, a appelé le gouvernement turc comme la branche armée du PKK à un cessez-le-feu immédiat, lors d’une conférence de presse donnée le 2 août au QG de son parti, à Ankara : « Les armes du PKK doivent se taire immédiatement, leurs mains doivent rester loin des gâchettes. Le gouvernement doit aussi déclarer la fin de toutes les opérations lancées contre eux et doit entamer un dialogue avec une approche qui exclurait la mort. » Répétant que son parti était opposé à tout usage des armes et de la violence, et condamnait les violences récentes comme « inacceptables », Selahattin Demirtas a affirmé que son groupe politique discutait de tous les moyens possibles pour empêcher la violence de se propager dans le pays.

Le 8 août, le leader du HDP réitérait son appel, dans les mêmes termes, dans la ville kurde de Van. Le 11 août, l’Union des communautés du Kurdistan (KCK), la branche politique du PKK, a appelé à son tour la reprise rapide des négociations avec Abdullah Öcalan, mais en posant en conditions préalables la libération des prisonniers politiques détenus depuis le 21mars 2013 et un cessez-le feu plus rigoureux. Cemil Bayik, l’actuel dirigeant par interim du PKK, interrogé sur le sondes de la BBC, a accusé la Turquie de continuer de faire le jeu de l’État islamique en attaquant les combattants kurdes. Selon lui, la seule issue au conflit kurde est pourtant la négociation.

Mais la position du gouvernement turc à ce sujet n’a pas bougé d’un pouce, exigeant que le PKK dépose toutes ses armes et se retire de Turquie avant toute relance du processus de paix et poursuivant ses bombardements de représailles sur les bases situées au Kurdistan irakien jusqu’à ce que le PKK dépose les armes, comme l’a clairement exigé le Premier Ministre turc Ahmet Davutoğlu . Le président Recep Tayyip Erdogan a de même souhaité la poursuite d’une campagne militaire contre le PKK jusqu’à ce qu’ « il ne reste plus aucun terroriste à l’intérieur de nos frontières », nonobstant le fait que cela a été, sans succès, l’objectif militaire de la Turquie depuis 1984. « Je ne parle pas de déposer les armes, je parle de les ‘enterrer’ ; j’insiste sur ce point. » Le président turc a aussi affirmé que les frappes turques avaient fait, à la date du 11 août, 390 morts dans les rangs du PKK(chiffre qui semble exagéré) alors que l’AFP donnait le chiffre de 29 membres des forces de sécurité turques tuées dans les combats intérieurs.

Sur le plan politique, la Turquie doit faire face, depuis les élections de juin dernier, au défi de constituer un gouvernement de coalition, soit avec l’AKP et les partis nationalistes, soit avec le HDP, accusé de complicité avec le PKK. Le 13 août, une réunion qualifiée de « la dernière chance » par la presse turque avait lieu entre Ahmet Davutoglu et le leader du Parti républicain du peuple (CHP), Kemal Kiliçdaroglu. Mais cette ultime rencontre n’a finalement rien donnée, comme l’a annoncé le Premier Ministre à la presse, évoquant la « forte probabilité d’élections anticipées » sans donner de date précise, hormis le souhait de les voir se dérouler « si tôt que possible », même si octobre ou novembre sont parfois avancés par des analystes. Ces derniers estiment par ailleurs qu’Erdogan voit dans ces élections un moyen de reconquérir les sièges perdus à l’assemblée nationale turque et sa majorité absolue, ce qui lui permettrait de faire passer enfin sa réforme vers un régime présidentiel. Ahmet Dabutoglu reconnaît lui-même que de nouvelles élections tournerait à l’avantage de sa formation politique : « Le parti qui bénéficierait le plus d’élections anticipées est l’AKP, nous pouvons former un gouvernement avec un seul parti si nous obtenons 18 sièges de plus. »

De son côté, Kemal Kilicdaroglu a fustigé l’attitude de l’AKP, l’accusant de n’avoir aucun intérêt à former un gouvernement de coalition pour une durée de 4 ans. Son parti ne participera donc pas au gouvernement de coalition.

Restait le HDP. Selahattin Demirtas a déclaré envisager de prendre part à un gouvernement provisoire, jusqu’aux prochaines élections, tout en doutant, comme le CHP, de la volonté réelle de l’AKP de former une coalition: « Nous n’aurons aucune hésitation à exercer nos droits constitutionnels et à participer au gouvernement », a-t-il déclaré le 25 août à la presse. « Mais nous ne devons pas nous étonner s’ils violent la constitution et tentent de former un gouvernement sans le HDP. Une telle tentative devrait être rejetée par la Cour constitutionnelle […] Six millions de personnes ont voté pour nous et nous avons le droit à trois ministères. Quels ministères, cela n’importe pas vraiment, c’est avant tout un cabinet temporaire, et cela ne nous donne aucune chance de réussir une quelconque action. Mais il est important que nous soyons représentés dans le cabinet, c’est tout. »

De fait, la constitution turque prévoit qu’un tel gouvernement intérimaire soit formé entre des élus de plusieurs partis, proportionnellement à leurs résultats électoraux. Ainsi, l’AKP a droit à 11 ministres, le CHP à 5 ministres et le MHP et le HDP 3 chacun. Des ministres issus d’un parti pro-kurdes au sein du gouvernement turc seraient déjà une première historique, même si de courte durée, mais le fait que le HDP soit au pouvoir alors qu’au même moment des opérations militaires ont lieu contre le PKK et qu’une vague d’émeutes et de répression menace de gagner toutes les régions rend la situation encore plus surréaliste, d’autant que l’AKP (et les autres partis turcs) ne se privent pas d’accuser le HDP de complicité ouverte avec le PKK.

Finalement, le 26 août, Ahmet Davutoğlu a invité trois députés du HDP à prendre part au gouvernement intérimaire qui prendra fin le 1er novembre, date fixée pour des élections anticipées. Deux d’entre eux ont accepté. Sur les 11 membres élus de l’AKP appelés par Davutoğlu, tous ont accepté. Les 5 députés du CHP, dont Deniz Baykal, son ancien leader, ont tous décliné, de même deux des trois députés MHP. Le troisième, Tughrul Turkes, a accepté et a été suspendu par son parti dès le 27 août.

Les députés HDP appelés à se joindre à la coalition sont Levent Tuzel, secrétaire général du Parti travailliste (EMEP), parti qui a rallié le BDP kurde pour former la plate-forme du HDP ; Muslum Dogan, un des membres fondateurs du HDP et Ali Haydar Konca. Seul Levent Tuzel a refusé.

En dehors des membres du HDP et de l’AKP, Ahmet Davutoglu a fait appel à de nombreux élus indépendants pour constituer son cabinet.

Approuvé le 28 août par Recep Tayyip Erdogan, le cabinet intérimaire est composé comme suit :

Premier Ministre : Ahmet Davutoğlu (AKP); il lui est adjoint quatre Vice-Premier Ministre :

– Tuğrul Türkeş, responsable du monde turc (suspendu par le MHP, en butte à une procédure d’exclusion).

– Cevdet Yılmaz, Chargé de l'économie, des affaires bancaires et des finances publiques (AKP).

– Yalçın Akdoğan, porte-parole du gouvernement, chargé des institutions et de la Radio-Télévision de Turquie (AKP).

– Numan Kurtulmuş, Chargé de la lutte contre le terrorisme, des droits de l'Homme et des affaires nord-chypriotes (AKP)

Ministre des Affaires étrangères : Feridun Sinirlioğlu (indépendant)

Ministre de l’Intérieur Selami Altınok (indépendant)

Ministre des Finances : Mehmet Şimşek (AKP) Ministre de la Justice : Kenan Ipek (indépendant)

Ministre de l'Énergie et des Ressources naturelles : Ali Rıza Alaboyun (indépendant)

Ministre de l'Alimentation, de l'Agriculture et de l’Élevage, Kudbettin Arzu (indépendant)

Ministre de la Culture et du Tourisme : Yalçın Topçu (indépendant)

Ministre de la Santé : Mehmet Müezzinoğlu (AKP) Ministre de l'Éducation nationale : Nabi Avcı (AKP)

Ministre de la Défense nationale : Vecdi Gönül (indépendant)

Ministre de la Science, de l'Industrie et de la Technologie : Fikri Işık (AKP)

Ministre du Travail et de la Sécurité sociale : Ahmet Erdem (indépendant)

Ministre des Transports, de la Mer et des Communications : Feridun Bilgin (indépendant)

Ministre de l'Environnement et du Développement urbain : İdris Güllüce (AKP)

Ministre de la Famille et de la Politique sociale : Ayşen Gürcan (indépendant)

Ministre des Affaires de l'Union européenne : Ali Haydar Konca (HDP)

Ministre de l’Économie : Nihat Zeybekçi (AKP)

Ministre de la Jeunesse et des Sports : Akif Çağatay Kılıç (AKP)

Ministre du Développement : Müslüm Doğan (HDP)

Ministre des Douanes et du Commerce : Cenap Aşçı (indépendant)

Ministre des Forêts et des Eaux : Veysel Eroğlu (AKP)

SYRIE : DÉSACCORD TURCO-AMÉRICAIN SUR LA CRÉATION D’UNE ZONE-TAMPON

Le 3 août, un communiqué officiel des forces kurdes YPG faisait état de la libération complète de la ville de Hassaké après que l’État islamique en ait été chassé. Selon les commandants kurdes, 386 membres de Daesh auraient été tués, dans une contre-attaque en trois phases : d’abord la reprise du terrain perdu face à Daesh, puis la fermeture des routes servant à convoyer les renforts de l’EI vers Hassaké, et enfin le nettoyage de la ville des djihadistes pris au piège. Jusqu’ici tenu conjointement par les forces du régime et les YPG, le retrait de l’armée syrienne de la ville de Hassaké la laisse quasiment sous le contrôle du PYD.

Mais alors que les forces kurdes, alliées à l’Armée syrienne de libération, repoussent peu à peu, depuis l’été, l’État islamique loin de la frontière turque, la récente reprise du conflit entre la Turquie et le PKK relance les rumeurs ou la possibilité d’une incursion militaire turque et de l’instauration d’une zone-tampon sur sa frontière sud. L’autre aspect du conflit kurdo-turc en Turquie est en effet le débordement possible sur les frontières syriennes. Alors que les forces américaines prenaient position sur la base d’Incirlik, récemment ouverte à la Coalition par la Turquie, Ahmet Davutoğlu s’est dit prêt à lancer des frappes aériennes sur l’État islamique en Syrie, mais a aussi réémis l’idée d’une zone-tampon de sûreté sur sa frontière avec la Syrie, qui permettrait d’y abriter les 1,8 millions de réfugiés actuellement sur son sol. Par contre, il s’est montré réticent à envoyer des troupes turques se battre directement contre Daesh, arguant que les forces de l’Armée syrienne de libération pouvaient suffire.

Mais Washington, comme en 2013, quand l’instauration d’une zone-tampon avait déjà été envisagée par Ankara, s’est dit opposé à une telle mesure, comme l’a fait savoir le porte-parole du Département d’État, Mark Toner : « Nous ne parlons pas de cela maintenant. Ce dont nous parlons est un effort soutenu pour chasser l’EI de la région. » Mark Toner réagissait aux propos de Feridun Sinirlioğlu, Secrétaire d’État au ministère des Affaires étrangères turc. Feridun Sinirlioğlu a en effet affirmé que son pays et les États-Unis étaient parvenus à un accord pour l’instauration d’une zone-tampon le long de la frontière turco-syrienne, le tout supervisé par la Coalition. Il a même affirmé que toute incursion du PKK, comme de Daesh, dans cette zone, déclencherait les frappes de la Coalition et de la Turquie. Mark Toner a tenu à préciser que l’accord avec la Turquie ne stipulait nullement que les PYD seraient attaqués sur le sol syrien.

Dans une autre conférence de presse, donnée le 3 août à Washington, John Kirby, le porte-parole du ministère de la Défense américain a insisté sur le fait que son pays ne souhaitait en aucun cas porter atteinte à l’intégrité territoriale de la Turquie ni apporter de modification à ses frontières :« Nous n’avons pas changé de mission : il s’agit d’amoindrir et de détruire l’EI. » Interrogé sur les récents bombardements de la Turquie, visant essentiellement les bases du PKK au Kurdistan d’Irak. John Kirby a répondu qu’Ankara restait aussi attaché à frapper Daesh : « Tout le monde reste focalisé sur la menace de l’EI en Syrie et la Turquie nous a dit elle-même que cette lutte serait la cible majeure de ses efforts. Nous continuons d’avoir des entretiens avec eux sur la meilleure façon de renforcer la sécurité et d’atteindre un objectif commun. » Le porte-parole de la Défense a ajouté qu’il n’y avait « pas de raison de douter qu’ils feraient exactement ce qu’ils ont dit qu’ils feraient. »

Dix jours plus tard, le 13 août, le ministre turc des Affaires étrangères, Mevult Çavusoğlu a indiqué que si la Turquie n’envisageait pas, pour le moment, d’envoyer des forces sur le sol syrien, cette option restait sur la table. » « Au moment où nous parlons, aucune opération au sol n’est envisagée, mais dans le futur, tout ce qui est nécessaire pour combattre l’État islamique – y compris des opérations au sol – devra être fait. C’est mon avis personnel. »a déclaré le ministre sur Haber TV. Çavusoğlu a par ailleurs confirmé les propos de John Kirby, assurant que leur objectif était de combattre Daesh et non le PYD : « Nous n’avons lancé aucune opération contre le PYD et il n’y en aura aucune dans le futur, mais cela ne signifie pas que nous sommes satisfaits du comportement du PYD. »

CULTURE : EXÉCUTION DE L’ARCHÉOLOGUE KHALED ASAAD

Le 18 août, l’État islamique exécutait par décapitation Khaled Asaad, l’ancien directeur des Antiquités de Palmyre. D’après l’Observatoire syrien des droits de l’homme, s’exprimant sur Radio-Canada, « des dizaines de personnes ont assisté à l’exécution. »Il aurait été arrêté trois semaines auparavant, et interrogé pour révéler la cachette de trésors archéologiques qu’il aurait caché pour les protéger du pillage. Selon Maamoun Abdoulkarim, le directeur des Antiquités et des musées de Syrie, il aurait été torturé, en compagnie de son fils Walid Assaad, dont le sort est inconnu. Parmi les cinq chefs d’accusation lus en public, figurait celui d’avoir été le « directeur d’idoles », de s’être rendu en Iran, et d’avoir assisté à des « conférences infidèles » c’est-à-dire des colloques internationaux où il représentait la Syrie.

Khaled Asaad était né à Palmyre en 1932. Il travaillait depuis plus de 50 ans à Palmyre. Nommé directeur des musées et antiquités de la ville en 1963, il avait pris sa retraite en 2003, mais continuait d’être actif sur le site et a toujours refusé de le quitter, même quand la guerre a éclaté. Il est l’auteur de plusieurs publications dans des revues internationales d’archéologie, et a participé à des missions internationales de fouilles dans le site, avec des équipes américaines, françaises, allemandes et suisses. Il est lui-même à l’origine de plusieurs découvertes sur le site, dont des cimetières antiques et un d’époque byzantine. En 2001, il trouve 700 pièces en argent aux effigies des rois sassanides Khosrow I et Khosrow II (VIIe siècle). En 2003, avec une équipe syrienne et polonaise, il met à jour une mosaïque du IIIe siècle, qui est, de son propre avis, « l'une des découvertes les plus précieuses de Palmyre ».

L’Associated Press a révélé que Khaled Asaad a joué un rôle central dans le sauvetage de « centaines de pièces et de statues du musée de Palmyre » évacuées ou cachées avant l’arrivée de Daesh. L'archéologue français Jean-Baptiste Yon, interviewé par Sciences et Avenir, a confirmé l’évacuation de la plupart des trésors du site : « Depuis les années 1930, beaucoup de découvertes archéologiques ont eu lieu à Palmyre. Aussi un important musée avait-il été érigé sur place. D’autre part, ces dernières années, plusieurs tombes comportant de très nombreuses sculptures avaient été mises au jour autour de la cité antique. Avec en particulier l’exhumation de magnifiques bustes funéraires. Outre les objets exposés dans le musée et ceux conservés dans les réserves, ce sont toutes ces œuvres qui ont été mises à l’abri. Des milliers d’objets et de sculptures de toutes tailles qu’il a fallu absolument sauver. Et cette évacuation s’est faite jusqu’aux dernières heures qui ont précédé la chute de la ville et l’arrivée de Daesh le 20 mai 2015. » Khaled Asaad était également un spécialiste de l’araméen, qu’il parlait couramment et dont il traduisait des textes.

Son assassinat a choqué et remué la communauté internationale des archéologues et des spécialistes de l’histoire syrienne. Irina Bokova, directrice générale de l'UNESCO  a déclaré qu’ils: « l'ont tué parce qu'il ne voulait pas trahir son engagement profond envers Palmyre. Son travail va vivre au-delà de la portée de ces extrémistes. Ils ont assassiné un grand homme, mais ils ne réduiront jamais l'Histoire au silence. »

Le 23 août, on annonçait la destruction du temple voué au dieu Baalshamin, une divinité phénicienne, construit au IIe siècle av. J.-C., agrandi par l'empereur romain Hadrien vers 130, et qui était devenu une église au Ve siècle. Sa destruction à l’explosif pourrait avoir eu lieu un mois auparavant, peu de temps après la prise de la ville par l’État islamique. Et le 30 août, c’est le grand temple de Baal, datant du Ier siècle qui a été détruit à son tour, destruction attestée par des images satellitaires. Mélange d’architecture orientale et greco-romaine, c’était le monument le plus célèbre de Palmyre, « considéré comme l’un des plus importants monuments religieux du Ier siècle en Orient par sa conception unique » d’après l’UNESCO, qui avait placé le site sur sa liste du Patrimoine mondial en 1980.