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Bulletin N° 328 | Juillet 2012

 

SYRIE : LES KURDES «LIBÈRENT» LEURS RÉGIONS

Au début du mois de juillet, l’opposition syrienne a rejeté le plan de paix de l’ONU proposant une « transition politique » et un gouvernement provisoire pour mettre fin aux violences. Ce plan avait été soumis par Kofi Annan et accepté, quelques jours auparavant, par les Nations-Unies, lors d’une conférence internationale à Genève. Mais les Syriens en révolte jugent que négocier avec Bashar Al-Assad ou un quelconque membre de ce gouvernement « meurtrier » ne serait qu’une perte de temps, d’autant que la Russie a insisté pour qu’un futur accord n’écarte pas totalement l’actuel président syrien du pouvoir, alors que les États-Unis étaient d’avis de ne plus laisser jouer aucun à Bashar Al-Assad dans le devenir politique de la Syrie. Les Américains ont finalement cédé devant l’obstination russe. De son côté, Bashar Al-Assad n'a cessé de répéter qu’il est de son devoir d’éliminer le «terrorisme» et refuse toute ingérence étrangère dans les affaires de la Syrie.

Pendant ce temps, au Caire, Nabil Al-Araby, le dirigeant de la Ligue arabe, a appelé l’opposition syrienne, réunie dans la capitale égyptienne, à s’unir «de toute urgence» en laissant de côté leurs divergences d’opinions qui, jusqu’ici, n’ont pas permis aux Syriens de présenter une formation politique crédible susceptible de remplacer le Baath au pouvoir, sans laisser la Syrie sombrer dans un chaos insurrectionnel ou une guerre civile. Nabil Al-Araby a déclaré devant les 250 Syriens réunis que cette conférence était une occasion qui ne devait pas être perdue «en aucune circonstance», par des querelles de factions. (AP) Nasser Al-Kidwa, qui représentait les Nations Unies, a, lui aussi, insisté sur le fait que l’unité des Syriens opposés au Baath n’était pas « une option mais une nécessité ». La division et les multiples plates-formes politiques syriennes sont, en fait, le reflet de la grande hétérogénéité de la Syrie, pays très fragmenté en une mosaïque de groupes ethniques, religieux, politiques, au contraire de la Lybie, de l’Égypte ou de la Tunisie, aux populations plus homogènes. Par ailleurs, les contacts entre les insurgés en Syrie et les dissidents en exil sont très difficiles, et il y a parfois un manque de coordination entre le terrain militaire syrien et les initiatives extérieures. Ainsi la principale force de combat sur place, l’Armée libre syrienne (FSA) n’était pas présente au Caire.

Quant aux Kurdes, ils semblent également divisés sur certains choix politiques. Ainsi, le 4 juillet, Saleh Mohammad, le leader du Parti de l’union démocratique, la branche syrienne du PKK, jugeait, contrairement au reste de l’opposition, qu’elle soit kurde ou arabe, que le plan de Kofi Annan proposant un gouvernement de transition, accepté par l’ONU, était un soutien à « la volonté du peuple puisque cette structure inclurait tous les cercles sociaux » en Syrie et que son parti soutenait donc les décisions prises à Genève : «Nous, les Kurdes, prendrons également part à ce gouvernement car l’opposition kurde a déjà pris place au sein de l’opposition générale en Syrie.» Mais le PYD était seul, parmi les Kurdes, à vouloir ménager le plus longtemps possible le gouvernement syrien, sans franchement choisir entre le Baath et le FSA, tentant d’instaurer, depuis le début de la révolte en Syrie, des zones plus ou moins autonomes dans les villes qu’il contrôle, et auxquelles il impose une neutralité ou une ligne de non-agression entre les Kurdes et les forces armées gouvernementales. D’autres partis kurdes penchaient pour s’allier plus franchement avec l’opposition arabe, d’autres encore voulaient y mettre des conditions non négociables, comme la reconnaissance d’une nation kurde dans la future constitution syrienne.

C’est sur ce dernier point qu’a achoppé le projet unitaire de la conférence du Caire, quand un groupe de Kurdes s'est retiré, devant le refus des opposants arabes d'entériner cette nation kurde en Syrie. Un des membres dirigeants du Conseil national kurde syrien, Morshid Mashouk, a ainsi déclaré qu’ils ne reviendraient pas dans la conférence et que cette décision était irrévocable : « Nous sommes un peuple, nous avons une langue, une religion et tout ce qui définit un peuple. »

La déclaration finale de la Conférence du Caire a réaffirmé que la chute de Bashar Al-Assad est le préalable nécessaire à toute solution politique de la crise syrienne. « La paix civile et l’unité nationale » sont des objectifs sur lesquels ont pu se mettre d’accord les opposants (une fois les Kurdes partis). Hormis cela, la direction de l’opposition semble résister à toute tentative d’unification et beaucoup, d’ailleurs, sont réticents à laisser un leadership unique contrôler toutes leurs forces. Ainsi, la proposition d’un comité qui coordonnerait toutes les actions des partis dissidents a été rejetée par la principale force politique, le Conseil national syrien, ce que d’autres ont critiqué, y voyant un refus du CNS de céder son leadership et de jouer lui-même les coordinateurs. La Conférence du Caire a fait le vœu d’une Syrie « républicaine, démocratique, et d’un système civil et pluraliste ». La dissolution du Parti Baath est prévue, mais ses anciens membres pourraient ne pas être écartés de toute participation politique, dès lors qu’ils « n’ont pas de sang sur les mains ». Ce dernier point s’explique facilement par le fait que, tout comme en Irak du temps de Saddam, beaucoup de membres du Baath le sont plus par opportunisme ou pour accéder à des emplois que par conviction, et l’erreur américaine, en 2003, de chasser les « baathistes» irakiens de la fonction publique et de l’armée, a contribué pour beaucoup à nourrir les rangs des insurgés.

Si l’opposition générale syrienne peine à s’unifier, un pas important, par contre, a été accompli par les Kurdes, le 12 juillet, quand les deux principaux blocs d’opposants kurdes, le PYD et le Conseil national syrien, dont les positions étaient jusqu’ici antagonistes sur l’attitude à avoir envers le Baath, ont finalement annoncé être parvenus à un accord et ont décidé de former un front commun, après d’ultimes négociations et rencontres à Erbil, la capitale du Kurdistan irakien. Le président Massoud Barzani assistait à la réunion.

Si la teneur de l’accord n’a pas été tout de suite révélée, ces effets ne se sont fait guère attendre puisque, dès le 20 juillet, les Kurdes de Syrie annonçaient avoir lancé une opération de « libération des régions kurdes » et avoir pris déjà le pouvoir dans la ville de Kobane (gouvernorat d’Alep), en affirmant que les forces gouvernementales s’étaient retirées. Des vidéos circulant très vite sur Internet ont montré, en effet, des bâtiments officiels sur lesquels on avait hissé le drapeau kurde. Des drapeaux du PKK étaient aussi visibles, et le portrait d’Öcalan côtoyait celui de Massoud Barzanî (très populaires au Kurdistan de Syrie) dans les manifestations, ce qui parait entériner une stratégie commune des Kurdes syriens et montrent aussi combien les frontières étatiques sont totalement hors de propos quand il s’agit de cerner les courants au sein du mouvement national kurde.. Ces actions marquent en tout cas un tournant dans la politique du PYD qui, jusqu’ici, tentait de décourager les autres mouvements kurdes de rallier la rébellion arabe en raison de son parrain turc. Le leader du PYD a ainsi annoncé la formation de « comités de défense civile » devant administrer les zones libérées. De son côté, Nuri Brimo, le porte-parole du Parti démocratique du Kurdistan, a déclaré au journal Rudaw qu’en vertu de l’accord d’Erbil, la ville de Kobane allait être administrée conjointement par le PYD et le Conseil national kurde, et que cela n’était que la première étape de la libération du « Kurdistan occidental ». Un représentant du Parti kurde du progrès a indiqué que l’autorité du Baath, dans l’ensemble des régions kurdes, était très amoindrie, et que certaines régions lui échappaient à présent entièrement.

Il est difficile de dire si l’accord tout neuf entre ces forces kurdes ne connaîtra pas d’accrocs ou tiendra longtemps, mais il est certain qu’un des des facteurs majeurs pour le ciment de cette unité est la volonté commune des Kurdes de ne pas laisser investir leurs villes par l’Armée libre syrienne, en se libérant eux-mêmes. Ainsi, le PYD, le seul groupe kurde armé, empêche, depuis plusieurs mois, l’entrée du FSA au Kurdistan de Syrie et a de nouveau refusé que ses milices entrent à Kobane, à l’annonce de sa libération. Il est d’ailleurs approuvé en cela par les autres partis kurdes. Là encore, l’histoire toute récente du Kurdistan d’Irak, qui s‘est de lui-même libéré de Saddam en 1991, et a ensuite rallié de son plein gré, en 2003, au nouvel Irak, fort de son autonomie acquise depuis dix ans, en posant ses conditions et en refusant, même encore aujourd’hui, toute présence de l’armée irakienne sur son sol, doit avoir pesé d’un certain poids dans cette stratégie.

Quelques jours après la libération de Kobane, c’était au tour des villes d’Efrîn et d’Amude, puis de Dêrik, de «tomber aux mains» des Kurdes, ainsi que certains quartiers de la grande ville de Qamishlo. Il faut noter que, jusqu’ici, les violences que subissent les villes arabes ont épargné les Kurdes et que ces « prises de pouvoir » se sont visiblement faites sans affrontement entre les forces kurdes et l’armée syrienne. Il est vrai que les forces du Baath et les milices parallèles sont, dans les régions kurdes, des forces étrangères et il n’y a pas, comme dans le reste de la Syrie, de guerre entre des Kurdes pro- et anti-régime. Mais à chaque fois qu’une ville kurde était « libérée», les partis kurdes annonçaient ainsi un « retrait » syrien, ou une reddition des miliciens, sans que l’on puisse réellement savoir ce qu’il en est sur le terrain, mais jamais de bombardements ni de batailles de rue. Les Kurdes, sur place, ne semblent pas, en tout cas, craindre des représailles de la part du régime, et se méfieraient même davantage des autres rebelles syriens, soutenus par la Turquie.

Faut-il en conclure que les forces du Baath ont décidé de se retirer volontairement des régions kurdes, concentrant leurs actions sur les provinces arabes afin d’éviter de se battre sur plusieurs fronts, en remettant à plus tard « la question kurde »? C’est l’explication avancée par Nuri Brimo, qui précise que d’autres régions ont été ainsi vidées de leurs soldats et assure même que Damas avait averti le PYD de ce retrait, de sorte que les combattants kurdes n’ont eu qu’à occuper, presque sans coup férir, des places désertées. Il n’y a guère qu’à Qamishlo que des affrontements armés semblent avoir eu lieu entre les toutes nouvelles « Unions de défense du Peuple » kurdes et les milices du Baath. La question est de savoir si Damas a été ou non pris de court par l’accord d’Erbil ou si les Alaouites anticipent sur la faillite future de cet accord et espèrent reconquérir à la fois les régions kurdes perdues et l’alliance avec le PYD. Abdul Bassit Sayda, le président du CNS, ne partage pas, à ce sujet, la confiance apparente des Kurdes sur la neutralité du Baath et craint un retour sanglant de l’armée syrienne au Kurdistan de Syrie, si elle réussissait à écraser au préalable la révolte des villes arabes. Le partage du pouvoir et l’équilibre entre les mouvements kurdes est précaire (le Conseil national kurde répète si souvent la nécessité de respecter les termes de l'accord d'Erbil que l'on sent bien que sa crainte soit justement que le PYD n'en tienne pas compte) mais il faut se rappeler aussi que les Kurdes ont en horreur l’idée d’une guerre civile, depuis celle qui a failli faire sombrer le Kurdistan d’Irak dans les années 1990, et que, même si la rivalité entre le PYD et les autres plates-formes kurdes a souvent été vive et a engendré des exactions, cela n’a jamais été sur le point de dégénérer en affrontements trop sanglants. Cela dit, seul le PYD disposait, jusqu’ici, de forces armées, les autres factions kurdes étant des mouvements politiques. Les nouvelles forces entraînées au Kurdistan d'Irak peuvent changer cette donne.

Car le conflit syrien et la question des Kurdes de Syrie s’exportent en Irak et contribuent d’envenimer les relations entre Erbil et Bagdad, puisque que le président kurde soutient ouvertement la révolution syrienne et est vu par le Conseil national syrien comme un interlocuteur et un partenaire majeur, au même titre que la Turquie. Abdul Bassit Sayda, le président (kurde) du Conseil national syrien, a ainsi indiqué être constamment en contact avec le chef du Gouvernement régional du Kurdistan au sujet des événements de Syrie et s'est même rendu en secret à Erbil avant l'accord, alors que le gouvernement de Bagdad (soutenu en cela par l’Iran) semble enclin à soutenir le régime de Damas et rechigne à ouvrir ses frontières aux réfugiés qui affluent.

Massoud Barzanî a été accusé par les cercles politiques proches du Premier Ministre irakien et des journaux d’envoyer ses propres troupes pour libérer le Kurdistan de Syrie, ce que le président a nié, indiquant, cependant, que des soldats kurdes, qui avaient déserté l’armée syrienne et s’étaient réfugiés au Kurdistan d’Irak, étaient entraînés par les Peshmergas pour servir de forces de libération. Un soutien «moral et financier» a été ainsi accordé aux Kurdes syriens à condition qu’ils parviennent à s’entendre dans la gestion commune des villes reprises au Baath, comme l’a reconnu Nuri Brimo, le porte-parole du Parti démocratique du Kurdistan, ce qui, avec le succès de l'accord d'Erbil, confirme et renforce la position de Barzanî en tant que « parrain »voire arbitre de la cause kurde au Moyen-Orient.

KURDISTAN D’IRAK : UN ACCORD D’EXPORTATION KURDO-TURC PROVOQUE LA COLÈRE DE BAGDAD

L’envenimement des relations entre le gouvernement central de Bagdad et le Gouvernement régional du Kurdistan a augmenté d’un degré cet été avec l’annonce d’un accord entre Erbil et Ankara, concernant l’exportation du gaz kurde vers la Turquie, en se passant de l’autorisation de Bagdad. Le gouvernement central irakien lutte depuis des années contre une gestion autonome des ressources de la Région kurde et sa volonté de passer ses propres accords sans passer par Bagdad. Aussi, l’annonce de la construction d’un pipe-line entre la Turquie et le Kurdistan, qui permettrait à ce dernier de vendre directement son gaz à son voisin du nord est un coup dur porté à la fois au gouvernement de Maliki ainsi qu’à ses relations avec Ankara.

S’exprimant lors du Forum sur le gaz caspien qui se tenait à Istanbul en juillet, Ashti Hawrami, le ministre de l’Énergie du Gouvernement régional du Kurdistan a laissé entendre que cet accord pouvait prendre effet dans un délai de 18 mois à 2 ans, et ce en se passant de l’agrément irakien : « Même s’il n’y a pas de consensus avec Bagdad, nous continuerons de vendre notre gaz naturel et notre pétrole à la Turquie. Nous projetons de vendre 10 milliards de mètres cubes de gaz à la Turquie et, à long terme, en Europe. » Pointant l’incurie et l’état économique désastreux dans lequel se trouve l’Irak, par rapport au développement du Kurdistan, le ministre kurde a ajouté que s’ils se reposaient sur Bagdad pour attirer les investisseurs étrangers, rien ne serait possible.

Le 8 juillet, une dépêche AFP attestait de source «officielle» que le Gouvernement régional du Kurdistan avait commencé d’exporter le pétrole produit sur son sol en se passant de l’autorisation du gouvernement central. Le Telegraph a, pour sa part, affirmé que des camions transportaient du pétrole brut en franchissant la frontière turque, en attendant la construction d’un pipe-line, prévu pour 2013, après un accord passé entre Erbil et Ankara. Alors en visite au Brésil, le Premier Ministre turc Recep Tayyip Erdogan a expliqué que l’Irak, en conflit récurrent avec les Kurdes, avait cessé d’exporter du carburant et des produits dérivés du pétrole en direction du Kurdistan d’Irak. «Ils nous ont donc demandé du carburant et nous avons accepté.» Du côté kurde, Seerwan Abubaqr, un conseiller du Gouvernement du Kurdistan auprès du ministre des Ressources naturelles, a confirmé qu’ils avaient commencé d’exporter des «quantités limitées» de pétrole brut, qui allaient être raffinées en Turquie «et reviendraient» au Kurdistan. «S ’il le fallait, nous exporterions du pétrole vers l’Iran» a ajouté Seerwan Abubaqr. Nous continuerons les exportations jusqu’à ce que le gouvernement central nous fournisse en produits pétroliers. C’est le gouvernement central qui nous a poussés à faire cela. » Le ministre irakien du Pétrole nie, lui, ces allégations, tandis que son prédécesseurs, Hussein Al-Sharistani, qui chapeaute maintenant l‘ensemble des questions touchant à l’Énergie en Irak, et qui bataille depuis de longues années contre les Kurdes sur cette question, a répété, par l’intermédiaire de son porte-parole Faisal Abdullah, que seul le ministre du Pétrole avait le droit de décider des exportations.

Les sources kurdes ont fait état de « seulement » quatre camions par jour, alors que le ministre turc de l’Énergie, Taner Yildiz parlait de 5 à 10 camions de brut par jour, le 13 juillet, mais qu’il espérait que ce chiffre atteigne prochainement les 100 à 200 camions quotidiens. Le porte-parole du gouvernement irakien, Ali Dabbagh, a alors interpelé directement la Turquie en lui ordonnant de stopper ces transferts «illégaux» de brut, sous peine de nuire à leurs relations bilatérales, notamment économiques. Le 17 juillet, le cabinet de Hussein Sharistani faisait état d’une perte de 8 millards et demi de dollars occasionnée par le gel des envois de leur pétrole brut par les Kurdes. En riposte, le gouvernement irakien a alors menacé de geler les 17% de son budget annuel qui doit être redistribué à la Région kurde.

La Turquie n’est pas le seul ni le premier pays à s’attirer les foudres irakiennes pour avoir osé passer des contrats directement avec le GRK, sans en référer à Bagdad. Les États-Unis, avec Exxon et la France, avec Total, sont depuis plusieurs mois également pris à parti par l’Irak. Ce dernier ayant une fois de plus protesté auprès de la Maison blanche en raison d’un accord passé entre Erbil et Exxon, le président Barack Obama a, une fois de plus, tenté d’apaiser son allié irakien avec de bonnes paroles portant sur le respect de la constitution irakienne et de ses lois, mais sans parler de mesures et de pressions concrètes contre la compagnie américaine. Cela n’a pas empêché le cabinet du Premier ministre irakien d’assurer que que fort de cet encouragement américain, son gouvernement allait prendre «toutes les mesures nécessaires pour appliquer la loi» et empêcher les sociétés étrangères de traiter directement avec les Kurdes. Exxon, pour sa part, n’a fait aucun commentaire et, à dire vrai, les seules mesures de rétorsion que peut vraiment appliquer l’Irak est de dénoncer les contrats d’exploitation en cours avec les sociétés étrangères qui contreviendraient à sa politique de centralisation, menace dont Bagdad ne s’est guère privé depuis quelques années, mais dont la portée ne semble guère impressionner les investisseurs étrangers. Ainsi le géant américain Chevron s’est vu interdire de travailler dans les régions non-kurdes de l’Irak pour avoir acheté 80% de deux blocs d’explorations au Kurdistan d’Irak, le 19 juillet. Mais la sanction imposée à Chevron n’a pas dissuadé Total qui, le 31 juillet, a annoncé la signature d’un accord d’exploitation dans des régions kurdes : 35% de participation dans deux blocs, Harir et Safen, rachetés à Marathon Oil.

Les Kurdes ambitionnent de fournir, en 2015, 1 million de barils par jour et 2 millions en 2019, selon Michael Howard, conseiller auprès du ministre des Ressources naturelles du Kurdistan, Ashti Hawrami. Actuellement, la production se situe autour de 300 000 barils quotidiens. Des accords ont été signés avec une cinquantaine de compagnies étrangères dont Norway’s Statoil ASA (STL), Exxon Mobil Corp., Chevron Corp. et Total SA (FP) sont les plus importants. Quant au pipe-line que construit actuellement le GRK et qui est le fruit d’un accord passé directement entre Kurdes et Turcs, il devrait avoir une capacité de 200 000 barils par jour, selon un responsable de Genel.

TURQUIE : DÉBUT D’UN PROCÈS MASSIF CONTRE 205 PERSONNES ACCUSÉES DE «TERRORISME»

Un procès massif s’est ouvert aux premiers jours de juillet, avec 205 personnes sur les bancs des accusés, toutes accusées de liens de terrorisme ou de propagande pour une organisation terroriste, en raison de leur appartenance, vraie ou supposée, à l’Union des communautés du Kurdistan (KCK) que la Turquie considère comme une organisation dépendant du PKK. Parmi les personnes jugées, figurent bon nombre d’intellectuels, de journalistes et d’universitaires, aux côtés de membres du Parti pro kurde BDP. Certains accusés ne peuvent être sérieusement confondus « d’actes terroristes », voire même d’appartenance à une organisation politique kurde, mais se retrouvent emprisonnés et jugés en raison de la teneur de leurs recherches ou de leurs publications, portant sur des sujets «sensibles» comme la question kurde ou le génocide arménien : Busra Ersanli, universitaire et chercheuse, Ragip Zarakolu, éditeur, sont ainsi dans le collimateur de la justice turque depuis de longues années, pour le simple fait d’avoir exercé leur travail, pourtant en toute légalité.

L’ampleur spectaculaire de ce procès fournit d’ailleurs aux Kurdes une tribune internationale pour leur revendications, tant linguistiques que politiques. Ainsi, beaucoup des accusés kurdes ont réclamé le droit de prendre la parole dans leur langue maternelle et, alors que d’habitude, tout propos tenu en kurde dans un tribunal est consigné par le greffe comme « s’exprimant dans une langue inconnue », cette fois, le président du tribunal a reconnu par écrit que la langue kurde ayant été utilisée par un accusé, ses propos sont restés incompris ; ce qui a permis au moins d’inscrire la reconnaissance de l’existence de la langue kurde dans les archives du Palais de Justice de Caglayan, à défaut, pour le moment, de la mentionner dans la constitution turque. Le 3 juillet, des accusés, membres du BDP, ont aussi salué la cour aux cris de « Berxwedan jiyan e » (La Résistance est la vie), et le juge a dû mettre en garde le public contre toute tentative d’applaudissements, de huées, ou autres « comportements extravagants ». Quand deux accusés Kudbettin Yazbaşı et Mümtaz Aydemir ont été invités à décliner leur identité, ils l’ont à nouveau fait en kurde et, cette fois, le président a fait acter qu’ils avaient parlé en une langue « autre que le turc ».

Mehmet Emin Aktar, qui est à la tête de l’Association du Barreau de Diyarbakir a contesté le fait qu’une langue parlée par 20 millions de personnes n’ait pas de reconnaissance légale dans un tribunal et a réclamé des traducteurs pour les accusés. Bien loin d’accéder à cette demande, les autorités du tribunal ont fait fermer les micros dès que des propos en kurde étaient prononcés. Un autre avocat, Meral Danış Beştaş, a contesté la compétence de la cour à juger des membres du BDP, arguant que seule la Cour constitutionnelle a le droit de juger des partis politiques. Elle a donc réclamé que 3 experts examinent les activités politiques du BDP et décident de la nécessité d’ouvrir une enquête. Si c’est le cas, le dossier devra être transmis à la Cour suprême d’appel. Mais le procureur, Ramazan Saban, a rejeté cette demande, tout comme le droit de plaider en kurde. Les avocats se sont alors retirés des lieux, en signe de protestation.

Le 13 juillet, 16 accusés étaient remis en liberté, après avoir passé plusieurs mois en détention. Parmi eux se trouvait Busra Ersanli, qui enseigne à l’université de Marmara et contre qui ont été requis 15 ans de prison pour « appartenance à une organisation terroriste ». L’universitaire, membre du BDP, a passé 8 mois en prison en attendant son jugement.

Trois jours plus tard, le 16 juillet, c’était à 50 autres accusés dont 46 avocats de comparaitre pour appartenance au KCK. Sept d’entre eux risquent 22 ans et demi de prison pour « avoir formé et entraîné une organisation armée ». Les autres encourent 15 ans de prison pour appartenance à cette même organisation. La défense a réclamé la suspension de toutes les poursuites lancées contre eux et leur libération ce qu’a refusé la Cour. Sans surprise, la demande de plaider en kurde, ainsi que celle d’entendre A. Öcalan comme témoin (dans le cas des avocats d’Öcalan accusés de transmettre les ordre du leader du PKK). Bien que la salle choisie soit la plus grande de ce palais de Justice tout neuf, le manque de place s’est vite fait sentir, en raison de la grande médiatisation des procès : en plus de la famille et des sympathisants, s’entassent les journalistes, les observateurs étrangers, des membres d’ONG, à qui il est interdit de photographier. Cette fois les accusés n’ont pas clamé leur attachement à la résistance, mais ont répondu présent en kurde, « Ez li vir im », à l’appel de leur nom par le tribunal. Doğan Erbaş, un des avocats accusés de servir d’intermédiaire en Öcalan et le PKK a exposé leurs conditions de travail et comment l’État turc ne pouvait ignorer, en ce cas, de tels faits : «Toute l’accusation repose sur nos rencontres avec Abdullah Öcalan. Toutes les rencontres avec les avocats, depuis le premier jusqu’au dernier jour, ont eu lieu avec l’autorisation et la surveillance de l’État. Tout a été pré-déterminé par la loi, il n’y avait pas de place pour le hasard ou des initiatives dans ces rencontres. Dans de telles circonstances, il aurait été impossible de gérer le « comité de Leadership » mentionné dans l’acte d’accusation. » Finalement, après trois jours d’audience, seuls neuf de ces avocats ont été relâchés mais restent sous contrôle judiciaire. L’audience a été renvoyée au 6 novembre 2012 et aura lieu à la cour d’assise spécial de Silivri.

CULTURE : UN JEU VIDEO S’ATTIRE LES FOUDRES DES KURDES

Le département des Relations étrangères du Kurdistan a écrit une lettre de protestation contre Ubisoft, une entreprise française devenue le 3ème éditeur de jeux vidéo au monde, et l’a obligé de retoucher un élément graphique du prochain volet d’un de ses plus célèbres jeux vidéo, « Splinter Cell ». L'éditeur de « Prince of Persia », d’« Assassin's Creed », de « Lapin crétin » et de « Splinter Cell » doit en effet sortir un nouvel épisode des aventures de Tom Clancy pour 2013 : Splinter Cell Blacklist, avec pour intrigue de départ un groupe terroriste préparant une série d'attentats aux États-Unis.

C'est en regardant ce trailer que des Kurdes se sont indignés car dans le bastion des terroristes investi par les commandos américains s'affiche le drapeau historique du Kurdistan et qui est actuellement celui du Gouvernement régional du Kurdistan d’Irak. Le ministre des Affaires étrangères de la Région du Kurdistan, Falah Mustafa Bakir a même écrit une lettre de protestation au département de la communication d'Ubisoft (US).

Interrogé, Scott Lee, directeur artistique d'Ubisoft à Toronto, fournit l’explication suivante : le graphisme des scènes s'inspire des villages actuels des montagnes du Kurdistan « rural ». Les terroristes ont chassé les villageois et utilisent cette bourgade comme repère, car son « camouflage naturel » en fait un camp d'entraînement clandestin idéal. Si les terroristes ont gardé un drapeau kurde accroché bien en vue c’est justement par souci de « camouflage », insiste Scott Lee qui explique avoir eu le souci de juxtaposer armes lourdes et éléments militaires intensifs dans un décor « civil ».

Mais cela n'a pas convaincu les Kurdes qui ont ouvert une page de protestation sur facebook, laquelle indique qu' « être la plus grande nation sans État au monde n'en fait pas forcément une nation terroriste. Ou bien, on pourrait croire qu'avoir été l'allié des USA dans la guerre contre l'Irak en 2003, comme le rappelle Falah Mustafa Bakir dans sa lettre, en fait effectivement une « nation voyoue » (Rogue nation). Le directeur du département de la communication d'Ubisoft, Michael Burk, a promis que le drapeau serait enlevé dans la version finale, et qu'ils n'avaient jamais eu l'intention d'introduire dans les esprits une confusion possible entre le symbole du drapeau kurde et le terrorisme.