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Bulletin N° 356 | Novembre 2014

 

IRAK : ACCORDS ENTRE ERBIL ET BAGDAD SUR LE PÉTROLE ET LE BUDGET

Loin de la ralentir, les difficultés de la guerre et l’instabilité générale de la région ont poussé les Kurdes à aller plus avant sur la voie de l’indépendance économique et la vente de pétrole en provenance du Gouvernement kurde n’a cessé de progresser. Le 7 novembre, Ashti Hawrami, le ministre en charge des Ressources naturelles annonçait que les exportations atteignaient presque les 300 000 barils par jour vers le port de Ceyhan, en Turquie (plus exactement 280 000 barils fin octobre, de source officielle turque) et que début 2015, le gouvernement d’Erbil espérait franchir le cap des 500 000 barils, trois nouveaux champs pétrolifères devant être exploitables d’ici cette date.

 

Ashti Hawrami a assuré que les Kurdes n’avaient « aucun problème pour vendre ce pétrole », qu’il y avait même plus de demande que ce qu’ils pouvaient fournir. Entre 25 et 26 cargos avaient déjà quitté Ceyhan, et en novembre, le montant des ventes de pétrole s’élevait à 20 millions de barils. En janvier prochain, ce nombre devrait monter à 34 millions, pour un montant de trois milliards de dollars. Le ministre a par ailleurs confirmé que son pays avait déjà été payé pour ces ventes et qu’ils attendaient encore le prix de la vente de dix autres cargos. (Reuters)

 

L’argent du pétrole kurde n'est plus envoyé à Bagdad, mais déposé dans une banque turque, ce qui a incité le nouveau ministre des Affaires étrangères irakien, Ibrahim Al-Jaffari, alors en visite à Ankara, à demander à ce que ces sommes soient remises à l’Irak, en ajoutant qu’il savait que cet argent « se trouvait entre des mains sûres ». Mais le réchauffement des relations entre Bagdad et Ankara, très détériorées sous le gouvernement Maliki ne laisse pas prévoir un nouvel « ultimatum » de Bagdad, comme c’était d’usage sous l’ancien cabinet. Le message d’al Jaffari était plutôt d'assurer qu’il n’y a aucune crise entre la Turquie et l’Irak autour de la question du pétrole kurde, qui est essentiellement un litige « interne » entre Erbil et le gouvernement central irakien. 

 

Mais quelles que soient les « demandes » du gouvernement irakien, la Turquie n’est sans doute pas près de se passer des ressources du Kurdistan en obtempérant aux souhaits de Bagdad. Le 13 novembre, Genel Energy a ainsi signé un nouvel accord avec le GRK pour développer et exploiter deux énormes gisements gaziers qui pourraient fournir la Turquie en gaz au cours de l’hiver 2017-2018. Les ressources des champs Miram et Bina Bawi sont estimées à 11,4 trillions de pieds cube, et évalués à environ 2,6 milliards de dollars.

 

Dans le même temps, les négociations entre Erbil et Bagdad ont repris et le 5 novembre, à Erbil, à l’issue d’une rencontre avec le nouveau président de l’Irak, le Kurde Fouad Massoum, le président du Kurdistan Massoud Barzani a déclaré que leur objectif commun était de trouver « une solution aux problèmes actuels entre les gouvernements central et régional ».

 

Mais cette solution ne passera certainement pas par un pas en arrière des Kurdes dans leur route vers l’émancipation économique. Le 12 novembre, le gouvernement du Kurdistan a approuvé le projet de création d’une compagnie d’exploitation et de production pétrolière qui ne dépendra pas du gouvernement central, et dont les parts seront vendues à des actionnaires publiques, ainsi que la constitution d’un fonds souverain kurde, alimenté par toutes les recettes des énergies. Le projet de loi a été ratifié à l’issue du Conseil des Ministres par le Premier Ministre Nêçirvan Barzani afin qu’il soit approuvé au Parlement d’Erbil.

 

Les activités de la nouvelle société couvriront tous les secteurs du pétrole et du gaz, la signature des contrats, l’extraction, l’investissement, l’export et la commercialisation. Le Premier Ministre a aussi indiqué que « cette société peut devenir dans un certain temps une société d’actionnariat  dont tous les citoyens pourront acheter des parts. » 

 

Finalement, moins de dix jours après la rencontre Fouad Massoum - Massoud Barzani, le GRK annonçait qu’un accord avait été trouvé avec Bagdad et que le gouvernement central avait accepté d’envoyer à Erbil plus de 500 millions de dollars en échange de 150 000 barils de pétrole par jour, que le gouvernement kurde s’engage à fournir, selon son porte-parole Safeen Diyazi. L’accord a été conclu à Bagdad à la suite d’une rencontre entre le ministre irakien du Pétrole, Adel Abdel Mahdi, le Premier Ministre kurde Nêçirvan Barzani et son Vice-Premier Ministre Qubad Talabani. Il a été qualifié de « percée majeure » par le ministre irakien des Finances, Hoshyar Zebari, Kurde lui aussi, qui a indiqué que Bagdad allait recommencer de payer ses fonctionnaires kurdes.

 

Ce n’est certes pas le premier accord conclu entre les Kurdes et les Arabes dans ce long litige, tous n’ayant été que des compromis provisoires, et pour la plupart d’entre eux jamais appliqués. Celui-là n’a pas non plus statué sur le fond : l’Irak accepte-t-il ou non l’indépendance des Kurdes en matière de gestion et d’exploitation de leurs ressources en hydrocarbures ? Car il est certain que l’année 2014 a été une rude secousse économique pour Erbil, soudainement confronté au gel des salaires de ses fonctionnaires (en nombre pléthorique) par Bagdad, et puis à l’arrivée de centaines de milliers de réfugiés venant s’ajouter aux Kurdes syriens, et enfin aux assauts de l'État islamique alors que leurs Peshmergas ne recevaient plus aucune solde et étaient sous-armés. Laissé à lui-même à la fois par Bagdad et Ankara, qui ne s’est guère empressé de lui porter secours devant la menace des Daesh, le Kurdistan d’Irak ne cache pas sa volonté d’assurer le plus vite possible son autonomie financière, et de conforter son économie face à un climat politique et sécuritaire qui n’est certainement pas prêt d’être apaisé dans la région.

 

Pour Gareth Stanfield, un expert de l’Irak de l’université d’Exeter, cet accord a été obtenu provisoirement le besoin urgent s'en faisait sentir, à Bagdad comme à Erbil : « Les deux parties étaient dans des positions de grande faiblesse, et cette faiblesse commune leur a permis de trouver ce qui n’est qu’une solution palliative » (Reuters).

 

Les querelles ne sont en tout cas pas terminées et le 28 novembre, les ministres kurdes du gouvernement irakien ont menacé de boycotter le vote approuvant le budget 2015 si Bagdad ne levait pas le gel des paiements budgétaires dus à la Région kurde.

 

Après une première lecture du texte, il est apparu en effet que ce budget comprenait encore les sanctions financières à l’encontre du Kurdistan, prise par l'ancien Premier Ministre. Normalement, la constitution irakienne octroie 17% du budget total de l’Irak à la Région kurde, mais le gouvernement d’Erbil se plaint aussi de n’avoir jamais reçu plus de 11%, au temps où cette part était tout de même encore payée.

 

Autre litige en souffrance depuis des années : l’entretien et la solde des Peshmergas, que Bagdad a toujours laissé à la charge des Kurdes, ce que ces derniers ont aussi toujours dénoncé, les Peshmergas étant, dans la constitution irakienne, mentionnés comme une des forces de défense nationale irakienne. À l’heure où l’effort de guerre et le fardeau des réfugiés irakiens est principalement supportés par les Kurdes, ces demandes se font encore plus pressantes.

 

Finalement, un autre accord prévoit qu’Erbil livrera au port de Ceyhan 550 000 barils par jour à l’Irak, par le biais de la société d’État irakienne SOMO. En contrepartie, le Kurdistan doit recevoir à nouveau son budget initial mensuel, s’élevant à environ un milliard de dollars.

 

Il est à noter que sur ces 550 000 de barils par jour, 300 000 proviendront de Kirkouk et les 250 000 restant de la Région kurde dans ses frontières d’avant juin 2014. Si l’Irak n’a pas encore officiellement entériné le retour de Kirkouk au sein du GRK, Bagdad, privé du pétrole de Mossoul et de son oléoduc, n’a que celui de la Région kurde pour exporter le pétrole de Kirkouk vers Ceyhan.  D'où leur acceptation, bon gré mal gré, d'un état de fait né de la chute de Mossoul aux mains du Daesh. Quant aux Kurdes, l’amélioration de leurs finances va leur permettre de payer les sociétés pétrolières qui forent et exploitent le pétrole sur leur sol.

 

Autre gain significatif pour Erbil: le gouvernement fédéral allouera finalement une partie de son budget Défense aux Peshmergas, pour un montant d’un millard de dollars, selon le Premier Ministre Nêçirvan Barzani tandis que le cabinet d’Al-Abadi parlait plus vaguement d’un « pourcentage du budget de la Défense ».

 

ERBIL : ATTENTAT CONTRE LE GOUVERNORAT

Le 19 novembre la capitale du Kurdistan d’Irak a été frappée par un attentat au cœur de son quartier historique, à l’entrée du Gouvernorat, non loin de la Citadelle et du vieux bazar. Un peu avant midi, heure locale, une voiture suicide a en effet foncé sur l’entrée du gouvernorat, plus précisément sur le principal check-point qui protège l’accès au bâtiment. L’explosion a fait quatre morts, dont deux policiers, et 29 blessés.

Avant même que l’attaque ait été revendiquée, tout semblait désigner l’État islamique, ouvertement en guerre avec le Kurdistan comme avec le reste de l’Irak et de la Syrie. Auparavant, la dernière attaque dans Erbil avait eu lieu en septembre 2013, contre le quartier général des Asayish, faisant sept morts et soixante blessés.

L’identité du terroriste a fait l’objet d’une certaine confusion. D’après des témoins oculaires, le conducteur de la voiture suicide serait en fait une femme. Un des blessés, interrogé à l’hôpital par la télévision Rudaw a ainsi raconté qu’il avait vu une femme portant un foulard noir, se garer en Honda du mauvais côté de la rue, avant de se déplacer, « et l’explosion s’est produite ». Par ailleurs, une paire de chaussures féminines a été trouvé dans ce qu’il reste du véhicule. Mais en revendiquant l’attentat, l’État islamique a donné le nom du terroriste, qui serait Abdul Rahman Al Kurdi, mais le fait d’insister sur une identité kurde (vraie ou fausse) n’est peut-être qu’une facette de la guerre psychologique. Comme les hommes seuls sont systématiquement refoulés aux frontières du GRK, et sont plus enclins à être surveillés dans leurs déplacements et aux check-point, beaucoup de terroristes s’habillent en femme, d’autant que les longs foulards noirs des Irakiennes cachent commodément leur identité.

Tahir Abdullah, le gouverneur d’Erbil, a déclaré, dans une conférence de presse, que la voiture a tenté de pénétrer dans l’immeuble du gouvernorat mais a été stoppé par les tirs de la sécurité. Trois gardes et un civils ont ainsi perdu la vie, et huit autres policiers ont été blessés. Le cas d’une des victimes a plus particulièrement ému l’opinion publique : Sofi Ahmed, qui a été tué en tirant sur le véhicule pour le stopper, venait tout juste de perdre un frère, mort au front alors qu’il se battait contre l’État islamique. Il laisse une veuve et quatre enfants en bas âge.

Cet attentat remet sur le tapis la difficile question de la sécurité intérieure du Kurdistan, alors que des centaines de milliers de réfugiés venus d’Irak ont fui l’État islamique. Dès le début, les Asayish et toutes les forces de sécurité ont souligné le danger des infiltrations de la part de Daesh qui n’hésite pas à recruter des femmes pour leurs missions de la mort, ainsi que des enfants. L’opinion publique kurde semble de plus en plus hostile à un accueil indifférencié des populations affluant de Mossoul ou des autres provinces arabes sunnites, alors que la question d’ouvrir les frontières aux chrétiens ne se pose pas.

Immédiatement après l’attentat, les mesures de sécurité ont été renforcées ainsi que les contrôles aux check-point. Les Arabes irakiens se rendant dans la région kurde se plaignent ainsi de devoir attendre des heures avant de passer la frontière, et même en circulant à l’intérieur du Kurdistan. Jusqu’ici tout citoyen irakien arabe devait, pour être admis à entrer au Kurdistan, présenter un « garant kurde » qui répondait pour lui. Mais d’autres mesures pus contraignantes sont prévues, comme l’a dévoilé au journal Niqash un responsable de la sécurité, sans les détailler. Des rumeurs avaient couru, parmi la population, que les Asayish avaient demandé à tout citoyen kurde de surveiller et même contrôler l’identité de « suspects » arabes, mais cela a été rapidement et officiellement démenti par les responsables kurdes, qui ont publié une déclaration à ce sujet, précisant que si tous les habitants devaient être vigilants et rapporter à la police quoi que ce soit de suspect, le contrôle des identités et des arrestations n’incombait qu’aux forces de l’ordre, et que quiconque usurperait ces fonctions serait lui-même arrêté : « Les familles arabes vivant à Erbil ont rempli toutes les conditions des forces de sécurité pour leur entrée et leur identité a été vérifiée. Les actions menées seront dirigées uniquement contre toute personne se trouvant ici illégalement ou qui a des liens avec une organisation terroriste. »

De façon générale, la classe politique kurde condamne toute stigmatisation des Arabes vivant au Kurdistan mais soutient le besoin de mesures de sécurité et de contrôle plus strictes. Le gouvernement kurde a, par ailleurs, depuis l’été dernier, interdit toute manifestation sur son sol dirigée contre les résidents arabes ou celles demandant l’expulsion de réfugiés.

SYRIE : LA POPULATION DE KOBANÎ VICTIME DE L’ÉTAT ISLAMIQUE ET DES MINES TURQUES

L’organisation internationale Human Rights Watch a publié en novembre un rapport faisant état des tortures et de multiples actes de maltraitance subis par les enfants captifs de l’État islamique, dont 153 jeunes Kurdes, de sexe masculin, âgés de 14 à 16 ans. En mai 2014, c’est en effet environ 250 élèves kurdes qui ont été enlevés sur la route qui les menait de Kobanî à leur domicile. Ils venaient de passer, le 29 mai, leurs examens de fin d'année à Alep. L’Etat islamique, qui n’avait pas encore lancé sa politique d’esclavage et de mariage forcé à grande échelle, a relâché toutes les filles, une centaine, mais gardé les 153 garçons, qui ont été emmenés à Manbidj et détenus dans une école. Depuis, environ cinquante d’entre eux ont pu s’échapper ou ont été échangés contre des prisonniers djihadistes détenus par les Kurdes des YPG. Le 29 octobre dernier, le PYD a annoncé que 25 jeunes prisonniers étaient également relâchés et rendus aux YPG, qui leur ont fait passer la frontière en Turquie, le canton de Kobanî ayant été depuis conquis par le Daesh et la majeure partie de la population kurde s’étant réfugiée près de Suruç.

Quatre des enfants rescapés ont été interrogés par Human Rights Watch et racontent avoir été battus, parfois dans des pneus, de façon répétée avec des cables électriques, ou des tuyaux, sur les mains et la voute plantaire, ainsi qu’avoir été contraints à regarder des vidéos de l’EI montrant des attaques et des décapitations. Les enfants doivent aussi assister à des cours d’instruction religieuse et doivent prier cinq fois par jour. Un des enfants qui, au moment de sa capture, avait, dans son trouble, appelé sa mère à voix haute, a été suspendu par les bras attachés en arrière et un pied, en punition, car « il ne doit faire appel qu’à Dieu ». Tous ceux qui tentent de s’échapper sont sévèrement battus. Les enfants qui ont un parent dans les forces YPG sont plus que les autres soumis à de mauvais traitements, comme l’explique un des enfants, âgés de 15 ans : « C’est vraiment ceux dont les familles sont proches des YPG qui souffraient le plus. Ils [EI] leur ont dit de leur donner les adresses de leur famille, cousins, oncles, en disant : « Quand nous irons à Kobanî, nous les prendrons et nous les décapiterons. Ils voient les YPG comme des kafirs (incroyants). »

Les enfants ont été séparés en huit groupes, chaque groupe dormant dans une des salles de classe de l’école. Ils ont reçu trois couvertures, dont deux pour servir de matelas à même le sol. Les gardiens les autorisent à prendre un bain une fois par quinzaine. Ils sont nourris deux fois par jour, mais n’ont plus le droit de jouer à l’extérieur depuis que certains se sont évadés. Ils peuvent recevoir des visites occasionnelles de leurs parents, ou des appels téléphoniques, mais il leur a été interdit de parler en kurde. D’après ce que les enfants ont pu constater, leurs gardiens sont un mélange d’Arabes syriens, ou venus de Jordanie, de Lybie, de Tunisie et d’Arabie saoudite.

Les Syriens sont les plus brutaux,tout particulièrement un Alépin nommé Abu Shahid. « Ils nous faisaient apprendre des versets du Coran et battaient ceux qui n’arrivaient pas à les retenir. Quand des garçons s’évadaient, nous étions encore plus battus et recevions moins de nourriture. » Les quatre garçons interrogés ont dit n’avoir pas eu d’explications sur le fait d’avoir été relâchés, à part qu’ils avaient terminé « leur instruction religieuse ». « Ils nous ont donné 150 livres syriennes (1 dollar US), un DVD avec du matériel religieux, et nous ont laissés partir. »

Depuis cet enlèvement en mai, d’autres otages sont tombés aux mains de l’EI, quand ses troupes ont pris les villages de Kobanî. C’est ainsi que d’autres personnes, enfants et adultes, des deux sexes, sont aussi détenus, dans le but apparent de servir de monnaie d’échange contre des prisonniers. Une jeune femme, ainsi relâchée, fait état aussi d’interrogatoires violents contre les captifs ayant des liens familiaux avec des YPG.

Mais quand ils ne tombent pas aux mains de l’État islamique, les Kurdes de Kobanî meurent aussi à la frontière, victimes des champs de mines qui la jalonnent depuis des décennies. Human Rights Watch a donc demandé à la Turquie de reloger immédiatement quelques 2000 réfugiés en des zones plus sûres et de procéder au déminage de ses frontières, en commençant par les zones les plus susceptibles d’être franchies par des réfugiés. Des images satellites prises à partir de 1968 montrent l’étendue de la ceinture de mines mise en place par la Turquie dès les années 1950, sur sa frontière syrienne. De source officielle turque, entre 1957 et 1998, 615 419 mines anti-personnelles ont été ainsi posées, pour « empêcher les franchissements illégaux ». Or près de 2000 réfugiés civils sont cantonnés dans une des zones minées du no man’s land, le corridor de Tell Shair, au nord-ouest de Kobanî. Parce que la Turquie refuse l’entrée des véhicules et du bétail, et que cette population refuse de laisser sur place ses biens, elle reste ainsi dans au milieu de ce champs de mine. Une autre zone, celle qui s’étend à moins de 9 kilomètres des villages de Mertismail et Çanakcı est aussi occupée par une centaine de Syriens.

Entre le 15 septembre et le 15 novembre, 70 explosions de mines se sont produites à Tell Shair, d’après les travailleurs humanitaires sur place, interrogés par HRW. Au moins six de ces explosions ont fait des victimes parmi les civils, dont un garçon de dix ans, tandis que sept autres enfants ont été blessés. Dans les autres cas, c’est surtout le bétail qui est à l’origine des explosions. Des réfugiés essaient aussi de déminer eux-mêmes le terrain et ont, d’après un témoignage, apporté aux soldats turcs six mines non déclenchées. Ces mines sont surtout dangereuses pour les piétons, celles qui ont explosé sous des voitures n’ont fait que des dégâts matériels. Une femme kurde, ayant perdu un pied après avoir marché sur une mine alors qu’elle fuyait la Syrie, a indiqué aux ONG qu’aucun signe n’avertit la population de la présence de mines dans ces endroits.

En plus des mines anti-personnelles, des tirs de mortier frappent quelquefois les réfugiés dans ces zones frontalières, tirs venant de l’État islamique. Une attaque, le 8 novembre, a tué ainsi trois personnes, dont un enfant, et blessé 15 autres. HRW a pu établir la liste des civils victimes des mines entre le 19 septembre et le 24 septembre, dans six explosions, toutes à Tell Shair :

–le 19 ou le 20 septembre, une femme âgée de 35 ans et sa fille de 7, ont été blessées

– le 21 septembre, deux frères âgés de 10 à 11 ans ont été blessés

– le 24 septembre, un garçon de dix ans, du village de Khaniq a été tué et deux autres enfants du même village, âgés de 12 et 13 ans ont été blessés sérieusement au visage.

– le 24 septembre, deux adolescents de 15 et 20 ans ont été décapités par l’explosion

– le 24 septembre, une fillette de cinq ans et son frère de 6 ans ont été blessés.

Les ONG locales ont indiqué que 9 autres personnes avaient été blessées dans ces 6 explosions mais HRW n’a pu recueillir de détails précis à leur sujet.

Signataire du traité d’interdiction des mines anti-personnelles, la Turquie a entrepris de déminer 911 kilomètres de frontière, depuis 2009, mais a demandé une extension de délai jusqu’en 2022, alors qu’elle s’était d’abord engagée à achever ce programme de destruction le 1er mars 2014. De son côté, la Syrie a, depuis 2011, procédé au minage de ses frontières avec des mines anti-personnelles russes et comme Israël et le Liban, elle n’est pas signataire du traité d’interdiction, au contraire de l’Irak et de la Jordanie.

PARUTION : LE KURDISTAN IRAKIEN : DE LA TRIBU À LA DÉMOCRATIE

Le 20 novembre est paru, aux éditions Glyphes, un ouvrage d’histoire politique intitulé « Le Kurdistan irakien : De la tribu à la démocratie » et présenté comme suit :

« Le Kurdistan irakien, région fédérale de l’Irak, est issu d’une organisation tribale qui a évolué vers la démocratie ». L’auteur, s’appuyant sur une analyse historique et sur de nombreux entretiens, étudie l’impact de cette évolution sur la situation géopolitique du Kurdistan irakien. Il examine les transformations qui ont mené à une gouvernance régionale en 1992 et à un fort lien entre social et politique, société et État, tribu et gouvernement, tribu et partis politiques et enfin gouvernement et partis politiques. Ainsi, Ali Dolamari fait le portrait de l’identité kurde. Il en rappelle le fait religieux et tribal et expose la genèse du mouvement national kurde. L’émergence d’un Gouvernement Régional du Kurdistan (GRK, en anglais KRG) a offert de nouvelles perspectives géopolitiques au Kurdistan irakien après la chute de Saddam Hussein en 2003. La région connaît un fort développement économique, social et politique, mais reste dépendante du gouvernement central dans certains secteurs stratégiques, comme la gestion des ressources, l’avenir des territoires kurdes hors Kurdistan et le statut des Peshmergas. »

L’auteur, Ali Dolamari, originaire du Kurdistan irakien, est un militant de longue date de la cause kurde. Il a soutenu en 2012 une thèse de géopolitique à l'Université Paris-Sorbonne -Paris IV. Il est aujourd’hui expert au département des relations internationales du Gouvernement Régional du Kurdistan et au bureau de la représentation kurde en France.