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Bulletin N° 340 | Juillet 2013

 

KURDISTAN D’IRAK : LES ÉLECTIONS PRÉSIDENTIELLES REPORTÉEES

Mettant un terme au débat autour d’une éventuelle réelection ou rallongement de son mandat présidentiel, le président du Gouvernement régional du Kurdistan a tranché en annonçant le report des élections présidentielles, tandis que les élections législatives se dérouleraient comme prévu en septembre 2013. L’opposition n’a évidemment pas manqué de dénoncer ce retard comme « illégal » et anti-démocratique, comme l’a ainsi qualifié Mohammed Tofiq, à la tête du bureau des relations publiques du parti Gorran, d’autres éditorialistes proches de ce parti parlant même de « coup d’État ».

De son côté, l’Union patriotique du Kurdistan qui partage depuis plusieurs années le gouvernement de la Région mais a décidé, cette année, de ne plus faire liste commune avec le PDK, a préféré cette solution à celled’un référendum sur la nouvelle constitution, considérant que cette dernière option pouvait mettre en danger la paix sociale, comme l’a déclaré Arslan Bayiz président du Parlement du Kurdistan et membre de l’UPK. S’exprimant publiquement dans un discours adressé aux « citoyens du Kurdistan », Massoud Barzani a indiqué que les raisons de sa décision tenaient au souci de ne pas laisser le Kurdistan d’irak dans un « vide constitutionnel », tout en réitérant qu’il ne souhaitait pas se porter candidat à la prochaine élection présidentielle.

Voici la teneur de cet important discours de Massoud Barzani, prononcé le 16 juillet 2013

« Cher peuple du Kurdistan, Entités politiques et organisations de la société civile, La décision la plus heureuse de ma vie fut quand, à l’âge de 16 ans, je suis devenu peshmerga pour la liberté et les droits nationaux et démocratiques du peuple du Kurdistan. Être peshmerga a été la plus grande source de fierté dans ma vie. J’ai exercé, depuis, plusieurs responsabilités. J’ai, en luttant, servi les intérêts de mon peuple avec les valeurs et l’âme d’un peshmerga. Je suis également fier d’avoir demandé au Front du Kurdistan, au début du soulèvement de notre peuple au printemps 1991, de tenir des élections libres, afin de permettre au peuple du Kurdistan de choisir son propre destin.

Tout ceci a résulté des buts que je me suis fixé durant mon combat en tant que peshmerga, à l’époque de la révolution dans les montagnes. C’était aussi un devoir national d’appliquer les principes de la démocratie et d’instaurer un système politique et administratif démocratique. Depuis, le peuple du Kurdistan, ainsi que toutes les parties loyales de la Région ont démarré le processus démocratique. Aujourd’hui, avec l’aide de Dieu, le soutien des loyalistes, la lutte et l’endurance de notre peuple, nous assistons à des améliorations significatives dans tous les aspects de la vie du peuple du Kurdistan.

C’est pourquoi, aujourd’hui, le Kurdistan jouit d’une bonne réputation en termes de politique, de sécurité et de coexistence. La Région du Kurdistan a connu de longs débats sur la nature et le concept de son système politique et de son projet de constitution. Afin de fournir un autre exemple d’adhésion au processus démocratique et à la loi, j’ai écrit à la Haute Commission électorale en lui demandant d’organiser des élections législatives et présidentielles en septembre de cette année. C’était là un accomplissement clair de mes obligations. La date de ces élections a été fixée au 21 septembre 2013. Cependant, avant et après cela, il y a eu des divergences d’opinion au sujet du mécanisme des élections présidentielles au Kurdistan. Ces divergences portaient sur la question de savoir si le président doit être élu directement par le peuple, au regard de la Loi nº 1 sur la présidence de la Région du Kurdistan, adoptée en 2005, et dans le projet de la constitution, ou si le président doit être élu par le Parlement, selon l’avis de plusieurs partis politiques. Cela a généré des discussions entre les partis politiques, ainsi qu’autour du projet de constitution, qui ont malheureusement amené certaines parties à des actes agressifs au cours du processus politique, et a abouti finalement à une crise.

Par ailleurs, j’ai écrit une seconde lettre, le 25 mai 2013, appelant tous les partis politiques du Kurdistan à faire part de leurs observations sur le projet de constitution. Après avoir reçu leurs réponses, j’ai demandé au Parlement de rencontrer tous les bords du monde politique et de la société du Kurdistan afin de parvenir à un consensus.

De cette façon, je souhaitais une meilleure plate-forme pour un travail commun et montrer à notre peuple et aux peuples en dehors du Kurdistan un autre exemple de processus démocratique au Kurdistan. De plus, j’ai cherché à faciliter un consensus parmi les courants politiques et d’autres éléments de la communauté du Kurdistan, pour leur permettre de faire valoir leurs remarques et arguments.

Que les différents partis envoient leurs remarques avait pour but de trouver un consensus général, au sein du parlement et au delà. Les vues de chacun auraient établi une meilleure feuille de toute et une plate-forme plus adéquate pour le projet de constitution et les élections. Par ailleurs, j’ai tenu à informer avec sincérité le peuple du Kurdistan que je n’avais personnellement aucune intention de me faire réélire, que je respecte toutes les lois et que je confierai la présidence de la Région du Kurdistan à celui qui serait élu par la suite.

Malheureusement, l’opposition n’a pas soutenu le processus, tout comme elle a empêché les autres parties de participer aux rencontres organisées par la présidence du parlement et ainsi elle a fait échouer ces efforts et le processus.

Ici, je voudrais souligner vraiment que « consensus » ne veut pas dire « parvenir à un accord » entre le parti démocratique du Kurdistan et l’Union patriotique du Kurdistan et les trois partis d’opposition. Un consensus a besoin de tous ces partis et d’autres partis et éléments du Kurdistan. Avant cela, ce projet de constitution a résulté de débats entre 36 partis politiques et groupes ethniques, de sorte qu’aujourd’hui nous ne devons pas les marginaliser, le Kurdistan ne doit inclure seulement ces 5 composantes citées.

Ici encore, je demande à tous les partis de prendre des mesures sur la question de la constitution et je leur apporte mon soutien total. Empêchons une crise politique afin de ne pas troubler la paix dont jouit notre peuple. Utilisons toutes nos forces et nos moyens pour saisir toutes les occasions dans la région disponibles pour notre peuple et notre nation. Je ferai tous les efforts pour mettre en place une nouvelle plate-forme afin de parvenir à un consensus.

Le peuple du Kurdistan et les partis politiques ont vu que j’ai déjà fourni des efforts considérables pour atteindre un consensus au sujet du projet de constitution avant son approbation en 2009 et comme il a obtenu l’accord de tous les partis du Kurdistan.

J’ai insisté sur le fait que toutes les ethnies et les groupes religigieux devaient trouver leur place dans cette constitution et c’est ce qui s’est produit. Ensuite le parlement a approuvé le projet de constitution. Là encore, j’ai voulu mettre en place une plate-forme pour un consensus par-delà toutes les différences au sein des partis politiques.

Malheureusement, le comportement de l’opposition, durant ces quatre dernières années, a amené un grand nombre de gens à conclure que l’opposition ne peut se satisfaire de quoi que ce soit et que, dans sa perspective, « consensus » signifie imposer ses vues aux autres, ce qui est en contradiction avec les normes politiques et la démocratie. Les trois partis d’opposition devraient savoir qu’en plus du PDK et de l’UPK, il y a d’autres composantes au Kurdistan qui ont connu des temps difficiles et que ces parties se sont sacrifiées pour défendre l’existence de notre peuple et le nom du Kurdistan. En outre, aujourd’hui, nous pouvons voir beaucoup d’autres partis légaux qui ont leur mot à dire sur l’évolution du Kurdistan.

Les trois partis d’opposition ne peuvent en aucun cas se permettre d’empêcher les autres d’exprimer leur point de vue devant les plus hautes institutions du Kurdistan, ni d’humilier ces partis d’aucune façon, dans leurs discours, car c’est totalement anti-démocratique. Aussi je demande à tous les collègues de l’opposition d’agir sur la base de l’acceptation des autres.

Cher et vaillant peuple du Kurdistan, Le 30 juin 2013, le Parlement du Kurdistan, par l’adoption de deux lois, a prolongé les mandats du parlement et de la présidence, ce qui induit un report de l’élection présidentielle. Ici je voudrais redire que je n’ai jamais été intéressé pour assumer une fonction quelconque. Aujourd’hui je n’ai pas l’intention d’échanger lhistoire de ma lutte pour la liberté du Kurdistan contre quoi que ce soit d’autre. Il vaut mieux se faire connaître pour son combat et ses sacrifices pour son peuple, sa nation ou l’humanité que pour des rangs, des positions ou des titres. J’ai signé la loi prolongeant le terme du Parlement afin d’empêcher tout vide juridique et constitutionnel qui pourrait survenir dans la Région du Kurdistan.

Le mandat de la présidence de la Région du Kurdistan a été prolongé par le parlement du Kurdistan. L’Alliance du Kurdistan (PDK et UPK) ainsi que d’autres groupes de partis, d’ethnies et d’indépendants ont voté pour cette loi, sauf l’opposition.

Maintenant, je me trouve avec la responsabilité qui résulte de l’alliance entre le PDK et l’UPK ainsi qu’avec un certain nombre de partis et de groupes ethniques au sein du Parlement du Kurdistan qui a décidé de prolonger le mandat présidentuel de deux ans supplémentaire, décision qui fut prise sans aucune intervention directe de ma part… De surcroit, j’ai l’obligation morale de ces responsabilités et devoirs de par la longue coopération avec mon cher frère Mam Jalal et ce qui est la continuation et le renforcement de notre alliance. J’espère sincèrement que Mam Jalal recouvrera rapidement la santé et qu’il reviendra vite chez lui où tout se stabilisera. Je suis pleinement conscient des obligations nées de l’alliance entre le PDK et l’UPK. Cette alliance a réellement amené une stabilité et un développement considérables au Kurdistan. Dans le même temps, cette alliance a rendu les Kurdes plus actifs dans les changements survenus entre la Région et l’Irak. Comme Mam Jalal n’est pas présent au Kurdistan, aujourd’hui, en raison de ses problèmes de santé, je sens que je dois aussi assumer ses responsabilités afin de maintenir et renforcer notre alliance, comme un symbole de loyauté envers des années de travail commun et de lutte pour notre peuple et notre pays.

Par ailleurs, prenant en compte l’appréhension des composantes ethniques et religieuses au Kurdistan devant une agravation de la crise politique, et pour préserver la stabilité au Kurdistan irakien, ainsi que celle des autres parties du Kurdistan, et après consultation de la plupart des pouvoirs politiques et des partis du Kurdistan concernant la prolongation du mandat présidentiel, j’ai décidé de ne pas rejeter cette loi. Toutefois, cela ne veut pas dire que j’approuve la forme légale et le contenu de ce prolognement de mandat présidentiel et c’est pourquoi je ne l’ai pas signé. Afin de respecter les votes de la majorité du Parlement du Kurdistan et ne causer aucun désagrément à cette majorité, j’annonce à mon peuple bien aimé que je resterai temporairement en fonction et remplirai mes devoirs jusqu’à ce que la 4ème législature débute et parvienne à un consensus.

À ce moment, je demanderai à la présidence de la 4ème législature, à la lumière de la lettre que j’ai adressée à l‘actuelle présidence parlementaire, le 12 juin 2013, de poursuivre les mécanismes pour amender le projet de constitution et des élections présidentielles, immédiatement après les élections du 21 septembre 2013. Un nouveau président de la Région du Kurdistan sera élu et ainsi nous remettrons notre confiance à celui qui a gagné la confiance du peuple du Kurdistan. Le vice président Kak Kosrat Rassoul et moi-même fournirons tout le soutien pour la future présidence du Parlement. Tous ensemble, nous devons montrer un grand exemple de démocratie. Personne ne doit rester au pouvoir pour toujours et nous ne permettrons jamais cette idée d’un président éternel.

Je crois fermement que chaque fois que quelqu’un quitte une fonction, les gens doivent se demander pourquoi il ou elle est parti, plutôt que de se demander pourquoi ils ne sont pas partis.

Cher peuple du Kurdistan… Je vous assure que vous seuls pouvez décider de votre sort et que perosnne ne peut vous retirer ce droit. Vive le Kurdistan…

Gloire et immortalité aux martyes qui ont sacrifié leurs vies pour libérer le Kurdistan,

Massoud Barzani Président de la Région du Kurdistan 16 juillet 2013

SYRIE : VIOLENTS COMBATS ENTRE DES DJIHADISRES ET LES FORCES DU PYD

Les combats entre les djihadistes et les combattants kurdes syriens du parti de l’unité démocratique (PYD) se sont durcis cet été, notamment dans les zones de peuplement mixte, comme Serê Kaniyê, où Jabhat al Nusra a investi les quartiers arabes, les quartiers kurdes étant tenus et défendus par le PYD. Les nouvelles de guerre émanant souvent soit de l’Armée syrienne de libération (ASL) ou des islamistes, soit de communiqués du PYD, il est difficile d’avoir des renseignements neutres et fiables sur les pertes de part et d’autres ou sur l’identité des groupes que combattent les YPG, parfois désignés comme Jabhat Al Nusra ou ISIS, parfois simplement comme bataillons de l’ASL, sans que l’on puisse savoir réellement leur affilitaiton à cette nébuleuse armée, de plus en plus éclatée sur le terrain.

Le 17 juillet, les Kurdes annonçaient avoir chassé les islamistes de Serê Kaniyê, repoussés le long de la frontière turque. L’Observatoire syrien des droits de l’homme (OSDH) estimait que les combats pouvaient avoir fait au moins 29 victimes, 19 morts pour Jabhat al Nusra, 10 morts parmi les YPG. Mais l’expulsion des djihadistes de Serê Kaniyê n’a pas mis fin au combat, des représailles de la part des islamistes affectant les environs de la ville, que ce soit dans des villages kurdes ou des check-points. Les combats se sont même intensifiés et la capture d’un chef de guerre d’ISIS a amené un « échange » de prisonniers entre cet « Abu Musab » (de nationalité inconnue) et trois cents civils kurdes de la ville de Tell Abyad, retenus en otage par ISIS qui les aurait menacés d’exécution si leur chef n’était pas libéré.

Le 23 juillet, l’OSDH a estimé le nombre des victimes djihadistes à environ 70 et a tiré la sonnette d’alarme sur le caractère de conflit «ethnique» kurdo-arabe que commençait à prendre la rivalité militaire entre milices islamites et YPG.

Alors que les combats faisaient rage, Salih Muslim, le leader du PYD, a annoncé publiquement l’intention de son parti de créer un « gouvernement autonome provisoire » pour les régions kurdes, à l’instar de la zone autonome fondée au Kurdistan d’Irak après 1991, jusqu’à la chute de Saddam Hussein en 2003. Salih Muslim a insisté sur le caractère « intérimaire » de cette disposition, niant avoir un plan secret pour une future déclaration d’indépendance. Il a également affirmé avoir discuté de ce gouvernement avec l’UPK et le PDK, les deux partis qui dirigent le Kurdistan d’Irak, ainsi qu’avec le PKK, lui-même engagé dans des négociations avec la Turquie. Selon Salih Muslim, ses interlocuteurs soutiennent ce projet, même s’ils n’ont fait aucune déclaration formelle. Il était en tout cas prévisible que la Turquie, elle, réagisse, et le 27 juillet, le Premier Ministre Recept Tayyip Erdogan a lancé un avertissement contre les « actions dangereuses » du PYD, à l’issue d’une rencontre à Istanbul entre Salih Muslim et les services secrets turcs (MIT).

Dans un entretien avec le journal Radikal, le ministre des Affaires étrangères turc, Ahmet Davatoglu, a résumé en trois points la position de la Turquie : « Nous attendons principalement trois choses des Kurdes de Syrie : d’abord qu’ils ne coopèrent pas avec le régime [du Baath]. Quand cela arrive, les tensions montent entre Kurdes et Arabes. Deuxièmement, ne pas établir une entité de facto basée sur une ligne sectaire et ethnique sans consulter les autres groupes. Si une telle entité est établie, alors tous les groupes voudront faire de même et une guerre sera inévitable. La troisième « attente » de la Turquie est que les Kurdes ne soient pas impliqués dans des activités « mettant en danger la sécurité frontalière de la Turquie ». Au sujet des groupes islamistes, et notamment Jabhat al Nusra, Ahmet Davatoglu parle de « trahison de la révolution syrienne », peut-être parce que la Turquie a décidé de prendre ses distances avec les éléments les les moins populaires et les plus contestés de la révolution syrienne, alors que le PYD l’accuse depuis longtemps de soutenir ces bataillons contre les combattants kurdes. « Je pense que leur comportement est une trahison de la révolution syrienne, mais nous avons toujours soutenu l’opposition syrienne légitime et nous continuerons. »

Le compte-rendu fait par Salih Muslim de sa rencontre, qu’il juge «positive» avec les services turcs, dans le journal Milliyet, contraste, par son optimisme, avec l’avertissement de Recep Tayyip Erdogan. Non seulement la Turquie lui aurait promis une aide humanitaire dans les régions kurdes, mais il affirme que ce pays aurait « changé d’attitude » à l’égard du PYD, en avançant pour preuve sa présence même à Istanbul.

Le 30 juillet, l’assassinat d’un homme politique kurde syrien, tué par une voiture piégée qui a explosé devant chez lui, à Qamishlo, a suscité diverses accusations et hypothèses. Isa Husso était membre du Conseil suprême kurde, une organisation qui regroupe des partis proches du PYD, ce qui pourrait faire privilégier l’hypothèse islamiste, comme le laisse entendre un communiqué des YPG, daté du même jour, appelant tous les Kurdes à prendre les armes contre les Jihadistes.

TURQUIE : LE PKK MENACE DE METTRE FIN AUX NÉGOCIATIONS

Le plan de paix annoncé conjointement par Abdullah Öcalan et le gouvernement turc ne semble guère se traduire par des pas concrets sur le terrain. Les procédures judiciaires à l’encontre des Kurdes soupçonnés d’appartenance au KCK se poursuivent et le 9 juillet, 13 responsables pollitiques, la plupart membre du parti BDP, ont été ainsi condamnés chacun à 6 ans et 3 mois de prison par la 9ème Haute Cour criminelle de Diyarbakir.

Du côté de la guerilla, le remplacement de Murat Karayilan à la tête du PKK par Cemil Bayi et une alter-ego féminine, Bese Hozat, suivant la nouvelle règle de parité, a été vu par beaucoup d’analystes politiques comme le choix d’un dirigeant qui serait plus, plus « faucon » que « colombe », peut-être parce que, dans la période qui a suivi immédiatmeent l’arrestation d’Öcalan, il menait le courant qui était d’avis de poursuivre la lutte armée, en dépit des appels à la reddition du chef du PKK. Par la suite, le conseil intérimaire de la présidence s’était rallié à la ligne politique d’Öcalan. Quelques rivalités internes avaient le commandement du PKK, finissant par la fuite d’Osman Öcalan et une certaine mise en retrait politique de Cemil Bayik, au profit de Murat Karayilan.

Aucune explication tangible n’a pu être avancée concernant ce changement de leadership, Murat Karayilan restant à la tête de l’aile militaire, mais il a été naturellement mis en relation avec le processus de paix lancé en mars dernier, sans que l’on puisse affirmer s’il s’agit ou non d’une prise de distance avec la politique d’Öcalan, ou bien d’un avertissement adressé à la Turquie, accusée de ne pas respecter ses propres engagements dans ce processus.

Le communiqué annonçant l’élection du nouveau conseil a, en tout cas, déclaré vouloir « poursuivre les efforts de paix » et a appelé « chacun à prendre part au combat démocratique de sorte que tous puissent vivre ensemble fraternellement sur la base d’une résolution de la question kurde et de la démocratisaiton de la Turquie », ce qui reprend peu ou prou les résolutions précédentes se ralliant à l’appel d’Öcalan. Mais le 20 juillet, le ton se durcissait et le PKK adressait un « dernier avertissement » à la Turquie, la sommant de prendre des « mesures concrètes » pour faire avancer le processus de paix, sous peine d’être « tenue responsable » de son gel.

Sept jours plus tard, le propre leader du PKK, Abdullah Öcalan, faisait une déclaration reprise dans la presse, où il estimait que le processus de paix se poursuivait avec tout le sérieux possible, mais qu’Ankara devait faire des gestes concrets avant la réouverture du parlement en octobre prochain. 


Entretemps, le 24 juillet, une interview au journal allemand Deutsche Welle de Sabri Ok, un des dirigeants de l’exécuif du KCK, l’organisation au sein de laquelle le gouvernement turc s’est livré à des arrestations et des procès de masse pour liens organiques avec le PKK, donnait le sentiment général de son mouvement entre réserve et déception. Selon Sabri Ok, la Turquie n’a donné, jusqu’ici, « aucun signe de bonne volonté » dans ce processus qui doit se faire en trois étapes, dont la première a été le cessez-le-feu et le début de retrait de la guerilla, que Sabri Ok présente comme effectif. Par contre, c’est dans la deuxième étape qu’aucune avancée n’a été faite, malgré la mise en place, assez précoce, d’un « conseil des sages » ; les demandes du PKK concernant ce chapitre sont « à court terme», la libération des prisonniers politiques malades et incarcérés, qui serait vue comme «un acte d’humanité» ; à long terme, la libération d’Öcalan, le droit à l’éducation des Kurdes dans leur langue maternelle, la reconnaissance constitutionnelle du peuple kurde et la levée du seuil électoral des 10% de voix qui permettrait au BDP de siéger en tant que tel au Parlement et non via des députés élus en indépendants. Au contraire, selon Sami Ok, la Turquie n’a entamé aucune de ses réformes et a profité du retrait de combattants de son sol pour renforcer sa présence militaire dans les régions kurdes et poursuivre son programme de construction de barrages contestés, notamment celui d’Ilisu.

Quant au retrait de la guerilla il est présenté comme progressif et ardu en raison de la surveillance constante des drones et de la longueur du chemin pour certains bataillons, Ainsi, un des groupes qui a quitté la Turquie, venant de la région de Dersim, a mis 56 jours à gagner la frontière. Quant aux rumeurs faisant état d’un transfert de bataillons de Turquie pour renforcer ceux des YPG au Kurdistan de Syrie, Sabri Ok les qualifie de « spéculations ». Mais alors que Sabri Ok indiquait que, d’après Abdullah Öcalan, si, à la date du 15 octobre aucun pas pas n’a été fait par la Turquie, le cessez-le-feu prenait fin de facto, le 31 juillet, c’est la date du 1er septembre que Cemil Bayik a posé comme ultimatum, semblant confirmer la ligne de durcissement politique de la part de l’aile armée du PKK.

IRAN : RÉPRESSION ACCRUE CONTRE LES VILLAGES KURDES FRONTALIERS

Cinq jeunes Kurdes ont été exécutés le 3 juillet, dans une prison d’Urmiah, et leurs corps ont été remis à leur famille. Les condamnations à mort sont monnaie courante à l’encontre des Kurdes d'Iran mais il s'agissait, cette fois, de villageois, non pas condamnés pour crimes politiques, mais pour activités liées à la contrebande. 

Le même jour, deux autres villageois kurdes étaient tués et deux autres blessés par des Gardiens de la Révolution, qui ont ensuite ouvert le feu sur les habitants d’un village frontalier de la province de Kermanshah, accourus sur la scène de ce qui semble une exécution extra-judiciaire. Les semaines précédentes, sept personnes avaient été tuées de la même façon et d’après l’association kurde des droits de l’homme, 37 personnes ont été exécutées en 2012. 

Depuis quelques temps, l’Iran a accentué sa politique de répression contre la contrebande au Kurdistan d’Iran, qui est souvent le seul moyen de survie, pour des familles démunies, alors que la crise économique sévit dans tout le pays, (40% de la population vit en dessous du seuil de pauvreté et le taux de chômage est de plus de 20%) et principalement dans des régions délaissées par le pouvoir central, comme les régions kurdes. Le Kurdistan d’Iran souffre d’un sous-développement économique dû aussi à une politique de répression et de dépeuplement des frontières, ainsi quand des forêts ont été délibérément incendiées par l’armée pour déplacer de force des paysans. 

Si le gouvernement iranien investit peu dans l’économie des provinces kurdes, il ne lésine pas sur sa militarisation et une nouvelle force de sécurité va être mise en place dans ces régions, les forces « Razim », et ce avec l’aval et le soutien du Guide suprême Ali Khamenei. Sa mission sera d’assurer «la sécurité et la stabilité » du Kurdistan d’Iran, ce que les Kurdes comprennent comme une pression renforcée contre leurs libertés et leurs droits fondamentaux. Brayim Zewayee, un des cadres chargés des relations publiques pour le Parti démocratique du Kurdistan d’Iran, rappelle que les militants kurdes, tous partis confondus, mènent des actions civiles et politiques, sans recours aux armes (hormis le PJAK, certaines années), ce qui ne nécessite pas une riposte armée de la part du gouvernement central : « Au lieu de s’attaquer aux problèmes économiques et politiques, le gouvernement utilise l’armée pour s’imposer. » (source Rudaw).

De fait, des troupes iraniennes et des chars ont été déployés cet été le long de la frontière avec le Kurdistan d’Irak, ce qui rappelle les précédentes incursions armées dans le territoire du Gouvernement régional du Kurdistan contre les bases du PJAK, la branche iranienne du PKK, bien qu’un cessez-le-feu ait été conclu en 2012. Le PJAK a déclaré, en août dernier, être prêt à envoyer des troupes combattre le groupe djihadiste sunnite État islamique en Irak et Syrie (ISIS), pour épauler le PYD. Mais la perspective d'une gestion autonome des régions kurdes (sous contrôle du PYD et de ses Asayish), ne peut guère plaire à Téhéran, pas plus qu’à la Turquie, tout simplement par crainte que ces volontés d’autonomie ne gagnent les provinces kurdes iraniennes.

De plus, bien que son calendrier soit constamment reporté depuis plusieurs mois, la Conférence nationale kurde qui doit se tenir à Erbil, avec tous les partis kurdes de toutes les régions du Kurdistan, inquiète aussi bien la Turquie que l’Iran, et peut-être plus encore ce dernier, comme l’a déclaré Jaffar Ibrahim Eminki, le porte-parole du Parti démocratique du Kurdistan d’Irak, interviewé par le journal arabe Niqash qui l’interrogeait sur la visite en Iran du Premier ministre du GRK, Nêçirvan Barzanî : « Tout comme la Turquie, l’Iran garde un œil sur la conférence et il ne veut certainement pas que cette conférence interfère avec ses propres affaires internes ». 

Alors que la conférence était reportée une fois de plus (cette fois-ci pour cause d’élections), un membre du Parti démocratique du Kurdistan d’Iran, Muhammad Nazifi Kadri, confiait au journal Basnews, que l’Iran ne souhaitait pas la tenue de cette conférence, même s’il allait de la responsabilité de tous les partis kurdes d’en assurer le succès. Avec l’avènement de Rouhani et la possible reprise d’un dialogue politique entre l’Iran et les USA, la question des minorités pourrait être délaissée par le monde occidental, au grand dam des partis kurdes, comme le craint l’actuel leader du PDKI. Mustafa Hijri. Quant aux relations entre Téhéran et le PJAK elles vont dépendre en partie de l’évolution des relations turco-iraniennes (les deux pays ont connu plusieurs phases de refroidissements-réchauffements), notamment sur le terrain syrien. 

CULTURE : HADASSA YESHURUN, CHANTEUSE ISRAÉLIENNE AU RÉPERTOIRE KURDE ET ARAMÉEN

Les juifs du Kurdistan émigrés en Israël en 1950-51 ont toujours eu à cœur de garder vivantes leurs traditions et leurs cultures et il semble que cette passion se transmette aux plus jeunes générations, surtout par le biais de la musique et de la chanson, comme en témoigne le grand nombre de groupes et de chanteurs se produisant en kurde et en araméen, langue qui le plus souvent, n’est plus parlé que par leurs parents ou leurs grands-parents. Avec la mondialisation et les contacts dans les diaspora, ces artistes israélo-kurdes suscitent l’intérêt de leurs compatriotes non-juifs.

Le journal Rudaw a ainsi rencontré et interviewé la chanteuse Hadassa Yeshurun, née de parents kurdes irakiens, et qui chante en kurde et en araméen.

« Les chansons et les poèmes sont les éléments les plus importants dans toute culture. J’aime énormément les cultures kurde et araméenne, aussi, quand je chante, je privilégie ces deux cultures, même si je chante aussi en arabe, en persan, en turc et en hébreux. Je sens qu’il est de ma responsabilité de protéger la culture kurde de l’extinction, à travers mes chansons. Je suis contente de chanter en kurde ou en araméen, parce que qand je le fais, cela rend mes fans kurdes heureux. Quand je chante en kurde, je vois des larmes dans leurs yeux et je réalise qu’après tant d’années d’épreuves, quelque chose peut finalement leur donner de la joie. »

Hadassa Yeshurun explique que les Kurdes israéliens ont des contacts avec les autres Kurdes dans le monde entier, surtout les Kurdes vivant en Irak et en Europe. Parlant des Kurdes israéliens, elle en fait le portrait d’une communauté très soudée et très attachée à ses coutumes, que ce soit dans des fêtes kurdes ou dans la vie de tous les jours : «Il y a actuellement plus de 100 000 Kurdes vivant en Israël. Nous fêtons le Newroz, le nouvel an kurde, et nous partons en pique-nique. Nous avons des cours de danse kurde, nous passons ensemble nos congés. Nous faisons des plats kurdes. Nous portons une grande attention aux instruments kurdes traditonnels que nous utilisons, comme les flutes et les tambours. Malheureusement, aucun d’entre nous ne parle kurde, surtout les jeunes générations. Nous parlons hébreux à la place.»

Bien que ne parlant donc ni l’araméen ni le kurde, Hadassa Yeshurun apprend par cœur les paroles de son répertoire ainsi que leur signification. Elle écoute régulièrement d’autres chanteurs kurdes, dont elle s’inspire, comme Chopi Fattahm ou Zakaria Abdullah, et travaille actuellement à mémoriser le répertoire de grands chanteurs classiques comme Hassan Zirek, Tahir Tofiq.