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Bulletin N° 322 | Janvier 2012

 

KURDISTAN D’IRAK : VERS UN CHANGEMENT DE CABINET AU PROFIT DU PDK

Comme cela avait été prévu dès la formation de la liste commune PDK-UPK (Allliance du Kurdistan), l’actuel Premier Ministre de la Région du Kurdistan d’Irak, Barham Salih (UPK), doit bien céder sa place à une perosnnalité politique issue du PDK, qui n’est autre que son prédécesseur, Nêçirvan Barzanî. En vertu du même accord, qui impose un échange de postes tous les 2 ans, M. Barzani doit avoir un vice-Premier Ministre UPK et c’est à ce parti de choisir lui-même son candidat.

Concernant le poste de vice-Premier ministre, plusieurs noms ont couru avant la nomination officielle : Adnan Mufti, ancien président du Parlement, Kosrat Rasul, second de l’UPK et ancien vice-président de la Région, de 2005 à 2009 ou Imad Ahmed, ancien vice-Premier Ministre.

Revenu de l’étranger pour Erbil le 15 janvier, Nêçirvan Barzanî a officiellement accepté le 18 janvier de prendre la tête du nouveau cabinet. Le porte-parole du PDK, Jaffar Ibrahim, a annoncé la tenue, le 19, d’une réunion entre les dirigeants du PDK et de l’UPK pour décider de la rotation des postes et de la nomination des nouveaux ministres.

Si les négociations entre le PDK et l’UPK ne devaient pas se heurter à des obstacles majeurs, hormis le choix du vice-premier ministre qui est surtout une question interne à l’UPK, les observateurs politiques et la presse attendaient de voir si le nouveau gouvernement allait pouvoir s’entendre avec les trois principaux partis d’opposition, Goran, la Ligue islamiste et l’Union islamique (ce dernier ayant des relations peu cordiales avec le PDK). Bien que son score électoral n’oblige en rien l’Alliance kurde à composer avec l’opposition pour gouverner, il est de tradition, au Kurdistan comme en Irak, de tenter de former un gouvernement de coalition, voire de ‘consensus’, soit pour prévenir d’éventuels troubles politiques, soit pour contrer les critiques des partis adverses sur les erreurs de leadership, ou bien encore pour donner le sentiment à la population que l’hégémonie politique des deux grands partis n’empêche pas un certain pluralisme des opinions. Jusqu’ici, cependant, les négociations ont toujours échoué : les partis d’opposition avaient d’abord annoncé qu’ils accepteraient de prendre part au gouvernement, avant de se rétracter, appelant au ‘boycott’ des ministères sous le motif que le parti au pouvoir n’a pas engagé les réformes promises ou réclamées.

La raison principale en est peut-être davantage les mauvaises relations du PDK avec les partis islamistes et les derniers événements de Zakho, où des bureaux du KIU ont été brûlés en représailles d’attaques contre des boutiques et des villages chrétiens n’ont pas amélioré ces relations, le PDK et le KIU se renvoyant mutuellement la responsabilité des troubles. Muhammad Ahmed, un leader de l’Union islamique a ainsi exprimé sa réticence à rallier le gouvernement : « Avant les incidents, le PDK nous avait demandé de rejoindre le gouvernement, mais les incidents ont tout changé. », tout en ajoutant : « Si nous ne sommes pas certains que le prochain gouvernement fera des réformes, il est inutile de participer à un tel gouvernement. » Cependant, d’autres voix au sein de l’Union islamique, tel Salahaddin Babakir, un autre porte-parole, a déclaré au journal Rudaw que son parti avait l’intention de rester dans l’opposition, mais que la porte restait ouverte à d’éventuelles négociations. Avant même sa nomination officielle, Nêçirvan Barzani a donc entamé une série de visites aux leaders des différents partis d’opposition, le plus important d’entre eux étant Goran. Le 24 janvier, au sortir de cet entretien, son dirigeant, Nawshirwan Mustafa annonçait cependant qu’il resterait dans l’opposition.

SYRIE : FORMATION D’UN CONGRÈS NATIONAL KURDE ET CONFÉRENCE D’ERBIL

Longtemps divisés, les Kurdes de Syrie commencent à se regrouper et à débattre de leur projet politique pour l’avenir de la Syrie. Après plusieurs mois d’échanges et de discussions, la plupart des partis politiques kurdes de Syrie ont pu former un Conseil nationl kurde, appelé à représenter les Kurdes de Syrie sur les plans politiques et diplomatiques pour faire entendre leurs revendications et défendre leurs intérêts.

Dès sa formation, le Conseil a lancé une offensive diplomatique en Europe et au Proche-Orient. Le président du Conseil national des Kurdes de Syrie, Abdul Hakim Bashar s’est rendu à Paris fin janvier, après avoir été invité à Londres par le ministre des Affaires étrangères britannique. En France, il a pu rencontrer des responsables du ministère des Affaires étrangères français. Réondant à un journaliste du Nouvel Observateur, Abdul Hakim Bashar explique que son Conseil souhaite être considéré « avec les autres minorités, à égalité avec l'opposition arabe » et rechercher l’appui des gouvernements étrangers à cet effet. Les 15 et 16 janvier derniers, le Conseil national des Kurdes de Syrie a adressé officiellement cette demande au président du Conseil national syrien, Burhan Ghalioun. Questionné sur la relative modération des Kurdes dans les manifestations, le leader affirme au contraire, que toutes les régions kurdes organisent des manifestations, mais que les media arabes ne les filment pas. Les revendications du Conseil national des Kurdes de Syrie s’axent autour d’une Syrie décentralisée et laïque, comme l’explique Abdul Hakim Bashar : « Nous demandons une décentralisation politique car la Syrie est composée de différentes ethnies et religions. Bashar al-Assad a voulu nous monter les uns contre les autres en prétendant que s'il tombe, viendront alors des terroristes islamistes à sa place et d'ailleurs beaucoup l'ont cru. Nous, nous demandons la décentralisation car elle seule peut garantir les droits de toutes les communautés. Une décentralisation dans une Syrie unie. Les Alaouites, proches d'Assad craignent d'avoir de gros problèmes s'il est destitué. Mais avec la décentralisation, leurs droits aussi pourraient être préservés et si l'opposition nous suivait dans cette démarche, ils seraient rassurés. Nous demandons également un Etat laïc alors que l'opposition arabe demande un Etat civil. Or, un Etat civil ne garantit pas la laïcité. Des islamistes peuvent se revendiquer d'un Etat civil. »

Sur la question des revendications proprement kurdes, le CN KS demande : - la reconnaissance du peuple kurde dans la constitution syrienne, - l'annulation des lois et décrets racistes et discriminatoires à l'encontre des Kurdes, - le droit à l'autodétermination mais dans l'unité de la Syrie. Sur la question de la préservation de « l’unité syrienne » il s‘agit, comme pour les Kurdes d’Irak, d’accepter un état de fait imposée aux Kurdes, et de former une association arabo-kurde au sein d’un État décentralisé : « Pourquoi ? Quand la Syrie a été créée, cette unité a été faite par la force. Nous voulons accepter les frontières actuelles par libre choix. Nous sommes le deuxième peuple en Syrie, nous composons entre 15 et 20% de la population et nous voulons être un véritable associé dans le pays. Les Arabes doivent arrêter de dire "ça c'est bon ça c'est mauvais pour les Kurdes". Ce n'est pas à eux de décider de nos droits. Malheureusement, jusqu'à maintenant les négociations avec l'opposition arabe n'ont pas abouti. Ils disent qu'ils donneront plus après le changement mais cela nous inquiète. Nous pensons que si aujourd'hui ils ne nous donnent rien, ils ne nous donneront rien demain non plus et n'établiront pas non plus la démocratie. Si les Alaouites, les Druzes, les chrétiens ne sont pas vraiment dans la révolution syrienne c'est parce que l'opposition n'a pas pu les convaincre, n'a pas su les rassurer sur le fait que le changement de régime est dans leur intérêt. Deux choses vont les rassurer : la décentralisation et une vision politique claire qui montre que les communautés sont associées. Il ne faut pas que l'opposition syrienne distribue les droits mais il faut que tous soient associés, il faut que cette pensée de "nous sommes les dominants et nous vous distribuons des droits" soit écartée. »

Les 28 et 29 janvier, plus de 200 hommes politiques kurdes venus de tous les pays se sont réunis en conférence à Erbil, sur l’invitation du président de la Région du Kurdistan d’Irak, afin de débattre de la situation en Syrie et de s’entendre sur des objectifs communs. Parmi les leaders des partis kurdes syriens figuraient des personnalités indépendantes, et, bien sûr, les dirigeants de partis ayant rejoint le Conseil national syrien.

Les buts de cette conférence ont été annoncés par son président, Ali Shindin, sur le site Aknews : « Les leaders kurdes discuteront de la question kurde en Syrie, comment traiter avec l’opposition syrienne et comment instaurer les droits kurdes en Syrie. Les conclusions de la conférence seront soumises ultérieurement au groupe d’opposition du Conseil national syrien, de sorte qu’ils puissent traiter avec les Kurdes en fonction de leur présence et de leur poids, maintenant et dans le futur. »

Burhan Ghalioun, à la tête du Conseil national syrien, s’est d’ailleurs rendu à Erbil en début de mois pour y rencontrer Massoud Barzani, et apaiser les inquiétudes des Kurdes suscitées par la présence de mouvements arabes religieux au sein de l’opposition. Selon le journal Rudaw, le Syrien aurait assuré au président kurde ses intentions de garantir les droits de ses compatriotes en Syrie. Abdul-Bast Sayda, un Kurde membre du comité exécutif du Conseil national syrien, qui accompagnait Burhan Ghalioun lors de cette rencontre a assuré que l’attitude du président Barzani à l’égard du Conseil national syrien « aurait changé » après cette rencontre. Les Kurdes de Syrie se plaignent en effet de voir leurs revendications négligées ou mises de côté par l’opposition arabe et dix partis kurdes ont boycotté la réunion fondatrice du CNS, qui a eu lieu à Istanbul en septembre dernier, par méfiance ou hostilité à la Turquie. Les mouvements kurdes absents ont alors fondé leur propre Conseil national du Kurdistan mais dans l’ensemble, les partis kurdes de Syrie restent divisés sur l’adhésion au CNS. Abdul Bast Sayda milite lui même activement pour rallier le plus de Kurdes possible au CNS et souhaite une « unification des Conseils nationaux syrien et kurde », en envisageant une future rencontre à Erbil, ce qui permettrait d’ailleurs aux Kurdes d’Irak d’exercer une influence sur la question syrienne et l’opposition, au lieu de laisser le champ libre à la seule Turquie.

Mais lors de son discours à cette conférence, Massoud Barzani a affirmé que la Région du Kurdistan ne souhaitait pas « interférer dans les affaires des Kurdes de Syrie », mais qu’elle offrait une aide et un soutien à leurs décisions. « Mais, a ajouté le président, « à condition que vous restiez unis dans cette période sensible et que vous évitiez les conflits internes. La situation est importante pour nous car (la Syrie) est un pays voisin, nous avons une longue frontière avec elle, et plus de deux millions de Kurdes y vivent. C’est important de savoir quel sera son futur. » Le président kurde a poursuivi en disant que « l’époque de négation des Kurdes était révolue ».

S’ils n’étaient pas présents à la conférence d’Erbil, les dirigeants du Conseil national syrien ont cependant envoyé une déclaration en forme de mea culpa, qui a été lue, reconnaissant que « toutes les forces politiques en Syrie avaient nié les droits des Kurdes et que leurs soutiens n’avaient pas été ce qu’ils auraient dû être. » Le CNS a appelé à la reconnaissance du peuple kurde en tant que tel et à lui octroyer ses droits. Dans la déclaration finale, la violence des forces syriennes contre les manifestants a été dénoncée, et l’accent a été mis sur l’importance d’une coopération entre les Kurdes hors et dans le territoire syrien.

Malgré cela, les participants sont restés divisés sur plusieurs points, à commencer par la question d’une intervention militaire étrangère en Syrie. De même, Jawad Mella, le Secrétaire général du Congrès national kurde a appelé à la création d’un gouvernement autonome en Syrie, et s’est dit favorable à une intervention étrangère pour chasser Bashar Al Assad du pouvoir. « Une intervention internationale est la seule solution, parce que nous avons déjà connu l’expérience du régime de Saddam Hussein, qui ne serait jamais tombé sans une intervention extérieure. » a-t-il déclaré à l’AFP. « Le Baath syrien est de même nature que le Baath irakien, et rien ne pourra l’éliminer hormis une intervention extérieure. C’est la seule solution. »

Saadeddin Al-mulla, un dirigeant du parti Démocratie a par ailleurs fait remarquer que des interventions étrangères étaient actuellement déjà en cours en Syrie, celle de l’Iran qui soutient le régime, et celle de la Turquie qui soutient l’opposition. Ainsi, l’ONU pourrait utiliser le chapitre VIII de sa charte, qui prévoit toutes sortes de mesures, dont une intervention militaire, en cas de menace pour la paix ou d’agressions contre un pays.

Hamid Darwish, secrétaire du Parti kurde progressiste de Syrie, appuie lui aussi une demande auprès de l’ONU : « Si la Ligue arabe ne peut imposer ses solutions, le cas devra passer au Conseil de sécurité qui ne peut rester spectateur devant ce qui se passe dans ce pays. » Mais le Parti démocratique du Kurdistan a exprimé, lui, ses réticences à ce sujet, par la voix de son leader Abdul Hakim Bashar : « Il est trop tôt pour parler d’une intervention internationale, et je pense que nous devons chercher une solution nationale avant une pression internationale dans les domaines politique, économique, ceux des media ou de la diplomatie. »

Sur la question de l’auto-détermination des Kurdes syriens, le président du Conseil national des Kurdes de Syrie, Abdul Hakim Bashar, a répété ce qu’il avait dit à Paris sur la décentralisation dans une Syrie unie, et se dit favorable à un référendum sur cette question : « C’est au peuple kurde de décider ce qu'il veut, et son droit à l'autodétermination se fera dans le cadre de l'unité de la Syrie et sur le principe de la décentralisation. » Saad Adin Mullah, membre de l'Union patriotique du Kurdistan de Syrie, appuie lui aussi un referendum, dont les options seraient « décentralisation, autonomie ou fédéralisme ». Quant à Jawad Al Mulla, dirigeant du Congrès national kurde, il appuie un gouvernement (autonome) kurde en Syrie, plus à l’instar du Gouvernement régional du Kurdistan d’Irak : « Mais comme pour le moment, la rue et les partis politiques ne sont pas d'accord entre eux, il vaut mieux laisser cette question pour après la chute du régime. Il y aura alors un referendum pour déterminer si les Kurdes veulent rester dans le cadre de la Syrie ou opter pour leur indépendance. » De son côté, Hamid Darwich, secrétaire du Parti progressiste kurde de Syrie, a rejeté le modèle d’une large autonomie, telle qu’elle s’applique au Kurdistan d’Irak : « Nous n'allons pas obtenir la même chose que les Kurdes irakiens car les circonstances sont différentes. Nous demandons que nos droits nationaux soient inscrits dans la Constitution et qu'ils soient approuvés par nos frères arabes. »

IRAN : FORTES PRESSIONS POLICIÈRES SUR LES MEDIA ET LES SYNDICATS INDÉPENDANTS

Le 2 janvier, la bloggeuse Rojîn Mohemmedi a été relâchée de la prison d’Evin (Téhéran). Elle était détenue depuis le 23 novembre 2011, accusée de propagande contre le régime. Étudiante en médecine à Manille, elle avait été arrêtée dès son retour, à l’aéroport de Téhéran, et avait été mise au secret dans le carré 2A de la prison d’Evin, contrôlé par l’Armée des gardiens de la révolution islamique (IRGC).

Mais la pression, les intimidations, les arrestations et les jugements arbitraires se poursuivent en Iran, visant particulièrement des militants pacifistes, féministes ou pour les droits de l’homme, ou des bloggeurs.

Ronak Saffarzadeh est une militante féministe kurde, qui participe notamment à la campagne « Un million de signatures pour le retrait des lois discriminatoires envers les femmes ». Elle est aussi membre d’une association qui fait un travail d’éducation et d’alphabétisation des femmes kurdes dans leur langue maternelle, l’Azar Mehr Kurdish Women Society. Le 8 octobre 2008, elle a été arrêtée par les forces de sécurité, parce qu’elle distribuait des tracts qui réclamaient l’éducation en langue kurde et dénonçaient la pratique des « crimes d’honneur » à l’occasion de la Journée internationale de l’Enfance. Les autorités sont venues l’arrêter chez elle, en fouillant sa maison et confisquant ses affaires. Après un an et demi de détention, elle a finalement été condamnée à 6 ans et 7 mois de prison par le Premier Tribunal révolutionnaire de Sanandaj (Sine), le 13 avril 2009 mais a été disculpé du chef d’accusation « moharebeh », ou « ennemi de Dieu » qui lui aurait fait encourir la peine de mort. Elle a cependant été jugée coupable d’appartenance au PJAK et de « propagande contre le régime ». En août 2009, la cour d’appel a confirmé la sentence dans sa totalité et l’a envoyée à la prison centrale de Sanandaj, au milieu des droits communs et non de politiques, ce qui met sa vie en danger, Ronak Saffarzadeh ayant été agressée et blessée à plusieurs reprises.

Un autre militant des droits de l’homme, Muhammad Sediq Kaboudvand a été transféré à l’hôpital de la prison de la prison d’Evin où il est détenu depuis 5 ans. M. S. Kaboudvand a été arrêté en 2007 et condamné à 10 ans de prison pour « atteinte à la sécurité nationale » ayant fondé et dirigé la Défense de l’organisation des droits de l’Homme du Kurdistan, et était aussi le rédacteur en chef de l’hebdomadaire Payam-e Mardom, magazine bilingue en persan et kurde, qui traitait de questions politiques, sociales et culturelles. Il avait écopé d’une peine supplémentaire d’un an pour « propagande contre la République islamique ». Son épouse, interviewée par le journal Zamaneh a indiqué qu’en 54 mois, aucune permission ne lui avait été accordée et que durant 2 ans, toute visite individuelle lui était interdite. Muhammad Sediq Kaboudvand est en mauvaise condition physique, ce qui nécessite des interventions chirurgicales, à la fois du cœur et de la prostate.

La Cour suprême a par ailleurs confirmé la peine de mort de deux prisonniers politiques kurdes, selon des sources locales relayées par la Campagne internationale pour les droits de l’Homme en Iran. Le 22 décembre 2010, Zanyar Moradi et Loghman Moradi, détenus à la prison Rajaee Shahr de Mariwan, avaient été condamnés par la 15ème chambre du tribunal révolutionnaire de Téhéran, en tant que moharebeh (ennemi de Dieu) et pour le meurtre du fils de l’imam de Mariwan.

Ayant pu s’entretenir brièvement avec sa famille, par téléphone, Loghman Moradi a confirmé ce verdict, en ajoutant que puisqu’il ne lui a été signifié qu’oralement et non par écrit, il espérait encore en une tentative d’intimidation. L’avocat des deux prisonniers a exprimé lui aussi sa surprise en apprenant ces condamnations.

Loghman Moradi et Zanyar Moradi avaient auparavant déclaré dans des lettres qu’ils ont pu adresser à l’extérieur, que tous leurs aveux avaient été extorqués sous la torture. S’exprimant au sujet de l’accusation de meurtre du fils d’un mollah de Mariwan, le père de Zanyar étale les irrégularités et l’aspect très artificiel de ce dossier : « Mon fils a été arrêté il y a 20 mois, et c’est seulement 17 mois après qu’il a été accusé de meurtre et de terrorisme. Mais tous les gens de Mariwan, et même la famille de la victime, savent bien que ce n’est pas Zanyar et quelques autres de ces jeunes qui ont fait cela. Tous les gens de Mariwan et même la famille de la victime savent que ces cas récents de meurtres ne sont rien d’autre que le fait du régime, et que cela n’a rien à voir avec ces jeunes. »

De même, le père de Loghman Moradi, Osman Moradi a confirmé le caractère tardif des accusations : « Durant les 9 premiers mois qu’il était détenu par les services de renseignements, il n’y avait pas d’accusation de meurtre dans son dossier. Même plus tard, durant les 7 mois où il était en prison, on n’a jamais parlé de cela. Mais ils l’ont ramené au ministère du Renseignement une fois de plus et ils l’ont gardé 25 jours. Il a été torturé et maltraité à un point tel qu’il a reconnu le meurtre. Je veux dire qu’il l’a reconnu pour échapper à une telle situation. Il a fallu 17 mois pour obtenir de lui cette confession. »

De façon générale, toute forme d’opposition ou de protestation, qu’elle soit politique ou sociale, encourt les foudres du régime qui ne faiblit pas dans le durcissement de sa répression. Les régions kurdes, comme toutes celles abritant de fortes minorités ethniques, sont particulièrement visées. Ainsi, Human Rights Watch a dénoncé, le 31 janvier l’arrestation de plusieurs dizaines de syndicalistes à Téhéran, dans la province de Kurdistan et dans la ville de Tabriz. « Les syndicats indépendants ont joué un rôle clef dans la protection des travailleurs, sous la présidence de Mahmoud Ahmadinjad » explique Joe Stork, responsable du département Moyen-Orent à HRW. « Ces récentes arrestations sont dans la continuité d’une longue et répugnante tradition qui prend pour cible ces syndicats indépendants pour assurer un total contrôle de l’État sur ces groupes. »

Toute contestation de cette répression entraîne d’autres mesures judiciaires. Ainsi, un éminent militant syndical de Sine (Sanandadj, Kurdistan) a été arrêté ainsi qu’un dirigeant de l’Union des travailleurs libres d’Iran. Ce dernier a été arrêté après qu’il se soit rendu au bureau du procureur de Sanandadj pour s’enquérir du sort de deux autres syndicalistes arrêtés en début de mois.

DROITS DE l’HOMME : HUMAN RIGHTS WATCH PUBLIE SON RAPPORT POUR 2011

Le rapport de l’ONG Human Rights Watch pour l’année 2011, pointe, pour la Turquie, les contradictions entre la politique étrangère de la Turquie, qui « s'attache à promouvoir les intérêts régionaux de la Turquie en réponse aux mouvements pro-démocratie du Printemps arabe », alors que « les droits de l'homme ont subi des reculs à l'intérieur de ses frontières. Depuis 2005, les réformes en faveur des droits de l'homme ne sont plus la priorité du gouvernement, et les libertés d'expression et d'association sont attaquées par les procédures judiciaires en cours et les incarcérations de journalistes, d'écrivains et de centaines de militants politiques kurdes. » Malgré les changements politiques en vue de résoudre la question kurde, annoncés à grand fracas en 2009, la question des droits de l’homme et des minorités a plutôt régressé depuis 2005, ajoute l’ONG, avec un accroissement de la violence armée, avec une recrudescence des attaques du PKK contre l’armée et la police, d’une part, et la reprise des bombardements turcs au Kurdistan d’Irak, contre les bases de la guerilla, ce qui ne s’était plus produit depuis 2008.

Les civils ont souffert eux aussi de la violence armée. Deux attentats à Ankara et à Siirt, revendiqués respectivement par le groupe des TAK (mouvement armé clandestin dont le PKK se désolidarise) et par le PKK ont tué en tout 5 personnes. HRW constate que « la non-résolution de la question kurde demeure le plus grand obstacle au progrès des droits de l'homme en Turquie. »

La liberté d'expression, d'association et de réunion est trop souvent bafouée et permet, sous couvert d’accusation de « terrorisme » d’intimider, de harceler judiciairement ou d’emprisonner des éditeurs, des journalistes, des ONG, des universitaires : « Les procureurs portent fréquemment plainte contre des individus pour des discours ou des écrits non-violents. Les politiciens poursuivent leurs détracteurs pour 'diffamation'. Les tribunaux rendent leur jugement sans prendre suffisamment en compte la protection de la liberté d'expression. Une révision complète de toutes les lois restreignant la liberté d'expression est toujours en souffrance. » Sont ainsi rappelées les arrestations des journalistes Ahmet Şık et Nedim Şener, de l’universitaire, Büşra Ersanlı et de l’éditeur Ragip Zarakolu.

La vague d’emprisonnements, lancée contre l'Union des communautés du Kurdistan (KCK/TM), en avril 2009, « s'est intensifiée en 2011, dirigée contre le parti pro-kurde, Paix et démocratie (BDP), qui a pourtant une existence légale. Des centaines de personnes sont en détention préventive et des milliers font face à des procès pour terrorisme, après toute une série d'arrestations d'officiels et de membres du BDP (qui a obtenu 36 sièges aux législatives de juin 2011), toujours pour liens avec le KCK. »

HRW rappelle également que près de 15 000 sites Internet restent bloqués en Turquie, « soit pour 'contenu pornographique' soit pour contenu pro-kurde ou d'autres messages politiques, ce par décision à la fois de la Justice et du ministère des Télécommunications. »

 

En Iran, les Kurdes paient un lourd tribut dans la répression judiciaire et pénale, généralisée dans tout le pays mais visant plus particulièrement les groupes minoritaires. Près de 20 Kurdes attendaient en octobre 2011 leur exécution dans « les couloirs de la mort ». La plupart des auteurs de délits d’opinion, qu’ils soient militants politiques, féministes, ou pour les droits de l’homme, encourent le risque d’être jugés comme « ennemis de Dieu », ce qui est puni de la peine capitale. La discrimination des minorités englobe aussi les minorités religieuses, ce qui concerne aussi les Kurdes, largement sunnites ou yarsan et, de façon générale, « le gouvernement a restreint les activités politiques et culturelles dans tout le pays, contre les Azéris, les Kurdes, les Arabes et les Baloutches, restriction qui inclut les organisations se consacrant à des questions sociales. »

Enfin HRW établit le bilan des opérations militaires iraniennes et turques au Kurdistan d’Irak, qui, au cours de l’été 2011 « ont au moins tué 10 personnes, blessé une douzaine d'autres et déplacé des centaines de civils. »

 

Au Kurdistan d’Irak, la situation des droits de l’homme est nettement plus favorable, même si les manifestations de février 2011 dans la province de Suleïmanieh ont fait au moins 10 morts et plus de 250 blessés. Le 27 avril, le Gouvernement Régional du Kurdistan a d’ailleurs « publié un rapport de 19 pages qui établit que les forces de sécurité et les manifestants sont responsables des violences, et que les forces « n'étaient pas préparées à contrôler la situation ».

Mais le principal reproche des ONG envers le GRK est le traitement de la presse par les forces de sécurité. Les journalistes se plaignent régulièrement d’arrestations arbitraires, de coups, de harcèlement, de menaces, de confiscation et de destruction de matériel, surtout lors des manifestations qu’ils couvraient.

Autre problème particulier à certaines régions du Kurdistan d’Irak, celui de l’excision des fillettes, qui peut atteindre 40% selon les endroits. Mais « le 21 juin, le Parlement du Kurdistan a adopté une loi contre les violences familiales, qui comprend plusieurs dispositions rendant criminelles cette pratique, ainsi que les mariages forcés ou les mariages d'enfants, les abus verbaux, physiques et psychologiques des femmes et des jeunes filles. »

 

En Syrie la violence armée se propage dans la plus grande partie du pays et jusqu’ici, les régions kurdes ont été le moins touchées. La citoyenneté a été octroyée par décret aux Kurdes apatrides de Djézireh, mais si officiellement l’état d’urgence a été levé, « la répression sanglante en cours montre la détermination du gouvernement à écraser la dissidence et à rejeter toute réforme qui pourrait diminuer son autorité. »

CULTURE : UNE KURDE DE 75 ANS DEVIENT UNE PEINTRE RECONNUE AUX PAYS-BAS

Khanim Amen, surnommée Haji Khanem par les Kurdes est aussi appelée « The Lady of Colours » par les galiéristes néerlandais et anglais. Née à Suleïmaneh en 1939, elle est en effet devenue, à 75 ans, une peintre reconnue aux Pays-Bas, et notamment à Amsterdam, la ville où elle réside actuellement.

Haji Khanem n’était aucunement destinée, à l’origine, à mener une carrière artistique, même si elle était attirée, dès l’enfance, par l’artisanat, le tissage, la poterie et la décoration des intérieurs. Mais son père lui ayant interdit toute formation poussée, elle est mariée à l’âge de seize ans et n’apprendra même à lire et à écrire que bien plus tard, à quarante ans, dans des cours pour adulte, tout en travaillant comme sage-femme et infirmière, et en tissant des tapis, vendus ou exposés dans des fêtes.

Réfugiée après la Première Guerre du Golfe, en 1991, aux Pays-Bas, elle apprend le néerlandais et participe à plusieurs activités locales artistiques, commençant alors à exposer. Sa première exposition professionnelle a lieu en 2005, et elle a, depuis, vendu une centaine de tableaux exposés dans des galeries et centres culturels et en novembre 2011 ses tableaux ont été exposés dans une galerie londonienne. Un reportage de la BBC lui a été consacré en décembre dernier et le reportage a été depuis largement repris et diffusé sur Internet, que ce soit dans la presse anglo-saxonne, européenne ou kurde.